L’autre grand problème de la gouvernance en Moldavie, c’est la corruption et les affaires politico-financières. Le pays affronte actuellement un scandale qui va provoquer à court terme une forme de liquidation de trois de ses principales banques, après que des prêts douteux ont été octroyés à des sociétés qui seraient liées à des hommes politiques. Les sommes détournées et évaporées représentent peut-être 1,4 milliard d’euros, soit 15 % à 25 % du PIB.
La politique étrangère moldave a su concilier un engagement proeuropéen très net, surtout depuis l’arrivée au pouvoir d’une majorité proeuropéenne après 2009 – tout d’abord sous la direction de Vladimir Filat, puis de Iurie Leanca – et le maintien de relations correctes avec la Russie, malgré le conflit sur la Transnistrie, ce qui la différencie de la politique de la Géorgie. La Moldavie a un statut constitutionnel de neutralité et ne demande donc pas pour le moment à adhérer à l’OTAN – ce qui serait à mon avis une erreur –, même si la question est désormais débattue dans la classe politique. La neutralité est en fait un point d’équilibre, car le pays est très divisé entre les orientations proeuropéenne et prorusse. Cette division forme une ligne de clivage qui domine les débats politiques et les campagnes électorales.
Dernier point à souligner, la Moldavie est un pays dont un quart de la population parle le français – vous avez eu raison de souligner ce sujet, madame la ministre –, ce qui crée un lien particulier avec notre pays malgré l’absence de liens historiques et des échanges économiques très limités, bien que de grandes entreprises françaises y aient des places dominantes, telles que la Société générale, Lafarge, Orange ou Lactalis. De plus, je tiens à souligner que nous avons une chambre de commerce particulièrement active malgré ses moyens limités. Pour l’anecdote, le ministre de l’économie au sein du nouveau gouvernement est un citoyen binational, français et moldave. Compte tenu de la proximité entre langues latines, à l’époque soviétique, l’apprentissage du français était généralisé. Puis la Moldavie indépendante a adhéré à l’Organisation internationale de la francophonie, l’OIF. Aujourd’hui, 150 000 Moldaves apprennent le français et 3 800 sont même dans des classes bilingues.
La présence institutionnelle locale de notre pays la plus marquante reste celle de l’Alliance française, qui a plusieurs centres et inscrit plus de 6 000 étudiants par an, ce qui doit en faire l’une des toutes premières Alliances françaises en Europe. Mais aujourd’hui, l’OIF risque d’interrompre définitivement son programme de formation au français des élites politiques et administratives, bien que cela ait pourtant été un puissant outil d’influence, qui a par exemple profité à Iurie Leanca, qui était Premier ministre jusqu’à la formation de l’actuel gouvernement. Aujourd’hui, près de la moitié du personnel politique moldave comprend le français et certains le parlent couramment. Pour siéger au Conseil de l’Europe ou à l’OSCE, je peux témoigner que les délégations moldaves s’expriment très souvent en français.
Quant aux moyens de l’Alliance française, ils sont hélas en chute libre, madame la secrétaire d’État, comme le sont, plus généralement, ceux de notre diplomatie, car notre poste à Chiinau fait partie de ceux qui vont passer au format très réduit, alors même que nombre de nos partenaires augmentent leurs moyens sur place. Depuis 2010, l’enveloppe d’action culturelle et universitaire du poste a diminué en moyenne de plus de 10 % par an. À ce rythme, elle aura été divisée par deux en six ou sept ans.
Cette évolution est inquiétante. Pouvons-nous négliger la francophonie dans un pays où elle est vivace, mais menacée comme ailleurs, et qui entrera peut-être un jour dans l’Union européenne ? Par ailleurs, il y a l’enjeu des fonds européens qui se déversent sur la Moldavie, soit une centaine de millions d’euros par an. Nous devrions veiller à garder les moyens de contrôler et d’influencer l’usage de cet argent qui provient pour une large part du contribuable français, ainsi que de bénéficier de programmes européens, ce qui suppose un minimum de mise de fonds nationale.
Dans le même temps, d’autres pays européens, comme l’Allemagne, la Suède, l’Autriche, sont très présents en Moldavie, où ils ont des programmes de coopération dont les montants se chiffrent en dizaines de millions d’euros.
Sur l’accord d’association lui-même, je serai très rapide, car cet énorme document reprend pour l’essentiel un modèle standard d’association politique, et aussi d’intégration économique. Sa plus grande partie est donc consacrée aux clauses économiques, notamment un accord de libre-échange, assorti de quelques clauses dérogatoires ou à entrée en vigueur progressive pour accompagner la transition. Il y a aussi de très nombreux engagements moldaves de reprise de l’acquis communautaire.
Il y a toutefois dans le texte deux points sensibles politiquement.
Le premier est la question des perspectives européennes de la Moldavie, sur laquelle les États membres restent très divisés. Le préambule de l’accord rend compte de ces tensions. Il prend acte des « aspirations européennes » de la Moldavie, reconnaît que celle-ci, « en tant que pays européen, partage une histoire et des valeurs communes avec les États membres », mais énonce clairement que cet accord « ne préjuge en rien de l’évolution progressive des relations entre l’UE et la République de Moldavie à l’avenir ».
À titre personnel, je pense que la France devrait adopter publiquement une position ouverte quant aux perspectives européennes de la Moldavie, comme le font d’autres États membres.
Le second point sensible est bien sûr le traitement de la Transnistrie : l’accord ne s’y appliquera pas, sauf si l’Union européenne et la Moldavie le décidaient conjointement.
Aussi, je vous invite naturellement à adopter ce projet de loi, qui permettra de ratifier l’accord d’association avec un pays ami, démocratique, francophone, mitoyen de l’Union européenne et incontestablement européen.