Intervention de Didier Migaud

Réunion du 15 avril 2015 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, président du Haut conseil des finances publiques :

Je vous remercie d'avoir bien voulu m'inviter devant votre commission, en tant que président du Haut Conseil des finances publiques, afin que je vous présente les principales conclusions de l'avis relatif aux prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité pour les années 2015 à 2018.

Je suis accompagné des membres du secrétariat permanent du Haut Conseil, François Monier, rapporteur général, Boris Melnoux-Eude, rapporteur général adjoint, Nathalie Georges et Annabelle Mourougane, rapporteurs.

C'est la troisième fois que le Haut Conseil est appelé à se prononcer sur le projet de programme de stabilité qui est adressé par la France au Conseil de l'Union européenne et à la Commission européenne. Comme vous le savez, l'avis du Haut Conseil, en application de l'article 17 de la loi organique du 17 décembre 2012, ne porte que sur les prévisions macroéconomiques sous-jacentes à la trajectoire de finances publiques jusqu'en 2018. S'il se prononce sur les seules prévisions macroéconomiques, le Haut Conseil ne peut toutefois ignorer les finances publiques, qui ont un impact sur la macroéconomie.

Avant d'en venir aux observations sur les prévisions du Gouvernement sur la période de programmation, je souhaiterais évoquer brièvement le contexte macroéconomique actuel. Ce contexte a sensiblement évolué depuis le dernier avis du Haut Conseil, conduisant la plupart des analystes à revoir à la hausse leurs prévisions de croissance.

Je rappelle à cet égard que le Haut Conseil ne produit pas lui-même de prévisions mais s'appuie sur celles d'un ensemble d'organismes comprenant les institutions internationales – Commission européenne, FMI, OCDE –, l'INSEE et des instituts de conjoncture.

Nous observons, comme l'ensemble des analystes, que le contexte macroéconomique actuel bénéficie d'une conjonction de facteurs qui devraient soutenir un rebond, en France et, plus largement, dans l'ensemble de la zone euro.

Deux moteurs principaux y contribuent. La baisse du prix du baril de pétrole, de près de 40 %, depuis un an, constitue un choc positif, à la fois de demande – en soutenant la consommation des ménages – et d'offre – via la baisse du coût des consommations intermédiaires des entreprises. La dépréciation de l'euro, d'environ 10 % en un an contre toutes les autres devises, contribue à améliorer la compétitivité-prix des exportations françaises même si elle ne garantit pas de gains de parts de marché par rapport aux autres pays de la zone euro qui en bénéficient également.

Ces deux chocs positifs conduisent le Haut Conseil à considérer que l'hypothèse d'une accélération de la croissance dès 2015, jugée incertaine à l'automne à l'occasion de l'avis sur le projet de loi de finances qui s'inscrivait dans un contexte très différent, est désormais étayée.

À ces deux moteurs s'ajoutent d'autres paramètres de politique économique. Les effets de la politique de rachat d'actifs conduite par la Banque centrale européenne – BCE – depuis mars 2015 se feront surtout sentir via la dépréciation de l'euro, compte tenu du fait qu'il n'y a pas de problème d'accès au crédit pour la majorité des entreprises françaises. Le ralentissement du rythme d'ajustement budgétaire en zone euro, après trois années de consolidation budgétaire forte et simultanée, pèsera moins sur l'activité. Les baisses d'impôts et de cotisations pour les entreprises mises en oeuvre dans le cadre du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi – CICE – et du pacte de responsabilité et de solidarité, contribuent à baisser le coût du travail, mais leurs pleins effets dépendent des comportements de marge des entreprises. Dans une moindre mesure, il faut aussi compter avec les plans de soutien à l'investissement, tant au niveau national, avec les mesures récemment annoncées, qu'au niveau européen, avec le plan Juncker, qui pourraient stimuler l'activité à moyen terme.

Même si c'est encore de façon timide, les enquêtes de conjoncture annoncent les premiers indices d'une reprise qui devrait d'abord passer par la consommation. Celle-ci a bénéficié, au cours des derniers mois, d'un regain de pouvoir d'achat lié notamment à la baisse des prix de l'énergie et d'une amélioration de la confiance des ménages. Je rappelle que la baisse du prix du baril de pétrole permet d'économiser 20 milliards d'euros dont environ 10 milliards au bénéfice des ménages et 10 milliards pour les entreprises.

S'agissant des entreprises, les carnets de commandes se remplissent progressivement, et le climat des affaires s'améliore, même si la tendance est plus marquée dans le commerce que dans l'industrie et les services. On n'observe pas, cependant, de reprise nette de la production à ce stade.

Si les ingrédients d'une reprise sont bien présents, des incertitudes demeurent sur l'ampleur de la reprise et sa pérennité.

D'une part, les effets pleins d'une baisse du prix du pétrole et celle du change peuvent mettre du temps à se faire sentir sur la production comme l'ont montré les épisodes de reprise passés. Ils dépendront en grande partie du comportement de marge des entreprises.

D'autre part, la durée de ces chocs est imprévisible, et leurs effets sont amenés à s'estomper.

Ensuite, il faut rappeler que les conséquences de l'assouplissement quantitatif – Quantitative Easing – de la BCE sont encore mal connues, notamment sur l'inflation. À cet égard, les anticipations d'inflation à moyen terme sont inchangées autour de 1,8 % pour les prévisionnistes, mais elles sont nettement inférieures pour les investisseurs financiers.

Au-delà des incertitudes sur les facteurs conjoncturels et les mesures de politique économique soutenant la croissance, d'autres freins pourraient également brider la reprise de l'économie française. Nous pensons en particulier à la faiblesse persistante de l'investissement, qui menace à terme d'obsolescence les capacités industrielles, et aux difficultés que pourraient rencontrer les entreprises françaises face à la concurrence de certains pays européens où le coût du travail a fortement diminué au cours des dernières années.

Malgré les réserves que je viens de mentionner, nous sommes bien en présence de facteurs favorables à un rebond de la croissance. La question est maintenant de savoir si nous réussirons à transformer l'essai. S'agit-il alors d'une reprise durable dans laquelle l'impulsion initiale donnée par la baisse du prix du pétrole et la dépréciation de l'euro enclencherait d'autres moteurs, ou d'un rebond sans véritable reprise, sans lendemain, auquel cas l'économie française croîtrait durablement à des taux modérés ?

En définitive, nous pensons que le rebond prévu en 2015 ne se transformera en une reprise durable que si la demande intérieure et les exportations prennent le relais des stimuli extérieurs, ce qui suppose un redémarrage de l'investissement.

Notre analyse de la situation macroéconomique prend également en compte l'importance des risques financiers, qui se sont accrus depuis 2014. La hausse des marchés boursiers a été massive et rapide aux États-Unis puis en Europe, faisant craindre une correction brutale. Dans un environnement de taux historiquement bas, les acteurs de marché recherchent davantage de rendement pour résoudre leur déséquilibre bilanciel, altérant ainsi la perception et la représentation du risque et du prix des actifs. Du côté des marchés des devises, la poursuite de l'appréciation du dollar serait de nature à enrayer la croissance américaine en pénalisant les exportations et à accroître la vulnérabilité des économies émergentes dont beaucoup sont endettées en dollar. Ces facteurs sont très difficiles à quantifier et sont par conséquent très peu intégrés dans les exercices de prévision du Gouvernement comme dans ceux des organisations internationales. Mais il s'agit de risques qu'il faut garder à l'esprit.

Permettez-moi à présent de revenir plus en détail sur chacune des années de la prévision : 2015 et, ensemble, 2016, 2017 et 2018.

S'agissant de l'année 2015, le Haut Conseil considère que, compte tenu du contexte que je viens de décrire, la prévision de croissance du Gouvernement est désormais prudente.

Dans le projet de loi de finances pour 2015, le Gouvernement retenait une prévision de 1 %. Cette prévision avait été, en l'état des informations disponibles à l'époque, jugée « optimiste » par le Haut Conseil des finances publiques. Or, malgré les profondes évolutions constatées depuis l'automne, la prévision de croissance présentée dans le programme de stabilité est inchangée. Cela témoigne de la volonté de prudence du Gouvernement dans ce nouvel exercice de prévision sous-jacent à la trajectoire de finances publiques soumise aux autorités européennes. Le Haut Conseil ne peut que saluer cette démarche, qui est bienvenue.

La prévision de croissance présentée par le Gouvernement s'appuie sur une accélération de la consommation, soutenue par l'amélioration du pouvoir d'achat des ménages, et sur une progression plus rapide des exportations.

Cette prévision est proche de celles retenues par la Commission européenne, les organisations internationales et le consensus des économistes, qui se situent toutes autour de 1 % voire au-dessus. Ce matin, le FMI a publié des nouvelles prévisions avec une croissance à 1,2 %. Dans un contexte favorable lié à la baisse du prix du pétrole et à la dépréciation du change, la prévision du Gouvernement est désormais – j'insiste sur ce « désormais » – jugée prudente par le Haut Conseil.

Les composantes de la demande qu'il a retenues sont cohérentes avec cette prévision de croissance. Le faible rythme d'évolution de l'investissement des entreprises est en ligne avec un lent redémarrage de l'activité. La révision à la baisse de la croissance du commerce mondial s'inscrit dans les tendances observées au second semestre 2014.

De même, le Haut Conseil estime que c'est à juste titre que les prévisions d'inflation et de masse salariale ont été revues à la baisse par rapport au projet de loi de finances pour 2015. Une inflation légèrement négative en moyenne annuelle en 2015 ne nous semble néanmoins pas être totalement exclue.

S'agissant des prévisions pour les années 2016 à 2018, le Haut Conseil considère que les prévisions de croissance sont prudentes et permettent d'assurer la crédibilité de la trajectoire nominale de finances publiques. Il formule cependant des réserves sur certains aspects du scénario.

Le Gouvernement retient une prévision de croissance annuelle de 1,5 % en 2016 et en 2017, puis de 1,75 % en 2018 qui serait notamment portée par un redémarrage modéré de l'investissement. Ces chiffres sont revus à la baisse par rapport à la loi de programmation : en recul de 0,2 point pour 2016, 0,4 point pour 2017 et 0,3 point pour 2018. À l'inverse, la croissance potentielle est revue à la hausse de 0,2 point dès 2016 par le Gouvernement afin, selon lui, d'y intégrer l'effet des réformes structurelles. Ce scénario de reprise durable mais modéré était déjà celui du Gouvernement dans les précédents exercices, mais il en présente cette fois une version prudente avec une croissance qui n'accélérerait que modérément en 2016, serait stable en 2017 puis un peu plus élevée en 2018. Ce scénario ne tient pas compte, par construction, des risques financiers qu'il faut pourtant bien avoir à l'esprit. Il repose sur une reprise de l'inflation dont le Haut Conseil estime qu'elle pourrait être plus tardive en raison d'un taux de chômage encore élevé et d'un besoin de reconstitution de marge peut-être pas encore entièrement satisfait.

S'il reconnaît la prudence de ce scénario, le Haut Conseil s'interroge toutefois sur la pertinence d'un écart entre la production effective et la production potentielle – ce que l'on appelle écart de production ou output gap – très creusé pendant près d'une décennie et qui ne se réduit pratiquement pas à l'horizon 2018 : – 3,5 % de 2015 à 2017 et – 3,2 % en 2018.

L'absence de fermeture de cet écart est le résultat du rapprochement d'hypothèses de croissance effective plutôt prudentes que je viens d'évoquer et d'estimations de croissance potentielle revues à la hausse à partir de 2016 de 0,2 point par an par rapport à la loi de programmation.

Ce scénario de maintien d'un écart de production aussi important pendant une si longue période ne nous semble pas cohérent avec l'accélération de l'investissement, de l'inflation et des salaires retenue par ailleurs dans le scénario du Gouvernement. Une hypothèse de croissance potentielle moins élevée aurait permis un début de fermeture de l'écart de production. Pour la même trajectoire de déficit nominal, elle aurait conduit à un ajustement structurel moins important.

Enfin, le Haut Conseil regrette que la croissance potentielle, dont l'estimation est entourée de fortes incertitudes – comme il a eu l'occasion de le rappeler dans son avis relatif au projet de loi de programmation – ait été révisée en décembre 2014, quelques mois seulement après l'adoption de cette loi. Le fait que le programme de stabilité révise la croissance potentielle arrêtée dans la loi de programmation, qui constitue la référence pour examiner le respect par le Gouvernement des objectifs de solde structurel, pose à cet égard un problème de principe. En effet, cette révision rend peu lisible le partage entre les composantes conjoncturelles et structurelles du solde public et rend difficile l'analyse de la politique budgétaire. Dans ces conditions, le Haut Conseil recommande que la croissance potentielle ne soit pas trop fréquemment révisée.

Rappelons que pour apprécier la cohérence des textes financiers avec les orientations annuelles de solde structurel, c'est la croissance potentielle présentée dans la dernière loi de programmation qui constitue la référence, en application des dispositions de la loi organique du 17 décembre 2012. Le Haut Conseil l'utilise dans ses avis sur les projets de loi de règlement, ce que nous ferons, à la fin du mois de mai, pour l'exercice 2014.

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