La Commission entend d'abord M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques, sur l'avis du Haut Conseil relatif aux prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité pour les années 2015 à 2018.
Monsieur le Premier président, nous vous recevons aujourd'hui au titre de votre fonction de président du Haut Conseil des finances publiques afin que vous nous présentiez l'avis que ce dernier a rendu sur les prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité pour les années 2015 à 2018.
Je rappelle que, cette année, le programme de stabilité, que le Gouvernement doit communiquer aux autorités européennes d'ici à la fin du mois, ne fera pas l'objet d'un débat et d'un vote, contrairement à ce qui se produisait auparavant. Ce sujet a été encore abordé hier matin, au cours de la Conférence des présidents : le Gouvernement nous a confirmé qu'il ne souhaitait pas qu'un débat se tienne en séance. Nous sommes donc amenés à organiser, le mercredi 22 avril prochain, une réunion élargie de notre commission qui nous permettra d'entendre notre rapporteure générale, Valérie Rabault après qu'elle aura eu quelques jours pour mener un travail de fond sur le programme de stabilité. En effet, ce document, qui nous sera présenté ce matin, après le Conseil des ministres, par M. Michel Sapin, ministre des Finances et des comptes publics et M. Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du Budget, n'est généralement pas d'une lecture très aisée. Les grandes qualités pédagogiques de notre rapporteure générale lui seront bien utiles pour nous permettre de comprendre les enjeux essentiels de ce document hermétique.
En principe, monsieur le président du Haut Conseil des finances publiques, vous ne vous prononcez aujourd'hui que sur des hypothèses macroéconomiques. L'avis que nous avons pu lire précise toutefois que le Haut Conseil a dû « tenir compte […] des éléments relatifs à la trajectoire de finances publiques ». Nous nous permettrons en conséquence de vous poser quelques questions qui pourraient se situer à la frontière du champ financier ou budgétaire.
J'indique que nous vous recevrons à nouveau, mais cette fois également en tant que Premier président de la Cour de comptes, le mercredi 27 mai prochain, concernant le projet de loi de règlement et la certification des comptes pour l'année 2014. Je vois que François Cornut-Gentille s'en réjouit. Je partage son sentiment : l'exécution budgétaire est encore plus importante que les prévisions. Nous prendrons le temps d'effectuer un travail approfondi.
Je vous remercie d'avoir bien voulu m'inviter devant votre commission, en tant que président du Haut Conseil des finances publiques, afin que je vous présente les principales conclusions de l'avis relatif aux prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité pour les années 2015 à 2018.
Je suis accompagné des membres du secrétariat permanent du Haut Conseil, François Monier, rapporteur général, Boris Melnoux-Eude, rapporteur général adjoint, Nathalie Georges et Annabelle Mourougane, rapporteurs.
C'est la troisième fois que le Haut Conseil est appelé à se prononcer sur le projet de programme de stabilité qui est adressé par la France au Conseil de l'Union européenne et à la Commission européenne. Comme vous le savez, l'avis du Haut Conseil, en application de l'article 17 de la loi organique du 17 décembre 2012, ne porte que sur les prévisions macroéconomiques sous-jacentes à la trajectoire de finances publiques jusqu'en 2018. S'il se prononce sur les seules prévisions macroéconomiques, le Haut Conseil ne peut toutefois ignorer les finances publiques, qui ont un impact sur la macroéconomie.
Avant d'en venir aux observations sur les prévisions du Gouvernement sur la période de programmation, je souhaiterais évoquer brièvement le contexte macroéconomique actuel. Ce contexte a sensiblement évolué depuis le dernier avis du Haut Conseil, conduisant la plupart des analystes à revoir à la hausse leurs prévisions de croissance.
Je rappelle à cet égard que le Haut Conseil ne produit pas lui-même de prévisions mais s'appuie sur celles d'un ensemble d'organismes comprenant les institutions internationales – Commission européenne, FMI, OCDE –, l'INSEE et des instituts de conjoncture.
Nous observons, comme l'ensemble des analystes, que le contexte macroéconomique actuel bénéficie d'une conjonction de facteurs qui devraient soutenir un rebond, en France et, plus largement, dans l'ensemble de la zone euro.
Deux moteurs principaux y contribuent. La baisse du prix du baril de pétrole, de près de 40 %, depuis un an, constitue un choc positif, à la fois de demande – en soutenant la consommation des ménages – et d'offre – via la baisse du coût des consommations intermédiaires des entreprises. La dépréciation de l'euro, d'environ 10 % en un an contre toutes les autres devises, contribue à améliorer la compétitivité-prix des exportations françaises même si elle ne garantit pas de gains de parts de marché par rapport aux autres pays de la zone euro qui en bénéficient également.
Ces deux chocs positifs conduisent le Haut Conseil à considérer que l'hypothèse d'une accélération de la croissance dès 2015, jugée incertaine à l'automne à l'occasion de l'avis sur le projet de loi de finances qui s'inscrivait dans un contexte très différent, est désormais étayée.
À ces deux moteurs s'ajoutent d'autres paramètres de politique économique. Les effets de la politique de rachat d'actifs conduite par la Banque centrale européenne – BCE – depuis mars 2015 se feront surtout sentir via la dépréciation de l'euro, compte tenu du fait qu'il n'y a pas de problème d'accès au crédit pour la majorité des entreprises françaises. Le ralentissement du rythme d'ajustement budgétaire en zone euro, après trois années de consolidation budgétaire forte et simultanée, pèsera moins sur l'activité. Les baisses d'impôts et de cotisations pour les entreprises mises en oeuvre dans le cadre du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi – CICE – et du pacte de responsabilité et de solidarité, contribuent à baisser le coût du travail, mais leurs pleins effets dépendent des comportements de marge des entreprises. Dans une moindre mesure, il faut aussi compter avec les plans de soutien à l'investissement, tant au niveau national, avec les mesures récemment annoncées, qu'au niveau européen, avec le plan Juncker, qui pourraient stimuler l'activité à moyen terme.
Même si c'est encore de façon timide, les enquêtes de conjoncture annoncent les premiers indices d'une reprise qui devrait d'abord passer par la consommation. Celle-ci a bénéficié, au cours des derniers mois, d'un regain de pouvoir d'achat lié notamment à la baisse des prix de l'énergie et d'une amélioration de la confiance des ménages. Je rappelle que la baisse du prix du baril de pétrole permet d'économiser 20 milliards d'euros dont environ 10 milliards au bénéfice des ménages et 10 milliards pour les entreprises.
S'agissant des entreprises, les carnets de commandes se remplissent progressivement, et le climat des affaires s'améliore, même si la tendance est plus marquée dans le commerce que dans l'industrie et les services. On n'observe pas, cependant, de reprise nette de la production à ce stade.
Si les ingrédients d'une reprise sont bien présents, des incertitudes demeurent sur l'ampleur de la reprise et sa pérennité.
D'une part, les effets pleins d'une baisse du prix du pétrole et celle du change peuvent mettre du temps à se faire sentir sur la production comme l'ont montré les épisodes de reprise passés. Ils dépendront en grande partie du comportement de marge des entreprises.
D'autre part, la durée de ces chocs est imprévisible, et leurs effets sont amenés à s'estomper.
Ensuite, il faut rappeler que les conséquences de l'assouplissement quantitatif – Quantitative Easing – de la BCE sont encore mal connues, notamment sur l'inflation. À cet égard, les anticipations d'inflation à moyen terme sont inchangées autour de 1,8 % pour les prévisionnistes, mais elles sont nettement inférieures pour les investisseurs financiers.
Au-delà des incertitudes sur les facteurs conjoncturels et les mesures de politique économique soutenant la croissance, d'autres freins pourraient également brider la reprise de l'économie française. Nous pensons en particulier à la faiblesse persistante de l'investissement, qui menace à terme d'obsolescence les capacités industrielles, et aux difficultés que pourraient rencontrer les entreprises françaises face à la concurrence de certains pays européens où le coût du travail a fortement diminué au cours des dernières années.
Malgré les réserves que je viens de mentionner, nous sommes bien en présence de facteurs favorables à un rebond de la croissance. La question est maintenant de savoir si nous réussirons à transformer l'essai. S'agit-il alors d'une reprise durable dans laquelle l'impulsion initiale donnée par la baisse du prix du pétrole et la dépréciation de l'euro enclencherait d'autres moteurs, ou d'un rebond sans véritable reprise, sans lendemain, auquel cas l'économie française croîtrait durablement à des taux modérés ?
En définitive, nous pensons que le rebond prévu en 2015 ne se transformera en une reprise durable que si la demande intérieure et les exportations prennent le relais des stimuli extérieurs, ce qui suppose un redémarrage de l'investissement.
Notre analyse de la situation macroéconomique prend également en compte l'importance des risques financiers, qui se sont accrus depuis 2014. La hausse des marchés boursiers a été massive et rapide aux États-Unis puis en Europe, faisant craindre une correction brutale. Dans un environnement de taux historiquement bas, les acteurs de marché recherchent davantage de rendement pour résoudre leur déséquilibre bilanciel, altérant ainsi la perception et la représentation du risque et du prix des actifs. Du côté des marchés des devises, la poursuite de l'appréciation du dollar serait de nature à enrayer la croissance américaine en pénalisant les exportations et à accroître la vulnérabilité des économies émergentes dont beaucoup sont endettées en dollar. Ces facteurs sont très difficiles à quantifier et sont par conséquent très peu intégrés dans les exercices de prévision du Gouvernement comme dans ceux des organisations internationales. Mais il s'agit de risques qu'il faut garder à l'esprit.
Permettez-moi à présent de revenir plus en détail sur chacune des années de la prévision : 2015 et, ensemble, 2016, 2017 et 2018.
S'agissant de l'année 2015, le Haut Conseil considère que, compte tenu du contexte que je viens de décrire, la prévision de croissance du Gouvernement est désormais prudente.
Dans le projet de loi de finances pour 2015, le Gouvernement retenait une prévision de 1 %. Cette prévision avait été, en l'état des informations disponibles à l'époque, jugée « optimiste » par le Haut Conseil des finances publiques. Or, malgré les profondes évolutions constatées depuis l'automne, la prévision de croissance présentée dans le programme de stabilité est inchangée. Cela témoigne de la volonté de prudence du Gouvernement dans ce nouvel exercice de prévision sous-jacent à la trajectoire de finances publiques soumise aux autorités européennes. Le Haut Conseil ne peut que saluer cette démarche, qui est bienvenue.
La prévision de croissance présentée par le Gouvernement s'appuie sur une accélération de la consommation, soutenue par l'amélioration du pouvoir d'achat des ménages, et sur une progression plus rapide des exportations.
Cette prévision est proche de celles retenues par la Commission européenne, les organisations internationales et le consensus des économistes, qui se situent toutes autour de 1 % voire au-dessus. Ce matin, le FMI a publié des nouvelles prévisions avec une croissance à 1,2 %. Dans un contexte favorable lié à la baisse du prix du pétrole et à la dépréciation du change, la prévision du Gouvernement est désormais – j'insiste sur ce « désormais » – jugée prudente par le Haut Conseil.
Les composantes de la demande qu'il a retenues sont cohérentes avec cette prévision de croissance. Le faible rythme d'évolution de l'investissement des entreprises est en ligne avec un lent redémarrage de l'activité. La révision à la baisse de la croissance du commerce mondial s'inscrit dans les tendances observées au second semestre 2014.
De même, le Haut Conseil estime que c'est à juste titre que les prévisions d'inflation et de masse salariale ont été revues à la baisse par rapport au projet de loi de finances pour 2015. Une inflation légèrement négative en moyenne annuelle en 2015 ne nous semble néanmoins pas être totalement exclue.
S'agissant des prévisions pour les années 2016 à 2018, le Haut Conseil considère que les prévisions de croissance sont prudentes et permettent d'assurer la crédibilité de la trajectoire nominale de finances publiques. Il formule cependant des réserves sur certains aspects du scénario.
Le Gouvernement retient une prévision de croissance annuelle de 1,5 % en 2016 et en 2017, puis de 1,75 % en 2018 qui serait notamment portée par un redémarrage modéré de l'investissement. Ces chiffres sont revus à la baisse par rapport à la loi de programmation : en recul de 0,2 point pour 2016, 0,4 point pour 2017 et 0,3 point pour 2018. À l'inverse, la croissance potentielle est revue à la hausse de 0,2 point dès 2016 par le Gouvernement afin, selon lui, d'y intégrer l'effet des réformes structurelles. Ce scénario de reprise durable mais modéré était déjà celui du Gouvernement dans les précédents exercices, mais il en présente cette fois une version prudente avec une croissance qui n'accélérerait que modérément en 2016, serait stable en 2017 puis un peu plus élevée en 2018. Ce scénario ne tient pas compte, par construction, des risques financiers qu'il faut pourtant bien avoir à l'esprit. Il repose sur une reprise de l'inflation dont le Haut Conseil estime qu'elle pourrait être plus tardive en raison d'un taux de chômage encore élevé et d'un besoin de reconstitution de marge peut-être pas encore entièrement satisfait.
S'il reconnaît la prudence de ce scénario, le Haut Conseil s'interroge toutefois sur la pertinence d'un écart entre la production effective et la production potentielle – ce que l'on appelle écart de production ou output gap – très creusé pendant près d'une décennie et qui ne se réduit pratiquement pas à l'horizon 2018 : – 3,5 % de 2015 à 2017 et – 3,2 % en 2018.
L'absence de fermeture de cet écart est le résultat du rapprochement d'hypothèses de croissance effective plutôt prudentes que je viens d'évoquer et d'estimations de croissance potentielle revues à la hausse à partir de 2016 de 0,2 point par an par rapport à la loi de programmation.
Ce scénario de maintien d'un écart de production aussi important pendant une si longue période ne nous semble pas cohérent avec l'accélération de l'investissement, de l'inflation et des salaires retenue par ailleurs dans le scénario du Gouvernement. Une hypothèse de croissance potentielle moins élevée aurait permis un début de fermeture de l'écart de production. Pour la même trajectoire de déficit nominal, elle aurait conduit à un ajustement structurel moins important.
Enfin, le Haut Conseil regrette que la croissance potentielle, dont l'estimation est entourée de fortes incertitudes – comme il a eu l'occasion de le rappeler dans son avis relatif au projet de loi de programmation – ait été révisée en décembre 2014, quelques mois seulement après l'adoption de cette loi. Le fait que le programme de stabilité révise la croissance potentielle arrêtée dans la loi de programmation, qui constitue la référence pour examiner le respect par le Gouvernement des objectifs de solde structurel, pose à cet égard un problème de principe. En effet, cette révision rend peu lisible le partage entre les composantes conjoncturelles et structurelles du solde public et rend difficile l'analyse de la politique budgétaire. Dans ces conditions, le Haut Conseil recommande que la croissance potentielle ne soit pas trop fréquemment révisée.
Rappelons que pour apprécier la cohérence des textes financiers avec les orientations annuelles de solde structurel, c'est la croissance potentielle présentée dans la dernière loi de programmation qui constitue la référence, en application des dispositions de la loi organique du 17 décembre 2012. Le Haut Conseil l'utilise dans ses avis sur les projets de loi de règlement, ce que nous ferons, à la fin du mois de mai, pour l'exercice 2014.
Je vous remercie d'avoir salué la prudence avec laquelle le Gouvernement a choisi l'ensemble des hypothèses macroéconomiques associées au programme de stabilité.
Vous relevez l'importance de l'écart entre la prévision de croissance et la croissance potentielle : je précise que cette différence n'a aucun impact sur le déficit nominal.
La Commission européenne dispose de ses propres estimations relatives à la croissance potentielle. Elles ne sont malheureusement pas très accessibles contrairement à ce qui se passe aux États-Unis où des données lisibles et accessibles à tous sont publiées sur un site internet. Quel écart avez-vous constaté entre ces estimations et celles du Gouvernement ? Que vous inspirent ces différences ?
L'avis du Haut Conseil évoque « des risques financiers importants ». Nous savons que, si la faiblesse des taux d'intérêt profite bien aux finances publiques, elle pousse les investisseurs à chercher des rendements élevés de façon parfois hasardeuse, ce qui est propice à l'éclosion de bulles. Votre position n'est-elle qu'un appel à la prudence fondé sur l'analyse ou avez-vous déjà enregistré certaines alertes ?
Le caractère prudent des prévisions, que vous avez souligné, est en rupture avec des pratiques anciennes qui conduisaient souvent à présenter des textes sur le fondement d'hypothèses irréalistes, comme le montrent les travaux menés par la Cour des comptes depuis dix ans. Nous espérons évidemment que la situation sera meilleure demain. Les bénéfices que nous en tirerons devront prioritairement servir au désendettement du pays.
Le Haut Conseil semble considérer lui-même que les concepts de croissance potentielle et d'écart de production sont, en quelque sorte, aléatoires. Un problème de principe se pose en tout cas concernant leur utilisation, et je retiens qu'il serait préférable d'assurer en la matière une certaine stabilité. Le débat sous-jacent porte sur l'ampleur de l'effort structurel mais, comme vient de le dire notre rapporteure générale, le plus important est bien de nous situer sur une trajectoire de réduction du déficit nominal qui permette de sortir le plus rapidement possible de la procédure pour déficit excessif. Nous assumons pleinement le choix politique consistant à ne pas aller au-delà des mesures d'économies sur la dépense publique de 50 milliards d'euros – les modèles de la Commission européenne montrent d'ailleurs que ce serait pénalisant pour la croissance – nonobstant les discussions auxquelles peuvent se livrer les spécialistes sur le mode de calcul de la croissance potentielle et l'écart de production.
Le Haut Conseil constate que les risques financiers sont difficilement évaluables. Est-il possible de mieux cerner ce sujet, notamment au travers de travaux scientifiques ?
L'analyse relative à l'écart de production et à la croissance potentielle ne conduit-elle pas finalement à considérer que ces concepts sont inopérants ? Je comprends que le Haut Conseil se prononce dans un cadre qui lui est imposé ; il pourrait cependant suggérer que d'autres critères soient utilisés.
Ce n'est pas moi qui dirai le contraire : je n'ai jamais cessé de défendre cette thèse.
Dans le style inimitable de la Cour des comptes, le Haut Conseil évoque une « croissance potentielle, dont l'estimation est entourée de fortes incertitudes ». Ces fortes incertitudes portent à mon sens sur le concept lui-même. S'il n'a plus beaucoup de sens, la distinction entre mesures conjoncturelles et mesures structurelles est remise en cause.
La croissance potentielle yoyote mais l'avis ne dit rien sur le taux retenu. Quel est-il ? La faiblesse de l'investissement pose un problème : en 2014, l'investissement des entreprises non financières croît de 0,7 % mais, en 2015, elle augmente seulement de 0,3 %. Comment justifier la reprise affichée pour les deux années suivantes, avec un taux de 3,3 %, alors que les taux de marge, qui sont les plus faibles d'Europe, n'augmentent pas sensiblement ? Je rappelle que nous avons six points d'écart en la matière par rapport à la moyenne européenne.
L'avis revient fréquemment sur la prudence dont fait preuve le Gouvernement dans le choix de ses hypothèses. Je ne saurais la lui reprocher car j'ai toujours plaidé en ce sens. Cela dit, avons-nous affaire à de la prudence ou à de la tactique politique ? Le Gouvernement ne devient-il pas subitement prudent, après avoir oublié de l'être pendant trois ans, parce qu'il espère que les résultats seront meilleurs que les prévisions et qu'il pourra s'en féliciter ? N'est-ce pas seulement un petit jeu politicien ? Qu'en pensez-vous ?
Le Haut Conseil estime que la croissance pour 2016 et 2017 dépendra de la reprise de l'investissement et de la demande intérieure. A-t-il réfléchi à la nature de l'investissement en question ? Son impact diffère selon les secteurs concernés, notamment pour ce qui concerne l'emploi ? Comment maintenir cet investissement, je pense notamment à l'investissement public qui subit les baisses actuelles des dotations aux collectivités locales ?
Le Haut Conseil considère à juste titre que l'écart de production reste élevé, mais cela s'explique par la surévaluation passée de la croissance potentielle. Quand les conjoncturistes la calculaient « à la main », ils traçaient une droite qui traversait leur graphique du cycle économique. Nous employons aujourd'hui des méthodes sophistiquées, mais nous ne sommes pas si éloignés des anciens calculs, au détail près que nous révisons beaucoup trop chaque année.
La zone euro a connu, depuis deux ans et demi, une récession d'une ampleur jamais atteinte, sinon dans les années 1930, dont les causes ont disparu avec les politiques d'austérité qui s'étaient multipliées : nous avons désormais des politiques budgétaires neutres et une politique monétaire fortement expansionniste. Nous devrions constater une croissance effective supérieure à la prévision du Gouvernement, ce qui réduira l'écart de production. Pour une fois, nous avons des chances d'avoir de bonnes nouvelles.
Comme Pierre-Alain Muet, je suis convaincu que la croissance réelle devrait, sauf accident, être supérieure à ce qui est prévu. Mais tout cela relève plus à mon sens d'un exercice de communication de la part du Gouvernement que des résultats d'une politique économique. À tel point que le Haut Conseil constate lui-même qu'une « sous-utilisation aussi importante et aussi durable des moyens de production ne s'accorde pas avec l'accélération de l'investissement, de l'inflation et des salaires retenue par ailleurs dans le scénario du Gouvernement ». D'un côté, lorsque le Gouvernement s'exprime pour la Commission européenne ou devant nous, il nous dit que tout va bien en annonçant que les efforts consentis sur le plan de la gestion portent leurs fruits et il cite la réduction du déficit structurel. D'un autre côté, il annonce, à l'intention de l'opinion publique, que les salaires continueront d'augmenter, et que la reprise est là grâce aux outils, comme le CICE, qu'il a mis en place pour soutenir l'économie. Avec de telles contradictions, il y a de quoi être un peu schizophrène.
En fait, les dépenses structurelles continuent de progresser. Il n'y a qu'à voir, en matière de dépenses publiques, l'évolution de la masse salariale qui, mois après mois, repart à la hausse, à un rythme largement supérieur à celui de l'inflation. Le Gouvernement ne s'en cache pas : les ministres annoncent même, les uns après les autres, qu'ils embauchent ici dix mille fonctionnaires supplémentaires, là cinq mille autres. La réalité des chiffres finit par parler.
Il faudrait tout de même finir par établir des étalons. Dans l'esprit qui a prévalu lors de la fondation du Haut Conseil, je ne trouve pas normal que le Gouvernement joue avec la notion de croissance structurelle. Elle devrait être déterminée par le Haut Conseil, « certifiée » par lui en quelque sorte, à partir des travaux des divers instituts et économistes – je crois que c'est un peu le système retenu en Allemagne. Cette donnée est en effet cardinale pour observer toutes les autres évolutions, notamment celles des déficits.
Les hypothèses retenues pour la croissance sont de 1 % en 2015, 1,5 % en 2016 et 2017, et 1,75 % en 2018. Même si M. Sapin parle d'objectifs planchers, nous nous demandons si nous sommes condamnés à des taux limités entre 1 et 2 %, sachant que l'on nous répète que cela ne suffit pas pour créer de l'emploi. Pouvons-nous aller au-delà de ces prévisions ?
Vous expliquez que la reprise ne sera durable que si elle est soutenue par la demande intérieure et vous avez évoqué le rôle de l'investissement. Pensez-vous aussi que des mesures de soutien pourraient être prises en particulier en direction des ménages en termes de salaires et de pouvoir d'achat ?
Le président du Haut Conseil des finances publiques nous a indiqué qu'une croissance durable nécessitait une reprise de la demande intérieure et des exportations. Il me semble qu'il faut ajouter un ingrédient supplémentaire : les mesures que doit prendre le Gouvernement pour fluidifier le marché du travail sans lesquelles il n'y aura pas en France de croissance durable et véritable.
L'introduction des notions de croissance potentielle et d'indicateurs structurels, qui figurent dans le traité budgétaire, constitue plutôt un progrès dans la mesure où elles permettent de tenir compte de la conjoncture. À l'évidence, c'est un plus par rapport à un indicateur purement nominal. Une divergence d'appréciation existe bien concernant la croissance potentielle entre la Commission européenne et la France, mais elle n'est pas nouvelle. La vision assez pessimiste de la Commission n'est pas vraiment partagée par notre pays, et cette différence d'analyse explique en partie les discussions en cours. Pour ma part, à l'instar de Pierre-Alain Muet, je ne suis pas certain que l'approche de la Commission européenne soit réaliste. Le débat existe ; la réalité tranchera
Nous revenons en permanence au débat sur la croissance potentielle et la croissance structurelle. Nous n'en sortirons jamais ! Plutôt que de rendre notre politique économique et financière illisible, nous avons besoin d'indicateurs probants et constants.
L'avis du Haut Conseil évoque deux scenarii dont celui d'un rebond sans reprise dans lequel la demande interne, ne bénéficie plus « des stimuli du pétrole et du change ». La juxtaposition avec le scénario proposé par le Gouvernement, quelques lignes plus loin, montre à quel point sa réponse n'est pas à la hauteur de la situation que vous décrivez. Pour le Gouvernement, « l'emploi total augmenterait de 0,3 %, en raison d'un nouvel accroissement du nombre de contrats aidés ». On fabrique à nouveau du contrat aidé pour relancer l'emploi : je ne crois pas que cela soit la bonne solution.
Je suis surpris que, parmi les conditions favorables au rebond, vous ne citiez que des éléments extérieurs comme la baisse du dollar ou du pétrole, et jamais des outils mis en place par le Gouvernement comme le CICE, le pacte de responsabilité ou les investissements dans divers domaines.
Son président n'en a pas parlé, et je n'étais peut-être pas le seul à souhaiter que cela soit dit.
La baisse des prix du pétrole a permis aux ménages de bénéficier de 10 milliards d'euros. Pourquoi ce montant ne se retrouve-t-il pas dans leurs dépenses ? Vous souhaitez une relance de la consommation mais l'augmentation des salaires pourrait finalement se révéler contre-productive et ne pas favoriser la reprise ?
Vous avez eu raison de signaler que l'évaluation de la croissance potentielle faisait de nouveau l'objet de débats. Lors de l'examen du dernier projet de loi de finances, j'avais moi-même souhaité modifier l'évaluation du solde conjoncturel et du solde structurel proposée par le Gouvernement car je considérais que l'estimation de la croissance potentielle était trop faible – elle est à mon sens plus proche de 1,5 % que de 1 %. Votre avis donne cependant le sentiment qu'il pourrait exister un débat sur cette évaluation. Or le six pack et le two pack sont très clairs : la Commission européenne fixe la croissance potentielle, et le Gouvernement français n'a pas son avis à donner. Qu'est-ce qui vous amène à suggérer que la croissance potentielle révisée pourrait relever de la responsabilité du Gouvernement ?
Le Haut Conseil laisse par ailleurs entendre que l'ajustement budgétaire de 4 milliards d'euros annoncé par le Gouvernement n'aurait pas d'influence sur le scénario macroéconomique. Pourquoi considérer qu'un ajustement budgétaire, certes mesuré mais de 4 milliards tout de même, n'aurait pas d'effet sur le scénario macroéconomique ? L'économiste que je suis est un peu interloquée par cette formule car, à ma connaissance, tout ajustement budgétaire a un impact sur ce scénario.
L'avis du Haut Conseil écarte au stade actuel l'hypothèse selon laquelle nous pourrions être dans un scénario déflationniste. Vous considérez la baisse de l'euro et celle des prix du pétrole comme des signaux positifs, mais certains économistes suggèrent qu'elles dessinent un scénario de déflation parfaitement lisible aujourd'hui dans les bilans des banques allemandes ou françaises. Le Haut Conseil a-t-il lu les analyses de nombre d'économistes européens selon lesquels ces baisses nominales de prix ne sont pas des signaux de reprise mais des éléments déflationnistes ?
Quel est votre avis sur la nature de la politique de l'offre et notamment sur son ciblage ? Nous avons constaté que le CICE et le pacte de responsabilité ne ciblaient pas forcément tous les objectifs retenus avec l'ensemble des masses allouées.
Le programme de stabilité s'intègre dans le semestre européen qui permet de coordonner les politiques budgétaires. Or, vous ne citez pas, par exemple, le plan Juncker, sur lequel nous avons rédigé un rapport, avec mon collègue Arnaud Richard, dans le cadre de la commission des Affaires européennes de notre assemblée...
Certes, mais les conséquences de ce plan ne sont pas intégrées, notamment pour ce qui concerne l'écart de production.
L'euro et le pétrole sont souvent cités mais la question de l'inflation importée, notamment en cas d'une éventuelle remontée des taux aux États-Unis, est rarement abordée. Elle aurait un effet majeur sur les projections actuelles.
Je me réjouis, comme plusieurs de mes collègues, que l'on insiste sur le solde nominal plutôt que sur le solde structurel. Nous avons vu toutes les difficultés rencontrées pour passer de la croissance effective à la croissance potentielle. Globalement, nous aurions bien besoin que le Haut Conseil nous apporte des outils méthodologiques plus fiables et qu'il fasse des choix.
Je pense en particulier à l'inflation que vous évoquez en parlant de la nécessité de trouver 4 milliards d'euros d'économies « structurelles » à la demande du Conseil de l'Union européenne du 10 mars dernier. Parce que nous calculons nos économies en tendance, et que nous avons surestimé l'inflation, il nous manque quelques milliards – par exemple au titre du blocage du point d'indice. Le Gouvernement proposera très probablement de parvenir à la somme de 4 milliards grâce aux économies sur les frais financiers. Pourtant il me semble que ce type d'économies fondées sur l'évolution des taux d'intérêt – qui pourraient parfaitement repartir à la hausse sous influence de la Réserve fédérale américaine, comme vient de le dire Razzy Hammadi – ne relève pas de la notion d'effort structurel. Il s'agit d'économies de constat. Aujourd'hui, on mélange allégrement le structurel et le nominal, et cette confusion finit par nuire à la clarté de l'avis du Haut Conseil. Comment ce dernier pourrait-il nous aider à apporter un peu de clarté là où le Gouvernement ne semble pas très enclin à en mettre ?
Je ne referai pas l'historique des traités européens, mais si les concepts de croissance potentielle et de déficit structurel ont été imaginés, c'est aussi pour répondre à un certain nombre de préoccupations partagées par les responsables politiques quant aux interprétations à donner aux déficits réels ou nominaux. Parfois, estimaient-ils, des situations particulières pouvaient amener à ne pas raisonner seulement à partir du conjoncturel.
Nous partageons les préoccupations qui se sont exprimées concernant ces concepts et les parts respectives du conjoncturel et du structurel. Cela dit, comme votre rapporteure générale l'a souligné, la croissance potentielle n'a pas d'impact sur le déficit nominal. Les débats sur le partage entre conjoncturel et structurel permettent en tout cas aux économistes de s'en donner à coeur joie. Disons que les points de vue sont divers.
Pour ce qui concerne ce que j'aurais pu dire ou pas, et ce que l'avis peut contenir, je me permets de vous renvoyer à la source. J'ai par exemple clairement indiqué dans mon exposé liminaire que « les baisses d'impôts et de cotisations pour les entreprises mises en oeuvre dans le cadre du CICE et du pacte de responsabilité et de solidarité contribuent à baisser le coût du travail ». J'espère que cela donne satisfaction à M. Fauré. Quant à la lecture attentive de l'avis du Haut Conseil, elle rassurera M. Hammadi.
Pourquoi évoquons-nous les risques financiers ? Il est vrai que l'intégration de la sphère financière dans les prévisions macroéconomiques est très partielle, que ce soit dans le scénario du Gouvernement ou dans les hypothèses que retient la Commission européenne. Il faut cependant reconnaître que le Gouvernement intègre une remontée des taux courts de 0,1 % à 1,7 % entre 2015 et 2018, et des taux longs qui passeraient de 0,8 % à 3,3 %. Il n'intègre pas en revanche l'ensemble des risques financiers, ce que personne ne fait faute d'instruments adéquats. Ces risques sont néanmoins identifiés : le FMI évoque leur accroissement éventuel, et nous avons auditionné des économistes qui les mentionnent en se fondant sur la faiblesse des taux d'intérêt et la constitution de nouvelles bulles – certains n'écartent pas le risque systémique. Nous devons toutefois faire la part des choses : ces mêmes économistes, qui ont parfois échoué à anticiper la crise financière de 2008, sont sans doute extrêmement attentifs à l'ensemble des paramètres actuels, et ils ont tendance à insister sur ces risques. Leurs analyses sont néanmoins à prendre en considération car ce qui se passe sur les marchés financiers peut être facteur de risques.
En 2014, l'hypothèse de croissance potentielle du Gouvernement et de la Commission était de 1 %, chiffre qui se retrouvait dans la loi de programmation des finances publiques. En 2015, le Gouvernement a retenu l'hypothèse initiale de la Commission de 1,1 %, mais cette dernière a modifié sa prévision pour la fixer à 1 %. Pour 2016, l'estimation de la Commission est de 1,1 %, et celle du Gouvernement de 1,5 %, après qu'il l'a modifiée par rapport à la loi de programmation, qui la fixait à 1,3 %. Pour 2017, la Commission n'a pas de prévision et le Gouvernement prévoit une croissance potentielle de 1,5 %, qui se situerait à 1,4 % après 2017. Le Gouvernement se situe plutôt dans la fourchette haute des estimations de la croissance potentielle.
Mme Berger a rappelé qu'il appartenait à la Commission européenne d'apprécier la croissance potentielle ; il n'en demeure pas moins que de nombreux gouvernements avancent des estimations différentes. C'est le cas de la France. Le Haut Conseil considère que le concept de croissance potentielle peut être utile mais qu'il comporte beaucoup d'incertitudes, en particulier dans une période atypique de longue stagnation – notre PIB se situe à peine au-dessus de celui enregistré en 2007. Ces dernières années, les importantes révisions à la baisse de la croissance potentielle et de l'écart de production rendent l'utilisation du concept difficile. Nous avons commencé à travailler sur le sujet ; nous y reviendrons dans le cadre de l'avis que nous donnerons sur le projet de loi de programmation.
Le Haut Conseil ne prétend pas que le nouvel ajustement budgétaire de 4 milliards d'euros annoncé par le Gouvernement n'aura pas d'influence sur le scénario macroéconomique ; il dit qu'il ne devrait « guère » en avoir. Ce n'est pas pareil ! Le Haut Conseil se fonde sur la nature de cet ajustement qui, d'après ce qui a été annoncé par le Gouvernement, repose essentiellement sur des économies de constatation.
Monsieur Lefebvre, nous ne considérons pas que l'effort structurel ne sera pas celui qui est annoncé par le Gouvernement. Nous constatons seulement que ce dernier relève son estimation de l'effort structurel. Elle passe de 0,3 %, dans la loi de programmation, à 0,5 %, ce qui ne correspond pas à demande la Commission européenne, soit 0,8 %, et crée un débat avec elle. La hausse de l'effort structurel est liée la croissance potentielle mais aussi aux mesures complémentaires annoncées pour 2016.
Elle permet d'enregistrer un effort structurel de 0,1 point.
La prudence du Gouvernement est-elle tactique ? Il ne m'appartient pas de porter une appréciation sur ce sujet.
Je confirme ce qui est écrit dans l'avis concernant l'écart de production. À partir du moment où l'on enregistre une certaine reprise, il peut paraître étonnant qu'il ne se réduise pas.
Il est difficile de savoir si le rebond actuel se transformera en reprise durable. En tout état de cause, nous disons que cela ne sera le cas que si des moteurs internes prennent le relais, et nous citons, à titre principal, l'investissement. Aujourd'hui, la reprise est portée par la consommation. La baisse du prix du pétrole, dont j'ai dit que l'impact pour les ménages s'élevait à 10 milliards d'euros, a des conséquences assez fortes sur la consommation. Pour que le rebond devienne reprise durable il faut que l'investissement reprenne...
La question de la capacité des entreprises françaises à faire face à une demande accrue se pose alors. C'est tout le débat sur la compétitivité de notre économie.
La France est-elle condamnée à une faible croissance ? Elle ne l'est pas si des moteurs internes prennent le relais. De nombreux économistes estiment néanmoins que nous pouvons connaître une période longue de croissance molle tandis que d'autres pensent que le rebond sera plus important et durable. Pour le moment, tout cela doit être confirmé : nous ne disposons que de quelques signes d'un rebond.
Le Haut Conseil ne retient pas de schéma déflationniste. Il est vrai que la hausse des prix est négative sur un an. L'INSEE fait encore apparaître pour le mois dernier une diminution des prix sur un an de 0,1 %, soit une hausse par rapport au mois précédent, durant lequel cette diminution était de 0,2 %. Cependant ces données résultent essentiellement de l'impact direct de la baisse des prix pétroliers. Si l'on raisonne hors énergie, l'inflation sous-jacente reste légèrement positive : 0,2 % sur un an au mois de mars. Quant à l'augmentation nominale des salaires, elle est supérieure à 1 % – de 1,3 à 1,4 % en 2015-2016 – ce qui, d'une certaine façon, constitue un frein à une nouvelle baisse des prix. Le prix de la production nationale reste proche de 1 % en rythme annuel. Les anticipations d'inflation à long terme sont également positives du côté de la Commission européenne et de la BCE – cela dit, il est logique que la BCE anticipe une reprise de l'inflation si elle croit à sa propre politique – même si, de leur côté, les analystes financiers anticipent moins une accélération de l'inflation.
La baisse de l'euro contribuera sans doute aussi à augmenter l'inflation. On peut concevoir que les décisions prises par la BCE auront des conséquences de ce point de vue.
Dans le cadre du rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, que je devrais pouvoir vous présenter dans la seconde quinzaine de juin, la Cour des comptes reviendra sur la question de l'investissement, notamment de l'investissement public.
Après vous avoir attentivement écouté, monsieur Migaud, j'ai le sentiment que nous ne pouvons pas grand-chose à quoi que ce soit. Si j'ai bien compris, tout va mieux si le pétrole baisse mais tout peut se retourner à tout moment. Quelle est la marge d'action de la France aujourd'hui ?
Les décisions politiques ont une influence sur le cours des événements. Les choses ne viennent pas du ciel ; tout est bien la conséquence de décisions humaines et politiques. Il ne faut pas démissionner !
Les élus ont raison de croire que l'action politique peut contribuer à améliorer les choses même s'il est vrai que le décideur politique n'est pas seul : les acteurs économiques jouent un rôle, et certaines décisions prises sur le plan financier peuvent peser. Évidemment, il y a aussi, en économie, une part subjective et irrationnelle.
Tout comme nous sommes heureux de vous avoir entendu ce matin, monsieur le Premier président. Nous vous remercions.
La Commission examine ensuite le rapport de la mission d'information sur la fiscalité agricole (M. François André, rapporteur).
Je rappelle que dans le cadre de nos discussions sur la première partie du projet de loi de finances pour 2015, la constitution d'une mission d'information sur la fiscalité agricole est apparue utile et nécessaire afin, dans un premier temps, de préparer des amendements pouvant être intégrés dans le collectif de fin d'année, et, dans un second temps, de poursuivre son travail sur l'ensemble des autres sujets ayant trait à la fiscalité agricole.
François André est le rapporteur de cette mission, qui a été constituée le 28 octobre dernier et qui a travaillé sous la présidence de Marc Le Fur. Outre notre rapporteure générale, elle est composée de nos collègues Jean-Marie Beffara, Charles de Courson, Alain Fauré, Véronique Louwagie, Michel Vergnier et de moi-même.
Le temps est venu de vous présenter en ma qualité de rapporteur le travail et les conclusions de la mission d'information sur la fiscalité agricole créée le 28 octobre 2014 par notre Commission et à l'initiative de notre rapporteure générale. Son objectif, tel que défini à l'origine, était double : d'une part, étudier les conclusions des « Assises de la fiscalité agricole » qui s'étaient tenues quelques semaines auparavant, d'autre part, faire le bilan des principales spécificités de la fiscalité agricole pour s'assurer que celles-ci répondent encore aux défis et aux principales difficultés de l'agriculture du XXIe siècle.
Notre mission a ainsi joué un rôle certain dans une première traduction législative des conclusions des Assises de la fiscalité agricole en permettant un nouvel aménagement de la déduction pour aléas – DPA – et en permettant une exonération de sept ans de taxe foncière sur les propriétés bâties pour les installations liées à la méthanisation agricole.
Puis la mission a concentré ses travaux sur la fiscalité agricole « générale », c'est-à-dire sur le socle commun applicable à l'ensemble des exploitants agricoles. Nous n'avons donc pas abordé les particularismes de certaines composantes de la fiscalité agricole, tels que le régime forestier par exemple ou encore les régimes territoriaux applicables en Corse et en Outre-mer. Nous n'avons pas non plus traité des aspects relatifs à la fiscalité environnementale – je pense à la taxe générale sur les activités polluantes, ou encore aux mesures dérogatoires importantes constituées par la fiscalité sur les carburants. Nous n'avons pas étudié non plus les droits d'accises perçus sur certains produits agricoles.
Le rapport constitue ainsi un panorama actualisé et argumenté de cette branche de la fiscalité, qui n'avait plus fait l'objet d'une expertise détaillée et d'ensemble depuis le rapport des députés Béatrice Marre et Jérôme Cahuzac, remis au Premier ministre le 28 mars 2000.
Notre mission a mené depuis le mois d'octobre dernier dix-neuf auditions qui ont permis de rencontrer l'ensemble des acteurs de terrain concernés par la fiscalité agricole. En premier chef, les différents représentants des exploitants agricoles, qui en sont les principaux intéressés, mais également des experts en charge de l'application de cette fiscalité – notaires, avocats, experts-comptables –, ainsi que d'autres représentants non agricoles afin de placer la réflexion dans le cadre élargi de l'économie rurale.
Cette vision concrète et appliquée de la fiscalité agricole a très vite permis de faire ressortir deux objectifs prioritaires qui ont guidé les réflexions et les propositions faites par la mission d'information dans son rapport. Premier objectif, la simplification, face à une législation mouvante et parfois peu lisible ; second objectif, la nécessité assouplissement dans un contexte où l'exploitant agricole devient de plus en plus un chef d'entreprise en quête d'outils de gestion et surtout d'outils d'arbitrage économiquement efficaces.
Le rapport que je vous présente aujourd'hui se divise en quatre parties distinctes, qui reprennent chacune les enjeux abordés lors des Assises de la fiscalité agricole, ceux de l'agriculture d'aujourd'hui et de demain.
La première partie du rapport se présente comme un panorama des spécificités fiscales appliquées à l'agriculture et leur justification au regard des particularités évidentes de l'activité agricole. Elle s'intéresse à la soumission à l'impôt sur le revenu selon les modalités de calcul propres à la catégorie des bénéfices agricoles. Si l'ensemble des dispositions dérogatoires actuelles apparaît comme nécessaire et indispensable à la survie financière des exploitations, le régime du forfait collectif apparaît cependant comme un dispositif aujourd'hui dépassé, coûteux et complexe qui masque la réalité des revenus agricoles. La mission d'information a donc étudié les possibilités d'évolution vers un régime dit « micro », à l'instar de celui qui existe pour les bénéfices industriels et commerciaux et les bénéfices non commerciaux. Cette réforme fait d'ailleurs l'objet d'un très large consensus au sein des pouvoirs publics et des organisations syndicales, moyennant quelques aménagements.
La deuxième partie du rapport se penche sur les dispositifs fiscaux en faveur de la pérennité des exploitations agricoles, au travers tout d'abord des dispositifs en faveur de l'installation et de la transmission, mais également en s'interrogeant sur les moyens de favoriser l'agriculture de groupe, amenée à se développer dans les exploitations de demain, le premier moyen étant l'extension du principe de transparence. L'enjeu du développement et de la pérennité des exploitations revêt en effet une importance fondamentale face au phénomène que l'on connaît, à savoir la baisse inexorable du nombre d'exploitations – 515 000 exploitations aujourd'hui, contre 2,3 millions en 1955.
La troisième partie du rapport s'intéresse à ce qui constitue la principale spécificité économique inhérente à l'activité agricole, à savoir la variabilité du revenu agricole. Cette particularité, issue de la soumission inévitable de l'agriculteur aux aléas de la nature, a été d'autant plus prégnante depuis l'abandon progressif des prix garantis par la politique agricole commune – PAC –, ajoutant à l'équation les aléas du marché. Sans intervention du législateur pour corriger les effets du droit commun fiscal, les agriculteurs seraient ainsi fortement pénalisés par rapport aux autres acteurs économiques, notamment du fait de la progressivité et de l'annualité du barème de l'impôt sur le revenu. La détermination de l'assiette fiscale et de l'assiette sociale des agriculteurs se trouve donc au coeur des enjeux de la fiscalité agricole. La mission d'information s'est particulièrement penchée sur les évolutions possibles de la DPA, assimilable à une provision pour risques venant en déduction du revenu imposable. Nous nous sommes penchés sur cette déduction afin de la rendre plus incitative et d'en faire un outil efficace au service de la démarche de gestion des risques de l'agriculteur. Les autres dispositifs fiscaux existants, comme la moyenne triennale ou le lissage des revenus exceptionnels, ont également été abordés afin d'étudier les possibilités d'assouplissement, sans pour autant favoriser les effets d'aubaine.
Enfin, la quatrième partie du rapport aborde un phénomène qui existe depuis longtemps mais qui tend aujourd'hui à se développer : la diversification des activités au sein d'une même exploitation agricole. Cette tendance amène à s'interroger sur le caractère incitatif du régime fiscal de la pluriactivité, en gardant à l'esprit que la concurrence doit demeurer loyale avec les autres acteurs de l'économie rurale. La mission d'information s'est plus spécifiquement intéressée à la fiscalité appliquée aux activités de méthanisation, qui constituent à la fois une avancée au regard du développement durable et de la diversification énergétique, ainsi qu'une source potentielle de revenus complémentaires pour les agriculteurs.
Le bilan de la fiscalité agricole dressé par les quatre parties du rapport que je vous présente aujourd'hui a donc abouti à plusieurs propositions – dix-sept exactement. L'objectif n'est pas de révolutionner la fiscalité agricole, qui répond en grande partie aux besoins actuels des agriculteurs, comme le démontre le rapport, et qui par ailleurs souffrirait d'une remise en cause globale du système en termes de stabilité et de lisibilité. L'objectif n'est pas non plus de dégrader le niveau des déficits en proposant des allégements inconsidérés de la fiscalité.
Sur plusieurs enjeux, sont cependant proposés des correctifs visant à atteindre les objectifs évoqués précédemment. Voici les principales recommandations :
– simplifier le forfait collectif pour tendre vers un régime de type « micro-BA » dont l'assiette ferait l'objet d'un abattement forfaitaire unique de 87 % ;
– réduire le délai d'option pour la moyenne triennale de cinq ans à trois ans afin d'assouplir les bornes de ce mécanisme de lissage sans pour autant supprimer tout délai, afin de ne pas favoriser les stratégies d'optimisation fiscale ;
– pour renforcer l'attractivité de la DPA, élargir la notion d'aléa afin de rendre plus souple l'utilisation de la réserve, supprimer l'obligation de déposer les fonds de cette dotation sur un compte bloqué comme préalable à l'entrée dans la DPA et, enfin, porter le délai de réintégration à compter de la survenance de l'aléa de un an à deux ans, en inscrivant ce délai dans la loi ;
– toujours dans un objectif de renforcement des outils de lissage du revenu, la mission recommande également d'étendre le mécanisme de lissage des revenus exceptionnels à l'assiette sociale car elle ne s'applique aujourd'hui qu'à la seule assiette fiscale. Enfin, face à la déconnexion parfois constatée entre le revenu réel et le montant des cotisations sociales, nous proposons de supprimer, pour les cotisations maladie et elles seules, la notion d'assiette minimale en vigueur actuellement ;
– concernant la méthanisation, afin de ne pas pénaliser les unités pionnières, le rapport propose de remédier à la rupture d'égalité qui, depuis les nouvelles dispositions de la loi de finances pour 2015, existe en matière d'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties et de cotisation foncière des entreprises entre ces unités et les nouvelles unités de méthanisation, en étendant les exonérations à l'ensemble des unités installées depuis moins de sept ans pour la durée restante à partir du 1er janvier 2015 ;
– enfin, afin d'encourager les regroupements, le rapport préconise d'étendre le principe de transparence au crédit d'impôt congé qui, à ce jour, ne bénéficie d'aucune transparence, même plafonnée, et de porter la transparence intégrale à quatre associés pour l'ensemble des dispositifs fiscaux qui sont actuellement limités à trois, dans la même logique que l'amendement relatif au plafond commun DPIDPA adopté lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2014.
Pour conclure, je tiens à saluer l'implication dans les travaux de la mission du président Marc Le Fur, de l'ensemble de mes collègues, en particulier de vous-même, Madame la Présidente, et de Charles de Courson, qui nous ont éclairé de leur érudition en la matière. Pour que nos recommandations aient une chance d'avoir une traduction législative, j'ai veillé à ce que ces dernières soient formulées, pour l'essentiel, à assiette fiscale constante. Pour autant, je crois que ces recommandations permettront, si elles sont adoptées, d'améliorer sur bien des aspects la fiscalité agricole en la rendant plus simple, plus souple, plus compréhensible et donc plus efficace.
Pensez-vous que l'ensemble de ces dispositions puisse s'appliquer sans impact financier ou fiscal sur les recettes à venir ?
L'impact sera essentiellement dans le temps, car il s'agit principalement de rendre plus incitatifs des dispositifs de lissage.
Pour avoir participé à quelques auditions, je me félicite du travail qui a été réalisé. Les demandes initiales portaient sur une mesure très simple, la suppression de l'obligation de déposer les fonds sur un compte bloqué comme préalable à l'entrée dans la DPA. Cette obligation constituait une aberration et sa suppression représente une belle avancée. L'assouplissement du délai de réintégration des sommes utilisées – qui passe de un à deux ans – à compter de la survenance de l'aléa constitue aussi un progrès.
Je me félicite également de l'application du principe de transparence appliqué aux groupements agricole d'exploitation en commun – GAEC – concernant les seuils de rattachement des revenus issus des activités accessoires, qui était une demande récurrente de l'ensemble du monde agricole. Vous avez évoqué les activités de méthanisation, mais je pense aussi à tous les exploitants agricoles en montagne qui exercent des activités de déneigement pour le compte des communes ou des départements. Il y avait auparavant un réel blocage par rapport aux montants possibles. Cette diversification de l'activité agricole est la bienvenue.
Enfin, sur la notion de regroupement, le principe de transparence intégral des GAEC porté jusqu'à quatre associés correspond également à une vraie demande et, bien que déjà adoptée, son inscription dans la loi me paraît intéressante.
Vous proposez d'étudier la piste d'un impôt sur les sociétés agricole dont l'assiette serait calculée selon des modalités applicables aux bénéfices agricoles. Avez-vous l'aval de Bercy sur cette recommandation ou est-ce un voeu pour l'avenir ? Sur l'ensemble de vos recommandations, quelles sont celles qui ont été validées par le ministère des Finances ?
Je m'associe aux remerciements qui ont été formulés sur ces travaux que je regrette de n'avoir pu suivre comme je l'aurais souhaité. À la lecture du rapport, deux tableaux fournissent des données que je trouve extrêmement précieuses :
– le tableau sur la consommation brute de capital fixe par rapport à la valeur ajoutée brute, qui montre la forte intensité capitalistique de l'activité agricole pour un euro de valeur ajoutée produite ;
– le tableau sur les comptes de la branche agricole entre 2006 et 2013, qui reflète l'impact de la chute de prix des céréales sur les revenus du monde agricole. Le revenu net de la branche est passé entre 2012 et 2013 de 14,9 milliards à 9,5 milliards d'euros. C'est un impact extrêmement violent en termes de poids économique.
Est-ce que Bercy a accédé à vos demandes en vous fournissant une comparaison avec les autres activités économiques du pays ? Quelle est la différence de taxation entre un euro de valeur ajoutée dans l'agriculture et dans les autres secteurs d'activité, et est-ce qu'une pondération en fonction du risque existe ?
En termes d'impôt, on est à 1,6 milliard d'euros sur une valeur ajoutée nette de 14 milliards, ce qui fait un peu plus de 10 %. Est-ce que Bercy a fait un décompte global en additionnant tout ce qui pouvait exister comme fiscalité ?
C'est pour cela que l'idée d'avoir un impôt sur les sociétés – IS – agricole qui prenne en compte l'ensemble des spécificités du monde agricole constitue une piste intéressante à explorer.
J'ai participé à une grande partie des travaux de cette mission. Le groupe UDI est favorable à treize des dix-sept propositions formulées. Je reviendrai donc uniquement sur les quatre points de désaccord, dont la nature est variée.
Je vais commencer par le problème de la DPA. Elle ne fonctionne pas et, telle qu'elle est conçue, elle est faite pour ne pas fonctionner. En 2013, la DPA n'a été utilisée que par 5 800 entreprises sur 515 000 exploitations agricoles pour une dépense fiscale de 6 millions d'euros. Elle ne peut pas fonctionner : les conditions d'entrée, d'utilisation et de sortie du dispositif sont trop contraignantes, c'est une « usine à gaz ».
Le groupe UDI propose depuis plusieurs années un dispositif très simple, fondé sur le fait que la DPA n'est pas un allégement fiscal mais un mécanisme de lissage des revenus. On peut maintenir les plafonds, mais il faut libéraliser le dispositif. L'exploitant mettrait à titre de provision une somme immobilisée qu'il pourrait ressortir dans un délai que nous souhaiterions réduire de sept à cinq ans, la plupart des cycles agricoles ne dépassant pas cinq ans. Une telle libéralisation constituerait une véritable réforme de la DPA.
Si l'on veut aller plus loin, il faut passer de la DPA à la réserve spéciale d'affectation – RSA –, cette dernière donnant la possibilité aux agriculteurs, dans les limites d'un plafond, de mettre en réserve une partie du bénéfice en contrepartie d'une taxation forfaitaire de 15 %, c'est-à-dire l'équivalent du taux de l'IS sur les petites entreprises et avec les mêmes plafonds. Au moment du retrait, l'exploitant paie le différentiel entre l'impôt sur le revenu et l'acompte qui a été versé deux ans, trois ans, quatre ans plus tôt quand la somme a été mise en réserve.
Un tel dispositif constituerait une véritable révolution, car le grand problème des entreprises individuelles agricoles – comme d'ailleurs de toutes les entreprises individuelles – est d'être obligées de payer l'impôt sur le revenu avant de pouvoir investir dans l'entreprise, alors que dans le cadre d'une entreprise soumise à l'IS les sommes investies ne sont pas soumises à l'impôt sur le revenu. Seuls les dividendes sont imposés. Un certain parallélisme entre le régime des petites entreprises soumises à l'IS et les entreprises individuelles devrait être rétabli.
Quant à la méthanisation, le dispositif actuel a été construit sur le concept inadapté du petit méthaniseur à la ferme. Il s'agit du modèle allemand, qui a lui-même été abandonné depuis trois ou quatre ans. Il faut aujourd'hui encourager les unités collectives. De ce point de vue, les propositions de notre rapporteur sont trop timides. La mission d'information a auditionné, par exemple, des éleveurs bretons qui se sont réunis à trente pour organiser une unité de méthanisation – sans parvenir à s'en sortir, du reste, parce que les conditions de reprise sont insuffisantes pour rentabiliser l'ensemble. Il faut, au moins, pousser à la constitution d'unités collectives et non pas à de petites unités à la ferme.
Les propositions du rapporteur visent à améliorer la transparence des GAEC. Toutefois, le groupe UDI souhaite la transparence intégrale et non partielle. Pourquoi ne monter que de trois à quatre associés alors que le rapport relève que, même s'ils sont peu nombreux, il existe des GAEC réunissant plus de quatre associés ? Pourquoi les discriminer ? Il faut aller au bout de la démarche, la transparence totale étant un objectif partagé par tous.
Sans prendre de position définitive, le rapport propose une étude sur l'idée d'un impôt sur les sociétés pour le monde agricole. Ce passage à l'IS est déjà parfaitement réalisable. Je connais des exploitants qui ont fait ce choix par rejet du système commun, en créant une société. Mais il faudrait cependant conserver quelques spécificités pour adapter cet impôt au secteur. Voilà quel serait le coeur de la réflexion, puisque le passage à l'IS est déjà possible. Ce n'est pas très fréquent mais il existe d'ailleurs quelques centaines de sociétés agricoles qui l'ont fait.
J'évoquerai aussi un point, peu abordé malgré mes propositions, qui me tient à coeur : le problème des coopératives. Elles sont confrontées à deux difficultés : d'abord, leur accès au crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi – CICE –, voté par l'Assemblée nationale, mais qui a été écarté par l'Union européenne – nous dit-on ; mais notre ministre de l'Agriculture s'est-il beaucoup battu pour le défendre ? J'en doute. Il est difficile d'expliquer à des coopératives opérant dans des secteurs concurrentiels qu'elles ne peuvent bénéficier du CICE, contrairement à d'autres entreprises de droit commun se trouvant sur le même marché. Se pose également le problème du crédit d'impôt recherche – CIR – dont ne peuvent bénéficier les coopératives faisant de la recherche. J'avais déposé des amendements afin de remédier à cette situation, d'autant que ce n'est pas un dispositif très coûteux. Ces deux impossibilités sont liées à leur non-imposition à l'IS.
Enfin, je reviendrai sur un dernier point, le calcul des cotisations sociales à l'année N. Voté en 1995, le dispositif, qui était optionnel, a duré six ans. Il permet d'éviter les explosions sociales dans des secteurs connaissant des chutes brutales de revenus. Comment expliquer, en effet, à un agriculteur après une baisse de 50 % de ses prix et qui est déficitaire qu'il doit continuer à payer des cotisations sociales parce qu'il est à la moyenne triennale ou à N-1 ? Mais la Mutualité sociale agricole – MSA – a fini par obtenir l'arrêt du dispositif de calcul en année N, affirmant qu'il était trop difficile à gérer. Pourtant, tous les travailleurs indépendants – commerçants, artisans, etc. – bénéficient de cette option. Je milite pour qu'elle soit recréée en faveur d'un secteur qui connaît une très grande variabilité des revenus. Elle contribuerait à favoriser l'objectif de lissage proposé par le rapport d'information.
Ces diverses réflexions font l'objet d'une contribution au rapport.
Je remercie notre rapporteur pour ses diverses propositions, en particulier celle recommandant la simplification du régime d'imposition des plus petites exploitations ainsi que la réduction du délai d'option pour la moyenne triennale. Autant d'évolutions qui étaient attendues.
En considérant la liste des auditions réalisées par la mission d'information, je regrette cependant que vous n'ayez pas entendu directement des représentants des éleveurs, à travers la Fédération nationale bovine – FNB – ou la Fédération nationale ovine – FNO –, car en voulant tout traiter, les syndicats interprofessionnels abordent souvent mal les sujets.
Pour réagir aux propos de Charles de Courson, je confirme qu'il est possible pour les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés d'introduire des déductions pour risques et les provisionner, quand c'est justifié, selon des règles précises. C'est le cas des sociétés financières, et notamment des banques. Si l'option de créer un impôt sur les sociétés agricoles était retenue, elle ouvrirait plusieurs nouveaux champs possibles d'adaptation.
La perspective de créer un IS agricole a été au coeur de nos auditions. Mais en écoutant les uns et les autres, j'ai tendance à penser que le monde agricole n'est pas encore tout à fait mûr pour l'envisager. Son rapport psychologique à l'impôt, qui n'est pas neutre, peut être un obstacle même s'il y a des évolutions. On commence ainsi à entendre des exploitants agricoles, pas nécessairement importants, qui se déclarent prêts à cette réforme pour gagner en souplesse et améliorer leur pilotage économique. Mais cela nous est apparu encore prématuré. Il faut également considérer que la notion de progressivité de l'imposition serait ainsi abandonnée. Or, notre mission n'a pas eu le temps d'identifier, en collaboration avec le ministère des Finances, les perdants d'une telle réforme par rapport au système d'imposition actuel. Toutefois, les réflexions avancent, et la volatilité des situations est une dimension de plus en plus reconnue. Il y a fort à parier que ce sujet reviendra dans les années ou les mois à venir, rouvrant peut-être à nouveau la piste de l'IS.
Pour répondre à Valérie Rabault, le ministère des Finances n'a pu nous donner de chiffres, ni d'analyses précises sur le décorticage de la notion de valeur ajoutée dans le secteur agricole par comparaison à d'autres secteurs. Mais il serait intéressant de les obtenir et cela pourrait justifier le prolongement de nos travaux.
S'agissant des points de divergence de Charles de Courson, il nous dit trop timides sur la DPA. Cependant, ce régime a déjà été assoupli il y a quelques mois seulement. Il nous semble pertinent d'attendre un ou deux ans pour voir si le nouveau dispositif est plus attractif ou s'il est nécessaire d'aller plus loin.
Quant à la méthanisation, nous nous sommes cantonnés aux aspects fiscaux. Mais nos auditions ont montré que son développement se heurte à d'autres problèmes – de prix de rachat de l'énergie, de modèle économique, de niveau de l'investissement etc…– que les seules mesures fiscales ne permettront pas de régler. J'ai souhaité que notre mission s'en tienne au strict champ fiscal de son sujet afin de respecter sa vocation première.
Il y a bien eu débat sur les GAEC pour déterminer s'il fallait limiter le principe de transparence à quatre associés ou aller au-delà. Je précise qu'au-delà de quatre, les GAEC sont très peu nombreux, mais ils existent. L'extension du régime aurait donc permis l'application d'un impôt sur le revenu progressif, avec les spécificités accordés au secteur agricole, à des chiffres d'affaires pouvant monter à plus de 800 000 euros. Cette échelle posait question et nous a amené à limiter l'application de la transparence à quatre associés.
Enfin, je regrette, à l'instar de notre collègue Alain Rodet, que nous n'ayons pu auditionner davantage d'acteurs. Nous avons essentiellement entendu des représentants interprofessionnels. Mais nous avons chacun de notre côté des contacts personnels avec des acteurs locaux et nous sommes allés les rencontrer sur le terrain pour entendre la perception des éleveurs en situation réelle.
Dans mon département, il existe deux agricultures : au sud, nous trouvons des exploitations classiques de 30 à 100 hectares maximum ; au nord, les exploitations s'étendent sur 700 à 1 000 hectares. Il s'agit plutôt d'industries lourdes au regard des sommes engagées, du prix du foncier ou du capital investi, ce ne sont plus des agriculteurs. Certaines perçoivent des primes de près d'un million d'euros par an au titre de la PAC ; des terrains se vendent à 15 000 euros l'hectare ; des tracteurs à chenille peuvent coûter 6 millions d'euros pièce. Votre rapport parvient-il à tracer cette frontière, à distinguer ces deux agricultures qui ne sont plus comparables, hormis certaines traditions ? L'agriculture classique a beaucoup évolué et s'est modernisée, mais l'autre devrait être qualifiée d'industrie lourde, ou de placement financier. Je peux témoigner que le retour sur investissement est élevé dans ces cas. Certains propriétaires fonciers de mon département dégagent des revenus importants en louant simplement leurs terres à des producteurs, avec pour seul engagement d'assurer leur irrigation en août. Ils dégagent des rendements qui sont plus élevés que ceux de la plupart des fonds d'investissement.
Nos travaux nous ont bien confortés dans l'idée que l'agriculture en France connaît un développement à plusieurs vitesses. En fait, les grandes exploitations que vous décrivez sont, très souvent, déjà soumises à l'impôt sur les sociétés, avec des montages juridiques adaptés à leurs situations. Pour autant, la forte intensité capitalistique qu'exigent certaines exploitations agricoles que vous soulevée nous a inspiré plusieurs questions : comment, notamment, un jeune agriculteur qui veut s'installer peut-il y faire face ? La profession y réfléchit elle-même, même si ces sujets ne sont pas encore tout à fait mûrs. La question du portage du foncier se pose également. Les exploitants doivent-ils être propriétaires de leurs terres ou ne peut-on imaginer des mécanismes de portage du foncier – très encadrés, en veillant à prévenir les spéculations indues – pour leur éviter d'avoir à investir les sommes nécessaires ?
Notre mission d'information a pris la pleine mesure des mutations actuelles du monde agricole. Mais nous sommes dans une étape intermédiaire où il faudra accepter la cohabitation de plusieurs modèles et plusieurs catégories et prévoir une fiscalité qui devra s'adapter.
Au même titre que le tissu industriel français, européen et mondial, le monde agricole n'échappe pas à la mondialisation des échanges et à une restructuration de l'ensemble.
Je reviens sur la rentabilité des fonds investis en agriculture. Toutes les études économiques montrent plutôt un très faible rendement. Si vous louez des terres, vous êtes astreint à un barème préfectoral vous assurant des revenus bruts de l'ordre de 1,5 à 1,7 % seulement.
Un des problèmes de l'agriculture est que si l'on rémunère correctement le capital, il ne reste même pas un demi-SMIC pour le travail et que si l'on choisit de rémunérer correctement le travail, il ne reste presque rien pour le capital – un problème auquel s'ajoute l'extrême variabilité des revenus, décrite par notre rapporteur, variabilité qui s'aggrave d'année en année. Plus du quart de la grande agriculture du plateau de la Marne est en déficit cette année en raison d'une chute des prix de 40 %. Mais elle avait gagné beaucoup d'argent il y a deux ans. Notre système fiscal n'est pas bien adapté à cette variabilité.
Sur ces points, nous ne pourrons trouver de terrain d'entente dans la discussion d'aujourd'hui. Je vous propose plutôt d'autoriser la publication de cet excellent rapport de la mission d'information, dont le travail effectué par le rapporteur et le président mérite d'être salué.
En application de l'article 145 du Règlement, la Commission autorise à l'unanimité la publication du rapport de la mission d'information sur la fiscalité agricole.
Information relative à la Commission
La Commission a nommé M. Nicolas Sansu rapporteur de la proposition de résolution européenne relative à la dette souveraine des États de la zone euro (n° 2723).
Membres présents ou excusés
Commission des Finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 15 avril 2015 à 9 heures 30
Présents. - M. Éric Alauzet, M. François André, M. Guillaume Bachelay, M. Laurent Baumel, Mme Karine Berger, M. Xavier Bertrand, M. Étienne Blanc, M. Jean-Claude Buisine, M. Christophe Caresche, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Christophe Castaner, M. Yves Censi, M. Gaby Charroux, M. Jérôme Chartier, M. Pascal Cherki, M. Romain Colas, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Dassault, M. Henri Emmanuelli, M. Christian Estrosi, M. Olivier Faure, M. Alain Fauré, M. Marc Francina, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Marc Goua, M. David Habib, M. Razzy Hammadi, M. Régis Juanico, M. Jérôme Lambert, M. Jean-François Lamour, M. Jean Lassalle, M. Patrick Lebreton, M. Dominique Lefebvre, Mme Véronique Louwagie, M. Jean-François Mancel, M. Hervé Mariton, M. Pierre-Alain Muet, M. Patrick Ollier, M. Michel Pajon, Mme Valérie Pécresse, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, M. Camille de Rocca Serra, M. Alain Rodet, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, M. Michel Vergnier, M. Philippe Vigier, M. Laurent Wauquiez, M. Éric Woerth
Excusés. - M. Dominique Baert, M. Alain Claeys, M. Jean-Claude Fruteau, M. Jean-Pierre Gorges, M. Jean Launay, M. Marc Le Fur, M. Victorin Lurel, M. Thierry Robert, M. Pascal Terrasse
Assistait également à la réunion. - M. Christophe Léonard