Intervention de François André

Réunion du 15 avril 2015 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois André, rapporteur :

Le temps est venu de vous présenter en ma qualité de rapporteur le travail et les conclusions de la mission d'information sur la fiscalité agricole créée le 28 octobre 2014 par notre Commission et à l'initiative de notre rapporteure générale. Son objectif, tel que défini à l'origine, était double : d'une part, étudier les conclusions des « Assises de la fiscalité agricole » qui s'étaient tenues quelques semaines auparavant, d'autre part, faire le bilan des principales spécificités de la fiscalité agricole pour s'assurer que celles-ci répondent encore aux défis et aux principales difficultés de l'agriculture du XXIe siècle.

Notre mission a ainsi joué un rôle certain dans une première traduction législative des conclusions des Assises de la fiscalité agricole en permettant un nouvel aménagement de la déduction pour aléas – DPA – et en permettant une exonération de sept ans de taxe foncière sur les propriétés bâties pour les installations liées à la méthanisation agricole.

Puis la mission a concentré ses travaux sur la fiscalité agricole « générale », c'est-à-dire sur le socle commun applicable à l'ensemble des exploitants agricoles. Nous n'avons donc pas abordé les particularismes de certaines composantes de la fiscalité agricole, tels que le régime forestier par exemple ou encore les régimes territoriaux applicables en Corse et en Outre-mer. Nous n'avons pas non plus traité des aspects relatifs à la fiscalité environnementale – je pense à la taxe générale sur les activités polluantes, ou encore aux mesures dérogatoires importantes constituées par la fiscalité sur les carburants. Nous n'avons pas étudié non plus les droits d'accises perçus sur certains produits agricoles.

Le rapport constitue ainsi un panorama actualisé et argumenté de cette branche de la fiscalité, qui n'avait plus fait l'objet d'une expertise détaillée et d'ensemble depuis le rapport des députés Béatrice Marre et Jérôme Cahuzac, remis au Premier ministre le 28 mars 2000.

Notre mission a mené depuis le mois d'octobre dernier dix-neuf auditions qui ont permis de rencontrer l'ensemble des acteurs de terrain concernés par la fiscalité agricole. En premier chef, les différents représentants des exploitants agricoles, qui en sont les principaux intéressés, mais également des experts en charge de l'application de cette fiscalité – notaires, avocats, experts-comptables –, ainsi que d'autres représentants non agricoles afin de placer la réflexion dans le cadre élargi de l'économie rurale.

Cette vision concrète et appliquée de la fiscalité agricole a très vite permis de faire ressortir deux objectifs prioritaires qui ont guidé les réflexions et les propositions faites par la mission d'information dans son rapport. Premier objectif, la simplification, face à une législation mouvante et parfois peu lisible ; second objectif, la nécessité assouplissement dans un contexte où l'exploitant agricole devient de plus en plus un chef d'entreprise en quête d'outils de gestion et surtout d'outils d'arbitrage économiquement efficaces.

Le rapport que je vous présente aujourd'hui se divise en quatre parties distinctes, qui reprennent chacune les enjeux abordés lors des Assises de la fiscalité agricole, ceux de l'agriculture d'aujourd'hui et de demain.

La première partie du rapport se présente comme un panorama des spécificités fiscales appliquées à l'agriculture et leur justification au regard des particularités évidentes de l'activité agricole. Elle s'intéresse à la soumission à l'impôt sur le revenu selon les modalités de calcul propres à la catégorie des bénéfices agricoles. Si l'ensemble des dispositions dérogatoires actuelles apparaît comme nécessaire et indispensable à la survie financière des exploitations, le régime du forfait collectif apparaît cependant comme un dispositif aujourd'hui dépassé, coûteux et complexe qui masque la réalité des revenus agricoles. La mission d'information a donc étudié les possibilités d'évolution vers un régime dit « micro », à l'instar de celui qui existe pour les bénéfices industriels et commerciaux et les bénéfices non commerciaux. Cette réforme fait d'ailleurs l'objet d'un très large consensus au sein des pouvoirs publics et des organisations syndicales, moyennant quelques aménagements.

La deuxième partie du rapport se penche sur les dispositifs fiscaux en faveur de la pérennité des exploitations agricoles, au travers tout d'abord des dispositifs en faveur de l'installation et de la transmission, mais également en s'interrogeant sur les moyens de favoriser l'agriculture de groupe, amenée à se développer dans les exploitations de demain, le premier moyen étant l'extension du principe de transparence. L'enjeu du développement et de la pérennité des exploitations revêt en effet une importance fondamentale face au phénomène que l'on connaît, à savoir la baisse inexorable du nombre d'exploitations – 515 000 exploitations aujourd'hui, contre 2,3 millions en 1955.

La troisième partie du rapport s'intéresse à ce qui constitue la principale spécificité économique inhérente à l'activité agricole, à savoir la variabilité du revenu agricole. Cette particularité, issue de la soumission inévitable de l'agriculteur aux aléas de la nature, a été d'autant plus prégnante depuis l'abandon progressif des prix garantis par la politique agricole commune – PAC –, ajoutant à l'équation les aléas du marché. Sans intervention du législateur pour corriger les effets du droit commun fiscal, les agriculteurs seraient ainsi fortement pénalisés par rapport aux autres acteurs économiques, notamment du fait de la progressivité et de l'annualité du barème de l'impôt sur le revenu. La détermination de l'assiette fiscale et de l'assiette sociale des agriculteurs se trouve donc au coeur des enjeux de la fiscalité agricole. La mission d'information s'est particulièrement penchée sur les évolutions possibles de la DPA, assimilable à une provision pour risques venant en déduction du revenu imposable. Nous nous sommes penchés sur cette déduction afin de la rendre plus incitative et d'en faire un outil efficace au service de la démarche de gestion des risques de l'agriculteur. Les autres dispositifs fiscaux existants, comme la moyenne triennale ou le lissage des revenus exceptionnels, ont également été abordés afin d'étudier les possibilités d'assouplissement, sans pour autant favoriser les effets d'aubaine.

Enfin, la quatrième partie du rapport aborde un phénomène qui existe depuis longtemps mais qui tend aujourd'hui à se développer : la diversification des activités au sein d'une même exploitation agricole. Cette tendance amène à s'interroger sur le caractère incitatif du régime fiscal de la pluriactivité, en gardant à l'esprit que la concurrence doit demeurer loyale avec les autres acteurs de l'économie rurale. La mission d'information s'est plus spécifiquement intéressée à la fiscalité appliquée aux activités de méthanisation, qui constituent à la fois une avancée au regard du développement durable et de la diversification énergétique, ainsi qu'une source potentielle de revenus complémentaires pour les agriculteurs.

Le bilan de la fiscalité agricole dressé par les quatre parties du rapport que je vous présente aujourd'hui a donc abouti à plusieurs propositions – dix-sept exactement. L'objectif n'est pas de révolutionner la fiscalité agricole, qui répond en grande partie aux besoins actuels des agriculteurs, comme le démontre le rapport, et qui par ailleurs souffrirait d'une remise en cause globale du système en termes de stabilité et de lisibilité. L'objectif n'est pas non plus de dégrader le niveau des déficits en proposant des allégements inconsidérés de la fiscalité.

Sur plusieurs enjeux, sont cependant proposés des correctifs visant à atteindre les objectifs évoqués précédemment. Voici les principales recommandations :

– simplifier le forfait collectif pour tendre vers un régime de type « micro-BA » dont l'assiette ferait l'objet d'un abattement forfaitaire unique de 87 % ;

– réduire le délai d'option pour la moyenne triennale de cinq ans à trois ans afin d'assouplir les bornes de ce mécanisme de lissage sans pour autant supprimer tout délai, afin de ne pas favoriser les stratégies d'optimisation fiscale ;

– pour renforcer l'attractivité de la DPA, élargir la notion d'aléa afin de rendre plus souple l'utilisation de la réserve, supprimer l'obligation de déposer les fonds de cette dotation sur un compte bloqué comme préalable à l'entrée dans la DPA et, enfin, porter le délai de réintégration à compter de la survenance de l'aléa de un an à deux ans, en inscrivant ce délai dans la loi ;

– toujours dans un objectif de renforcement des outils de lissage du revenu, la mission recommande également d'étendre le mécanisme de lissage des revenus exceptionnels à l'assiette sociale car elle ne s'applique aujourd'hui qu'à la seule assiette fiscale. Enfin, face à la déconnexion parfois constatée entre le revenu réel et le montant des cotisations sociales, nous proposons de supprimer, pour les cotisations maladie et elles seules, la notion d'assiette minimale en vigueur actuellement ;

– concernant la méthanisation, afin de ne pas pénaliser les unités pionnières, le rapport propose de remédier à la rupture d'égalité qui, depuis les nouvelles dispositions de la loi de finances pour 2015, existe en matière d'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties et de cotisation foncière des entreprises entre ces unités et les nouvelles unités de méthanisation, en étendant les exonérations à l'ensemble des unités installées depuis moins de sept ans pour la durée restante à partir du 1er janvier 2015 ;

– enfin, afin d'encourager les regroupements, le rapport préconise d'étendre le principe de transparence au crédit d'impôt congé qui, à ce jour, ne bénéficie d'aucune transparence, même plafonnée, et de porter la transparence intégrale à quatre associés pour l'ensemble des dispositifs fiscaux qui sont actuellement limités à trois, dans la même logique que l'amendement relatif au plafond commun DPIDPA adopté lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2014.

Pour conclure, je tiens à saluer l'implication dans les travaux de la mission du président Marc Le Fur, de l'ensemble de mes collègues, en particulier de vous-même, Madame la Présidente, et de Charles de Courson, qui nous ont éclairé de leur érudition en la matière. Pour que nos recommandations aient une chance d'avoir une traduction législative, j'ai veillé à ce que ces dernières soient formulées, pour l'essentiel, à assiette fiscale constante. Pour autant, je crois que ces recommandations permettront, si elles sont adoptées, d'améliorer sur bien des aspects la fiscalité agricole en la rendant plus simple, plus souple, plus compréhensible et donc plus efficace.

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