Ce qui fait la pertinence d'un outil comme la BPI aujourd'hui, c'est qu'elle semble répondre à la vague entrepreneuriale que connaît la France, que ce soit chez les travailleurs très qualifiés, dans le domaine des high-tech par exemple, ou chez les moins qualifiés, qui souhaitent devenir autoentrepreneurs ou développer des projets même modestes. Cela répond à un besoin de réinventer l'emploi dans notre pays, qui connaît notamment un problème de chômage massif chez les peu qualifiés.
Il s'agit donc pour l'État d'accompagner les PME et la création d'entreprises, et d'éviter à tout prix les situations où de bons projets, c'est-à-dire des projets générant des flux de cash supérieurs en valeur actualisée au coût des investissements initiaux, ne trouvent pas de financeur.
L'analyse de ces situations est tout l'objet de la finance d'entreprise, qui a identifié trois types de cas dans lesquels peuvent survenir des défauts de financement.
Le premier est lié aux asymétries d'information, qui empêchent le financeur d'investir dans un projet. Soit le porteur de projet n'arrive pas à faire la preuve de sa compétence et de sa crédibilité aux yeux des prêteurs, soit l'évaluation du projet requiert de la part du prêteur trop d'investissement en temps pour que cela soit rentable : aucun banquier n'acceptera en effet de consacrer une semaine entière, à l'étude d'un investissement d'une valeur de 5 000 euros.
Le second cas est celui où l'incitation à entreprendre n'est pas assez forte. Cela peut se produire lorsqu'un entrepreneur est obligé de faire intégralement financer son projet par la banque. Dans ce cas, même si le projet était viable à l'origine, il n'en retirerait qu'un revenu trop faible pour le motiver, car une partie importante des revenus générés par son activité sera prélevée par la banque en remboursement de son prêt.
Il y a enfin ce que j'appellerais les situations historiques extrêmes, caractérisées par un dysfonctionnement majeur du marché du crédit. Ce peut être le cas lors d'une crise systémique, comme la crise de 2009 aux États-Unis, qui fut pour le système bancaire un véritable accident nucléaire, ou lors des périodes de transition économique : la reconstruction de l'Europe après la Seconde Guerre mondiale ou la réunification allemande. Dans ces situations particulières, les banques ont tendance à adopter des positions attentistes, conscientes que la transition n'aura qu'un temps. L'État peut alors avoir un rôle à jouer, d'autant que ces périodes de transition ont souvent pour origine des chocs politiques majeurs.
Hormis ce dernier cas, les marges de manoeuvres de l'État sont limitées. Lorsqu'il existe des asymétries d'information ou lorsque l'incitation à entreprendre est trop faible, le banquier public est soumis aux mêmes contraintes que l'investisseur privé. Il me semble donc que, si une banque publique d'investissement peut avoir un rôle à jouer dans la gestion de chocs politiques lors de transitions historiques, il faut se poser la question de sa pertinence en régime de croisière.
Il faut ensuite se pencher sur la question des projets non viables – au sens où l'argent qu'ils génèrent directement ne suffit pas à couvrir les investissements initiaux – mais qui engendrent des externalités positives sur le reste de l'économie. C'est essentiellement le cas des projets innovants : en matière d'innovation, un entrepreneur ne s'appropriera qu'une petite partie des rendements générés par son idée, qui sera reprise et transformée par d'autres. C'est également vrai pour l'éducation, et il est établi que les bénéfices à tirer de l'éducation dépassent l'accroissement de salaire induit pour celui qui la reçoit et irriguent, grâce à la diffusion des savoirs et des idées, le reste de l'économie.
On peut enfin évoquer les externalités en termes d'emploi. En période de fort chômage financer un projet créateur d'emplois, même peu rentable, peut être plus intéressant que de subventionner des emplois publics. Dans ce cas pourtant, une banque publique n'est pas nécessairement l'outil le plus approprié, et l'on peut plutôt envisager de recourir soit à des baisses de charges sur les bas salaires pour inciter les PME à embaucher, soit à des allègements fiscaux.
Ce qui suscite ma critique en tant qu'économiste, c'est le discours peu explicite que tient la BPI. Nous sommes certes dans une période où l'État doit restaurer la confiance des acteurs économiques et leur délivrer un discours positif, et c'est exactement dans cette tonalité que s'inscrit la BPI, tant dans sa communication publique que dans sa communication en direction des investisseurs. N'est-il pas naïf cependant d'affirmer comme elle le fait qu'elle va financer des entreprises viables dans un mouvement gagnant-gagnant ? Le rôle de la BPI est-il de gagner de l'argent ou d'en perdre, et n'est-il pas étrange, s'il y a tant d'argent à gagner dans ces investissements, que le système bancaire ne s'y engage pas ? Je rappelle que nous ne sommes plus dans le même contexte qu'en 2009 et que la situation des banques françaises est particulièrement saine par rapport à leurs homologues européennes. C'est ce que démontre une étude que j'ai cosignée avec Jacques Cailloux et Guillaume Plantin pour le Conseil d'analyse économique sur la situation du crédit aux PME en France.
Certes, il y aura toujours des entrepreneurs pour s'étonner que des banquiers leur refusent des prêts, mais il s'agit souvent de problèmes d'informations, face auxquels l'État n'a pas d'avantage comparatif. En revanche, il peut agir pour tenter de limiter les asymétries d'information, par exemple grâce au fichier positif, qui permettrait aux personnes peu qualifiées de prouver qu'elles sont sérieuses sur le marché du crédit, ou encore, comme le prévoit la loi Macron, en élargissant l'accès au fichier bancaire des entreprises, le FIBEN. Le droit des faillites a également toute son importance car, si les banquiers sont parfois frileux, c'est qu'ils savent, en cas de faillite, ils ne récupéreront qu'une faible part de leurs fonds.
La doctrine de la BPI doit être clairement affichée. Son but est-il de financer des projets très rentables – auquel cas elle entre directement en concurrence avec les banques privées – ou entend-elle se spécialiser dans le financement de projets trop incertains pour des banquiers privés, ce qui implique une forte prise de risque et des pertes d'argent ? En tout état de cause, il serait injuste qu'elle gagne trop d'argent, car cela signifierait qu'elle entre dans une concurrence déloyale avec le secteur privé, dans la mesure où un organisme public a toujours l'avantage sur un organisme privé de bénéficier de la signature de l'État et de n'être pas soumis aux mêmes contraintes en termes de gestion du risque.