Intervention de Meyer Habib

Séance en hémicycle du 5 mai 2015 à 15h00
Débat sur le rapport du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l'évaluation du réseau culturel de la france à l'étranger

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMeyer Habib :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la culture réside au coeur de l’identité politique de la France. Depuis des siècles, notre État contribue à l’épanouissement et à la promotion des oeuvres de l’esprit avec une vocation universelle. Le rayonnement international de notre culture, l’attrait du modèle français à travers les années et les frontières en est la preuve.

Aujourd’hui, la France dispose du plus grand réseau culturel à l’étranger au monde. C’est une immense fierté pour nous tous. Notre pays consacre un budget considérable, de l’ordre de 1,3 milliard d’euros par an, à l’action culturelle extérieure. Ce réseau constitue un atout considérable pour conduire une politique d’influence dans un monde de plus en plus globalisé et interconnecté.

L’excellent rapport d’information de nos collègues Claudine Schmid et François Loncle dresse un état des lieux de notre réseau culturel et définit des axes stratégiques pour défendre et renforcer l’influence de la France sur la scène internationale, car le monde a changé. Le contexte dans lequel se déploie notre réseau culturel a connu de profondes mutations au cours des dernières années. Je ne citerai que quelques évolutions majeures : l’affirmation de nouveaux acteurs de premier plan, à la fois clients et concurrents de la France – je pense naturellement aux pays émergents –, l’intensification de la compétition culturelle entre puissances, Internet, évidemment, qui a révolutionné les pratiques culturelles, et enfin, sur le plan interne, un contexte de tension budgétaire. Il s’agit aujourd’hui de faire mieux avec moins de ressources au service d’une diplomatie d’influence globale renouvelée.

Le présent rapport fait ressortir quatre grands défis. Un défi stratégique : quelle stratégie culturelle pour notre pays dans le monde à horizon de cinq, dix, vingt ans ? Quelles priorités ? Quelles ressources ? Un défi organisationnel : quelle structure pour le réseau culturel de la France à l’étranger ? Un défi humain : quelle gestion des ressources humaines pour optimiser dans la durée le capital humain du réseau culturel français ? Enfin, un défi européen, évidemment car, in fine, la construction européenne n’aboutira que par le rapprochement entre les peuples.

Premier défi : le défi stratégique. Cette question fondamentale revient à se demander comment exploiter l’atout que représente la culture et, partant, le réseau culturel au service de notre diplomatie d’influence. Le présent rapport définit un enjeu majeur : redéployer les ressources de notre réseau culturel en direction de pôles de croissance, dans les pays émergents. C’est un défi considérable. À cet égard, je voudrais évoquer le cas des lycées français à l’étranger. Ces établissements, souvent d’excellence, jouent un rôle de premier plan, non seulement dans la structuration des communautés françaises établies à travers le monde, mais aussi dans le rayonnement culturel de notre pays. Il y a quelques semaines, je me suis rendu dans les lycées Stendhal de Milan et Jean Giono de Turin, et je tiens à saluer le travail remarquable accompli par ces établissements et rendre hommage tant aux équipes pédagogiques qu’aux parents d’élèves. Ces lycées font honneur à la France.

Or, aujourd’hui, ces lycées français à l’étranger sont confrontés à deux enjeux majeurs. En termes de planification, ils ont besoin de visibilité sur leurs ressources pour accompagner leur croissance ; ils doivent redéfinir leur modèle économique par un recours accru à des financements externes ou des contrats locaux. S’agissant de l’attractivité, des évaluations doivent être mises en oeuvre pour s’assurer que le réseau des lycées français de l’étranger continue d’attirer les élites nationales, comme c’est encore souvent le cas actuellement.

Ensuite, il y a l’enjeu de la diplomatie globale. L’action culturelle doit s’articuler avec d’autres domaines, telle la promotion touristique. Par exemple, dans la promotion du tourisme, des coopérations plus systématiques entre Atout France et l’Institut français sont à rechercher.

Le deuxième défi est organisationnel. La structure du réseau culturel et ses processus de fonctionnement doivent être mis en cohérence avec la stratégie culturelle de la France. Deux priorités s’imposent : poursuivre le recentrage du pilotage et renforcer la programmation pluriannuelle pour accompagner l’alignement stratégique des acteurs du réseau.

Au niveau local, les processus de gestion doivent aussi être revisités pour optimiser les potentialités du réseau. À cet effet, deux pistes de travail ressortent. D’une part, les services de coopération et d’action culturelle doivent se mobiliser pour promouvoir les synergies et les complémentarités, notamment entre les instituts français et le réseau des Alliances françaises, qui jouent un rôle majeur dans l’enseignement de la langue française. D’autre part, des complémentarités sont à rechercher avec des services culturels étrangers, en particulier européens : j’ai appris, par exemple, que l’Institut français d’Athènes avait récemment coproduit une « nuit de la philosophie » en partenariat avec l’Institut Goethe.

Troisième défi : la gestion des ressources humaines. Il y a d’abord la question de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences au sein du réseau culturel. Ensuite, des efforts renforcés doivent être menés en matière de formation des personnels. Le métier de conseiller de coopération est en train de changer : le volet de la direction de projet occupe une place de plus en plus importante dans ses missions, à l’heure où il est amené à conclure des partenariats avec des acteurs locaux, qu’il s’agisse de centres de recherche, d’établissements d’enseignement, de mécénat ou d’industries culturelles.

Enfin, quatrième défi : le défi européen, auquel le rapport ne consacre, hélas, que des développements limités. Au sein de l’Union européenne, sans doute plus encore qu’ailleurs, le réseau culturel de la France doit naturellement être mis à profit pour influencer les élites de demain. Mais un autre enjeu d’envergure mérite d’être mis au coeur des priorités : la pleine utilisation de la culture pour cimenter l’espace européen. L’intégration européenne est loin d’être acquise et l’Europe reste au coeur de notre projet politique au XXIe siècle.

En ces temps troubles, pour ne pas dire terribles, que vit notre planète, le réseau culturel a un rôle crucial à jouer dans le renforcement des liens qui unissent les peuples et, d’abord, les régions frontalières, afin de constituer des bassins de vie transfrontaliers, des bassins d’emploi, des bassins d’activité. Il n’est pas concevable que, de part et d’autre des frontières franco-italienne, franco-espagnole ou franco-allemande, on communique en anglais ou, pire, que l’on soit dans l’incapacité de communiquer. Beaucoup reste à faire dans ce domaine. Pour parler de régions que je connais, la maîtrise du français recule dans le nord de l’Italie, ce qui ralentit l’intégration avec les régions PACA et Rhône-Alpes-Auvergne.

Dans ce domaine, les collectivités territoriales ont un rôle de premier plan à jouer par le biais de la coopération décentralisée. Je tiens, à cet égard, à saluer la très belle initiative de la commune de Menton, dans les Alpes-Maritimes – et féliciter par là même mon collègue et ami Jean-Claude Guibal, député-maire de cette ville – qui a permis l’ouverture d’une école maternelle et élémentaire publique dans la commune de Vintimille, en Italie.

La France, par sa culture, par son réseau culturel dispose d’atouts considérables pour imprimer sa marque sur le XXIe siècle. Engageons les actions nécessaires pour tirer le meilleur de notre potentiel.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion