Monsieur le président, madame la secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire, mes chers collègues, la proposition de loi du groupe GDR que j’ai l’honneur de rapporter a pour but de défendre nos petites et moyennes entreprises afin de maintenir l’emploi dans nos territoires. Pour cela, nous vous proposons d’octroyer un droit nouveau aux salariés : le droit de préemption.
Cet objectif est partagé par beaucoup d’entre nous, puisque cette proposition de loi a été adoptée par la commission des lois. C’est d’ailleurs pour donner suite à la discussion fructueuse que nous avons eue en commission que j’ai proposé plusieurs amendements visant à l’enrichir. Ils ont été adoptés, ce matin, par la même commission.
Entrons dans le vif du sujet. Le droit de préemption répond à un besoin, l’actualité récente en a témoigné. Rappelons-nous des salariés de l’entreprise Gaillon, qui voulaient la racheter avec l’aide du créateur de l’entreprise pour la transformer en coopérative et éviter ainsi la délocalisation voulue par le fond de pension acquéreur. Écoutons également les salariés de Goodyear à Amiens.
Cela nous a été confirmé lors des auditions : chefs d’entreprise comme syndicalistes ont souligné que le rachat des TPE comme des PME par les salariés était une des pistes à ouvrir pour pérenniser ces sociétés.
Le Conseil économique, social et environnemental – CESE – dans son avis du 22 janvier 2013 encourageait, de son coté, à moderniser le modèle coopératif pour faciliter la reprise d’entreprises par les salariés. Il affirmait que le recours à ce modèle ne devait pas être réservé aux entreprises en difficulté, puisque « Le modèle coopératif, dont les SCOP, peut apporter plus globalement une solution à l’enjeu de la transmission de PME saines ».
Nous ne disposons pas, chers collègues, de chiffres précis sur le nombre de TPE qui changent de mains chaque année. Mais pour les PME, le chiffre est de 17 000 entreprises par an, employant de cinq à cent salariés. Les emplois détruits à l’occasion de ces transmissions se comptent par milliers. En effet, un certain nombre d’entreprises cessent leurs activité faute de repreneur. D’autres sont démarchées par des acquéreurs dont la préoccupation n’est pas de développer l’entreprise mais d’accroître leur marge, au détriment des emplois, par un racket du savoir-faire ou une délocalisation. En bref, des prédateurs !
En adoptant cette proposition de loi, nous permettrons aux salariés de se substituer à ces repreneurs malveillants. Avant la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, aucun dispositif n’offrait aux salariés de véritables possibilités d’intervenir sur le choix du repreneur ou de prendre part à la vente.
La présente proposition de loi prend donc appui sur la loi Hamon, qui a été hélas malmenée par la droite au Sénat, en renforçant la possibilité pour les salariés d’agir en préemptant leur entreprise. Elle répond à la préconisation du CESE, dans son avis du 22 janvier 2013, d’appliquer « un droit de reprise préférentiel aux salariés repreneurs dans le cas spécifique de fonds "prédateurs" dont l’action se solde par des destructions massives d’emplois et de savoir-faire dans les territoires ». Cette reprise préférentielle figurait d’ailleurs dans le programme du candidat aujourd’hui Président de la République.
L’acquisition de TPE ou de PME par leurs salariés apporte, au contraire, des garanties. Ces salariés sont, bien sûr, attachés au maintien de l’emploi. Ils ne sont pas tentés de délocaliser et connaissent le fonctionnement de l’entreprise ainsi que son marché. L’enjeu est de taille, puisque cette solution favorise le maintien des entreprises et de l’emploi dans nos territoires, gage de dynamisme économique car on sait la place des TPE et PME dans le développement de l’emploi et dans la vie de nos collectivités locales.
Cette proposition de loi laisse toute latitude quant à la forme juridique sous laquelle l’entreprise sera reprise, mais nous espérons qu’elle favorisera une reprise sous forme coopérative. Les coopératives sont en effet des sociétés commerciales soumises à des règles imposant une répartition des résultats prioritairement affectés à la pérennité des emplois et du projet d’entreprise. Leur mode de gouvernance démocratique permet de faire valoir les intérêts de la majorité des coopérateurs-salariés. Le passage en coopérative permet un changement de modèle qui a bien des vertus.
Économiquement, les coopératives ont fait leurs preuves. Selon la confédération générale des sociétés coopératives et participatives – CG Scop – les SCOP sont des entreprises plus pérennes que les autres. Leur taux de pérennité à trois ans est de 77 %, contre 65 % pour l’ensemble des entreprises françaises, et ceci avec un taux de rentabilité identique, voire légèrement supérieur.
Chers collègues, le bouleversement culturel induit par la création d’un droit de préemption des salariés est évident. La formation et l’accompagnement des salariés comme du cédant sont donc décisifs. Il n’est pas facile de se séparer de son entreprise, et il est ô combien difficile pour des salariés d’envisager de gérer leur entreprise.
Les acteurs que nous avons auditionnés soulignent que l’anticipation, le temps de préparation du projet de reprise, la réalisation d’une expertise sérieuse et l’accès aux financements sont décisifs pour la prise de décision et la réussite du projet. Afin de permettre une meilleure préparation de la reprise de l’entreprise par ses salariés, cette proposition de loi prolonge la loi Hamon, notamment ses articles 18 à 20.
Son article 2 renforce la possibilité pour les salariés de discuter, de s’informer et d’étudier la faisabilité économique d’une reprise de leur entreprise. Le comité d’entreprise se fera assister d’un expert-comptable ; les travailleurs accéderont à la base de données économiques et sociales en cas d’offre de vente ; ils pourront discuter ensemble, lors de l’heure d’information syndicale, afin de construire un projet commun. Il s’agit d’organiser une transmission du savoir, du pouvoir et de la propriété en plusieurs étapes.
L’article 1er de la proposition ajoute une étape à cette procédure d’information en permettant aux salariés qui n’ont pas acheté le fonds de commerce ou les parts de l’entreprise au moment où ils ont été informés de la vente de rester prioritaires. Ainsi, lorsqu’un employeur trouve un acquéreur, il doit le notifier aux salariés, les informer du prix et des conditions de la vente et leur donner un accès aux documents comptables. Pendant deux mois, les salariés pourront se substituer au nouvel acquéreur et devenir propriétaires de l’entreprise. L’opération est sans effet sur le chef d’entreprise vendeur, puisque toutes les clauses contractuelles demeurent inchangées. En commission, certains d’entre vous ont souligné que ce délai de deux mois était court. C’est pourquoi j’ai proposé par amendement, suivie par la commission, de passer à quatre mois.
La mécanique est simple et connue en droit, puisque c’est celle d’une préemption comme il en existe beaucoup d’autres. Des questions sont venues sur sa constitutionnalité. Lors d’une question d’actualité, Mme la secrétaire d’État a d’ailleurs évoqué la « loi Florange » et la décision du Conseil constitutionnel. Des auditions ont permis de répondre à cette question. Le droit de préemption que nous proposons d’instituer ne porte atteinte ni au droit de propriété, ni à la liberté d’entreprendre.
Comme le dit le Conseil constitutionnel, « il est loisible au législateur d’apporter aux conditions d’exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et à la liberté contractuelle, qui découle de son article 4, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ». Je rappelle que notre constitution protège le droit de chacun à avoir un emploi, et que le combat contre le chômage et les délocalisations constitue un objectif d’intérêt général indiscutable. D’ailleurs, un amendement adopté par la commission va encore préciser cette notion d’intérêt général.
Nous sommes d’ailleurs très en retrait de ce qui existe, par exemple, dans le contrôle des structures en droit agricole. La loi Dutreil sur les PME autorise les communes à préempter des fonds de commerce et des baux commerciaux, en faisant diminuer leur prix par le juge. Nous ne faisons rien de tel. Nous respectons le propriétaire, qui n’est ni exproprié ni spolié de son bien, qui vend toujours parce qu’il le veut et au prix qu’il veut. En commission, des députés ont également évoqué l’avis du Conseil d’État concernant l’article 73 de la loi Macron. Mais il ne s’agit pas du tout du même contexte, puisque dans les deux cas envisagés le législateur oblige les propriétaires soit à rechercher un repreneur, soit à accepter une offre de reprise sérieuse, ce qui équivaut à une « cession forcée » ou à une « dilution forcée ». Notre proposition ne s’inscrit pas dans ce cadre, puisque le propriétaire reste libre : il n’est jamais contraint. L’atteinte aux droits du propriétaire est donc proportionnée.
En outre, ce droit de préemption est limité, car seuls les salariés de l’entreprise peuvent se porter acquéreurs, à condition qu’elle compte moins de 250 salariés. Ce droit trouve son fondement dans les alinéas 5 et 8 du préambule de la Constitution de 1946. L’intérêt général de ce projet est en effet double : il s’agit de maintenir l’emploi et donc l’activité économique sur les territoires. Comme je l’ai déjà dit, un amendement veut d’ailleurs préciser cette notion d’intérêt général.
Chers collègues, cette proposition de loi adoptée en commission peut être encore enrichie par nos débats aujourd’hui. Elle permettra demain à de nombreuses TPE ou PME de vivre et de se développer, grâce à leurs salariés. Ce serait un beau signe de confiance que nous pourrions donner en faveur du développement économique de notre pays.