Intervention de Carole Delga

Séance en hémicycle du 7 mai 2015 à 9h30
Droit de préemption des salariés — Présentation

Carole Delga, secrétaire d’état chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire :

Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, la proposition de loi que nous discutons aujourd’hui prévoit pour les PME, en plus du droit d’information des salariés préalable à la cession de leur entreprise – DIPS, une obligation à la charge de l’employeur de notifier à ses salariés un projet de vente, lorsqu’il a trouvé un acquéreur, en précisant les conditions de la vente et le prix et en leur permettant de consulter les documents comptables et sociaux de l’entreprise. La vente est alors suspendue pour permettre aux salariés de présenter une offre. Par ailleurs, pour accompagner les salariés dans leur réflexion et leur démarche, la proposition de loi prévoit une heure mensuelle d’information syndicale.

Vous comprendrez évidemment qu’il est difficile, pour des raisons de fond, notamment constitutionnelles, et d’opportunité, de soutenir ce droit de préemption. En effet, dans la loi sur l’économie sociale et solidaire du 31 juillet dernier, nous avons déjà mis en place une obligation d’information des salariés avant la cession de leur entreprise. Face aux questions que suscite ce droit nouveau, nous avons pris l’engagement de lui apporter les ajustements nécessaires tout en renforçant la vocation des salariés d’être une chance supplémentaire pour la reprise de leur entreprise.

S’agissant de l’article 1er, le droit de préemption qui est proposé allonge nécessairement le processus de vente pour permettre aux salariés de se positionner. Le droit d’information préalable est plus souple, car il permet au cédant de les informer plus en amont s’il le souhaite. Il nous semble être plus en adéquation avec la réalité économique et sociale des entreprises. Dans votre dispositif, la notification aux salariés devient une offre de vente imposée. On est donc loin du droit d’information préalable et cette contrainte n’apparaît pas justifiée au regard de la liberté du cédant et de la liberté contractuelle. En outre, la justification du droit de préemption serait la préservation de l’emploi. Or, il n’est pas garanti qu’en toutes circonstances les salariés soient les meilleurs repreneurs.

Il est également prévu que la sanction en cas de méconnaissance de cette notification soit la nullité de la vente, prononcée par le juge sur recours de tout salarié. Nous avons confié à l’une de vos collègues, Fanny Dombre Coste, une mission d’évaluation de ce droit, afin de pouvoir proposer les adaptations les plus pertinentes à la représentation nationale. Cette mission a mis en évidence que la nullité d’une vente d’une PME avait des effets néfastes sur l’emploi. Les conséquences de la nullité, plusieurs années après le transfert de propriété, ainsi que les répercussions du risque pendant la période d’attente du jugement ne sont pas maîtrisées. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces sujets dans quelques semaines avec des propositions concrètes.

L’enjeu ne nous semble pas consister à substituer les salariés à un repreneur dans une négociation, mais plutôt à en faire des repreneurs potentiels, qu’il existe une offre ou pas. Nous souhaitons, et je l’ai dit avec vigueur mardi soir au Sénat, que les salariés soient une chance supplémentaire pour le cédant, aux conditions établies par les salariés eux-mêmes. Seule une information pédagogique et anticipée peut le favoriser. À moyen terme, des solutions innovantes trouvées par les salariés émergeront aussi et contribueront à assurer la pérennité et l’implantation locale d’une entreprise.

Une reprise par les salariés, surtout quand elle fait suite à des tensions avec l’ancien propriétaire, requiert impérativement un travail en bonne intelligence avec tous les acteurs. Cela est déterminant pour l’ouverture des marchés et celle des crédits, sans lesquelles il n’est pas d’activité possible. Il ne faut pas imposer la reprise par les salariés, mais l’inciter. C’est l’un des enseignements des reprises Fralib et Pilpa, que nous avons soutenues. J’ai eu le plaisir de recevoir ces coopératives de salariés à Bercy voici deux semaines pour continuer à les aider.

Le Gouvernement a déjà soutenu les initiatives parlementaires en matière de protection de l’emploi dans les entreprises établies en France avec la loi Florange, qui a introduit l’obligation de rechercher un repreneur pour les entreprises de plus de 1 000 salariés et a renforcé le rôle du comité d’entreprise durant la période d’offre publique d’achat. Vous savez que nous y sommes attentifs et que nous avons montré que cet attachement est concret, puisque nous l’avons traduit en propositions législatives, que ce soit avec la loi sur l’économie sociale et solidaire ou avec celle pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances plus récemment.

S’agissant de l’article 2, selon votre dispositif, l’accès des salariés aux documents économiques et sociaux n’est pas organisé de manière à préserver les intérêts de l’entreprise. En effet, le droit d’accès à ces documents s’exerce sans les garanties offertes par le droit de discrétion qui s’applique pour le droit d’information préalable et les institutions représentatives du personnel. Ces garanties nous semblent essentielles.

L’implication des syndicats dans le processus de formation et de reprise par les salariés n’est pas une option retenue par le Gouvernement. Il existe des professionnels tels les URSCOP – unions régionales des sociétés coopératives et participatives – et des cabinets spécialisés dont le métier est d’accompagner les salariés dans leurs projets de reprise. Les syndicats sont des atouts précieux qui peuvent utilement apporter leur contribution au processus. Cela est clair et incontestable. Toutefois, il ne nous paraît pas être dans leur intérêt de prendre la responsabilité de l’accompagnement des salariés dans une reprise, ni même de la formation des salariés.

La proposition de loi entend également former les salariés avec une heure mensuelle dispensée par les syndicats. Cette question pourra être débattue dans le cadre du projet de loi sur le dialogue social et l’emploi qui va être examiné à l’Assemblée dans le courant du mois. Toutefois, cette approche ne correspond pas au dialogue direct que nous souhaitons mettre en place avec des experts qui seront le plus souvent extérieurs à l’entreprise et que les salariés doivent pouvoir librement choisir. Dans la plupart des cas, un projet de reprise demande huit mois d’élaboration, avec une forte implication des repreneurs, et suppose un travail de fond de longue haleine que ne permet pas le seul créneau d’une heure mensuelle sur huit mois.

Vous proposez également de recourir à un expert-comptable pour éclairer le comité d’entreprise sur le projet de reprise par les salariés. Cela n’est pas adapté, dans la mesure où il peut y avoir plusieurs projets de reprise par les salariés et qu’il faut respecter les choix des salariés qui s’expriment en ce sens. Par ailleurs, l’étude de la faisabilité de l’offre des salariés doit être confiée dès le début à un professionnel qui va construire le projet de reprise et se rendre compte concrètement si le projet tient la route. L’accès à la base de données économiques et sociales par les salariés est de nature à rompre l’équilibre de l’accord national interprofessionnel de janvier 2013. Cette base a été créée pour les instances représentatives du personnel, pour l’exercice de leurs attributions économiques, notamment pour qu’elles disposent de davantage d’informations sur la stratégie de l’entreprise.

En revanche, nous partageons votre volonté d’instaurer plus de transparence dans le fonctionnement d’une entreprise. C’est la raison pour laquelle le droit d’information préalable des salariés est complété par une information sur les conditions d’une reprise qui sera renforcée dans le cadre du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances.

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