La laïcité recouvrant tout, il eût fallu envisager de tout reprendre. C’est une oeuvre que je n’étais pas capable de réaliser dans le cadre d’une proposition de loi. Ce serait plutôt l’oeuvre d’une législature – un jour, peut-être ? Deux à trois ans de réflexion, au moins, seraient en tout cas nécessaires, ainsi qu’une volonté de consensus, car on ne doit pas toucher pas à la laïcité si c’est pour mener un combat qui n’apporterait rien. La laïcité, si elle n’est pas portée par un consensus, risque d’être restrictive. Or elle ne peut l’être si elle veut, conformément à l’article 1er de la Constitution, constituer un modèle d’intégration dans la République. Il convient donc d’être extrêmement attentif à la manière dont on rédige la loi sur des sujets de cette nature.
La deuxième solution, c’est celle que je vous propose. Tout d’abord, disons-le, c’est une véritable révolution que de faire en sorte qu’il y ait un texte. Que m’a-t-on dit, en effet, monsieur Ciotti, lors de mes entretiens avec l’Observatoire de la laïcité ? « Pas de texte ! Jamais de texte ! » Pas de texte, donc, mais, au bout du compte, ils ont admis la légitimité de celui que je propose. Il en est allé de même avec la CNCDH. Que m’a dit Mme Lazerges ? « Pas de texte ! » Et, finalement, je suis quand même arrivé à faire admettre la nécessité de cette proposition de loi, que vous adopterez je l’espère à l’unanimité. Pourquoi donc ? Parce qu’il fallait recourir à la stratégie des petits pas, constituer l’une de ces majorités d’idées si chères à Edgar Faure, essayer de faire en sorte qu’un consensus soit possible sur un élément.
Pour parvenir au véritable accord que cela suppose, j’ai pensé proposer de reprendre la jurisprudence du Conseil d’État, vieille jurisprudence, il est vrai, pour la consacrer dans la loi. Et j’ai pensé qu’il était également nécessaire de reprendre dans le texte de cette proposition de loi la jurisprudence de la Cour de cassation, telle qu’elle ressortait de l’arrêt rendu par son assemblée plénière en 2014.
Voyez à quel point les magistrats ont hésité ! Non seulement ils ont hésité, mais ils ont tenté de trouver des justifications fondées sur des principes, en particulier avec cette notion d’entreprise de conviction – terme et conception qui existent dans notre droit, qu’ils ont adoptée dans un premier temps et rejeté dans un deuxième temps. Mesure-t-on à quel point il est difficile de parvenir à un consensus ? Si 95 % des Français veulent effectivement que l’on défende la laïcité – vous avez raison de le rappeler –, alors il faut un texte, un magnifique texte, un texte novateur, aussi beau que les dix commandements. Ce seraient les dix commandements de la laïcité.