La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
La parole est à Mme Valérie Boyer, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le Premier ministre, plus de 230 000 migrants irréguliers ont posé le pied sur le sol européen en 2014 : 90 % d’entre eux sont arrivés par la mer.
Selon un décompte partiel, plus de 1 500 personnes ont déjà trouvé la mort depuis 2014 en Méditerranée. Rappelons-le, ces immigrés clandestins entrent illégalement sur notre territoire et contournent nos règles humanistes comme celles du droit d’asile.
Aujourd’hui, tout se vend, tout s’achète, y compris les êtres humains. Le trafic d’êtres humains, c’est 32 milliards de dollars par an, en troisième place après celui des armes et de la drogue. Une traversée de la Méditerranée s’élèverait à 7 000 euros par tête.
Les récits de ces traversées de la mort sont abominables : femmes, enfants – et chrétiens parfois – maltraités, ou même jetés par-dessus bord.
Que font les pays d’origine pour aider leurs ressortissants ? L’Europe n’a pas à porter la responsabilité économique, sociale et morale de ce désastre humain.
Encourager les demandes d’asile en France comme vous le faites, soutenir la proposition de la Commission européenne qui demande des quotas, c’est irresponsable. Ces prises de positions favorisent les esclavagistes et le trafic de migrants. Elles cautionnent une forme de néocolonialisme de la misère.
Ne pas agir, c’est devenir complice et continuer à avoir des vagues de sang en Méditerranée.
Face à cette immigration illégale, la plupart du temps économique, organisée par des réseaux mafieux, attaquons-nous aux racines du mal : responsabilisons les pays d’origine, soyons cohérents avec eux et, en France, combattons ceux qui se font appeler « passeurs ». Les combattre n’est pas seulement une question de sécurité, c’est un devoir de dignité. Renforçons les peines contre ces « passeurs » marchands d’esclaves, en les considérant comme ce qu’ils sont : de véritables criminels !
Je vous le demande, monsieur le Premier ministre, que comptez-vous faire contre ces criminels ? Qu’allez-vous faire pour protéger les Français, face à cette immigration clandestine de masse ? Nous avons besoin de réponses cohérentes et responsables, pas de fausses bonnes intentions.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes.
Protestations sur les bancs du groupe UMP.
Madame la députée, l’Europe est confrontée à une crise migratoire d’une ampleur inédite et la réponse doit être forte, coordonnée et globale.
Les causes, vous les avez rappelées, nous les connaissons : les guerres en Syrie, en Irak, en Libye, les dictatures comme en Érythrée, le sous-développement, la pauvreté – et puis la situation sans précédent de déstabilisation d’un État de la rive sud de la Méditerranée, la Libye. C’est un État failli, au sein duquel des groupes, certains terroristes, exploitent aujourd’hui la misère des migrants pour les mettre dans des bateaux qui sont voués au naufrage.
Face à ces drames humanitaires, la France a pris l’initiative, pour faire bouger les lignes et pour proposer avec l’Italie une réunion exceptionnelle du Conseil européen. Le 23 avril, les chefs d’État et de Gouvernement ont arrêté un plan d’action autour de quatre grandes priorités qui aujourd’hui ont été reprises par la Commission européenne.
Nous soutenons l’idée qu’il faut en effet une réponse européenne, qu’il faut d’abord sauver des vies, mais qu’il faut aussi démanteler les trafics et apporter une réponse de fond aux causes de cette immigration.
« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.
La première réponse, c’est d’abord de renforcer la présence de l’Union européenne en mer Méditerranée. Ce matin, la Commission européenne a annoncé qu’elle triplerait le budget des opérations Poséidon et Triton menées par l’agence Frontex. C’est ce que nous-mêmes avions proposé. La France, vous le savez, a envoyé des navires.
Deuxième axe : la lutte contre les trafiquants. Nous demandons un mandat aux Nations-unies pour pouvoir nous attaquer à eux, en coopération avec les États de transit et les États de provenance.
Troisième axe : prévenir les flux illégaux par une politique de stabilité, de développement et de transition démocratique.
Interruptions sur les bancs du groupe UMP.
Enfin, il faut renforcer la solidarité au sein de l’Union. Il n’est pas question de quotas, mais d’un engagement de tous les pays.
La parole est à Mme Frédérique Massat, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Ma question s’adresse à M. le ministre des finances et des comptes publics.
Avec 0,6 % de croissance, notre pays confirme qu’il avance sur le chemin de la reprise.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Ces données viennent conforter l’action de notre majorité, qui a construit depuis trois ans une stratégie financière et économique équilibrée reposant sur trois piliers.
Premier pilier, la revitalisation de notre appareil productif, avec le pacte de responsabilité, la réhabilitation de la politique industrielle, la réorientation européenne, la simplification et la relance de l’investissement.
Deuxième pilier, le redressement financier – notre majorité est la seule de la Ve République à abaisser chaque année le niveau des déficits publics, après cinq ans pendant lesquels la dette a explosé.
Troisième pilier, la préservation de notre modèle social, avec de nouveaux droits comme la prime d’activité, la généralisation du tiers payant, la suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu, le compte pénibilité et le compte formation.
Cette démarche volontariste construit une dynamique économique qui permettra à la France de renouer avec un niveau de croissance supérieur à 1 % en 2015.
Si nous sommes loin de céder au triomphalisme, nous ne boudons pas cependant notre plaisir d’enregistrer cette bonne nouvelle qui, pour les uns – dans la partie droite de l’hémicycle –, n’est due qu’à des phénomènes extérieurs totalement indépendants des actions menées par le Gouvernement…
En somme, quand la croissance augmente, c’est grâce aux événements extérieurs, et quand elle baisse, c’est la faute du Gouvernement.
N’en déplaise aux Cassandre qui font du dénigrement politicien de la France leur fonds de commerce, notre pays est train de réussir, comme l’affirmait notre Premier ministre il y a une semaine en ce même lieu.
Mais le retour de la croissance n’est pas une fin en soi. Il n’a pas de sens si la prochaine étape n’est pas la baisse du chômage. Là aussi, notre majorité mobilise toutes les énergies pour relever ce défi central du quinquennat.
Monsieur le ministre, ces nouvelles encourageantes nous fixent de nouvelles obligations de résultat. Comment envisagez-vous la suite de notre feuille de route ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.
Madame la députée, au premier trimestre de cette année, l’activité économique a été bonne dans notre pays (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP), ce qui constitue une bonne nouvelle pour tout le monde, sur tous les bancs, car c’est avant toute chose une bonne nouvelle pour la France elle-même.
Cela m’inspire deux ou trois considérations.
Première considération : la France fait mieux que ses voisins
Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP
; la France fait mieux que la zone euro.
Je citerai quelques chiffres pour que chacun, sur ces bancs, partage, non pas je ne sais quel optimisme, mais nos remerciements pour les efforts qui ont été réalisés par les uns et par les autres et, en particulier, par les Français.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Oui, au sein de la zone euro, la croissance a augmenté en moyenne de 0,4 %, contre 0,6 % en France. Notre pays fait deux fois mieux que les deux plus grandes nations économiques d’Europe, à savoir l’Allemagne et la Grande-Bretagne.
Voilà une première considération qui devrait faire taire toute critique de type politicien.
Deuxième considération : la croissance a repris parce que la consommation a repris ; les ménages ont aujourd’hui beaucoup plus confiance et consomment, ce qui est une bonne chose.
La croissance a repris parce que nous sommes plus forts pour nous battre à l’exportation grâce, en particulier, au niveau de l’euro, lequel résulte d’une volonté politique que nous avons soutenue, notamment au sein de cette majorité.
Toutefois, pour que la croissance soit durable, il faut que l’investissement aussi reprenne. C’est légèrement le cas au premier trimestre, contrairement à ce que j’entends parfois, mais il faut que sa reprise s’accélère.
Quelques signes positifs sont là. Une enquête réalisée auprès des chefs d’entreprise montre qu’ils veulent augmenter de 7 % l’investissement au cours de 2015, ce qui est une bonne chose car derrière l’investissement, il y a l’emploi et donc le recul du chômage, ce qui constitue évidemment notre principal objectif, le seul qui vaille de se battre, dans l’intérêt de la France.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Nicolas Sansu, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Madame la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, notre pays, notre jeunesse ne peuvent se satisfaire d’une polémique dangereuse sur l’école.
Au sein de notre éducation nationale, le collège est considéré par tous les acteurs comme le maillon le plus fragile.
Certains, à droite, voient dans les débats actuels la possibilité d’une revanche contre le collège unique, qu’ils ont toujours combattu. Certains, à droite, tentent de faire oublier la précédente législature, ses 80 000 suppressions de postes, la carte scolaire dévoyée, ou encore la suppression de la formation initiale des enseignants. Or tout cela a eu des conséquences : la France est devenue le pays où l’origine sociale reste l’élément le plus déterminant dans la réussite scolaire.
Les députés du Front de gauche sont intimement persuadés qu’une réforme du collège est nécessaire pour retrouver le chemin de l’égalité et de l’ambition mais, à l’évidence, votre copie est à revoir et nombre d’enseignants, ainsi que de grandes voix progressistes, s’inquiètent d’une aggravation des inégalités en raison de vos projets.
L’ambition, ce doit être une formation bi-langues pour tous les élèves dès la classe de sixième. L’ambition, c’est plus d’hellénistes et de latinistes. L’ambition, ce doit être des moyens supplémentaires pour des enseignements interdisciplinaires de qualité. L’ambition, ce doit être des enseignants mieux formés et mieux rémunérés.
L’honneur de la gauche est d’avoir défendu, dès la Commune de Paris,…
…avec Édouard Vaillant, l’instruction publique pour tous, porteuse de l’égalité républicaine.
C’est donc à la gauche de soutenir une réforme visant l’excellence pour tous au nom de l’égalité, au sein des collèges publics, et de ne pas laisser l’enseignement privé dépecer l’école publique.
La réforme du collège ne peut se faire au forceps. Elle est aujourd’hui largement contestée par la majorité des enseignants et rejetée par des organisations syndicales représentant plus de 80 % d’entre eux, qui appellent d’ailleurs à une journée de grève la semaine prochaine.
Madame la ministre, personne ne peut se permettre un échec de cette réforme. Comme les enseignants vous le demandent, retirez cette version et reprenez le chemin du dialogue pour construire une réforme égalitaire et ambitieuse, apte à sortir notre système éducatif du déclin.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs des groupes UMP et UDI.
La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Monsieur le député, je vous sais sensible à la lutte contre les inégalités, combat que nous partageons évidemment et qui constitue l’objet même de cette réforme des collèges.
Depuis quelques semaines, vous l’avez rappelé, ses détracteurs nous expliquent qu’il est nécessaire voire indispensable que le système éducatif soit inégalitaire afin de garantir l’élitisme et l’excellence d’une minorité.
Eh bien, cette réforme vise exactement le contraire : il s’agit de donner les mêmes chances de réussite à tous les élèves afin de démocratiser l’accès à l’élite ou à l’excellence. L’égalité n’est pas l’ennemie de l’excellence ; elle est au contraire la condition pour que chacun puisse y prétendre.
J’en viens maintenant aux questions que vous évoquez et, tout d’abord, à celle portant sur les moyens. Je tiens à vous rassurer : ils seront à la hauteur de l’enjeu.
Au-delà de l’augmentation globale du budget de l’éducation nationale – pour la seule année 2015, il a augmenté de 1,6 milliard –, nous avons prévu 200 millions supplémentaires pour accompagner cette réforme du collège. Ils seront notamment mobilisés afin de financer les 4 000 nouveaux postes qui accompagneront la réforme.
Je tiens aussi à vous rassurer sur un autre point : cette réforme n’entraînera pas d’inégalités dans la qualité des enseignements assurés dans chaque établissement.
Oui, il a été décidé de donner un surcroît d’autonomie aux établissements pour 20 % du temps car se sont les équipes pédagogiques qui sont les mieux placées pour connaître les besoins de leurs élèves et les satisfaire.
Oui, les nouveaux temps que nous introduisons dans l’organisation du collège, que ce soit l’accompagnement personnalisé, le développement des petits groupes ou les enseignements pratiques interdisciplinaires, seront l’occasion pour les équipes pédagogiques de prendre leurs responsabilités et d’organiser les choses au mieux, en fonction des besoins de leurs élèves, ce qui constitue une garantie d’efficacité et de réussite scolaire.
Je vous rassure encore : la liberté pédagogique donnée aux enseignants, l’autonomie que j’évoquais, sont forcément régulées. Les mêmes horaires, les mêmes programmes, la même évaluation et le même brevet seront en vigueur dans tous les établissements.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Ary Chalus, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur le Premier ministre, le développement économique en outre-mer, et singulièrement en Guadeloupe, repose sur des fondations fragiles. Les entreprises guadeloupéennes manquent de fonds propres et se voient appliquer des conditions exorbitantes en termes de frais financiers. Dans le même temps, un vaste mouvement de restructuration menace le maintien in situ d’un encadrement bancaire bien au fait des enjeux et du contexte économique local. L’État s’engage dans différents plans de relance, notamment au travers du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – CICE – majoré, et annonce de grands chantiers, à l’instar de la reconstruction du centre hospitalier universitaire, dont le financement intégral a été confirmé à hauteur de 600 millions d’euros.
Si nous nous félicitons de ces différents dispositifs, nous devons veiller à ce qu’ils soient accessibles à un plus grand nombre d’entreprises, et à ce que les retombées en termes d’emploi local soient optimisées. Compte tenu du fort ralentissement de l’activité, les difficultés des entreprises guadeloupéennes se mesurent à l’aune du nombre de liquidations – plus de 15 000 recensées aujourd’hui – et du nombre important de celles qui sont incapables de faire face à leurs créances fiscales et sociales. Nous faisons aussi face à la concurrence déloyale que pratiquent certaines sociétés qui gagnent des marchés en détachant des travailleurs à bas coût. Nos entreprises seront donc peu nombreuses à pouvoir bénéficier de ces mesures. Ce sont pourtant elles qui pourront créer les emplois dont nous avons tant besoin pour notre jeunesse en Guadeloupe, et relancer l’économie.
Il faut innover, et en particulier faire jouer un rôle nouveau aux grands travaux financés par l’État, pour les mettre au service des dynamiques économiques territoriales. Le Président de la République a déclaré ce week-end en Guadeloupe que les politiques publiques doivent résolument s’attacher à réduire les écarts en termes de niveau de vie. Monsieur le Premier ministre, quelles mesures concrètes le Gouvernement entend-il prendre pour maximiser les retombées positives en termes d’emploi des grands chantiers à venir en outre-mer, et particulièrement en Guadeloupe, où le chômage des jeunes avoisine les 60 % ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur plusieurs bancs du groupe UDI.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le député Ary Chalus, le sujet que vous abordez est une préoccupation constante de ce gouvernement.
Et, comme vous l’avez rappelé, le Président de la République a eu l’occasion de s’entretenir cette semaine avec les principaux responsables économiques des Antilles.
Dans la feuille de route que j’ai définie, les exonérations de cotisations sociales jouent un rôle important, puisqu’elles représentent 1 milliard d’euros, soit la moitié de mon budget. Vous savez aussi que nous avons pu obtenir un CICE majoré pour les entreprises des outre-mer, de manière à alléger le coût du travail, et qu’elles peuvent également profiter de tout ce qui est fait au niveau national. Mais cet effort, et nous le leur avons répété, ne peut pas se faire sans contrepartie. Les préfets sont chargés d’organiser des réunions, afin d’évaluer l’incidence de ces allégements sur la situation de l’emploi, et notamment sur celui des jeunes. Nous avons également renforcé les aides à l’investissement public, puisque les contrats de plan connaissent une augmentation de 27 % pour la période 2015-2020 et que l’intensité d’aide par habitant est trois fois supérieure à celle constatée dans l’hexagone. Les fonds européens sont également en hausse de 25 %.
Enfin, en ce qui concerne le logement, qui est important pour l’activité dans le bâtiment, j’ai annoncé un plan logement ambitieux, qui va se décliner dans tous les outre-mer. Vous voyez, monsieur le député, que nous partageons votre objectif, et que notre détermination est totale.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Patrick Hetzel, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Au risque de vous gêner, monsieur le Premier ministre, je vous poserai une question sur le fond…
…même si vos propos d’hier montrent que vous n’aimez pas cela.
Dans l’élan du traité de l’Élysée, la France a développé de très nombreuses actions pour que nos jeunes apprennent la langue de Goethe, connaissent la culture de notre voisin et développent des relations fraternelles avec la jeunesse allemande. Cela a un sens tout particulier en raison de l’histoire de nos deux pays et de leur destin économique partagé. Des actions pédagogiques importantes sont entreprises partout en France, et l’un des résultats très positifs a été la création de classes bilangues au collège. Et vous voulez mettre fin à ces classes, qui sont un succès.
Pourtant, il vaudrait mieux les développer. Votre décision est une erreur éducative, diplomatique, culturelle, politique et économique.
J’en appelle donc à votre sagesse, afin que l’on ne ruine pas cet édifice pédagogique franco-allemand si patiemment construit. Respectez donc les accords binationaux. Cette politique linguistique est une richesse inestimable. Mettre à mal notre politique linguistique en faveur de l’allemand est particulièrement anachronique au moment où, justement, nos voisins démultiplient les efforts en faveur du français.
Vous proposez la nomination d’un délégué ministériel à l’allemand. N’en avez-vous pas assez de procéder de la sorte ? Prenez vos responsabilités, monsieur le Premier ministre. Si vous désapprouvez la politique mise en oeuvre vis-à-vis de l’allemand, alors vous devez remettre en cause celles et ceux qui ont pris cette décision. Monsieur le Premier ministre, quand allez-vous enfin retirer cette funeste réforme, qui nuit gravement à notre jeunesse et à la relation franco-allemande ?
Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.
La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Monsieur le député, le traité de l’Élysée, auquel vous faites référence, a en effet invité les gouvernements français et allemand à promouvoir la langue du partenaire chez lui.
Promouvoir la langue du partenaire, c’est notamment permettre que celle-ci puisse être choisie comme langue vivante 1, ce qui n’a jamais été garanti par la majorité à laquelle vous appartenez.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Jamais !
Et ce choix de l’allemand comme langue vivante 1, auquel vous êtes si attachés, n’a cessé de se dégrader ces dernières années.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Je vous le répète : mon intention et mon ambition, c’est de mettre enfin en oeuvre un pilotage national de la carte académique des langues, afin d’avoir dans toutes les académies, et pas seulement dans les académies frontalières, des professeurs d’école susceptibles d’enseigner l’allemand en langue vivante 1 à l’école primaire.
Je me suis fixé un objectif : seuls 178 000 élèves optent aujourd’hui pour l’allemand en langue vivante 1 en primaire ; ils seront 200 000 à la rentrée 2016. Nous veillerons, dans ce but, à flécher les postes d’enseignants, et à recourir aux intervenants extérieurs, locuteurs natifs, que votre majorité avait supprimés il y a trois ans.
S’agissant de la langue vivante 2, l’avancement d’un an de son apprentissage signifie que les élèves auront davantage d’heures de cours dans cette langue. Expliquez-moi comment cela pourrait ne pas bénéficier à l’allemand ! Il y aura, dans la scolarité d’un collégien, cinquante-quatre heures supplémentaires de langue vivante 2, ce qui signifie davantage d’heures d’allemand pour davantage de collégiens.
Enfin, pour favoriser le choix d’autres langues que l’anglais en langue vivante 1, nous permettrons à tous les enfants d’accéder à l’anglais, que les familles jugent si indispensable, dès la classe de sixième. Tout cela a vocation à promouvoir notamment l’allemand.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Réforme du collège
Madame la ministre de l’éducation nationale, le constat est unanime et accablant : notre système scolaire reproduit et amplifie les inégalités. Loin de promouvoir la réussite de tous, le collège – en particulier – aggrave l’échec scolaire. Réformer le collège, dès lors, est une impérieuse nécessité.
Alors que nous devrions travailler tous ensemble pour nous attaquer aux racines du problème, un élitisme conservateur combat de toutes ses forces la réforme annoncée, dans cet hémicycle et ailleurs, lui préférant un statu quo inacceptable.
Vous le savez, nous soutenons les grands principes de cette réforme : donner plus d’autonomie aux établissements, accorder une plus grande liberté pédagogique aux équipes, favoriser le travail collectif et interdisciplinaire, travailler en petits groupes, prévoir un accompagnement personnalisé. Proposer à tous – et non plus à quelques-uns – l’apprentissage des langues anciennes et une deuxième langue vivante dès la cinquième va aussi dans le bon sens.
Nous espérons d’ailleurs que les nouvelles dispositions prévues pour les langues européennes dès la sixième seront étendues, notamment aux langues régionales.
Démocratiser la réussite, c’est le but de cette réforme. Mais des garanties doivent encore être apportées.
Madame la ministre, la meilleure mixité sociale escomptée au sein des établissements, à l’intérieur des classes, doit se retrouver entre les établissements. Quelles sont donc les réflexions en cours sur la carte scolaire pour garantir une mixité à tous les niveaux de la scolarité ?
De même, cette réforme ne pourra pas fonctionner sans moyens humains et financiers, surtout dans les réseaux d’éducation prioritaires.
Enfin, rien ne sera possible sans l’adhésion de l’ensemble des équipes et sans leur accompagnement. La formation initiale mais aussi continue jouant un rôle crucial, pourriez-vous préciser ce que vous prévoyez ?
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe SRC.
La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Madame la députée, merci de votre question et de votre soutien franc…
…à cette réforme, que je crois en effet indispensable.
Vous en avez rappelé les raisons : mieux faire apprendre à chacun de nos collégiens ; moderniser le collège, car il est des compétences sur lesquelles les élèves doivent pouvoir s’ouvrir, notamment les langues vivantes étrangères ; donner davantage d’autonomie et de liberté pédagogique pour plus d’efficacité. Toutes ces mesures sont nécessaires ; elles étaient attendues depuis trop longtemps.
Vous avez posé, à juste titre, la question de l’accompagnement et de la formation des équipes pédagogiques pour que cette réforme entre véritablement en vigueur en 2016. C’est une ambition importante pour nous, et c’est la raison pour laquelle, dès ce printemps, vont commencer les formations des cadres de l’éducation nationale, qui seront ensuite amenés à se rendre dans les établissements scolaires, dans chaque collège, pendant tout l’automne qui vient, pour former sur site les équipes pédagogiques à travailler en équipe comme on l’attend d’elles, à faire de l’interdisciplinarité, à organiser leur projet d’accompagnement personnalisé ou à travailler en petits groupes.
Même si c’est en effet une gageure, nous devons nous donner les moyens de le faire. Je rappelle que cette réforme s’accompagne à nouveau de la création de 4 000 postes – cela montre bien que nous y mettons les moyens.
Enfin, la réforme signifie, pour chaque collège, une augmentation conséquente de sa dotation horaire globale, ne serait-ce que pour le dédoublement de classes, qui sera beaucoup plus fréquent qu’aujourd’hui.
Un dernier mot sur la mixité sociale. Vous avez raison de dire que cette réforme s’inscrit dans l’ambition plus large de garantir la mixité scolaire et la mixité sociale. Comme je l’ai annoncé au mois de janvier dernier – je tiens tous mes engagements –, nous commençons le travail sur la sectorisation des collèges. Dans un premier temps, nous le faisons avec des départements volontaires – d’ailleurs, il y en a de droite comme de gauche – pour travailler de façon pragmatique, de manière à avoir des secteurs plus grands, avec plus de collèges, et à mieux répartir les effectifs.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes écologiste et SRC.
La parole est à M. Philippe Cochet, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le Premier ministre, ne pensez pas un instant que la polémique concernant la réforme du collège va masquer le profond mécontentement des professionnels de santé. Je vous rappelle que le groupe UMP a voté à l’unanimité contre ce texte lors de son examen en première lecture à l’Assemblée.
Avec ce premier vote, vous pensez avoir gagné votre combat idéologique contre les médecins, contre les professionnels de santé, contre les malades et pour les mutuelles.
Exclamations sur les bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Il n’en est rien.
La colère des médecins et du corps médical est intacte. Pour preuve, dans ma commune, les membres de l’association des médecins de Caluire-et-Cuire, qui regroupe nombre de médecins généralistes ou spécialistes, ont voté à l’unanimité des présents une motion indiquant qu’ils n’appliqueront pas le tiers payant généralisé, notamment – mais pas seulement – en raison des complications administratives qu’il entraîne.
Les démarches de ce type se développent, ce qui montre que la capacité d’acceptation de votre politique de gribouille est dépassée. Décidément, la gauche abîme tout.
Je vous rappelle qu’un patient n’est pas une voiture et qu’un médecin n’est pas un garagiste. Demain, c’est la mutuelle qui orientera un patient vers tel ou tel professionnel de santé et vers telle ou telle prescription. Ce sera également un flicage des citoyens, dans la mesure où des données médicales pourront tomber entre des mains peu scrupuleuses.
Sourires sur les bancs du groupe SRC.
Contrairement à ce que vous dites – puisque vous réduisez le débat à l’invective –, ces inquiétudes ne viennent ni de pseudo-intellectuels ni de pseudo-médecins.
Quand je regarde le fronton de ma mairie où sont inscrits les mots : « Liberté, Égalité, Fraternité »,…
… je me dis que, vraiment, vous portez atteinte aux fondements de la liberté.
Monsieur le Premier ministre, cessez vos leçons d’unité nationale avec des trémolos dans la voix, alors que vous mettez à mal l’un des fondements de notre République : la liberté.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Monsieur le député, la liberté doit pouvoir s’exercer, mais elle appelle aussi l’égalité. Or, en matière de santé, l’égalité suppose que chacune et chacun, dans ce pays, puisse accéder à des soins de qualité. C’est pour cela que la loi de modernisation de notre système de santé a pour enjeu de lever les freins qui existent aujourd’hui pour une partie de la population.
Nous voulons, avec la mise en place de la généralisation progressive du tiers payant, permettre que l’égalité face aux soins soit enfin une réalité, et que la liberté que vous appelez de vos voeux ait un sens pour chacune et chacun de nos concitoyens.
La liberté de consulter un professionnel de santé doit effectivement permettre d’accéder à des soins de qualité, et ne pas laisser des barrières financières ou de proximité.
Vous voulez créer des clivages. Quant à nous, nous ne voulons pas cliver ; nous voulons garantir l’égalité de tous face au système de santé.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Nous voulons garantir la solidarité par le système de protection sociale. En effet, ce que vous oubliez de dire, c’est que lorsque vous étiez aux responsabilités, avec les franchises et les déremboursements, la prise en charge par la Sécurité sociale a reculé.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Depuis 2012, la solidarité retrouve son sens, puisque nous faisons en sorte que la protection solidaire par l’assurance maladie obligatoire soit restaurée. Nous ne menons pas de faux débats, monsieur le député, nous ne mettons pas en avant l’idéologie, mais nous faisons de l’égalité d’accès aux soins une réalité et un combat permanent et quotidien, dans l’intérêt des Français.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe écologiste.
La parole est à Mme Clotilde Valter, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le ministre de l’économie, en 2014, le Parlement a voté la proposition de loi Florange que nous avions déposée, avec Bruno Le Roux et François Brottes, au nom du groupe socialiste, ainsi que des collègues écologistes et radicaux.
Ce texte, dont j’ai été la rapporteure, a pour objectif de protéger les entreprises et les salariés des opérations purement financières, afin d’empêcher la fermeture de sites rentables, ce qui nous a déjà évité des plans sociaux, de favoriser les investissements de long terme dans nos entreprises et, grâce au droit de vote double, de neutraliser les prises de guerre strictement financières.
Au vu des débats qui animent aujourd’hui quelques assemblées générales d’actionnaires, nous constatons la pertinence de cette loi. La finance, qui a tout fait pour empêcher le vote du texte, utilise ses dernières armes. Dans les entreprises où l’État est actionnaire, on s’insurge contre ce qui est ressenti comme une prise de pouvoir. Nous ne pouvons que nous féliciter que nos fleurons industriels bénéficient de financements stables pour se développer et créer des emplois. Ceux qui reprochent à l’État de ne pas prendre ses responsabilités en matière industrielle ne veulent pas voir la réalité.
Le droit de vote double n’a pas été fait pour l’État actionnaire, mais il est légitime que ce dernier en dispose comme les autres. Désormais, le pouvoir de contrôle est déconnecté de la participation au capital pour privilégier l’actionnariat fidèle. L’État dispose ainsi de la possibilité de prendre sa part de pouvoir dans une entreprise sans nationaliser, mais aussi de dégager des fonds pour investir dans des entreprises qui en ont besoin comme PSA.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire comment vous comptez utiliser les outils que les parlementaires…
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Merci, madame la députée.
La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.
Vous l’avez rappelé, madame la députée : votre assemblée a voté une réforme importante que vous avez portée, avec le président François Brottes, et qui a permis de mettre en place par la loi, pour les actionnaires de long terme, les droits de vote doubles. C’est une mesure importante, parce qu’on ne peut pas réussir de stratégie ou de retournement industriel sans valoriser ni favoriser l’investissement de long terme.
En tant qu’actionnaire, l’État compte en effet se servir de l’ensemble de la palette d’outils qui lui est offerte.
D’abord, il cédera les actifs dont il n’a plus besoin. Le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques prévoit d’ailleurs certaines de ces cessions afin d’être mobiles et de réinvestir sur des priorités. Nous l’avons fait il y a quelques mois pour PSA, lorsque cette entreprise connaissait des difficultés. Il est important que l’État soit mobile dans sa stratégie d’actionnaire, afin d’accompagner les situations défensives ou offensives.
Par ailleurs, l’État est aussi et surtout un actionnaire de long terme. Être un actionnaire de long terme a un sens, et cela consiste d’abord à accompagner les entreprises quand elles vont mal. C’est ce que l’État fait aujourd’hui avec certaines entreprises de la filière nucléaire, par exemple.
C’est ce que l’État continuera à faire dans tous les domaines. C’est ce que l’État doit faire lorsqu’il structure une filière, et c’est en effet ce qu’il a insuffisamment fait, pour le secteur nucléaire, lors des années précédentes.
En effet, les droits de vote doubles permettent à l’État de mobiliser, sur le long terme, la totalité du pouvoir d’influence qu’il détient dans une société. Vous avez fait référence à deux sociétés où le débat a été posé en assemblée générale, parce que certains actionnaires ont souhaité, en votant une motion, renoncer à ce que la loi permet. Eh bien non, l’État a défendu ses droits pour que, chez Renault comme, demain je l’espère, chez Air France-KLM, nous puissions défendre une stratégie sur le long terme. Nous le faisons chez Renault depuis soixante-dix ans, et nous continuerons à le faire. C’est notre priorité et notre stratégie.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Yannick Favennec, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Monsieur le ministre de l’agriculture, exercer le métier d’éleveur ne permet plus de faire vivre sa famille, malgré soixante-dix heures de travail par semaine, sept jours sur sept et 365 jours par an.
Malgré les performances de secteur – l’agriculture et l’agroalimentaire représentent le deuxième poste des exportations françaises –, les revenus des éleveurs baissent. À titre d’exemple, une vache charolaise se vendait en moyenne 4,35 euros le kilo en 2013, mais en 2014, ce prix est passé à 3,85 euros. Il baissera encore d’une quinzaine de centimes cette année. Le revenu des éleveurs de viande bovine est déjà le plus faible de toutes les productions, et une telle baisse va encore représenter une perte de revenus de 5 000 à 6 000 euros par an.
Les éleveurs de porcs traversent également une grave crise, les cours actuels de la viande ne leur permettant pas de couvrir leurs coûts de revient. Il manque de 17 à 18 euros par porc aux éleveurs. Par exemple, 25 % des éleveurs porcins de la Mayenne sont au bord de la cession d’activité. Tous subissent de plein fouet les écarts de compétitivité de la filière française par rapport aux Espagnols ou aux Allemands et la fermeture du marché russe. Ils doivent faire face aux conséquences de la guerre des prix des grandes surfaces, qui provoque l’effondrement du prix du porc payé par les clients.
Tous les éleveurs, en particulier les jeunes qui s’installent, ont besoin de perspectives pour retrouver confiance en leur avenir et en leur activité. C’est la condition sine qua non pour pérenniser l’élevage français. Alors, monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour sauver notre élevage et protéger nos éleveurs ?
Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et plusieurs bancs du groupe UMP.
La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.
Monsieur le député, vous avez évoqué l’élevage, à la fois bovin et porcin. Vous avez rappelé que la balance commerciale de l’agroalimentaire français était un atout. Selon les chiffres publiés hier, cette balance commerciale s’est améliorée de 20 % l’an dernier.
C’est un progrès notable, et nous devons poursuivre sur cette lancée.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.
La place de la France avait régressé au cours des cinq dernières années.
« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.
Vous avez évoqué deux filières qui connaissent des difficultés.
Tout d’abord, la situation de la filière bovine nécessite que nous agissions avec l’ensemble des acteurs concernés. Les producteurs souffrent aujourd’hui de la baisse des prix. En même temps, certains abatteurs considèrent qu’après les difficultés qu’ils ont connues, il est aujourd’hui impossible de répartir la valeur ajoutée sur l’ensemble de cette filière. C’est pourquoi j’ai demandé à l’ensemble de ces acteurs, lors d’une réunion qui s’est tenue hier, de mener une action collective afin d’encourager les exportations – on peut faire beaucoup plus et beaucoup mieux – et de mieux répartir les bénéfices entre la grande distribution, l’abattage et, surtout, au bénéfice de la production. Il faut aussi valoriser le label « Viandes de France », car nous devons maintenant adopter des stratégies commerciales à l’échelle nationale pour mettre en valeur notre viande. Cela vaut pour la viande bovine comme pour la viande porcine.
Concernant la viande porcine, vous le savez, 70 % de la production est vendue dans le cadre de promotions dans la grande distribution. J’ai dit de manière très claire que le ministre avait aujourd’hui la possibilité de prendre un arrêté pour encadrer ces promotions.
J’ai laissé aux acteurs un mois pour discuter de mesures consensuelles visant à réduire les calendriers de promotions. Je le dis devant la représentation nationale : si aucun accord n’est trouvé la semaine prochaine, le ministre prendra lui-même la responsabilité d’encadrer les promotions.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC, RRDP et écologiste.
La parole est à M. Philippe Goujon, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le ministre de l’intérieur, une manifestation appelant à la dépénalisation, voire à la légalisation du cannabis s’est déroulée samedi à Paris.
Rires et exclamations sur plusieurs bancs des groupes SRC et écologiste.
Beaucoup ont défilé un joint à la bouche, en infraction totale avec la loi de 1970.
Or le cannabis est beaucoup plus dangereux que le tabac, que pourtant vous combattez durement – et à juste titre :
troubles psychotiques, détérioration des facultés cognitives, notamment chez les plus jeunes, sans compter l’implication de cette substance dans les accidents de la route. Cela a été démontré par toutes les études médicales. En outre, le taux de THC qu’il contient a doublé en dix ans.
Après onze ans de baisse de la consommation, l’usage du cannabis est reparti à la hausse sous votre gouvernement.
« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC
sans garantir en rien la disparition des réseaux criminels, lesquels auraient tôt fait de se reconvertir, comme l’ont constaté tous les pays qui s’y sont risqués, tels le Royaume-Uni ou la Hollande.
Or plusieurs signaux inquiétants laissent à penser que le Gouvernement pourrait s’engager dans cette voie,…
…après l’autorisation des salles de shoot, sorte de dépénalisation de fait, sans compter les rapports de plusieurs députés socialistes – celui de M. Raimbourg et Mme Lepetit et, plus récemment, celui de Mme Le Dain –, ainsi que de la fondation Terra Nova, tandis que la loi Taubira sur la transaction pénale efface le délit de consommation et que la contrainte pénale limite l’incarcération des trafiquants, sans oublier de multiples déclarations de parlementaires et de ministres, dont Vincent Peillon et Cécile Duflot.
Alors, si vous êtes opposés à la dépénalisation et à la banalisation de la drogue, constatée par exemple encore récemment à Saint-Ouen, et comme l’affirme le Premier ministre – je n’ai pas de raison d’en douter – allez-vous poursuivre les provocateurs qui ont enfreint la loi et que la vidéo permet d’identifier ? Condamnerez-vous et interdirez-vous à l’avenir ce type de manifestations illégales incitant à la consommation de drogue, à défaut d’avoir interdit celle de samedi dernier ?
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Monsieur le député, ce n’est pas là un sujet de polémique – ou du moins, cela ne devrait pas l’être.
C’est un enjeu de santé publique,…
…lequel justifie que le Gouvernement réaffirme avec force, de manière régulière, son refus de toute banalisation du cannabis et de sa consommation.
Cela étant, je vous rappelle que la liberté de manifester est protégée par notre constitution et par la Convention européenne des droits de l’homme.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Il peut arriver que des manifestants, dans les rues de Paris, demandent des choses que le Gouvernement n’accordera pas.
Je veux réaffirmer devant la représentation nationale que la consommation de cannabis est un enjeu de santé publique en raison de ses effets préoccupants sur la santé, en particulier chez les jeunes.
Ses effets se traduisent notamment par des défauts d’attention qui justifient le renforcement des contrôles routiers, car nous savons que la consommation de cannabis provoque des accidents de la route.
Or nous devons faire en sorte de protéger la population.
Mais nous devons aussi prévenir la consommation de cannabis. À cet égard, le Gouvernement s’est engagé dans la pleine mobilisation des actions de prévention, en particulier pour mieux faire connaître aux jeunes et à leur famille l’existence des consultations pour jeunes consommateurs, lesquelles ne sont pas suffisamment connues, alors qu’elles apportent des réponses appropriées à la situation de chaque jeune.
Vous le voyez, monsieur le député, nous n’avons pas l’intention de polémiquer, mais d’apporter des réponses de santé publique au problème qui existe.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Jean-Paul Tuaiva, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Madame la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, samedi dernier, à l’occasion du sommet « Caraïbes climat 2015 », le Président de la République a pris des engagements forts pour le peuple caribéen.
Plus qu’un symbole, l’appel de Fort-de-France résonne déjà comme un véritable élan de solidarité entre les pays riches et les pays pauvres ; des pays qui doivent désormais lutter, main dans la main, contre les conséquences d’un changement climatique de plus en plus brutal.
Avec l’organisation de la COP 21, l’année 2015 est certainement l’occasion pour notre pays de s’inscrire dans l’histoire – une histoire qui ne saurait être complète sans la venue du chef de l’État dans nos îles du Pacifique Sud, si violemment touchées par les dérèglements climatiques.
Cet appel, madame la ministre, la Polynésie française l’attend plus que jamais. Les mots prononcés par le Président Hollande pour nos compatriotes des Antilles, nous espérons les entendre un jour chez nous aussi. Dès lors que le développement économique est directement lié à l’environnement, permettez-moi de vous faire part de mes craintes quant à l’avenir de notre collectivité.
Si nous disposons des compétences statutaires et des moyens humains pour nous adapter aux enjeux qui sont devant nous, les moyens financiers nous manquent.
Le Président Hollande a appelé les pays riches à être plus solidaires des pays pauvres. Nous lui demandons désormais d’appeler la France à être plus solidaire de ses territoires d’outre-mer.
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.
Je me permettrai de m’approprier ses propos : « Nous sommes dans la France et la France est en nous. Dès lors, nous sommes la France. »
Alors que le Fonds vert pour le climat doit justement aider les pays vulnérables, quels moyens financiers comptez-vous mobiliser, madame la ministre, pour aider nos collectivités ultramarines, qui ne pourront certainement pas bénéficier d’une telle aide ?
Applaudissements sur les bancs des groupes UDI, écologiste et RRDP et sur quelques bancs du groupe UMP.
La parole est à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.
Monsieur le député, vous venez d’exprimer les inquiétudes de la Polynésie française quant au prix de l’électricité, trois fois plus élevé qu’en métropole parce que ce n’est pas une zone interconnectée.
Vous avez d’ailleurs évoqué ce sujet à plusieurs reprises. Dans le cadre du projet de loi relatif à la transition énergétique, vous avez bien défendu l’intérêt de ces territoires dont vous êtes l’élu, et vous avez bien fait de le faire. Au demeurant, plusieurs amendements ont été votés à votre initiative, visant notamment à la mise en commun des moyens de recherche sur le stockage de l’énergie, qui a été étendue à la Polynésie, en dépit du fait que la loi donne à la Polynésie française la compétence pleine et entière en matière d’énergie.
Toutefois, nous accompagnons la transition énergétique et, pour répondre au coût élevé du prix de l’électricité, la solution est la montée en puissance des énergies renouvelables. Vous avez tout pour y parvenir : le soleil, le vent, l’énergie marine.
Nous accompagnons déjà un certain nombre de projets comme le projet de climatisation par eau profonde de l’hôpital de Tahiti, entièrement financé par deux prêts à taux bonifié de l’Agence française de développement – l’AFD – et de la Banque européenne d’investissement – la BEI –, une subvention de 2 millions d’euros accordée par l’ADEME – l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Les travaux débuteront l’année prochaine et permettront des économies de plus de 1,5 million d’euros.
Il y a ensuite l’aménagement hydroélectrique de la rivière Vaiiha avec un prêt de 10 millions d’euros et une subvention très importante de l’ADEME, qui va permettre d’augmenter de 7 % la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique de Tahiti.
Enfin, dans le projet de développement sur la période 2015-2017, figure un point très important sur la montée en puissance des énergies renouvelables, avec un montant total de 20 millions d’euros, financés à parts égales entre l’État et la Polynésie.
Je vous invite, monsieur le député, à présenter un projet dans le cadre des territoires à énergie positive et nous pourrons vous accompagner avec le fonds pour la transition énergétique et le climat.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Guy Teissier, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Ma question, qui s’adresse à Mme la ministre de la culture et de la communication, concerne la situation invraisemblable dans laquelle se trouve le Musée arménien de France.
Inauguré en 1953 dans l’Hôtel d’Ennery, à Paris, ce musée abrite l’une des plus belles et des plus grandes collections d’art arménien en Europe. Ces précieux souvenirs et reliques sauvés par la diaspora arménienne après le génocide représentent 3 000 ans d’histoire. Ces collections réunies par les survivants du génocide de 1915 ont été reconnues d’utilité publique. Or, à l’heure où tous les pays commémorent le centenaire du génocide arménien, le musée est tout simplement fermé.
Voilà quelques années, le Musée Guimet, dont dépend l’Hôtel d’Ennery, a engagé une rénovation, car l’immeuble menaçait ruine. Le Musée arménien a alors été prié de déménager une partie de ses collections, avec l’assurance de pouvoir regagner les lieux à la fin du chantier. Cet engagement n’a pas été tenu.
En mars 2014, le Musée Guimet a fait changer les serrures de l’hôtel et interdit à l’équipe du Musée arménien d’y accéder. On ne sait pas ce qu’il est advenu de la collection qui se trouvait à l’intérieur. Le tribunal de grande instance, saisi en référé par le Musée arménien, s’est déclaré incompétent. Depuis lors, le blocage perdure.
Alors que le peuple arménien, qui a vécu les pires souffrances, s’est battu pour préserver son histoire et sa mémoire, il est impensable de lui ôter aujourd’hui les moyens de les faire partager. Nous souhaiterions donc savoir quelles dispositions vous entendez prendre pour faire respecter le droit de mémoire du peuple arménien.
Vous avez proposé un déménagement vers le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée – MUCEM – de Marseille, mais cela ne satisfait pas les administrateurs du musée, qui refusent bien évidemment que les collections soient dispersées.
Nous attendons des actes. Merci de nous donner réponse.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.
Monsieur le député, je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence de Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, actuellement à Cannes
Exclamations sur les bancs du groupe UMP
pour l’ouverture du Festival international du film qui, comme vous le savez, constitue une formidable vitrine pour l’ensemble du cinéma français.
Mêmes mouvements.
S’agissant de votre question sur le devenir des collections du Musée arménien de France, je puis vous assurer de la mobilisation forte et entière du ministère de la culture.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Ses collections – propriété, vous l’avez peut-être souligné, de la Fondation Fringhian –, font l’objet d’une très grande attention de la part du ministère de la culture.
Vous le savez, le Musée d’Ennery, dépendant du Musée national Guimet, a été fermé, puis a connu une longue campagne de travaux de mise aux normes, ce qui a malheureusement conduit à la fermeture du Musée arménien de France.
L’intérêt patrimonial de cette collection impose une réaction rapide et, surtout, de trouver une solution. Le Musée national de l’Europe et de la Méditerranée est, de notre point de vue, le plus à même d’accueillir ces oeuvres. Compte tenu de l’aire géographique qu’il couvre, c’est la bonne solution.
En lien avec le ministère de la culture, très actif sur ce dossier, de très nombreux contacts ont eu lieu, depuis plusieurs mois maintenant, entre le MUCEM et la fondation Fringhian. Le ministère de la culture et le MUCEM ont même proposé qu’une exposition des principaux chefs-d’oeuvre de la collection puisse avoir lieu à l’automne 2015, précédant une représentation plus large de la collection permanente au MUCEM.
Vous le voyez, le MUCEM n’a pas vocation à être un simple entrepôt pour le Musée arménien de France. Le patrimoine arménien rassemblé par la Fondation Fringhian doit pouvoir être exposé au MUCEM. Sa richesse sera ainsi accessible au plus grand nombre.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
La parole est à Mme Seybah Dagoma, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le ministre des affaires étrangères, en 2013, les révélations sur les écoutes scandaleuses effectuées en Europe par la National Security Agency avaient suscité l’indignation et la colère de l’ensemble des dirigeants européens. À cette époque, le Président de la République François Hollande et la chancelière allemande Angela Merkel avaient fermement condamné ces agissements et exigé du gouvernement américain que cessent ces pratiques inadmissibles entre alliés.
C’est pourquoi les révélations récentes de la presse allemande sur l’espionnage, notamment, de hauts fonctionnaires de l’Élysée, du Quai d’Orsay et de la Commission européenne, ainsi que de grands groupes privés, par les services de renseignement allemands pour le compte de la NSA ne peuvent nous laisser indifférents.
Ces révélations, choquantes si elles sont avérées et qui apparaissent au moment où la justice américaine vient de déclarer illégales les pratiques d’espionnage massif de la NSA aux États-Unis, ont déclenché de vives réactions en Allemagne.
Monsieur le ministre, une clarification est nécessaire. Il ne s’agit nullement de remettre en cause l’indispensable amitié franco-allemande, dont nous savons tous qu’elle est précieuse et essentielle à l’Europe, mais de nous faire part de la réaction de la France face à ce qui pourrait apparaître comme une sérieuse entaille à la confiance et à la coopération entre nos deux pays.
Monsieur le ministre des affaires étrangères, pouvez-vous nous dire quelles suites le Gouvernement entend donner à cette affaire ?
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.
Madame la députée, la presse allemande, comme vous l’avez souligné à l’instant, a fait état d’éléments selon lesquels les services de renseignement allemands auraient, dans le passé, espionné de hauts fonctionnaires européens et français, ainsi que des entreprises, y compris allemandes, pour le compte de l’agence américaine NSA.
Ces éléments se situent dans le prolongement des révélations qu’avait faites, vous vous en souvenez, dès 2013, M. Snowden, lui-même ancien agent de la NSA. Il avait notamment été révélé que cette agence américaine avait espionné des cibles françaises, parmi lesquelles des administrations.
En réponse, la France avait engagé un dialogue ferme avec ses partenaires pour marquer nos préoccupations et obtenir des garanties que cela n’arriverait plus.
Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP.
Dans le cas récent que vous évoquez, le Gouvernement allemand a lancé des investigations pour établir la lumière sur ce qui s’est réellement passé et une commission d’enquête parlementaire examine ces questions.
Nous sommes – je suis – en contact avec les autorités allemandes. Le Gouvernement fait, bien sûr, confiance à nos amis allemands pour que, s’il y a eu des abus dans le passé, ces abus ne puissent en aucun cas se reproduire. Je veux cependant être clair pour conclure : ces débats ne remettent évidemment pas en cause notre amitié mais, comme l’a excellemment dit la chancelière, Mme Angela Merkel, on ne doit pas espionner ses amis.
Applaudissements sur divers bancs.
La parole est à Mme Claudine Schmid, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Sans évoquer le côté diplomatique, puisque notre collègue Patrick Hetzel vient de le faire excellemment, qui n’a pas obtenu de réponse à sa question, je reviens sur la dangereuse réforme des collèges,
Exclamations sur les bancs du groupe SRC – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP
qui prévoit la suppression des classes bilangues et des sections européennes – dans lesquelles, je le rappelle, l’inscription est facultative.
Madame la ministre de l’éducation nationale, lorsque vous vous êtes déplacée en Suisse le mois dernier, vous vous êtes rendu compte de l’importance et de l’effet bénéfique de la maîtrise des langues sur les carrières professionnelles, et de l’effet positif que la maîtrise de l’allemand peut avoir pour le développement économique de notre pays.
Les sections européennes sont particulièrement importantes dans les zones frontalières en matière d’emploi et de lutte contre le chômage. Les supprimer au motif qu’elles seraient élitistes, c’est aussi favoriser les inscriptions dans les établissements privés, au détriment de la mixité sociale. Cette mesure sera d’ailleurs inapplicable dans nos écoles françaises à l’étranger, essentiellement parce que les élèves doivent suivre des cours de langue locale.
Quid aussi des classes bilangues ? Vous n’en faites pas mention. Mes collègues vous l’ont déjà demandé sur tous les tons : le retrait de cette mesure est nécessaire. Vous ne semblez pas comprendre. Peut-être est-ce une question de langue ?
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Puisque vous vous dites germanophone, je vais vous le demander dans la langue de Goethe, en espérant être comprise : Ziehen Sie bitte diese Reform zurück !
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Madame la députée, merci pour votre question qui me permet de compléter la réponse que j’ai faite tout à l’heure.
Deux minutes, c’est toujours trop court pour vous exposer tout ce que nous faisons en faveur du renforcement de la langue allemande en particulier, mais aussi de toutes les langues vivantes.
Je rappelle en effet – vous savez qu’on m’écrit beaucoup sur ce sujet – que toutes les langues vivantes ont intérêt à être développées dans notre pays. Nous veillerons donc à ce que l’italien, l’espagnol, l’arabe, ou encore le chinois puissent être aussi proposés aux petits Français en langue vivante 1.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Revenons à l’allemand : après vous avoir répondu tout à l’heure sur mes objectifs pour la langue vivante 1, je souhaite compléter avec ceux pour la langue vivante 2. Aujourd’hui, 487 000 collégiens apprennent l’allemand en langue vivante 2 à partir de la quatrième ; notre objectif est qu’ils soient 515 000 en 2016. Comme pour les objectifs que nous avons fixés pour la langue vivante 1 en primaire, nous allons scrupuleusement les respecter par une politique active, qui sera doublée d’une évaluation menée par un délégué ministériel à la promotion de l’allemand, ainsi que je l’ai annoncé.
Ce délégué ministériel à la promotion de l’allemand veillera notamment à ce que, dans toutes les académies, se développent les jumelages entre écoles françaises et écoles allemandes, car c’est la meilleure façon d’initier les petits Français à l’allemand.
J’ai eu l’occasion de dire tout cela à mon homologue, Olaf Scholz, le plénipotentiaire allemand en charge de ce sujet. Nous avons conclu la discussion en rappelant la nécessité réciproque de promouvoir la langue du partenaire de part et d’autre, lui-même reconnaissant que, sur la question de l’apprentissage du français comme langue vivante 1 en Allemagne, il y avait des efforts à faire. Nous veillerons donc à progresser tous les deux.
L’allemand n’étant pas menacé, qu’est-ce qui vous dérange dans le fait de mettre fin à des options dérogatoires ? C’est bien le fait d’offrir à tous les collégiens ce qui jusqu’à présent n’était réservé qu’à quelques-uns ; je vous confirme que c’est le sens même de la réforme !
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
La parole est à Mme Geneviève Gosselin-Fleury, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Ma question s’adresse au ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique ; j’y associe ma collègue Marie-Hélène Fabre. En mars dernier, nous interrogions le Gouvernement à la suite de l’opération vérité du groupe AREVA sur la situation de ses comptes pour 2014. En effet, le groupe, qui est confronté à la plus grave crise de son histoire, ouvrira prochainement des négociations sur la gestion de l’emploi pour la période 2015-2017.
Depuis un mois et demi, AREVA a engagé, à la demande de l’État, des échanges approfondis avec EDF, afin de déterminer les contours possibles de la réorganisation de la filière nucléaire. Le plan de redressement a pour objectif de rétablir l’équilibre des comptes en 2018 et, ainsi, de restaurer la crédibilité de l’entreprise.
La direction a toutefois prévenu les partenaires sociaux que cette recapitalisation ne pourrait se faire qu’au prix d’une réduction des charges de personnel sur la période 2015-2017, évaluée à 15 % des charges totales de personnel en France. Ce plan social devra faire l’objet d’une concertation approfondie avec les organisations syndicales et les représentants du personnel.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser plus en détail le calendrier de ces négociations et les modalités de suppression de postes ? S’agit-il de non-remplacement de départs en retraite, de départs volontaires ou d’éventuels licenciements ? Enfin, pouvez-vous nous dire quel rôle l’État actionnaire entend jouer dans ce processus ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.
La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.
Madame la députée, vous avez raison de poser cette question importante. J’ai eu l’occasion, il y a quelques semaines, de recevoir les élus et les syndicats représentant La Hague, et nous verrons dans quelques semaines l’intersyndicale de l’entreprise AREVA.
Comment en sommes-nous arrivés là ? D’abord, pendant trop d’années, la filière nucléaire n’a pas été organisée et l’État actionnaire a laissé plusieurs acteurs jouer les uns contre les autres. Telle est malheureusement la triste réalité, dont nous sommes en train de payer les résultats.
La deuxième cause de cette situation tient au changement très profond du marché énergétique mondial après Fukushima et après le choix brutal de certains pays de revenir sur les décisions qui avaient été les leurs dans ce domaine. Le marché mondial a profondément changé et AREVA se trouve confronté à une situation qui l’oblige à change sa stratégie.
Notre action passe par trois leviers. Le premier – c’est tout le sens du travail que nous conduisons avec Ségolène Royal et Michel Sapin auprès du Premier ministre – consiste à oeuvrer à la refonte de la filière nucléaire.
On ne le fera pas en un jour, cela va encore prendre du temps – nous comptons le faire d’ici à l’été –, mais ce n’est pas du mécano : nous avons enfin une vraie stratégie et demandons que la filière nucléaire soit organisée sur le plan commercial, industriel et à l’international. Cela passera par des recompositions, par l’adossement de tout ou partie de la filière réacteurs d’AREVA et par un travail en profondeur dans ce secteur.
Deuxième levier : l’État prendra ses responsabilités en tant qu’actionnaire, y compris pour les recapitalisations, en temps voulu ; nous l’avons dit depuis le début.
Troisième levier : si AREVA doit également prendre ses responsabilités, en aucun cas les salariés ne seront les victimes des errements du passé. Il n’y aura donc aucun licenciement sec : nous nous y sommes engagés.
Les sites de production seront préservés, de même que leur sûreté.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.
La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt-cinq, sous la présidence de M. Denis Baupin.
La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur Alain Tourret, messieurs les députés, nous sommes amenés à nous exprimer sur la proposition de loi rédigée par la sénatrice Françoise Laborde visant à étendre l’obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs et à assurer ainsi le respect du principe de laïcité.
Il ne s’agit pas aujourd’hui de recommencer les grands débats qui ont abouti à l’affirmation de la laïcité comme valeur fondatrice de notre République, même si j’ai conscience que cette perspective puisse être tentante. La laïcité est une belle valeur, elle est la nôtre. Chaque parlementaire a, quotidiennement, dans l’exercice de son mandat, à coeur de la porter et de la défendre.
Alors que notre pays a plus que jamais besoin d’unité, la laïcité doit être pour nous une valeur d’apaisement et de rassemblement. Je souhaite donc que le débat que nous allons mener dans les heures à venir soit empreint de sobriété et de responsabilité, qu’il ne provoque pas la surenchère et qu’il respecte l’objet du texte que nous allons examiner ensemble.
L’objet de cette proposition de loi est bien de clarifier le principe de neutralité religieuse au sein des établissements accueillant de jeunes enfants, parce que le besoin s’en est fait sentir, parce qu’il faut répondre aux évolutions et aux mutations de notre société et en tirer les conséquences dans la loi.
La laïcité est une valeur contemporaine. Elle est un principe fort, historiquement marqué et vivant. Je dirais même qu’il nous incombe de la faire vivre. C’est ce que fait la loi de 2004 en encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. C’est ce que nous faisons aujourd’hui.
Pour cela, nous avons un socle, un texte fondateur : la loi de 1905 de séparation de l’Église et de l’État.
Les débats que cette loi a occasionnés ont été, vous le savez, très vifs. Ils ont vu s’affronter différentes conceptions de la laïcité, dont certaines ne faisaient pas preuve d’une grande tolérance à l’égard des religions. Mais ce n’est pas cette conception qui s’est traduite dans la loi. La laïcité, telle que notre République l’arbore depuis plus de cent ans, c’est celle de Jaurès et de Briand.
C’est une laïcité qui n’est pas sourde à la religion, aux religions ; une laïcité qui repose sur deux piliers, dont il est bon de rappeler qu’ils sont indissociables. Le premier est la liberté de conscience pour chaque citoyen, c’est-à-dire la liberté de croire ou de ne pas croire, de pratiquer, un peu, moins ou pas du tout, et, pour celui qui croit, la garantie de pouvoir exercer librement son culte. Le second est la neutralité religieuse de l’État.
La neutralité religieuse de l’État se traduit, dans la mise en oeuvre du service public, par la neutralité des agents du service public dans leurs propos, dans leurs comportements, et par l’absence de signes ostentatoires. L’État s’est doté, notamment par la loi, de moyens, de règles pour s’assurer que ses agents demeurent les garants de cette neutralité religieuse.
Les crèches, qui constituent pour le Gouvernement une priorité de la politique de la petite enfance, dans le cadre d’un soutien affirmé aux familles, en sont un lieu.
L’accueil collectif demeure la solution d’accueil que les parents souhaitent majoritairement privilégier, parce qu’elle représente une première expérience de socialisation avant l’entrée à l’école maternelle. Le Gouvernement a d’ailleurs souhaité accorder une place importante à l’accueil collectif, en renforçant le soutien financier de la branche famille à la création de nouvelles places en crèches et en décidant notamment l’octroi de 2000 euros supplémentaires pour toute place dont la création est programmée en 2015.
Il y a quelques années, l’accueil collectif des jeunes enfants relevait quasi exclusivement du service public ; mais progressivement, de nombreuses structures associatives et privées se sont développées. Parce qu’ils répondent à un besoin, ces établissements associatifs ou privés bénéficient, pour une très grande partie d’entre eux, de financements publics, qu’il s’agisse d’aides à l’investissement ou au fonctionnement, qu’ils émanent des communes, des conseils généraux, de la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, ou lorsque la caisse d’allocations familiales – CAF – leur verse une prestation de service unique, la PSU.
Ce développement du secteur privé, associatif ou commercial, s’est accompagné de l’émergence dans ce secteur des questions liées à la neutralité religieuse. Nous avons tous en mémoire l’histoire de cette crèche privée, gérée par l’association Baby Loup, dont la directrice adjointe portait le foulard dans l’exercice de son activité professionnelle alors que le règlement intérieur de la crèche ne le permettait pas. Les négociations avec l’employeur n’avaient pas permis de résoudre la situation et la salariée avait été licenciée. Il s’ensuivit cinq années de procédure judiciaire, qui ont finalement abouti à l’arrêt du 25 juin 2014 de l’assemblée plénière de la Cour de cassation, retenant que le licenciement était justifié.
C’est dans ce contexte que s’inscrit cette proposition de loi. En effet, cette initiative parlementaire a débuté son cheminement à un moment marqué par une incertitude juridique. Elle arrive à l’ordre du jour de votre assemblée alors que la jurisprudence Baby Loup a été rendue.
En quelque sorte, les amendements que vous avez déposés viennent parachever très utilement cette procédure juridique qui s’est conclue par un arrêt fondateur. Votre amendement à l’article 1er, monsieur le rapporteur, dont le Gouvernement souhaite l’adoption, adresse un message très puissant qui consolide cette jurisprudence sensible. Il consolide le droit, protège le juge et renforce la lisibilité de l’arrêt de principe de la Cour de cassation.
Dans ces conditions, le Gouvernement ne pourra être que favorable à ce que ce texte de loi poursuive son cheminement parlementaire.
En effet, l’interprétation du juge a toute sa valeur. Mais nous savons tous à quel point une jurisprudence peut être fragile, comment elle peut être balayée par un revirement. Exprimer clairement la volonté du législateur est d’une autre nature : c’est donner tout son sens à l’expression de l’intérêt général et à la loi. Ainsi, la proposition de loi rappellera que les établissements et services accueillant des enfants de moins de six ans, gérés par une personne morale de droit public ou par une personne morale de droit privé chargée d’une mission de service public, sont soumis à une stricte obligation de neutralité en matière religieuse.
De même, la proposition de loi prévoira que les établissements et services accueillant des enfants de moins de six ans qui ne relèvent pas du service public pourront apporter, dans les conditions prévues par le code du travail, des restrictions, de caractère proportionné, à la liberté de leurs salariés de manifester leurs convictions religieuses. Ces restrictions figurent dans le règlement intérieur ou, à défaut, de fait, dans les petites structures, dans une note de service. En tout état de cause, les activités des établissements et services, quel que soit leur statut, assureront le respect de la liberté de conscience des enfants.
Le texte dont nous débattrons aujourd’hui répond à deux objectifs : celui de la clarté, et de la mise en cohérence de la loi avec les principes qui existent déjà ; celui de la sécurisation, afin de conforter la jurisprudence de la Cour de cassation, la jurisprudence Baby Loup ainsi qu’on la dénomme aujourd’hui. La raison d’être de la laïcité est de rassembler, non de diviser. La laïcité, comme l’a dit le Premier ministre lors d’un déplacement à Strasbourg en mars dernier, c’est l’apaisement. Je ne doute pas que le texte que vous voterez participera à cette belle définition de la laïcité.
La parole est à M. Alain Tourret, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, l’ADN des radicaux de gauche, c’est la laïcité depuis 1905, depuis l’esprit des Lumières, depuis toujours ! Les radicaux, c’est toute la laïcité : la laïcité tolérance, la laïcité de combat, la laïcité de consensus, la laïcité d’intégration à la République. Être laïc, ce n’est pas s’attaquer à l’islam, ce n’est pas l’islamophobie, ce n’est pas s’attaquer aux églises, ce n’est pas s’attaquer aux religions du Livre.
Être laïc, c’est d’abord être fier d’être Français, puisque la laïcité est inscrite à l’article 1er de la Constitution de notre République. Être laïc, c’est le libre arbitre, c’est la libre pensée, c’est la supériorité de l’esprit et de sa liberté sur toutes les croyances. Cette laïcité que je porte, c’est celle de Georges Clemenceau, celle d’Émile Combes. Il n’est dès lors pas étonnant que les radicaux se soient toujours battus, en dépit de tout, pour faire passer un texte de principe portant sur la jeunesse de notre pays. Ce que je porte, je sais que d’autres le portent aussi, cher Jean Glavany !
La présente proposition de loi trouve son origine dans le dépôt d’un texte au Sénat, le 25 octobre 2011, par Mme Françoise Laborde et les membres du groupe RDSE. Après avoir été profondément remaniée par la commission des lois du Sénat, en particulier avec l’aide d’Alain Richard, elle a été adoptée en première lecture le 17 janvier 2012. Le 4 mars dernier, la commission des lois de notre assemblée l’a adoptée à son tour, en y apportant un certain nombre de modifications. Dans le contexte actuel de la montée des communautarismes, ce texte se veut un facteur d’unité nationale et de sécurité juridique. Il a l’ambition de s’inscrire dans le prolongement de notre grande loi fondatrice du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, et plus précisément de la conception d’une laïcité conciliant la liberté de conscience, le pluralisme religieux et la neutralité de l’État.
Le double principe selon lequel la République « ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte », mais « garantit leur libre exercice » et « assure la liberté de conscience » réunit en effet la grande majorité de nos concitoyens. Ceux-ci sont attachés à l’égalité de tous devant la loi, sans distinction d’origine, de race ou de religion, ainsi qu’à la nécessité pour l’administration, donc pour l’État, d’offrir toutes les garanties d’une neutralité dont les usagers ne puissent en aucun cas douter, ce qui exclut la manifestation de convictions religieuses et le port de signes religieux dans le cadre du service.
Au service de la paix et de la concorde entre tous les Français, quelles que soient leurs convictions, la présente proposition de loi se veut aussi garante de la sécurité juridique. Le renforcement de l’application des principes de laïcité et de neutralité exige aujourd’hui de recourir à la loi. Le droit est flexible, la jurisprudence l’est également, mais la loi est incontestablement inflexible.
Les solutions adoptées par la jurisprudence en la matière n’ont en effet ni la solidité ni la pérennité souhaitables. Vous avez eu raison de le rappeler, madame la secrétaire d’État : une jurisprudence remplace une autre jurisprudence.
L’application de ces principes à l’État, aux collectivités territoriales et aux services publics est depuis toujours – le professeur Schwartzenberg le sait mieux que quiconque – posée par la jurisprudence administrative. Les derniers arrêts, qui ont repris cette vieille jurisprudence, vont en ce sens : celui du 3 mai 2000 et celui du 23 février 2006. Mais il a fallu attendre le fameux arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 19 mars 2013, dit CPAM de Seine-Saint-Denis, pour que soit clairement affirmée l’application de ces principes aux organismes de droit privé chargés d’une mission de service public.
Reconnaissons-le : le cas des personnes morales de droit privé qui se trouvent proches de la sphère publique, notamment parce qu’elles accomplissent une mission d’intérêt général, sans pour autant en faire partie, a suscité quelques difficultés. La possibilité pour ces personnes morales, telles que les structures d’accueil de la petite enfance, de limiter la liberté de leurs salariés de manifester leurs convictions religieuses, notamment par le biais de leur tenue vestimentaire, a été très fortement contestée. En témoigne la fameuse affaire Baby Loup, dont il est bon de rappeler à grands traits le déroulement.
Le 13 décembre 2010, le conseil de prud’hommes déboute la salariée qui avait attaqué en justice après avoir été licenciée. Il juge que la crèche assure « une activité de service public », compte tenu de son financement très largement public. Le 27 octobre 2011, la cour d’appel de Versailles confirme le jugement prud’homal. Elle estime que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. Elle relève qu’en l’espèce, les restrictions à la liberté d’expression confessionnelle sont prévues dans les statuts et que les enfants accueillis « n’ont pas à être confrontés à des manifestations ostentatoires d’appartenance religieuse ».
Le 19 mars 2013, la chambre sociale de la Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel de Versailles. Elle souligne que l’association ne gère pas un service public. Elle considère que la clause de laïcité et de neutralité prévue par les statuts était trop générale et trop floue pour tenir en échec l’exercice de la liberté religieuse. Le licenciement en cause est par conséquent considéré comme nul. L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Paris. Le 27 novembre 2013, celle-ci résiste à la Cour de cassation, après des observations remarquables du procureur général. Suite à cela, l’assemblée plénière de la Cour de cassation est saisie. Le 25 juin 2014, elle rejette le pourvoi formé contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris.
Mais il faut étudier avec beaucoup d’attention les attendus de la Cour de cassation et de la Cour d’appel de Paris. Celle-ci avait retenu le principe de l’entreprise de conviction. Se fondant sur les dispositions du règlement intérieur, elle juge que la crèche pouvait restreindre la liberté de ses salariés de manifester leur religion, en raison de la nature des tâches accomplies par ceux-ci.
Les multiples rebondissements qu’a connus cette procédure judiciaire montrent qu’en l’état du droit, s’agissant de l’application du principe de neutralité dans les structures d’accueil de la petite enfance à statut privé, tout est particulièrement incertain. Si les règles juridiques actuelles suffisaient, on ne voit pas pourquoi il aurait fallu, pour arriver à trancher la question, pas moins de quatre années et de cinq décisions judiciaires invoquant à chaque fois des motifs différents. Il convient de relever, à ce propos, que l’arrêt de l’assemblée plénière du 25 juin 2014 ne saurait s’analyser comme un arrêt de principe, mais bien plutôt comme un arrêt d’espèce, ce qui est assez contradictoire. Il apparaît donc indispensable d’apporter de la sécurité juridique dans une matière où elle fait défaut. Telle est la visée de la présente proposition de loi.
Il fallait tout d’abord qu’il y ait un texte. Il a fallu affronter l’Observatoire de la laïcité, qui ne voulait aucun texte, et la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, qui n’en voulait pas davantage.
Il a fallu les convaincre, et l’un et l’autre, de la nécessité d’un texte – et cela n’a pas été facile. Je remercie tous ceux qui y ont contribué. C’est dans cet esprit que la commission des lois de l’Assemblée nationale a adopté un certain nombre d’amendements au texte. Celui-ci comporte aujourd’hui six articles, dont quatre n’ont qu’une valeur purement rédactionnelle ou de coordination.
L’article 1er, modifiant le code de la santé publique, définit le régime juridique des établissements et services accueillant des enfants de moins de six ans – et non pas « en voie de scolarisation », ce qui aurait ramené l’âge limite à trois ans –, c’est-à-dire des crèches et des haltes garderies, au regard du principe de neutralité, en distinguant trois situations : ceux qui bénéficient de « financements publics destinés à soutenir leur activité d’accueil » sont soumis à une obligation de neutralité en matière religieuse ; ceux qui n’en bénéficient pas n’y sont pas soumis, mais peuvent apporter, dans leur règlement intérieur ou dans une note de service, des restrictions à la liberté d’expression religieuse de leurs salariés au contact d’enfants ; enfin, ceux qui se prévalent d’un « caractère propre », c’est-à-dire d’un caractère religieux, ne sont, par définition, pas soumis à une obligation de neutralité. Toutefois, lorsqu’ils bénéficient de financements publics, ils doivent accueillir tous les enfants, sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances de leurs représentants légaux ; leurs activités doivent assurer le respect de la liberté de conscience des enfants.
La commission a adopté un amendement excluant du champ de cet article les crèches dites familiales, où l’accueil des enfants se fait essentiellement au domicile des assistants maternels. Elle a également substitué l’expression de « financements publics » à celle d’ « aide financière publique », jugée excessivement large. Ce dispositif ne me paraît toutefois pas pleinement satisfaisant, notamment parce que le critère de « financements publics » n’est pas, lui non plus, dépourvu d’ambiguïté. Je vous proposerai à la place un dispositif légèrement différent, que je peux résumer en disant qu’il consacre dans la loi les règles posées par la jurisprudence, tant administrative que judiciaire, en matière d’application du principe de neutralité dans les établissements et services accueillant des enfants de moins de six ans, tout en insistant sur le respect de la liberté de conscience des enfants.
L’article 2, créant un nouvel article au sein du code de l’action sociale et des familles, porte sur les centres de vacances et de loisirs accueillant des mineurs. Il établit lui aussi une distinction entre trois situations possibles. Compte tenu de la grande diversité des personnes morales concernées – accueils avec hébergement, accueils sans hébergement ou accueil de scoutisme d’au moins sept mineurs avec et sans hébergement –, la commission des lois a jugé sage de renvoyer à un décret en Conseil d’État la détermination des conditions d’application de ce nouvel article, afin de permettre une modulation des conditions de mise en oeuvre du principe de neutralité en fonction du mode d’accueil collectif concerné.
Toutefois, il ne me paraît pas satisfaisant d’instaurer un régime qui se veut général, tout en laissant au pouvoir réglementaire le soin d’en fixer les conditions d’applicabilité pour chaque mode d’accueil. C’est pourquoi, au vu de la très forte diversité que je viens d’évoquer et de l’impossibilité de trouver un certain consensus, j’ai pensé qu’il était préférable de ne pas aller plus loin dans le cadre de l’article 2.
L’article 3, dans la version du texte issue du Sénat, a été supprimé par la commission des lois, comme je le souhaitais.
Notre société est en proie à une perte de repères et à des tensions de type communautariste parfois instrumentalisées. Face à cela, il nous revient, en notre qualité de législateur, de poser avec fermeté et respect les conditions d’une clarification juridique, dont l’affaire Baby Loup et les circonstances qui l’ont entourée ont montré la nécessité et l’urgence.
La présente proposition de loi n’aborde certes ni les entreprises, ni l’université, ni d’autres domaines encore où se posent chaque fois des problématiques différentes. On peut le regretter. Mais il fallait d’abord obtenir un premier texte, une première loi, quand tant de personnes s’y opposaient. Aujourd’hui, cette proposition de loi présente le mérite de porter sur les structures accueillant les plus vulnérables d’entre nous, c’est-à-dire les enfants, nos enfants. Ceux-ci ne doivent en aucun cas devenir les otages de comportements provocateurs ou contraires aux impératifs du vivre ensemble. La présente proposition de loi contribuera à les protéger contre de tels risques. C’est pourquoi je vous invite à l’adopter.
Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC et UDI.
J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.
La parole est à M. Éric Ciotti.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’article 1er de notre Constitution prévoit que la République française est laïque et qu’elle respecte toutes les croyances. Ce principe de laïcité constitue un principe fondateur de notre pays et de son organisation institutionnelle.
Loin d’être le ferment de divisions prônées ou du moins imaginées par certains, la laïcité représente bien au contraire, aujourd’hui, un puissant facteur de rassemblement de notre société. Elle n’impose pas de reniement de la part des individus. Elle leur impose seulement de confiner à la sphère privée ce qui relève de leurs croyances religieuses, ce qui relève de l’intime, et de ne pas l’opposer à ceux qui ne partagent pas leur appartenance religieuse. Sans le respect de la laïcité, il ne peut y avoir dans notre pays de cohésion nationale.
Cette laïcité à la française est certes le résultat d’une histoire tumultueuse – rappelons-nous les affrontements du début du XXe siècle. Mais certaines pratiques religieuses récentes soulèvent de nouvelles questions, posent de nouveaux défis auxquels il nous revient de répondre. Cent dix ans après l’adoption de la loi de 1905 portant séparation de l’Église et de l’État, les positions sont toujours virulentes. Alors même que les pressions religieuses semblaient canalisées depuis plusieurs décennies, les revendications, les exigences communautaristes se multiplient hélas, y compris lorsqu’il s’agit d’enfants en bas âge, plus particulièrement objets de cette proposition de loi.
Après les attentats de janvier dernier qui ont visé le coeur même des valeurs de la République, des millions de Français ont exprimé leur attachement viscéral au principe de laïcité. Or, nous devons le déplorer : cette laïcité, à laquelle nous sommes attachés, représente aujourd’hui une valeur menacée que nous avons le devoir de défendre. Nous devons pour cela, mes chers collègues, engager une lutte farouche contre toutes les formes de communautarisme. Plus que jamais, face à l’expression des revendications communautaristes, la laïcité s’impose. Mais la laïcité est un combat permanent, qui n’est jamais tout à fait gagné. Quelles que soient nos convictions, nos croyances, nous avons reçu l’héritage de Voltaire et des Lumières, et plus encore celui des grands républicains. Je pense à Léon Gambetta ou à Jules Ferry, et à leur combat pour offrir une instruction publique et laïque au plus grand nombre ; je pense à Clemenceau et à son combat pour distinguer ce qui relevait des Églises et ce qui relevait de l’État ; je pense aux efforts constants, depuis la loi de 1905, pour faire vivre la laïcité tout en réconciliant les Français – car la laïcité n’est pas, notre rapporteur l’a rappelé, une opposition aux religions, mais bien la définition d’un espace public de pluralisme et de tolérance qui permet à chacun de s’exprimer dans le respect des autres, en évitant d’imposer à autrui son appartenance religieuse.
C’est cette construction, si spécifique à notre histoire nationale, mais en même temps universelle, puisqu’elle permet la coexistence apaisée de tous sans considérations de croyance ou d’opinion, que nous devons promouvoir.
Pourtant, j’entends la tentation de certains de renoncer à ces principes fondamentaux, et en premier lieu à celui selon lequel la République ne subventionne aucun culte. Face aux pressions communautaristes, face aux pressions d’intérêts locaux, face aux pressions d’intérêts particuliers, certains revendiquent le financement public de salles de prière ou de lieux de culte… Mais est-ce à l’État et aux collectivités de prendre en charge la construction de lieux de culte ?
Personnellement, comme Jacques Myard, je ne le crois pas. J’entends la tentation de certains de renoncer à lutter contre le port ostentatoire de signes religieux, notamment contre le port du voile, sujet prégnant depuis un quart de siècle, depuis l’affaire de Creil en septembre 1989. Faute d’avoir fixé des règles suffisamment claires sur le vivre-ensemble, nous avons pensé que les difficultés se régleraient d’elles-mêmes avec le temps. Erreur tragique ! La situation n’a fait que s’aggraver.
J’entends aussi la tentation de certains de renoncer à lutter contre les revendications communautaristes, au prix d’accommodements supposés raisonnables mais qui ne visent qu’à gagner un peu de répit en achetant la paix sociale… Quelle lâcheté ! Il faut bien comprendre que nous faisons face à un combat de valeurs, qui se perd à chacun de ces renoncements ! Ceux pour qui la religion commande toute l’existence dans ses aspects spirituels, temporels, juridiques, alimentaires, accroissent autant que possible leurs revendications tant qu’ils ne rencontrent pas de limites. La borne que nous devons leur opposer porte le beau nom de laïcité. C’est elle qui nous permet de vivre dans une société harmonieuse, mais c’est aussi elle qui aujourd’hui est attaquée. Force est en effet de constater que les coups de canif à son encontre se multiplient. Certaines pratiques récentes soulèvent des questions. Ainsi, dans le monde du travail, des revendications nouvelles apparaissent. À cet égard, l’enquête réalisée le mois dernier par l’institut Randstad et l’Observatoire du fait religieux en entreprise montre que 23 % des managers font face régulièrement à la question du fait religieux au travail. Le chiffre n’était que de 12 % en 2014 : il a presque doublé en une année. Les situations de conflit ont triplé en deux ans, pour atteindre 6 %. Nous ne pouvons pas laisser la situation se dégrader encore plus. Il est de notre devoir en tant que législateur de faire évoluer le cadre légal et d’apporter des solutions au fur et à mesure que les problèmes se posent et, hélas, s’amplifient.
Face à ces dérives, votre gouvernement, madame la secrétaire d’État, n’a pas été – j’ai le regret de vous le dire – à la hauteur des attentes des Français et d’enjeux aussi importants. Son attitude est même l’inverse : il entretient la confusion. Nous avions pris au contraire, lorsque nous étions dans la majorité, nos responsabilités.
C’est ce que nous avons fait en 2004, cher Jean Glavany, en interdisant le port de signes religieux ostensibles à l’école.
C’est aussi ce que nous avons fait en 2010, en interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public. Ce sont des faits objectifs. Le Gouvernement et le Parlement de l’époque ont été au rendez-vous des attentes des Français en exprimant leur attachement aux valeurs de la République et de la laïcité, en refusant de céder aux communautarismes.
S’agissant de Baby Loup, j’avais défendu une proposition de loi au nom de mon groupe, et je regrette que, là aussi, vous vous y soyez opposé, monsieur Glavany : vous étiez présent, le compte rendu en fait foi.
L’attitude du Gouvernement entretient la confusion, disais-je, car elle n’est pas claire.
Pour défendre la laïcité, il faut être intransigeant sur les principes, ferme sur la rédaction législative et vigilant sur leur application ; bref, tout ce qu’il vous manque, madame la secrétaire d’État, puisque votre gouvernement adopte l’attitude inverse. Le Président de la République, lors de la campagne présidentielle, avait assuré que sous sa présidence, « il n y aurait aucune dérogation en matière de laïcité » car « les religions doivent rester à leur place ». Il avait ainsi promis d’inscrire les deux premiers articles de la loi de 1905 dans notre Constitution. Bien entendu, rien n’a été fait.
Venons-en à l’attitude de votre gouvernement : il a choisi d’ignorer les avis du Haut conseil à l’intégration de 2011 et de 2013, et même certaines voix dissidentes au sein de sa majorité, voix dont je salue la lucidité, le courage et la pertinence. Toutes sont unanimes : il faut renforcer l’application du principe de laïcité en France, dans l’intérêt même de la cohésion nationale.
Le texte qui nous réunit aujourd’hui, mes chers collègues, a été précédé par une proposition de loi relative à la neutralité religieuse dans les entreprises et les associations que j’ai eu l’honneur de déposer et de soutenir ici même, au nom de mon groupe, lors d’une séance d’initiative parlementaire en juin 2013. Ce texte faisait suite à l’affaire Baby Loup dont notre rapporteur s’est saisi.
J’avais évoqué à l’époque la situation de cette crèche associative, dirigée par Nathalie Baleato, une réfugiée chilienne qui l’avait créée dans ce quartier de Chanteloup, et qui a dû le quitter, soumise aux pressions et même aux violences communautaristes. La République, par lâcheté, a reculé, le Gouvernement ne l’a pas soutenue…
...y compris dans le financement de la crèche. Je peux également, parmi les renoncements, rappeler les propos du Premier ministre actuel quand il était ministre de l’intérieur, jugeant alors digne d’intérêt la proposition visant à limiter le port du voile à l’université. Il s’est contredit quelques années plus tard en affirmant que l’interdiction du voile à l’université n’était absolument pas d’actualité, contredisant par là même sa secrétaire d’État Pascale Boistard.
De même, et quel meilleur exemple malheureusement de renoncement, parmi ces petites ou ces grandes lâchetés face au communautarisme, que le texte qui nous est soumis aujourd’hui et qui relève d’une initiative opportune que nous avons envie de soutenir, ne l’ait pas été comme il était prévu – vous le savez bien, monsieur le rapporteur – le 12 mars dernier. Sous la pression de l’Élysée, son examen a été reporté, parce qu’il aurait précédé les élections départementales et que le Gouvernement ne voulait pas envoyer un message négatif à certaines communautés, à certains groupes de pression. Oui, cette majorité est prisonnière de la vision communautariste de certains, vision que font leur des parlementaires de la majorité – même si, je le concède bien volontiers, elle n’est pas partagée par tous.
Mes chers collègues, il faut aujourd’hui changer d’attitude. La vérité est claire : vous n’avez pas choisi entre la laïcité et le communautarisme.
La décision du 25 juin 2014 de l’assemblée plénière de la Cour de cassation, reconnaissant la validité du licenciement de la salariée de Baby Loup, a pourtant montré toute l’acuité du débat en nous incitant à prendre nos responsabilités.
Cet arrêt, bien que salvateur, ne règle pas toutes les difficultés. Il s’agit d’un arrêt d’espèce, fondé sur les spécificités du règlement intérieur de la crèche Baby Loup, plutôt que d’un arrêt de principe.
Dans ce contexte, nous aurions dû appréhender ce texte comme l’occasion de faire une loi ambitieuse et courageuse sur la laïcité. Les Français attendent de nous une telle attitude. Selon un sondage réalisé par l’institut IFOP en février dernier, nos concitoyens considèrent la laïcité comme la valeur la plus importante de la République, devant même le suffrage universel. En 2013, 84 % d’entre eux affirmaient être opposés au port de signes religieux ostensibles par des femmes travaillant dans des lieux privés accueillant du public, comme les commerces, les supermarchés, les cabinets médicaux ou les crèches.
C’est pourquoi il nous revient à nous, législateurs, de fixer un cadre juridique précis et général, et tel est l’enjeu du texte que nous examinons ce soir. Le principe de laïcité ne se divise pas – il ne peut pas se diviser : il doit s’appliquer de la maternelle à l’enseignement supérieur, car la laïcité est une et indivisible. Le milieu scolaire et les enfants doivent être particulièrement préservés ; l’école doit être cette « forteresse » que voulait Jean Zay.
La loi du 15 mars 2004 a contribué à réduire les contentieux dans les établissements d’enseignement primaire et secondaire ; elle a également permis de réaffirmer le principe de neutralité dans tous les établissements scolaires. Il est indispensable d’élargir le champ de cette loi aux parents d’élèves accompagnant les sorties scolaires. Contrairement à la ministre de l’éducation nationale, nous pensons que la laïcité ne doit souffrir d’aucune exception, en particulier lorsque des enfants sont concernés.
Le même flou juridique existe s’agissant des collaborateurs occasionnels du service public dans le cadre d’un service d’accompagnement scolaire d’une mairie. Avec la réforme des rythmes scolaires, les jeunes élèves sont davantage en contact avec eux. Il faut donc leur interdire le port de signes ostentatoires lorsqu’ils encadrent des enfants.
Parallèlement, nous assistons depuis quelques années à une montée des revendications religieuses et communautaristes dans l’enseignement supérieur. Dans certains établissements, les enseignants sont empêchés de faire cours ou de traiter certains auteurs. En février dernier, un professeur de l’Université Paris-XIII a été suspendu car il refusait de faire cours devant une jeune femme voilée ; cela n’est pas tolérable. Un rapport de l’inspection générale de l’éducation nationale, cité hier soir par le journal Le Monde, décrit la situation scandaleuse et dangereuse dans cette université, où des menaces de mort ont été adressées à Samuel Mayol, directeur de l’IUT de Saint-Denis.
C’est vous qui êtes au pouvoir, depuis trois ans, monsieur Glavany, et c’est aujourd’hui que la situation se dégrade avec cette acuité !
Dans un projet d’avis de 2013, la mission « Laïcité » du Haut conseil à l’intégration recommandait que « dans les salles de cours, lieux et situations d’enseignement des établissements publics d’enseignement supérieur, les signes et tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse soient interdits ». J’ai en outre rappelé la position courageuse, opposée à la ligne gouvernementale, de la secrétaire d’État chargée des droits des femmes.
Enfin, la loi devrait plus largement affirmer le principe de laïcité dans tous les lieux qui régissent la vie publique. Tel était le sens de la proposition de loi que nous avions défendue en 2013 – je l’ai rappelé à l’instant.
Le texte qui nous est soumis aujourd’hui contient des dispositions intéressantes. J’en remercie le groupe radical, qui l’a présenté et le défend.
« Ah ! » sur les bancs du groupe RRDP.
Malheureusement, les amendements du rapporteur, qui lui ont sans doute été imposés – je vois qu’il acquiesce…
Sourires.
J’espère en tout cas que ces amendements ne seront pas adoptés. Je note que les membres du groupe RRDP sont nombreux, et nous nous associerons bien volontiers à eux pour nous opposer au « détricotage » du texte par la majorité soumise aux influences communautaristes.
Nous considérons que cette proposition de loi, qui vise à encadrer davantage le port de signes religieux ou la manifestation de croyances dans les crèches privées, est opportune et qu’il convient de la soutenir. Son article 1er prévoyait – j’en parle malheureusement au passé – que les crèches bénéficiant d’un financement public soient soumises à une obligation de neutralité en matière religieuse. Ce principe se serait appliqué à toutes ces crèches, qu’elles aient ou non prévu cette règle dans leurs statuts ou leur règlement intérieur. Les crèches privées ne bénéficiant pas d’un financement public auraient, quant à elles, été autorisées à apporter certaines restrictions à la liberté d’expression religieuse de leurs salariés, par une inscription dans le règlement intérieur. Enfin, les crèches privées à caractère religieux et les crèches confessionnelles auraient naturellement conservé la possibilité de se soustraire à ce principe de neutralité confessionnelle.
Une crèche pour les musulmans, une crèche pour les catholiques, une crèche pour les protestants, une crèche pour les juifs : voilà le communautarisme !
Non, ce n’est pas cela, le communautarisme ! La neutralité doit s’exprimer à travers le service public et dans le secteur privé, mais il peut exister des structures confessionnelles : c’est conforme à la Constitution. Nous ne nous opposons pas aux religions, mais nous ne voulons pas qu’elles imposent leurs règles à la République ! Pour moi, les lois religieuses ne seront jamais supérieures à celles de la République.
L’amendement du rapporteur visant à réécrire l’article 1er revient ni plus ni moins, vous en conviendrez, à vider le texte de sa substance.
À travers cet amendement, vous proposez d’inscrire dans la loi des règles d’ores et déjà posées par la jurisprudence administrative et judiciaire, et notamment par la Cour de cassation. Autrement dit, le texte n’aura plus aucune valeur ajoutée par rapport au droit existant.
L’article 2 prévoit d’appliquer ces règles aux centres de vacances et de loisirs ; comme pour les crèches seraient distinguées trois catégories de centres.
La rédaction de cet article méritait sans doute d’être améliorée, et son champ devait être précisé, notamment s’agissant des mouvements de jeunesse à caractère confessionnel, comme le scoutisme. Néanmoins, l’objectif visé était louable. S’il devait être adopté, l’amendement du rapporteur tendant à supprimer l’article achèverait de rendre le texte inopérant.
Mes chers collègues, nous devons aborder ce débat essentiel avec courage, lucidité et détermination. Élisabeth Badinter n’écrivait-elle pas en 1996 : « La laïcité est et demeure par principe une bataille, comme le sont l’école, la République et la liberté. Leur survie nous impose à tous une discipline, des sacrifices et un peu de courage » ? C’est à faire preuve de ce courage que je vous invite, madame la secrétaire d’État. Il est temps que le Gouvernement se réveille. « Personne, nulle part, ajoutait Élisabeth Badinter, ne défend la citoyenneté en baissant les bras avec bienveillance. »
Les écrits de Mme Badinter devraient vous inciter à la sagesse : vous devriez avoir la lucidité de reconnaître que cette proposition de loi manque de « corps » et de colonne vertébrale. La laïcité mérite une loi d’envergure, et c’est pourquoi nous souhaitons que ce texte fasse l’objet d’un travail plus approfondi en commission.
Nous serions prêts à le voter – du moins, nous étions prêts à le faire –,…
…car il proposait une réforme certes timide, mais néanmoins utile. Il mérite cependant ²une plus haute ambition, de plus amples approfondissements. Renvoyez-le en commission et traçons ensemble, entre républicains,…
…la ligne rouge que doivent respecter toutes les institutions de notre pays. Nous aurons ainsi fait, et bien fait, notre travail de parlementaires, au service de la République et de la France.
« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Monsieur Ciotti, vous êtes comme toujours intéressant, mais je pense qu’en la matière, vous vous trompez.
Vous êtes intéressant, parce que vous posez les problèmes. Incontestablement, la laïcité s’applique à bien plus qu’à la petite enfance – chacun l’admettra. On pourrait ainsi poser d’autres questions. Est-il normal, dans notre République, de voir les drapeaux entrer et s’incliner dans les églises ? (« Non ! » sur les bancs du groupe RRDP.) Est-il normal que la République délègue des ministres quand des personnes sont réputées saintes par le Vatican ? (« Non ! » sur les bancs du groupe RRDP.) Il y eut incontestablement par le passé – et cela ne concerne en rien l’islam – une certaine connivence avec la principale religion de ce pays. C’est cela aussi, la laïcité.
Deux possibilités s’offraient à nous. La première était de revenir, de manière bien plus large, sur la loi de 1905 – mais nous aurions alors pris un énorme risque, car celle-ci constitue, avec la loi de 1881, l’ADN de la République. Nous disposons de deux lois de liberté : l’une porte sur la liberté de la presse, l’autre sur la liberté de conscience. On ne devrait toucher à la loi de 1905 qu’en tremblant.
« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC.
Gardons la loi de 1905 en l’état, et ne procédons qu’avec beaucoup d’attention à d’éventuels compléments ou modifications de ce grand texte sur la laïcité.
Lorsque j’ai reçu la proposition de loi adoptée par le Sénat, je pensais que les choses seraient simples. Les sénateurs sont réputés sages et très bons juristes ; de surcroît, c’est un homme de grand talent, ancien ministre de la défense, qui avait été le rapporteur du texte. J’imaginais que tout se passerait bien – mais j’ai vite compris ce que c’était que vouloir toucher à la laïcité ! J’ai reçu des flèches, des balles et des seaux d’eau de tous côtés !
Sourires.
J’ai donc compris qu’il fallait faire extrêmement attention, et que nous aurions à choisir entre deux options. La première est celle que vous défendez, mais sur certains aspects de la laïcité seulement ; car il aurait fallu que vous déposiez au moins quarante amendements, monsieur Ciotti, tant la laïcité est intégrée à notre vie quotidienne.
…dans les lieux publics, là où l’on se promène, là où l’on s’amuse, voire au domicile personnel.
La laïcité recouvrant tout, il eût fallu envisager de tout reprendre. C’est une oeuvre que je n’étais pas capable de réaliser dans le cadre d’une proposition de loi. Ce serait plutôt l’oeuvre d’une législature – un jour, peut-être ? Deux à trois ans de réflexion, au moins, seraient en tout cas nécessaires, ainsi qu’une volonté de consensus, car on ne doit pas toucher pas à la laïcité si c’est pour mener un combat qui n’apporterait rien. La laïcité, si elle n’est pas portée par un consensus, risque d’être restrictive. Or elle ne peut l’être si elle veut, conformément à l’article 1er de la Constitution, constituer un modèle d’intégration dans la République. Il convient donc d’être extrêmement attentif à la manière dont on rédige la loi sur des sujets de cette nature.
La deuxième solution, c’est celle que je vous propose. Tout d’abord, disons-le, c’est une véritable révolution que de faire en sorte qu’il y ait un texte. Que m’a-t-on dit, en effet, monsieur Ciotti, lors de mes entretiens avec l’Observatoire de la laïcité ? « Pas de texte ! Jamais de texte ! » Pas de texte, donc, mais, au bout du compte, ils ont admis la légitimité de celui que je propose. Il en est allé de même avec la CNCDH. Que m’a dit Mme Lazerges ? « Pas de texte ! » Et, finalement, je suis quand même arrivé à faire admettre la nécessité de cette proposition de loi, que vous adopterez je l’espère à l’unanimité. Pourquoi donc ? Parce qu’il fallait recourir à la stratégie des petits pas, constituer l’une de ces majorités d’idées si chères à Edgar Faure, essayer de faire en sorte qu’un consensus soit possible sur un élément.
Pour parvenir au véritable accord que cela suppose, j’ai pensé proposer de reprendre la jurisprudence du Conseil d’État, vieille jurisprudence, il est vrai, pour la consacrer dans la loi. Et j’ai pensé qu’il était également nécessaire de reprendre dans le texte de cette proposition de loi la jurisprudence de la Cour de cassation, telle qu’elle ressortait de l’arrêt rendu par son assemblée plénière en 2014.
Voyez à quel point les magistrats ont hésité ! Non seulement ils ont hésité, mais ils ont tenté de trouver des justifications fondées sur des principes, en particulier avec cette notion d’entreprise de conviction – terme et conception qui existent dans notre droit, qu’ils ont adoptée dans un premier temps et rejeté dans un deuxième temps. Mesure-t-on à quel point il est difficile de parvenir à un consensus ? Si 95 % des Français veulent effectivement que l’on défende la laïcité – vous avez raison de le rappeler –, alors il faut un texte, un magnifique texte, un texte novateur, aussi beau que les dix commandements. Ce seraient les dix commandements de la laïcité.
Le rapprochement est peut-être hasardeux, mais c’est souvent par de belles formules que l’on fait progresser les idées.
J’ai donc pensé que cette stratégie des petits pas s’imposait. Nous avons beaucoup réfléchi, avec mon président de groupe, Roger-Gérard Schwartzenberg.
Ce n’était pas évident, en particulier sur l’article 2. J’ai été confronté à une levée de boucliers à laquelle je ne m’attendais pas de la part de certaines personnes ; le ministère de l’intérieur a appelé mon attention sur le fait que, compte tenu de la manière dont le texte était présenté, j’allais me mettre à dos toutes les organisations scoutes. C’est pourquoi ce que j’ai proposé est en retrait par rapport à ce qui a été adopté par le Sénat. J’avais aussi proposé de renvoyer à un décret en Conseil d’État, mais la légalité de cela était douteuse. Finalement, de légalité en légalité, d’illégalité en illégalité, j’ai préféré retirer cet article 2 qui ne faisait pas consensus et concentrer nos propositions sur l’article 1. Assurer la liberté de conscience des enfants, faire en sorte que ces derniers soient respectés, que les enfants de moins de six ans soient les principaux bénéficiaires, voilà qui est un progrès, et c’est ce que je vous propose ! On peut certes ricaner, dire que je détricote le texte, mais le simple vote de la loi est déjà un très grand progrès.
Et reprendre dans le texte la jurisprudence de nos deux plus hautes juridictions, le Conseil d’État et l’assemblée plénière de la Cour de cassation, est à mon sens un immense progrès.
Mais si, c’est un immense progrès ! Car il sera dès lors impossible aux magistrats de revenir sur ce qu’ils ont déjà décidé. Les magistrats doivent respecter la loi.
En revanche, aucun magistrat n’a à respecter une jurisprudence, puisque par définition, toute jurisprudence est amenée à être modifiée. Regardez les jurisprudences suscitées par les articles 1382 et 1384 du code civil, et vous comprendrez comment les choses les plus sûres, les plus certaines peuvent changer du jour au lendemain.
Il n’en va pas de même avec la loi. C’est là sa force. La force de la loi, c’est la force constructive, celle qui s’impose à tous et qui permet de réprimer ceux qui ne respectent pas la loi. C’est donc une loi de liberté que je vous propose.
C’est pourquoi je vous invite à rejeter la motion de renvoi en commission de M. Ciotti.
Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Nous en venons aux explications de vote sur la motion de renvoi en commission.
La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Je ne dirai pas de choses très distinctes de celles qu’a dites avec beaucoup d’efficacité Alain Tourret. Je considère que la laïcité est notre patrimoine historique, le patrimoine commun de ceux qui sont à gauche et de ceux qui sont à droite. Il n’y a pas de clivage entre nous quand il est question de ce principe fondamental. Il est à la base de la République et doit être respecté comme tel.
Je comprends très bien les observations de M. Ciotti, et j’ai écouté avec beaucoup d’intérêt son intervention. Comme l’a rappelé Alain Tourret, nous avons été la cible d’interventions diverses, qui n’étaient pas toutes marquées du sceau de l’enthousiasme, sur le texte initial. Je songe notamment à l’Observatoire de la laïcité, ainsi nommé, je dois le dire, à contre-emploi : étant donné le comportement qui est le sien, il devrait plutôt être baptisé, ou appelé, Observatoire de la foi... En outre, c’est un service du Premier ministre, et il n’est sans doute pas utile qu’un service du Premier ministre s’érige en juge de ce que fait le législateur, qui procède du suffrage universel. Mais là n’est pas l’essentiel.
L’essentiel, c’est que, même si son champ aurait pu être plus large, le texte comporte des affirmations importantes et donne une certaine fixité à une jurisprudence qui, par définition, peut être instable, aléatoire. Nous avons l’occasion d’inscrire dans la loi – je dirais même de graver dans le marbre de la loi – des principes qui n’y étaient pas jusqu’à présent. Au fond, ce serait la première loi sur la laïcité votée par le Parlement depuis celle, beaucoup plus importante, du 15 mars 2004, que nous avons d’ailleurs votée pratiquement tous ensemble, presque à l’unanimité.
C’est donc un petit pas pour nous… et je ne me souviens pas du reste de la citation, donc je n’en donne pas la fin, et, sensible aux objurgations du président de séance, j’en reste là.
Sourires.
Il ne s’agit pas tant d’objurgations que d’invitations, cher collègue, mais le règlement dispose que, dans le cadre de ces explications de vote, chaque orateur dispose de deux minutes.
La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe écologiste.
Nous ne voterons pas cette motion de renvoi en commission de notre collègue de l’UMP Éric Ciotti, que j’ai écouté attentivement.
Je profite de l’occasion, avant de revenir sur le fond dans le cadre de la discussion générale, pour vous le dire, monsieur Ciotti : nous devrions les uns et les autres, et peut-être particulièrement vous, faire preuve d’une certaine modestie et d’un peu de recul dans le propos. Le mouvement auquel vous appartenez, l’UMP, dont vous êtes l’un des responsables, voire l’un des piliers, a souvent une vision sélective de la laïcité ; il pratique souvent une défense sélective de la laïcité. Je ne renvoie pas là à l’histoire – je ne vous ferai pas l’injure de revenir sur les prises de position des députés qui siégeaient, il y a cent dix ans, sur le banc sur lequel vous siégez aujourd’hui. Mais tout le monde se souvient des propos de quelqu’un qui est aujourd’hui président de l’UMP. En tant que président de l’UMP, il aurait pu tenir ces propos, mais, à l’époque, il était Président de la République. Les Français gardent en mémoire ce qu’il avait dit sur la supériorité à ses yeux indépassable de l’homme de foi, du prêtre, sur l’instituteur.
Voilà qui relativise à tout le moins les propos que vous venez de tenir et la défense à laquelle vous vous livrez de la laïcité.
Je crois donc que votre motion était totalement inutile. Il faut passer à l’examen du texte. Pour ma part, je souhaite qu’un certain nombre d’amendements soient adoptés, et que la proposition soit clairement concentrée sur un objet. Je donnerai alors notre position. J’appelle donc à voter contre cette motion de renvoi en commission de l’UMP.
La parole est à M. Philippe Doucet, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Cher collègue Éric Ciotti, c’est un lâche qui va vous répondre, un endormi, un député parmi d’autres soumis aux influences communautaristes. Ce qui est gênant dans ce débat, monsieur Ciotti…
Non, vous nous visiez collectivement. C’est pourquoi je me permets de répondre pour le groupe SRC. J’ai cru comprendre que celui-ci – au hasard – était particulièrement visé.
Je vous invite à relire les discours prononcés par Aristide Briand lors de l’examen de la loi de 1905 et des amendements de 1907. Il parlait du sang-froid que nous devons garder lorsque nous examinons les questions de laïcité. Le moins que l’on puisse dire, c’est que dans ces propos excessifs, vous ne gardez pas votre sang-froid. Ce n’est pas avec ce type d’attaque que nous ferons progresser le débat public sur la laïcité.
Vous évoquez l’engagement non tenu du Président de la République. Mais si, pendant les dix ans où vous avez été au pouvoir, vous aviez avancé sur la voie d’une grande loi de la laïcité, quelle qu’en soit la forme, on s’en serait aperçu ! Notre collègue François de Rugy vient de rappeler quelle était la position de Nicolas Sarkozy à l’époque. On ne risquait pas d’avancer ! D’une certaine façon, il y a eu des débats contre la laïcité, lorsque vous avez abordé le thème de l’identité nationale.
Je vous ai écouté avec attention, monsieur Ciotti. Quand on a quelques heures de vol, même si on ne les a pas faites dans cet hémicycle, il en faut plus pour être déstabilisé.
Dois-je rappeler l’existence du concordat en Alsace-Moselle ? Voulez-vous que les députés UMP d’Alsace-Moselle viennent expliquer que nous ne respectons pas le concordat ? Nous avons donc un petit sujet, puisque nous avons deux systèmes dans la République, et qu’en 1919, nos prédécesseurs de la « chambre bleu horizon » ne sont pas revenus sur le concordat, quand ils ont eu à examiner l’extension éventuelle de la loi de 1905. Si nous n’étions pas, comme le rapporteur l’a évoqué, en train de revenir sur l’article 2, une partie de vos collègues n’auraient pas manqué de dire que nous attaquions les scouts, catholiques, protestants, etc.
De grâce – si je puis dire (Sourires) –, gardons donc notre sang-froid, et examinons la question sereinement, comme nos illustres prédécesseurs l’ont fait. Et, pour garder notre sang-froid, nous voterons contre cette motion de renvoi.
La parole est à M. Jacques Myard, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le président, chers collègues, il est évident que la laïcité est au coeur de la République, car c’est la règle qui permet de respecter la conscience de chacun. Il est clair qu’elle n’empêche pas la recherche de spiritualité, qui appartient également à chacun. Nous savons aussi que les dérives du communautarisme sont une négation même du vouloir vivre ensemble et de la République, et, de ce point de vue, nous sommes tous unis pour lutter contre elles, même s’il y a des nuances, et des traditions qu’il faut respecter.
Ce qui est problématique, avec vous, mesdames et messieurs du Gouvernement, c’est que bien que vous prétendiez défendre la laïcité, vous êtes toujours enclins, à travers la praxis, que vous connaissez bien, à faire le départ entre la théorie – la main sur le coeur, « nous défendons la laïcité » – et la pratique. Or, aujourd’hui, regardez les choses telles qu’elles sont : vous n’appliquez pas la loi sur l’interdiction du voile intégral.
C’est cela qui interpelle les Français ! Et le phénomène se démultiplie.
Vous savez très bien que vous n’avez pas voté cette loi, monsieur Glavany. Sur ce point précis, nous avons un désaccord. Moi, je l’ai votée ! J’ai même été à l’initiative de ce texte !
Il est clair qu’aujourd’hui, les Français s’interrogent. C’est cela, qui est en cause, c’est le départ, le hiatus entre votre théorie, vos positions, vos postures, et la réalité du terrain. C’est la raison pour laquelle nous vous disons : renvoyons le texte en commission et améliorons-le !
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
La parole est à M. Arnaud Richard, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Je suis très partagé sur cette motion. Tout d’abord, je tiens à saluer Alain Tourret pour son travail, et pour la conviction avec laquelle il l’a accompli. Il a pris la charge d’un texte provenant du Sénat, dont Alain Richard a été le rapporteur. Ce texte soulevait un certain nombre de questions lourdes. Certes, le Sénat légifère souvent mieux que nous, mais dans ce cas, il a laissé un certain nombre de sujets en latence.
Le rapporteur a voulu présenter une proposition de loi assez extensive ; avec les réactions des uns et des autres, il s’est rendu compte qu’il était peut-être allé un peu trop loin, parce que de proche en proche, des questions nouvelles se posent, ce que l’on n’avait pas perçu initialement. Je ne fais pas grief à M. le rapporteur du travail d’accommodement qu’il a accompli avec le Gouvernement et la majorité, en acceptant de retirer certains articles de cette proposition de loi pour se cantonner, en quelque sorte, à son article 1er – ce qui me convient très bien, puisque j’ai déposé la même proposition de loi en mai 2013. Cependant, il me faut remarquer que ce texte ne correspond plus à l’esprit de la proposition de loi initiale. C’est pourquoi il me paraîtrait normal que nous retournions en commission, pour que M. le rapporteur puisse exposer à nouveau l’ensemble de ses arguments concernant la proposition de loi initiale.
Je suis donc très partagé : pour ce qui concerne l’article 1er, je soutiens la proposition de loi, mais je constate que prise dans sa globalité, elle n’a plus le même sens qu’à l’origine. Je m’abstiendrai donc sur cette motion de renvoi en commission.
La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.
J’ai exposé clairement, tout à l’heure, la position du Gouvernement sur l’ensemble de ce débat.
Monsieur Ciotti, vous vous êtes inquiété de savoir si, après les difficultés qu’elle a connues, la crèche Baby Loup a été soutenue à la hauteur de ses besoins – indépendamment, d’ailleurs, des difficultés internes qu’elle a rencontrées. Je tiens à vous donner des éléments chiffrés à propos du soutien apporté à cette crèche par les pouvoirs publics. Le dossier est lui-même suffisamment compliqué, sans que l’on y ajoute une défaillance des pouvoirs publics ! La caisse d’allocations familiales, le conseil général, l’État…
Je reviendrai sur la commune. Au total, le soutien public à la crèche Baby Loup s’est élevé à 527 000 euros : c’est assez exceptionnel, mais Baby Loup est une crèche exceptionnelle, non à cause des difficultés qu’elle a connues dans sa gestion des ressources humaines, mais parce qu’elle est ouverte 24 heures sur 24. Elle a été amenée à déménager, et a été soutenue au moment de ce déménagement ; bref, elle a été largement soutenue.
Il faut ajouter que des engagements pris par la précédente municipalité de Conflans-Sainte-Honorine n’ont pas été tenus. La municipalité précédente s’était en effet engagée à verser 400 000 euros ; le conseil municipal récemment élu s’est contenté de 90 000 euros de subventions. Cela a probablement mis le budget prévisionnel de la crèche en difficulté.
J’insiste : cette crèche est soutenue. Le temps consacré par mon cabinet à l’accompagnement et au soutien de cette crèche, au suivi de ce dossier, ainsi qu’aux réunions tenues à l’initiative du préfet avec l’ensemble des élus locaux, doit représenter à peu près la charge de travail d’une collaboratrice à mi-temps.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous avons aujourd’hui à nous prononcer sur une proposition de loi déposée au Sénat, qui vise à étendre l’obligation de neutralité aux structures privées en charge de la petite enfance, et à assurer ainsi le respect du principe de laïcité – c’est ainsi que l’ont conçue ses auteurs.
Mes collègues ont eu l’occasion de rappeler avant moi que ce débat intervient au terme d’une très longue séquence à la fois juridique, médiatique et législative. Celle-ci a commencé avec ce que l’on a appelé l’affaire Baby Loup, du nom de cette crèche associative qui, en 2008, a licencié une de ses salariées au motif que celle-ci refusait d’ôter son voile sur son lieu de travail.
Elle s’est poursuivie sur le terrain du droit, puisque la salariée en question a saisi le conseil des prud’hommes ainsi que la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, avant que la cour d’appel de Versailles, la chambre sociale de la Cour de cassation, la cour d’appel de Paris et enfin l’assemblée plénière de la Cour de cassation se prononcent sur l’affaire. Des décisions parfois contradictoires se sont ainsi succédé, la dernière en date reconnaissant la validité du licenciement de cette personne. Enfin, si l’on peut dire, cette affaire s’est prolongée dans nos assemblées, puisque les sénateurs radicaux de gauche ont déposé une proposition de loi en octobre 2011, qui fut adoptée en première lecture au Sénat en janvier 2012.
Au cours de la procédure parlementaire, le texte dont nous sommes saisis aujourd’hui a sensiblement évolué – c’est un euphémisme ! Dans sa version initiale, il prévoyait que le respect de la neutralité figure parmi les qualifications professionnelles requises des personnes chargées de l’accueil des enfants de moins de six ans, et que l’obtention d’un agrément du conseil départemental pour les assistantes maternelles soit conditionnée à leur neutralité.
Lors de son examen au Sénat, le rapporteur a réécrit le texte, proposant un dispositif reposant sur trois régimes distincts. Premièrement, une obligation de neutralité pour les crèches bénéficiant d’une aide financière publique. Je vous fais remarquer, au passage, qu’il ne doit pas y avoir beaucoup de crèches dans notre pays qui ne bénéficient d’aucune aide publique. Il ne doit pas y avoir beaucoup de crèches à financement « 100 % privé », sans aide de la CAF ni des collectivités territoriales.
Deuxièmement, une possibilité de neutralité, précisée dans le règlement de l’établissement, pour les crèches ne bénéficiant pas d’aide financière publique – ce dernier cas, comme je l’ai dit, est sans doute rarissime. Troisièmement, une exemption de l’obligation de neutralité pour les crèches privées se prévalant d’un caractère religieux, ces établissements devant par ailleurs, lorsqu’ils bénéficient d’une aide publique, accueillir tous les enfants sans distinction d’appartenance, de croyance ou d’origine. On voit bien qu’il s’agit là de définir un régime d’exemption, car les dispositions initiales heurtaient des réalités qui, jusqu’à aujourd’hui, ne gênaient personne. En la matière, il faut savoir être pragmatique.
Cette proposition de loi prévoyait également la transposition de ces dispositions pour les centres de vacances et de loisirs, et l’obligation de neutralité pour les assistants maternels, sauf en cas d’accord entre l’employeur et l’employé précisé dans le contrat de travail. Elle allait donc vraiment très loin dans le détail. Lors des débats en commission des lois dans notre assemblée, la portée de ce texte a été réduite, puisque l’article 3, portant sur les assistants et assistantes maternels, a été supprimé à l’initiative des groupes socialiste et écologiste, avec l’aval du rapporteur.
Enfin, à la lecture des amendements déposés par le rapporteur pour cette séance, il apparaît que le champ d’application de la loi pourrait encore être restreint. Comme l’a dit Alain Tourret, l’article 1er se résumerait alors, en quelque sorte, à l’inscription dans la loi de la jurisprudence Baby Loup. L’article 2, quant à lui, serait supprimé.
Il est un peu délicat, dans ce contexte, de se prononcer sur un texte dont les contours, le périmètre, ne sont pas encore totalement définis. Pour le groupe écologiste, les choses doivent être claires : la proposition de loi, dans sa rédaction initiale – issue d’abord du Sénat, puis de la commission des lois de notre assemblée –, n’était pas satisfaisante. Je ne peux m’empêcher de relever, à ce stade, que nous jouons à fronts renversés : contrairement à notre réputation et à celle du Sénat, c’est nous qui tempérons les ardeurs sénatoriales, si je puis m’exprimer ainsi.
Nous critiquions la rédaction issue des travaux au Sénat, parce qu’elle proposait de passer d’une possibilité de neutralité à une obligation de neutralité pour les crèches bénéficiant d’aides financières publiques, c’est-à-dire presque toutes. Incontestablement, dans cette rédaction, ce texte ouvrait une brèche dans laquelle les tenants de la surenchère pourraient être tentés de s’engouffrer – M. Ciotti nous en a donné un exemple tout à l’heure. À cet égard, les amendements déposés par Éric Ciotti et ses collègues de l’UMP, qui visent à restreindre les manifestations de convictions religieuses des parents accompagnants les sorties et les voyages scolaires, sont à nos yeux de nature à créer une polémique stérile, inutile et dangereuse.
Il ne s’agit plus de laïcité, mais d’une forme de militantisme antireligieux dirigé – il faut le dire – contre une seule religion. Arrêtons de nous raconter des histoires et de tourner autour du pot : par ces amendements, ce sont nos compatriotes de confession musulmane que l’on cible, les femmes, les mères de famille qui veulent accompagner leurs enfants. Les enseignants ont déjà beaucoup de mal à trouver des parents d’élèves pour accompagner les sorties scolaires. Ces amendements compliqueraient donc la vie des établissements, et cibleraient une catégorie de mères d’élèves d’une façon tout à la fois inutile et vexatoire. Cela contribuerait plus à perturber le fonctionnement des sorties scolaires qu’à servir la laïcité !
Je partage, par ailleurs, les interrogations qui ont été formulées quant à la compatibilité de certaines dispositions du texte avec l’article L. 1132-1 du code du travail, qui interdit les discriminations, notamment religieuses, dans le recrutement ou durant l’exécution du contrat de travail.
Cependant, si les débats en séance conduisent à réécrire le texte pour limiter sa portée, de telle sorte qu’il se borne à inscrire dans la loi de la jurisprudence Baby Loup, le groupe écologiste y sera majoritairement favorable. Il est certes légitime de s’interroger sur la pertinence juridique d’une telle démarche, mais vous avez répondu, cher Alain Tourret, à ces interrogations. Si cette proposition de loi peut contribuer à préciser le droit et à donner davantage de clarté et de force au cadre juridique des crèches, alors nous la voterons.
Plus généralement, cette proposition de loi rappelle que le débat sur la laïcité n’est jamais clos, et qu’il faut le conduire avec sérénité, tolérance et précaution. Je suis tout à fait d’accord, sur ce point, avec les propos tenus tout à l’heure par Philippe Doucet, qui s’exprimait au titre des explications de vote sur la motion de renvoi en commission, au nom du groupe socialiste. Il a par ailleurs publié aujourd’hui une tribune à ce sujet dans le journal Libération. J’invite tous ceux de mes collègues qui ne l’ont pas déjà lue à le faire : elle est très intéressante, très claire.
La question de la laïcité doit être abordée avec sérieux, sérénité et prudence. Comme vous le dites, cher collègue, il faut faire de la pédagogie, car cette notion est encore souvent méconnue, mal connue, mal cernée, cent dix ans après l’adoption de la loi du 9 décembre 1905. Je ne peux m’empêcher de rappeler le rôle d’Aristide Briand – un Nantais, né dans un quartier situé dans la circonscription dont je suis l’élu – car il a su faire preuve, à l’époque, d’un certain esprit de compromis – pour lequel il a d’ailleurs été critiqué – dans un moment d’extrême controverse. La loi de séparation des Églises et de l’État n’a pas été adoptée dans la joie, la bonne humeur et la concorde générales. Elle a au contraire suscité au beaucoup de controverses. Aristide Briand, dans ce contexte, a fait preuve d’intelligence, de doigté et de savoir-faire dans son rôle de rapporteur de cette loi très importante.
Je rappelle, à cet égard, l’attachement indéfectible des écologistes au principe de laïcité. Je le dis et le répète, car nous sommes parfois attaqués injustement sur ce point : nous sommes très attachés à la laïcité, qui est au fondement de la vie en commun dans notre République.
L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. » Voilà qui est fort bien dit ! L’article 2 de notre Constitution, comme chacun le sait, rappelle aussi que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. » La laïcité fait donc partie de notre Constitution. Philippe Doucet a proposé de réfléchir à une Charte de la laïcité, qui serait intégrée à notre Constitution de la même manière que la Charte de l’environnement : cette proposition mérite d’être étudiée sérieusement, dans la durée.
En attendant, je le répète, si cette proposition de loi se limite à un objectif clair : éviter que ce qui s’est passé à la crèche Baby Loup puisse se reproduire dans d’autres établissements, alors nous la voterons.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la laïcité est plus que jamais nécessaire dans un temps marqué par le retour du fait religieux sous des formes extrêmes. Cette proposition de loi porte sur un point particulier : la neutralité dans les structures accueillant la petite enfance. Elle a déjà été votée par le Sénat, de manière consensuelle. En effet, la laïcité que nous défendons est une laïcité de consensus et de concorde. Elle n’est nullement une laïcité de conflit ou de combat. Elle vise à réunir, non à diviser.
Les radicaux ont toujours agi en ce sens. Ils l’ont fait avec Paul Bert, avec Ferdinand Buisson, qui a contribué à préparer la loi de 1905 en tant que président de la commission des lois, avec Herriot, avec Jean Zay, hommes de mesure et de raison. Pour eux, la République laïque n’est pas antireligieuse. Elle se veut seulement indépendante des religions. Elle respecte toutes les croyances ; elle garantit le libre exercice des cultes, mais n’en reconnaît aucun. C’est précisément cette neutralité de l’État par rapport aux diverses religions qui permet leur coexistence harmonieuse dans la même nation.
Cette éthique gagne à s’appliquer dès le jeune âge, car elle présente deux avantages principaux. D’abord, elle constitue un principe de liberté – liberté de penser, liberté de conscience –, qui est très important pour des enfants, c’est-à-dire pour des êtres en éveil et en formation. Dans son discours de 1850 contre la loi Falloux, qui organisait le contrôle du clergé sur l’enseignement, Victor Hugo, alors député, défendait ce qu’il appelait « le droit de l’enfant », c’est-à-dire le droit à l’autonomie du jugement, sans emprise extérieure. À son tour, en 1882, Jules Ferry demande aux instituteurs de respecter « cette chose délicate et sacrée qu’est la conscience de l’enfant ».
Comme le souligne aujourd’hui la Charte de la laïcité à l’école de 2013, celle-ci permet « aux élèves de forger leur personnalité, d’exercer leur libre arbitre […]. Elle les protège de tout prosélytisme ou de toute pression qui les empêcherait de faire leurs propres choix ». Vu leur jeune âge, les enfants sont particulièrement influençables, voire vulnérables, d’où la nécessité de respecter leur liberté de conscience naissante. L’enfant doit pouvoir se construire librement, progressivement, et commencer à penser par lui-même.
Principe de liberté, la laïcité est aussi un principe de fraternité. L’école de la République est l’école de tous. Elle accueille sur les mêmes bancs tous les élèves, quelles que soient leur origine, leurs convictions, leur confession, qu’ils s’appellent Christian, David ou Karim. Elle leur permet de vivre ensemble, dans la fraternité, par-delà leurs différentes appartenances confessionnelles. La laïcité réunit et rassemble. Elle fédère. Elle renforce l’unité de la République. Ce qui est souhaitable à l’école primaire l’est aussi à la crèche pour les plus jeunes.
Mais, dans ce secteur, les règles sont complexes, voire fluctuantes, étant essentiellement d’origine jurisprudentielle. Elles doivent donc être clarifiées ou stabilisées par la loi pour régir désormais sans incertitude juridique le secteur de la petite enfance. Le Conseil d’État l’a indiqué dans plusieurs arrêts, les agents publics sont soumis à un devoir de stricte neutralité. Ce devoir, précise-t-il dans un arrêt du 3 mai 2000, « fait obstacle à ce qu’ils manifestent dans l’exercice de leurs fonctions leurs croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer leur appartenance à une religion ».
Deux progrès apparaissent dans la jurisprudence récente. D’une part, après le Conseil d’État qui l’avait déjà fait implicitement, la Cour de cassation a, à son tour, étendu pour la première fois le champ d’application du principe de laïcité à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé. De tels organismes, dès lors qu’ils sont chargés d’une mission de service public, peuvent imposer à leurs salariés une obligation de neutralité. L’arrêt de la Cour de cassation du 19 mars 2013, CPAM de Seine-Saint-Denis, précise que les agents des CPAM « sont soumis à des contraintes spécifiques du fait qu’ils participent à une mission de service public, lesquelles leur interdisent notamment de manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs, en particulier vestimentaires. »
Le troisième alinéa de l’article 1er de ce texte, tel qu’il sera amendé, vise à inscrire dans la loi cette disposition. L’alinéa suivant concerne, pour sa part, les structures privées d’accueil de la petite enfance n’exerçant pas une mission de service public stricto sensu. L’arrêt, déjà cité, de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 25 juin 2014 concernant l’affaire Baby Loup autorise les restrictions à la liberté du personnel de manifester ses convictions religieuses, ces restrictions devant figurer dans le règlement intérieur ou une note de service.
L’assemblée plénière a finalement donné gain de cause à l’association Baby Loup mais, comme l’a très justement dit M. le rapporteur, des décisions de ce type ne sont pas définitives. Les cours statuant en dernier ressort peuvent toujours changer de position. Par ailleurs, les cours d’appel et les tribunaux ne sont pas tenus de se conformer à la position de la Cour de cassation. Comme l’observait Guy Canivet, alors Premier président de la Cour de cassation, la jurisprudence peut être portée aux arabesques, loin de la ligne droite. Un autre juriste disait que la jurisprudence avançait en dents de scie.
Pour que Baby Loup obtienne gain de cause, il aura fallu cinq décisions judiciaires successives et parfois contradictoires. De surcroît, comme la décision de l’assemblée plénière est un arrêt d’espèce – M. Tourret l’a dit –, il est indispensable de la transcrire dans la loi pour assurer sa stabilité et sa pérennité. C’est l’un des principaux objets de cette proposition de loi.
À ceux qui s’interrogent sur la nécessité de légiférer, on rappellera les propos tenus par le chef de l’État lui-même, juste après l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation de 2013 qui désavouait Baby Loup. Le Président de la République avait alors déclaré que la loi devait intervenir et qu’il fallait que nous posions des règles. De même, Mme Vallaud-Belkacem, alors porte-parole du Gouvernement, avait déclaré que le principe de laïcité ne devait pas s’arrêter à la porte des crèches, et ajouté que le Gouvernement n’excluait pas de préciser les choses par la loi. Le Défenseur des droits, Dominique Baudis, avait pour sa part déclaré en mars 2013 : « Je demande une clarification législative […]. On ne peut laisser les gens dans l’incertitude. » Certes, l’arrêt rendu l’année suivante, en juin 2014, a donné gain de cause à Baby Loup. Mais rien ne garantit l’immutabilité de cette jurisprudence.
En conclusion, il s’agit essentiellement de permettre le vivre ensemble. La crèche est généralement un lieu où se côtoient des enfants de toutes origines, venant de familles diverses et de religions différentes. La neutralité s’impose pour ne heurter aucun d’eux et permettre la coexistence harmonieuse de tous dans la même structure. La force intégratrice de la laïcité est déterminante face à la montée des communautarismes fondés sur l’origine ou la confession. À la limite, ce différentialisme pourrait fragmenter la collectivité nationale en entités particulières, distinctes et séparées les unes des autres. Le risque, ce serait une République éclatée, déstructurée, où l’on perdrait le sens d’une appartenance collective.
Face à ce risque, le meilleur antidote, c’est la laïcité, qui réunit, rassemble et fédère par-delà les différences. La République laïque s’oppose à tout ce qui divise et sépare. Elle est facteur de cohésion et d’unité, quelles que soient l’origine, la croyance ou la culture. Nos concitoyens veulent une société apaisée, une société de confiance et de tolérance. Tout cela se joue dès le début, dès le jeune âge. Les enfants sont en première ligne, avec leur fraternité spontanée et leur solidarité naturelle. Avec des structures d’accueil qui permettent ce que Pierre Mendès-France appelait l’apprentissage en commun de la vie commune, nous aurons demain comme perspective le respect mutuel, un destin de concorde, un espoir partagé.
Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, je veux réaffirmer ce soir l’attachement indéfectible des députés du Front de gauche à la laïcité, principe essentiel de la République et principe fondateur de notre pacte social. Nous connaissons les menaces qui pèsent sur elle en raison des fractures du pacte social et républicain. Mais, à la lecture de la proposition de loi de nos collègues du groupe RRDP dans sa rédaction initiale, j’ai réagi sur deux idées qui sont pour moi importantes. D’abord – et j’aurai l’occasion d’y revenir –, la conception que nous pourrions avoir du lieu de travail que sont aussi les structures d’accueil des mineurs. Ces espaces relèvent-ils, comme tout établissement employant des salariés, de la citoyenneté ? Les principes fondateurs de la République – liberté, égalité, fraternité – doivent-ils ou non y être appliqués ?
Pour nous, les libertés individuelles ont toute leur place dans les lieux de travail. C’est ce qu’affirme le préambule de la constitution de 1946 : « Nul ne peut être lésé dans son travail ou son emploi en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ». Ensuite, se pose la question de la conception de la laïcité défendue par notre République : une laïcité d’interdits, ou une laïcité partagée, parce que construite par l’éducation – l’école peut jouer un grand rôle – et le débat citoyen ? Je suis pour une laïcité qui soit, dans la ville comme sur le lieu de travail, un levier du vivre ensemble.
Votre proposition de loi fut, au Sénat, présentée comme s’inscrivant dans le prolongement de la loi du 15 mars 2004 qui prohibe, dans les écoles, collèges et lycées publics, le port de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse. Il s’agit ici d’étendre à des entreprises privées, des structures d’accueil de mineurs, des conditions d’application du principe de neutralité, en prenant comme critère principal l’existence ou non d’un financement public.
Ce texte vise à apporter une solution définitive à la complexe affaire juridico-judiciaire dite Baby Loup. La directrice de cette crèche associative avait procédé au licenciement d’une employée qui refusait d’ôter son voile, alors que le règlement intérieur préconisait le respect des principes de laïcité et de neutralité, qui s’appliquaient dans l’exercice de l’ensemble des activités en rapport avec les enfants. L’employée a contesté le licenciement en portant plainte pour discrimination. Au terme de la procédure judiciaire, le licenciement a finalement été confirmé par un arrêt du 25 juin 2014 rendu par la Cour de cassation. Cet arrêt, qui se fonde sur les obligations posées par le règlement intérieur de la crèche, ne constitue pas un arrêt de principe permettant de faire jurisprudence et de trancher la question de l’application de la neutralité dans les structures d’accueil de mineurs à statut privé.
Outre le fait que le vrai problème de Baby Loup – Mme la secrétaire d’État l’a évoqué – est aujourd’hui de trouver les moyens publics pour poursuivre son expérience unique et exceptionnelle d’accueil 24 heures sur 24 des enfants et parents, ce qui est notable dans cette affaire, c’est que la décision de justice s’appuie sur la place et l’interprétation du règlement intérieur : une disposition interne à l’entreprise qui a donc des points d’appui.
Le Gouvernement, à l’issue du comité interministériel du 6 mars, a d’ailleurs annoncé l’élaboration et la diffusion prochaine, en concertation avec les partenaires sociaux, d’un guide pratique sur la laïcité dans l’entreprise ; un ouvrage dont le ministère du travail lui-même indique qu’il devra « fournir des réponses précises et opérationnelles aux questions posées régulièrement par l’application du principe de laïcité dans l’entreprise ». Le guide de l’Observatoire de la laïcité sur la gestion du fait religieux dans l’entreprise privée précise que « l’employeur, peut, comme pour d’autres libertés individuelles, en restreindre l’exercice, par le biais du règlement intérieur ou du contrat de travail, si sa décision est justifiée par la nature des tâches à accomplir et proportionnée au but recherché ».
Beaucoup a été dit dans cet avis. On le voit, employeurs et salariés peuvent, dans le respect du code du travail, trouver des solutions. L’exemple de l’entreprise Paprec en témoigne : elle s’est dotée d’une charte de la laïcité et de la diversité intégrée à son règlement intérieur. Elle a été approuvée par référendum par ses 4 000 salariés, originaires de cinquante deux pays et titulaires d’une trentaine de nationalités différentes.
J’imagine en effet qu’elle pourrait être étendue à tout le pays : ce serait magnifique.
Cette charte « interdit le port de signes ou de tenues par lesquels les collaborateurs manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ». Aussi pourquoi, au lieu de légiférer comme nous le proposent nos collègues, ne pas s’inspirer de cette démarche de citoyenneté sur les lieux de travail ? Pourquoi ne pas prendre le parti de la réflexion et de la négociation communes, et tendre vers des accords collectifs partagés, et donc plus facilement applicables ?
Car si la laïcité est menacée, un des dangers qui la menace n’est-il pas qu’elle soit trop souvent vécue comme imposée, et non construite en commun ? Vous le savez, monsieur Tourret, votre proposition de loi a soulevé beaucoup de questions. L’Observatoire de la laïcité a exprimé – j’ai trouvé à cet égard la remarque relative à « l’Observatoire de la foi » quelque peu déplacée – sa réserve à l’égard de votre initiative. Dans son avis du 9 mars dernier, il a rappelé son opposition à toute nouvelle législation relative à l’extension au secteur privé de l’obligation de neutralité. Dans cet avis, il considère que « le droit actuel, bien que méconnu, permet déjà d’encadrer le fait religieux, y compris les tenues vestimentaires, et d’interdire tout prosélytisme au sein d’une entreprise privée ».
L’arrêt crèche Baby Loup de la Cour de de cassation du 25 juin 2014 l’a confirmé, aller au-delà et imposer une neutralité générale et absolue pourrait être contre-productif et contrevenir aux principes constitutionnels d’égalité et de liberté de conscience garantis par la Convention européenne des droits de l’homme. Cela pourrait également conduire à s’opposer au principe de laïcité qui garantit cette liberté.
Saisis de cette même question, la Commission nationale consultative des droits de l’homme et le Conseil économique, social et environnemental ont adopté deux avis allant dans le même sens, c’est-à-dire s’opposant à toute nouvelle législation de ce type. Des associations ont exprimé leurs craintes de voir ce débat raviver des rejets.
Oui, cette proposition de loi suscite beaucoup d’interrogations quant à son opportunité, alors même que le code du travail prévoit déjà, je l’ai montré, la possibilité pour un employeur, via le contrat de travail ou le règlement intérieur, de traiter la question de la liberté religieuse. Les interrogations sur la raison d’être de cette proposition de loi s’appuient non seulement sur l’évolution de son contenu, mais aussi sur les conditions de sa discussion. De modifications en modifications, elle a perdu de sa substance, au point que se pose aujourd’hui la question de sa raison d’être.
Chers collègues, la laïcité ne peut être vécue comme une somme d’interdits. En prenant connaissance des amendements déposés par les députés siégeant à la droite de l’hémicycle, je constate que certains cherchent à utiliser cette valeur formidable pour diviser, interdire et rejeter une partie de nos concitoyens.
Repartons du remarquable travail de la commission Stasi, devant laquelle j’avais été, à l’époque, auditionnée. J’avais souligné que la laïcité vaux mieux que l’accumulation de lois partielles. Elle est un des principes qui garantissent à notre peuple sa cohésion dans la pluralité. Elle découle directement de l’affirmation de droits universels, qui ne sont pas liés à l’appartenance à tel ou tel groupe social pas plus qu’à la profession de telle ou telle opinion. Ces droits supposent la liberté d’opinion et de pensée, la liberté religieuse et, plus que la tolérance, la reconnaissance. La laïcité est donc la garantie d’une société de paix, bâtie par des hommes et des femmes différents qui veulent vivre ensemble.
Vaincre le repli et l’intégrisme suppose une politique beaucoup plus audacieuse en faveur de la laïcité, par exemple pour défendre les droits des femmes face à tous les intégrismes qui s’y opposent. On a encore pu le constater l’an dernier avec les campagnes contre les ABCD de l’égalité, ou, au sein de notre hémicycle, lorsque nous avons réaffirmé le droit à l’IVG. Une politique plus audacieuse pourrait, par exemple, donner à chaque jeune les moyens de son autonomie et faire vivre l’égalité dans tous les domaines et sur tout le territoire, en allant vers une VIème République soucieuse de la parole citoyenne.
Dans un même mouvement, il faut affirmer que l’autorité publique, qui procéde de la souveraineté du peuple, ne peut être soumise à aucune tutelle. La laïcité fait donc de la République un espace accueillant toutes les représentations du monde, dès lors qu’elles ne contestent pas son principe, ses valeurs, ses lois, et les droits de tous ses enfants.
C’est pourquoi nous craignons l’image qui en est donnée à travers ces lois partielles qui s’ajoutent les unes aux autres. Idéal positif et mobilisateur, la laïcité n’est pas une grammaire statique. Elle a besoin qu’on lui donne du souffle, de s’expérimenter et d’être vécue en conscience. Elle a besoin non de la peur et des phobies, mais de l’expression des différences dans le respect d’autrui et de la société.
Le renouveau de la laïcité doit nécessairement s’accompagner de celui de la citoyenneté, de la politique et de la recherche de sens. La mixité de notre société, l’unité de notre peuple et l’universalité de l’humanité exigent en effet de rechercher ce qui nous fait semblables. Il faut la liberté, l’égalité et la fraternité.
Pour toutes ces raisons, les députés du Front de gauche, en l’état actuel de ce texte, s’abstiendront.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la société française se trouve, sur la question laïque, en déséquilibre. Les tensions sont fortes. Ce déséquilibre, ne soyons pas dupes, est d’abord organisé par l’extrême droite et par Marine Le Pen, qui a dévoyé et dénaturé le mot de laïcité en en faisant un outil d’exclusion et de combat contre les musulmans.
Il est ensuite organisé par Nicolas Sarkozy, quia relancé la machine à stigmatiser dans l’espoir de rattraper ses électeurs perdus en courant après Marine Le Pen. Résultat : dans notre pays, les débats touchant à la pratique de la laïcité, qui hier pouvaient se tenir sereinement, se déroulent aujourd’hui dans une atmosphère électrique. On peut aisément le comprendre, dès lors que certains de nos concitoyens se sentent menacés dans ce qu’ils ont de plus intime : leurs croyances et leur foi.
Mais le déséquilibre va au delà des provocations de l’extrême-droite et de la perte de repères républicains de l’UMP. Il vient, je le crois profondément, du fil rompu avec l’un des piliers de la République, fondement de la laïcité française : la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État, grande charte de paix publique.
Je suis convaincu que le principal problème auquel est aujourd’hui confrontée la société française n’est pas l’obsolescence de cette loi, mais l’ignorance grandissante de ses principes. Notre compréhension collective de cette loi s’est d’abord affaiblie du fait du travail du temps. C’est loin, 1905, pour les élèves de nos collèges et de nos lycées comme pour leurs professeurs, pour les responsables des associations cultuelles comme pour les élus de la République.
Nous avons, par ailleurs, peut-être eu le tort de considérer cette loi comme un acquis, alors que nous aurions dû continuer à la porter comme une méthode de construction permanente de notre pacte républicain. Dans un discours prononcé le 27 mai 1882 à l’Académie française, Ernest Renan a défini la laïcisation de la société comme « le progrès continu de la laïcité, c’est à dire de l’État neutre entre les religions, tolérant pour tous les cultes, et forçant l’Église à lui obéir en ce point capital ».
Beaucoup de choses importantes sont ici dites en peu de mots. La laïcisation de la société est un progrès continu, nous dit Renan, et non un processus qui se serait arrêté au lendemain du vote de la loi de 1905, ou après avoir interdit le foulard à l’école, ou encore après que notre assemblée ait achevé l’examen de la présente proposition de loi.
Assurer la laïcité dans la société est, au contraire, un défi permanent. Car si la République est laïque, comme le proclame notre Constitution, la société, elle, évolue et change. Rien ne pouvait garantir que le fonctionnement des religions, comme les revendications des croyants ou des non-croyants, allait rester figé dans l’état où il se trouvait en 1905.
Évidemment, en un siècle, le fait religieux a changé de nature. Évidemment, de nouvelles religions sont apparues ou ont pris plus de place dans notre pays. Évidemment, les revendications de certains, les pressions parfois – ne soyons pas naïfs – peuvent se heurter aux principes laïcs de la République. Mais face à ces mouvements, la République a un devoir impérieux : celui de garder son sang-froid.
C’était, déjà, en 1907, le mot d’ordre d’Aristide Briand dans cet hémicycle. S’exprimant au lendemain du premier mort survenu lors d’un inventaire des biens de l’Église catholique, c’est-à-dire dans des circonstances autrement plus dramatiques que celles dans lesquelles ont lieu nos débats actuels, il déclarait : « Malgré tous ces excès, nous saurons conserver notre sang-froid. La loi restera ce qu’elle est. Elle sera exécutée avec prudence, mais sans faiblesse, avec circonspection, mais sans défaillance. »
Mes chers collègues, à notre tour, gardons notre sang-froid ! Ne cherchons pas à réécrire la loi de 1905 à chaque fois que le journal de vingt heures s’ouvre sur une affaire de jupe, ni à envenimer le débat en stigmatisant, en divisant ou en humiliant !
Au contraire, rappelons à nos concitoyens que défendre la laïcité, c’est défendre la République, et que c’est aussi, comme l’expliquait Jaurès en août 1904 dans les colonnes de L’Humanité, défendre la démocratie. « Si la démocratie fonde, en dehors de tout système religieux, toutes ses institutions, tout son droit politique et social, si elle ne s’appuie que sur l’égale dignité des personnes humaines appelées aux mêmes droits et invitées à un respect réciproque, j’ai bien le droit de dire qu’elle est foncièrement laïque, laïque dans son essence comme dans ses formes, dans son principe comme dans ses institutions, et dans sa morale comme dans son économie. Ou plutôt, j’ai le droit de répéter que démocratie et laïcité sont identiques ».
Mes chers collègues, si nous voulons réellement apaiser la société française et les tensions qui la traversent, nous devons, avant tout, lutter contre l’ignorance et entamer un travail de pédagogie. Il ne s’agit pas de donner des cours de droit, mais nous devons rappeler, dans le débat public, les principes qui sont au coeur de la loi de 1905. Vous me permettrez de le faire ici, brièvement, car je sais que la discussion de ce jour est suivie avec beaucoup d’attention par de nombreux observateurs, et c’est à eux que je veux m’adresser.
Voilà un très bon orateur.
La laïcité française repose, au fond, sur les deux premiers articles de la loi de 1905. Que disent-ils ? Son article 1er dispose que « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. » La République assure donc la liberté de conscience. Elle est tolérante et protège. Mesurons le chemin parcouru depuis la Révolution : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ne contenait qu’une vision négative de la liberté de conscience. On y lisait en effet : « Nul ne sera inquiété pour ses opinions, même religieuses ».
Depuis 1905, la République laïque non seulement reconnaît la liberté de conscience de chaque individu, mais assure cette liberté, de même qu’elle garantit le libre exercice des cultes. La République assure, garantit et protège, à égalité, tous les non-croyants comme tous les croyants. C’est ce message qu’il faut marteler auprès de nos concitoyens qui s’inquiètent d’une laïcité trop souvent ressentie comme une nouvelle religion d’État dirigée contre les croyants, et, disons le, plus particulièrement contre une catégorie de croyants.
La laïcité française consacre, au contraire, une liberté individuelle inaliénable : celle de croire ou de ne pas croire, celle de pratiquer, ou non, un culte. Pour garantir la liberté et l’égalité entre tous les cultes, la loi de 1905 en tire toutes les conséquences à la première phrase de son article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. » On peut difficilement être plus clair.
Que les individus aient des croyances religieuses ou non, ce n’est désormais plus l’affaire de l’État. Par conséquent, toutes les religions sont sur un pied d’égalité : il n’y a plus, en France, une religion officielle subventionnée par l’État, et des religions minoritaires qui ne toucheraient pas 1 centime. La République ne reconnaît aucun culte, c’est à dire pas plus un que tous les autres.
Pour faire le lien entre ces deux principes fondateurs de notre laïcité, et la situation de déséquilibre à laquelle nous sommes confrontés, un point me semble fondamental : la première phrase de cet article 2 ne veut pas dire, et n’a jamais voulu dire, dans l’esprit de nos illustres prédécesseurs, que la République méconnaît l’existence des cultes.
Cette lecture inexacte de la loi de 1905 est, à mon avis, trop présente dans le débat public et participe largement de l’incompréhension générale. Nous ne pouvons pas, au prétexte que l’État n’intervient pas dans le fonctionnement des cultes, faire comme si les cultes et les croyants n’existaient pas, et comme si les problèmes que peuvent rencontrer les cultes et les croyants ne se posaient pas quotidiennement aux maires, dans nos communes, dans les services publics comme dans les entreprises.
Cette position hypocrite n’est pas tenable : elle nous empêche d’avancer. C’est d’ailleurs le sens des propos tenus par le Premier ministre Manuel Valls à l’Université de Strasbourg le 3 mars 2015, lorsqu’il a annoncé une réforme de la formation des imams de France. « La laïcité n’est pas un obstacle, c’est une méthode. La laïcité, ce sont des droits et des devoirs, mais ce n’est pas un dogme qui interdit à un gouvernement de répondre à des inquiétudes ou de relever des défis ». Vous l’aurez compris, je partage cette position. Je considère que si le libre exercice des cultes n’est pas garanti dans la société française, alors la République ne tient pas sa promesse et l’article 1er de la loi de 1905 n’est pas respecté !
À l’inverse, s’il apparaît que des actions ou des revendications de croyants ou d’organisations cultuelles sont manifestement contraires aux principes de la loi de 1905, notamment lorsqu’elles contribuent à déstabiliser la concorde et l’ordre public, la République doit, là aussi, prendre ses responsabilités.
Notre présence dans l’hémicycle l’illustre d’ailleurs parfaitement : si le politique détourne le regard et considère, au nom d’une vision erronée de la laïcité, que tout ce qui a trait aux cultes ne le concerne pas, alors c’est vers le juge que les revendications se portent. Or il me semble qu’en la matière, les épisodes successifs de la procédure Baby Loup ont montré que nos magistrats se trouvaient bien embarrassés à dire le droit. La République n’y a rien gagné : c’est donc au législateur d’y remédier.
Nous voici donc face à une proposition de loi dont notre collègue Alain Tourret est l’éminent rapporteur, qui vise à étendre l’obligation de neutralité à des structures privées accueillant des mineurs de moins de six ans et à assurer le respect du principe de laïcité.
Je veux tout d’abord saluer le travail de notre rapporteur. Nous connaissons tous ici l’attachement fondamental des radicaux à la question laïque. Sur ce sujet délicat, partant d’une proposition de loi initiale qui présentait plusieurs difficultés, notamment des risques d’inconstitutionnalité, Alain Tourret a su faire preuve, à l’image de l’ensemble du groupe RRDP, dont je salue le président, Roger-Gérard Schwartzenberg, de la hauteur de vue nécessaire pour aboutir à une solution de consensus. Nous ne pouvons que l’en remercier, et, avec lui, les collaborateurs des groupes RRDP et SRC qui ont contribué à cette issue favorable.
En rappelant à l’article 1er, dans la rédaction dont nous débattrons dans quelques instants, l’obligation pour les structures publiques d’accueil de petite enfance de faire preuve de neutralité religieuse, la proposition de loi participe de ce travail de pédagogie nécessaire à la compréhension par tous de la laïcité.
En inscrivant dans la loi, pour les structures privées, la jurisprudence issue de la Cour de cassation dans l’affaire Baby Loup, la proposition de loi permettra, je l’espère, d’enrayer un phénomène de judiciarisation excessif, qui ne doit pas devenir le mode de régulation des situations où la pratique de la laïcité peut être conflictuelle. Nous allons, je le crois, dans la direction d’une clarification attendue par tous.
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste votera ce texte.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous abordons aujourd’hui s’inscrit dans le contexte de l’affaire dite Baby Loup, qui a soulevé l’indignation de nombre de nos concitoyens et entraîné une longue procédure judiciaire de plus de quatre ans.
Sans revenir sur les détails de cette affaire, il est très clair, que, pour une très grande majorité d’entre nous, l’état du droit, s’agissant de l’application de la neutralité dans les structures de la petite enfance, est pour le moins plus qu’incertain.
Le Conseil d’État, dans un avis formulé en 2003, a rappelé les trois composantes de la laïcité, à savoir la liberté pour chacun d’avoir une pratique religieuse, le respect du pluralisme, mais non du communautarisme, et, bien sûr, la neutralité de l’État.
Dans l’application stricte du principe de laïcité, et à la suite de la multiplication des affaires liées au port du voile en milieu scolaire, la loi du 15 mars 2004 a posé un cadre juridique clair dans l’enseignement primaire et secondaire public.
Dans le domaine de la petite enfance, un vide juridique subsiste. La Cour de cassation, dans l’affaire Baby Loup, avait pourtant souligné la nécessité de préserver la liberté de pensée, de conscience et de religion à construire pour chaque enfant. Plus un enfant est jeune, plus il doit être protégé contre toute forme de prosélytisme. Il est, enfin, de la seule responsabilité et du seul choix des parents d’élever leurs enfants dans une éducation religieuse.
Réaffirmer la neutralité des services publics est ainsi plus que nécessaire dans le secteur de la petite enfance, mais, en dépit de tous ces arguments, la diversité des structures d’accueil n’est pas sans poser des problèmes, qui restent entiers. Nos débats seront sans nul doute concentrés sur cette question.
Nous avons en effet les établissements et services soumis à une obligation de neutralité dès lors qu’ils bénéficient d’une aide financière publique, les établissements qui mettent en avant un caractère religieux, les crèches familiales où les enfants sont accueillis en partie au domicile de l’assistante maternelle, mais nous avons aussi toutes les structures ou associations d’accompagnement des enfants sur le temps périscolaire.
Si je suis consciente des risques d’inconstitutionnalité liés à une frontière complexe entre l’expression des libertés individuelles et le maintien du principe de neutralité, nous ne pouvons nous satisfaire d’un texte réduit au minimum. Il est maintenant urgent d’avoir une vraie loi sur la laïcité.
Nous le savons, la loi ne règle pas tout, mais la loi sur ce sujet doit exprimer la force de notre République face à la montée croissante du communautarisme.
Je sais comme nombre d’entre vous combien ce sujet est difficile. Nous devons avoir le courage de débattre sur ce qui est acceptable dans le corpus de nos valeurs républicaines, sans démagogie ni agression contre ceux qui n’ont pas forcément les mêmes croyances que nous. La liberté d’expression nous a réunis il y a quelques mois dans une unité nationale majoritairement plébiscitée. Cependant, nos concitoyens nous attendent, aujourd’hui encore davantage qu’hier, sur notre capacité à fixer les règles. Ils mesureront notre courage politique à définir dans notre pays ce que doit être la laïcité française. Elle ne peut se satisfaire d’une forme à géométrie variable, au gré des affaires judiciaires.
Madame la secrétaire d’État, le gouvernement auquel vous appartenez a rapidement enterré le débat sur cette question dans nos universités. La proposition de notre collègue Éric Ciotti sur l’insertion de dispositions de nature à limiter le port de signes religieux dans le règlement intérieur d’une entreprise a été balayée. Pourtant, tous ces sujets concernent le quotidien des Français.
En conclusion, mes chers collègues, le groupe UMP ne s’opposera pas à cette proposition de loi, mais nous regrettons un champ trop restreint, qui semble d’ailleurs s’affaiblir de jour en jour et même d’heure en heure, et un débat réduit au minimum dans une période où nous aurions besoin de réaffirmer la laïcité comme valeur intrinsèque de notre vivre ensemble.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes tous ici députés de la nation, mais c’est le député de Chanteloup-les-Vignes qui se présente devant vous. La laïcité, je peux vous en parler, peut-être pas de manière aussi docte que la plupart de mes collègues ici présents, mais vraiment et sans amalgames.
Je commencerai mon propos en vous lisant le refrain d’un texte écrit par de jeunes Chantelouvais et présenté par eux le 8 mai dernier lors de la cérémonie de commémoration : « Ensemble, vivre ensemble, ne former qu’un. Un mot qui nous rassemble, ensemble, vivre ensemble. Malgré nos différences, on se ressemble. »
La loi de 1905 est l’une des plus grandes lois de notre République,…
…une loi simple, concise, efficace, qui crée l’une de nos plus belles exceptions françaises, la laïcité, clé de voûte de notre République, une laïcité qui ne juge pas, ne condamne pas, ne rejette pas, une main tendue, une limite et une ouverture, une mise en garde et une invitation.
Aujourd’hui encore, alors que nous nous apprêtons à discuter de l’opportunité d’imposer la neutralité aux personnes et aux structures qui accueillent des mineurs, c’est cette conception de la laïcité qui doit nous guider dans nos réflexions.
Mes chers collègues, la dernière fois que nous avons débattu de ce sujet important dans l’hémicycle, c’était à l’occasion de l’examen en juin 2013 de la proposition de loi d’Éric Ciotti relative au respect de la neutralité religieuse dans les entreprises et les associations.
Souvenons-nous, le contexte était tout autre. Quelques mois auparavant, en mars 2013, la chambre sociale de la Cour de cassation avait rendu une décision que le prédécesseur de M. Cazeneuve, que je pensais voir au banc, avait dénoncée, considérant que c’était une mise en cause de la laïcité. Je ne reviendrai pas sur les différentes décisions des différentes cours, cela a été très bien fait par notre rapporteur.
Cette décision de la Cour de cassation permet de faire vivre la laïcité dans une structure particulière, au regard de la vulnérabilité du public accueilli. En confirmant l’importance du respect de la laïcité, y compris dans une crèche associative, elle a mis enfin un terme à un conflit stigmatisant pour notre territoire.
Pour autant, cet arrêt n’a pas mis fin aux questions qui entourent la notion de laïcité dans ces structures. L’affaire Baby Loup a révélé le vide juridique devant lequel se trouvent certaines entreprises, seules juges face à des demandes d’accommodement qui, il faut bien le dire, ne sont pas toujours raisonnables.
Dans les garderies, les services d’assistants municipaux et les écoles maternelles relevant du secteur public, les agents sont soumis à l’obligation d’assurer leurs fonctions avec neutralité. L’affaire dite Baby Loup a démontré l’écart qui sépare les structures relevant du secteur public des structures accomplissant des missions de service public et bénéficiant de fonds publics qui demeurent sous statut privé.
Dès lors, doit-on soumettre aux mêmes règles ces différentes structures ? Où se situe la frontière entre espace public et espace privé ? Ces questions, manifestement, appellent une réponse du législateur. Au-delà des principes généraux et des grandes déclarations de toute éternité, nous avons à trouver la bonne expression de ces principes, dans le plus grand respect de tous, le rapporteur l’a souligné.
La jurisprudence dont nous avons aujourd’hui connaissance doit servir de pierre angulaire à l’adaptation, nécessaire, de notre législation.
Pour répondre à la question de savoir comment un employeur privé peut donner l’ordre à ses employés de ne pas porter un signe religieux ostentatoire sans porter atteinte à ses libertés fondamentales, le groupe UMP avait déposé une proposition de loi examinée en 2013. Elle avait pour objectif d’introduire dans le code du travail une disposition rendant le principe de laïcité obligatoire dans les entreprises et associations, notamment quand elles étaient en relation avec le public. À notre sens, cette proposition de loi, qui pose le problème de la laïcité dans le code du travail, était trop large, et nous avions souligné à l’époque qu’il importait de faire une distinction entre la délégation de service public à une structure privée associative et le fait religieux dans l’entreprise, qui doit être examiné avec précaution et sans précipitation. C’est un sujet qui reste devant nous, c’est peu de le dire.
La proposition que nous examinons aujourd’hui semble plus adaptée, puisqu’elle vise spécifiquement les établissements d’accueil des enfants de moins de six ans bénéficiant, la secrétaire d’État l’a rappelé, de financements publics. Ces dispositions rejoignent la proposition de loi que j’avais moi-même déposée en mai 2013. Elles permettent de clarifier les règles applicables, garantissant ainsi l’équilibre, dans une société démocratique, entre principe de non-discrimination, liberté religieuse et restrictions encadrées par la loi, ainsi que l’avait préconisé la HALDE en mars 2011.
En commission, le texte a évolué. Les crèches familiales ont été exclues de l’article 1er et l’article 3, relatif à l’obligation de neutralité des assistants maternels, ajouté par le Sénat, a été supprimé. Nous approuvons la suppression de ces dispositions, qui reviendraient à édicter une interdiction de principe de toute expression de convictions religieuses au domicile de la personne. En outre, dans ces circonstances, les particuliers employeurs sont libres de choisir la personne à qui ils entendent confier leur enfant, et un contrôle est d’ores et déjà effectué lors de la délivrance de l’agrément à l’assistant maternel par le président du conseil général.
Enfin, nous émettons des réserves sur l’article 2, introduit par le Sénat, qui concerne l’obligation de neutralité des centres de vacances et de loisirs. Selon cet article, les centres du secteur privé bénéficiant d’une aide financière publique seront soumis à une obligation de neutralité. Certes, le texte ne soumet pas à cette obligation les organisations « se prévalant d’un caractère propre » mais cette disposition est assez imprécise, monsieur le rapporteur. On peut craindre qu’elle ne génère d’importantes inégalités entre les différents centres. Le mouvement scout a d’ailleurs largement évoqué une condition stigmatisante, et considère que cette réforme représenterait une évolution majeure des principes de la laïcité française, ce que je peux comprendre. Dans un souci d’apaisement, vous avez fait le choix de rester fidèle, avec l’article 1er, à la jurisprudence de la Cour de cassation.
Des amendements venant de tous les bancs de l’hémicycle pourraient modifier lourdement le texte mais, selon vos propos, cette proposition de loi se limiterait à l’article 1er. Nous tenons à saluer cette avancée qui est une transcription dans la loi de la décision de la Cour de cassation. Sur ces sujets, il faut être très humble, très sensible et bien mesurer les conséquences de nos paroles et la manière dont elles peuvent être interprétées par les uns et par les autres.
Sous cette réserve, ne pouvant savoir si les amendements dont nous discuterons seront adoptés, le groupe UDI votera en faveur de cette proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.
Je voudrais axer mon intervention autour d’un hommage à une femme, à qui nous pourrions tous dédier ce débat : il s’agit bien entendu de Natalia Baleato, une sage-femme, une Chilienne qui a fui son pays après le coup d’État de Pinochet. Cette Chilienne immigrée qui a trouvé refuge dans notre belle République a été pendant des années, des décennies même, la directrice de Baby Loup, crèche associative dont nous parlons beaucoup, installée d’abord dans le quartier de la Noé à Chanteloup-les-Vignes que connaît bien notre collègue Richard, et maintenant à Conflans-Sainte-Honorine.
Cette crèche a une histoire très intéressante et même passionnante. Au départ, il y eut ce constat d’un inspecteur général du fonds d’action sociale : les enfants d’origine immigrée étaient sous-représentés dans les crèches publiques de certains départements de la banlieue parisienne. L’explication majeure résidait en ce que ces modes d’accueil étaient inadaptés aux besoins des femmes immigrées, faisant des ménages tard le soir, tôt le matin, ou travaillant la nuit. Pour trouver une solution concrète à ce problème, l’idée est venue de cette crèche ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept.
Et cette femme, courageuse, opiniâtre, forte de ses convictions, a contre vents et marées porté ce projet à bout de bras : cela n’était pas simple.
Baby Loup ne se résumait pas à des horaires et à des jours d’ouverture : c’était une ambition que je qualifierais de féministe, même si d’autres sont peut-être mieux placées que moi pour défendre ce combat-là.
Je m’y identifie.
Il s’agissait de permettre l’insertion sociale, économique, culturelle des femmes : un projet concret de mixité sociale, un projet d’émancipation, puisque cette crèche dispense aussi de la formation professionnelle aux métiers de la petite enfance.
Cette femme de projets a été au coeur d’une réussite sociale exceptionnelle, dans cette crèche et dans ce quartier. Seulement voilà, il y a quelques années, Baby Loup et Natalia Baleato ont été victimes d’une provocation, venant non d’une religion, mais d’un intégrisme religieux sur lequel je ne veux pas revenir, mais qui a entraîné un nouveau combat : le combat laïc.
Ce long combat a été judiciaire et solitaire, ou presque. Il faut aussi rendre hommage aux quelques personnalités, aux quelques associations, aux quelques militants qui ont accompagné Natalia Baleato dans ce combat, qui a été victorieux suite à l’arrêt de la Cour de cassation du 25 juin 2014.
Pourquoi ai-je voulu rappeler tout cela ici ? Parce que nous sommes réunis ce soir, d’abord et avant tout, pour tirer les leçons de ce combat et pour qu’aucune autre femme ne revive ce que Natalia Baleato a vécu. C’est bien cela que recherchait – et recherche toujours – notre collègue sénatrice Françoise Laborde qui a pris l’initiative d’une telle proposition de loi. Notre rapporteur Alain Tourret prolonge son combat en défendant ce texte.
C’est en tout cas l’objectif essentiel qui doit être retenu. Je m’étonne donc de certains commentaires. À en croire la presse, cette proposition de loi serait vidée de son sens. Comment peut-on, de bonne foi, écrire cela quand justement cette proposition se concentre sur son objet premier, originel : tirer les leçons du combat de Baby Loup ?
À en croire d’autres, il faudrait profiter de l’occasion pour étendre le principe de laïcité – et donc la neutralité des agents – à toutes les structures privées accueillant la petite enfance. J’ai entendu M. Ciotti tout à l’heure. Sans doute ces néo-laïcs ont-ils pensé aux crèches Loubavitch, dont la neutralité n’est pas le caractère premier…
D’autres enfin considèrent que cette loi serait inutile et dangereuse : c’est l’avis, assez ahurissant je dois le dire, de l’Observatoire de la laïcité, où je représente notre Assemblée.
Je ne le qualifierai pas avec des mots aussi sévères que ceux du président Schwartzenberg, mais j’ai du mal à comprendre les fondements du raisonnement.
Pour cet organisme, exprimant un avis sur une proposition de loi, ce que d’ailleurs le décret qui le crée ne prévoit nullement, il fallait « s’opposer » à toute nouvelle législation en la matière, au prétexte qu’elle « s’opposerait au principe de la laïcité ».
C’est une invraisemblable injonction faite au Parlement, qui est bien libre de légiférer sur les sujets de son choix et qui n’a pas besoin de l’accord de telle ou telle institution pour délibérer librement. Une invraisemblable injonction visant, au nom du principe de laïcité, à empêcher le Parlement de tirer les leçons d’un magnifique combat laïc !
Je m’étonne d’ailleurs que tous ces commentateurs pour qui nous allons trop loin, ou pas assez loin, n’aient jamais été présents aux côtés de Natalia Baleato dans son combat. Jamais ! Et aujourd’hui, ils voudraient détourner ce combat auquel ils n’ont pas pris part.
N’en déplaise à ceux qui ont pris de telles positions pusillanimes, par notre vote, si nous suivons comme je le souhaite notre rapporteur, que je félicite pour son travail, nous allons faire progresser le principe de laïcité : nous n’allons pas seulement le défendre, mais le promouvoir, en donnant force de loi à l’arrêt de la Cour de cassation, qui ne constitue pas encore une jurisprudence, mais n’est qu’un arrêt. La force de la loi plutôt que les fluctuations de la jurisprudence : c’est un petit pas, mais à très forte consonance symbolique et je veux ici, en républicain laïc, m’en réjouir.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.
« La laïcité n’est pas une option spirituelle parmi d’autres, elle est ce qui rend possible leur coexistence, car ce qui est commun en droit à tous les hommes doit avoir le pas sur ce qui les sépare en fait », a dit Régis Debray. Force est de déplorer que le rêve unitaire laïc, garant de la liberté de conscience, s’estompe pour ne devenir qu’un mirage.
Le législateur essaie tardivement et tant bien que mal de colmater les brèches ouvertes dans notre pacte républicain par les assauts quotidiens d’un communautarisme vindicatif.
La proposition discutée aujourd’hui est l’une de ces réactions désordonnées en réponse au licenciement de l’employée voilée de la crèche Baby Loup en raison de la violation du règlement intérieur de l’entreprise. Une crèche qui a dû déménager sous la pression et les menaces, suite à la médiatisation de l’affaire. Un des multiples symptômes d’une politique d’immigration catastrophique, fossoyeuse de l’assimilation, qui a fabriqué des individus animés par une volonté de fracture : une volonté de marquer visiblement leur différence et leur appartenance à une communauté religieuse en heurtant les us et coutumes du pays d’accueil.
Comment expliquer sinon que des territoires comme le Vaucluse, qui accueillent des immigrés de confession musulmane depuis plusieurs décennies, voient la multiplication des voiles et barbes longues depuis quelques années seulement ?
« Amalgame, stigmatisation, islamophobie » : autant de mots sortis du petit kit du prêt-à-penser, jetés au visage de ceux qui, depuis des années, cherchent à alerter, devant la multiplication des dérives qui ont lieu sous nos yeux.
Ce n’est pas de mon fait si le lien que vous faites, précisément, entre extension de la laïcité et islamophobie est dû à ce que le principe de laïcité entre en conflit avec des pratiques religieuses islamiques. Ce n’est pas ma faute et, croyez-moi, ma réaction serait la même pour le défense de la laïcité si ces heurts venaient d’autres religions.
Vos renoncements apparaissent déjà en ce qui concerne les crèches partiellement financées par de l’argent public, qui pourraient échapper à l’interdiction des signes religieux ostentatoires. Et pourtant, les Français sont à 86 % favorables à une loi interdisant le port visible de tout signe d’appartenance religieuse dans les lieux où l’on s’occupe des enfants. Il est tout à fait logique d’étendre la loi de 2004, interdisant les signes religieux ostentatoires dans les écoles, aux crèches et aux universités, pour les mêmes raisons de cohésion et d’apaisement. On peut néanmoins douter de l’efficacité future de cette mesure quand le Gouvernement est déjà incapable d’endiguer la violation régulière de la loi dans les écoles françaises.
Pour autant, si certains secteurs justifient l’application stricte et l’extension de la neutralité religieuse, il serait à la fois stupide et contre-productif de tomber dans une lecture fanatisée de la laïcité républicaine.
La laïcité consiste avant tout à garantir la neutralité de l’État dans les administrations et services publics ainsi qu’à refuser de financer tout culte sur les deniers publics.
Elle n’a pas pour but de chasser le spirituel de la société ni de devenir une arme de destruction massive de notre identité chrétienne en en gommant toute référence. Il est essentiel que la République ne confonde pas la culture et le culte, en n’étouffant pas les racines chrétiennes de la France qui façonnent des traditions, une morale, des paysages, un patrimoine et une architecture millénaires. Car faire table rase, c’est faire émerger une France hors-sol, sans identité propre à défendre et à transmettre.
Elle n’a pas non plus vocation à devenir le cheval de Troie de l’islamisation en glissant du concept de neutralité à celui d’égalité des religions. C’est à cause de cette lecture erronée que de nombreux élus, trop souvent restés impunis, violent nos lois et nos principes républicains en finançant directement ou indirectement la construction et l’entretien de mosquées, militent pour la création de jours fériés musulmans comme dans les territoires ultramarins, suppriment le porc et servent de la nourriture hallal dans les cantines, organisent des cérémonies aux frais du contribuables pour la fin de ramadan dans le local de la mairie.
L’article 2 sur les centres de loisirs et de vacances – qui sera probablement supprimé – est symptomatique de ce fanatisme laïc. Contraindre à la neutralité les centres d’accueil subventionnés en partie par l’État revient à confondre le financement d’activités non cultuelles à caractère confessionnel avec le financement des lieux de culte, interdit par la loi de 1905. Ainsi, vous punissez de nombreuses associations – l’exemple du scoutisme a été justement cité – dont les activités ne remettent aucunement en cause le pacte républicain.
Rien de surprenant : l’ADN de la gauche comporte un anticléricalisme virulent qui l’enferme dans un logiciel dépassé et qui l’aveugle sur les véritables menaces à l’ordre public et à la cohésion nationale.
Votre militantisme laïc refuse de séparer le bon grain de l’ivraie. Cette nouvelle religion interdit les crèches de Noël, tradition populaire séculaire, dans les mairies, déboulonne une statue de Jean-Paul II en Bretagne, refuse la compassion humaniste à l’égard des chrétiens d’Orient lors d’une campagne d’affichage dans le métro parisien.
C’est oublier que le concept même de laïcité est issu d’un long débat doctrinal et politique sur la séparation du spirituel et du temporel, entre les rois, les papes et les empereurs, l’Église refusant de se laisser utiliser par le politique et réciproquement, le tout reposant sur la citation de l’évangile de Luc : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » Sûrement est-ce pour cela, d’ailleurs, que les pays d’essence catholique, ou plutôt chrétienne, ont été à l’origine du concept de laïcité et de son application.
La culture chrétienne et le principe de laïcité sont les racines et branches d’un même arbre national. Les scier l’une après l’autre, en réaction à la pression de religions importées récemment, revient à couper les liens de la sociabilité française.
En l’état actuel de la proposition de loi, je ne pourrai la voter, à moins que son article 2 soit supprimé.
Votée ici même après des mois de débats passionnés, la loi de 1905 est aujourd’hui un véritable contrat démocratique et républicain, porteur de paix public et propagateur d’un civisme qui fut longtemps militant.
Nous voyons donc bien la contradiction qu’il y aurait aujourd’hui à voir en elle un texte vivant, porteur de solutions, fussent-elles à inventer, et en même temps à céder à la tentation de refaire un grand texte, une sorte de charte de paix sociale qui serait au même niveau de pensée et de volonté.
Il s’agit bien d’une contradiction : ou la loi de 1905 reste un socle républicain, ou elle ne l’est plus. Mais on ne peut pas, mon cher collègue Tourret, appeler de ses voeux un nouveau texte si l’on croit en la vie et en la réalité juridique de la loi de 1905, comme c’est le cas des députés du Mouvement républicain et citoyen.
Pourquoi, d’ailleurs, faudrait-il un nouveau texte ? Parce que la laïcité à la française rencontre des difficultés dans un présent mondialisé, différentialiste, individualiste, avec des tendance à la communautarisation ?
Mais c’est au contraire dans la loi de 1905 – et nous en ferons la démonstration à propos de la crèche Baby Loup – que nous trouverons les réponses que nous recherchons. Inspirons-nous donc de ses principes fondateurs et nous y trouverons la réponse aux questions qui se posent.
Le cas de Baby Loup est significatif. Je ne reviens pas sur l’historique et je ne dis pas que d’autres difficultés ne suivront pas, mais en réglant ce cas, nous donnerons la mesure de ce que peut une loi fondatrice qui reste le socle de solutions véritablement républicaines, autrement dit une loi qui nous oblige, mais aussi une loi qui nous inspire.
La présente proposition de loi présentée par nos collègues radicaux de gauche, qu’il faut féliciter de leur initiative en y associant d’ailleurs la sénatrice Françoise Laborde – à l’origine d’un texte un peu différent, M. Tourret l’a très bien expliqué – est bien inspirée.
Elle bien inspirée parce que, vous l’avez compris, elle reste à mes yeux dans les rails de la loi de 1905 tout en témoignant de la capacité inventive résultant des principes définis par cette loi.
À cet égard, je me félicite de la prise de conscience du rapporteur, qui a admis que le plus sage est de fixer dans la loi une jurisprudence polie par le temps – que vous avez fort bien rappelée – et efficace pour résoudre les problèmes dont nous parlons.
J’approuve donc la nouvelle rédaction qu’il proposera si j’ai bien compris par voie d’amendement à l’article premier, et je retirerai probablement mes propres amendements à ce même article.
Supprimer le « caractère propre », concept flou et très conflictuel, est une bonne chose.
Ensuite, et c’est plus hardi, cesser de se référer aux critères de financement, qui n’apportaient rien par rapport à l’article premier de la loi de 1905 prohibant déjà le financement des cultes, et se référer de façon plus hardie au service public me semble une initiative bienvenue.
Ceci conduit à distinguer trois cas de figure pour résoudre le cas Baby Loup et tout ce qui peut y être connexe, selon le degré de proximité au service public : intégration au service public, participation plus ou moins précise au service public, personne privée qui n’est pas dans le service public.
Cela a des vertus simplificatrices, cela est clair et, encore une fois, harmonieux avec la loi de 1905.
Un mot sur l’objet précis du texte.
Mme Buffet l’a rappelé tout à l’heure : il s’agit bien de légiférer sur des lieux de travail, ce qui a suscité nombre de difficultés, s’agissant notamment des lieux de travail privés.
Lorsque le travail consiste à encadrer des enfants, deux aspects doivent être mis en équilibre : la liberté du travailleur lui-même, du salarié, et la liberté de conscience des enfants, dont j’ai la faiblesse de penser qu’elle est le bien le plus précieux et – c’est ce qui me distingue de Mme Buffet – qu’elle doit être placée au-dessus de tout.
Oui, le travailleur est libre de s’exprimer mais il l’est dans la limite de la liberté de conscience de l’enfant. Autrement dit, il l’est dans les limites de ce que peut interdire la laïcité.
En effet, faire de la liberté individuelle du travailleur un principe absolu, comme l’a un jour fait bien malheureusement la Cour européenne des droits de l’homme – mais ce n’est pas son unique méfait – revient directement à nier le principe citoyen, le civisme républicain. Nous tombons forcément dans cette contradiction.
La laïcité ne se réduit pas à une question de liberté individuelle : l’oeuvre de la laïcité consiste à construire la libre conscience de tous et, d’abord, de l’enfant.
Tel est l’édifice construit depuis 1905 à la hauteur duquel nous devons tous être aujourd’hui. Cela n’est pas facile, mais qui a dit que la République était facile ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC et du groupe RRDP.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, cent dix ans après la promulgation de la loi de séparation des Églises et de l’État ressurgit une vieille querelle entre deux conceptions de la laïcité : celle d’Aristide Briand, rapporteur de la loi, très attaché à la liberté de conscience et soucieux de garantir l’expression sociale du fait religieux ; celle d’Émile Combes, alors président du Conseil, ayant une vision très combative et athée, souhaitant cantonner la religion au seul espace privé.
Ce débat historique a été tranché en 1905 puis mis en oeuvre avec pragmatisme par une abondante jurisprudence.
C’est à ce pragmatisme que l’on doit la sérénité que nous avons connue depuis dans les relations entre l’État et les religions, pragmatisme qui a permis à chaque Français de vivre sereinement quelles que soient ses convictions, qu’il soit athée, indifférent, agnostique, libre penseur, chrétien, juif, musulman, bouddhiste…
Malheureusement, aujourd’hui, notre pays doit faire face à un danger majeur : celui d’un intégrisme militant violent. Au nom de Dieu, aujourd’hui, on tue, ce qui constitue pour une immense majorité des croyants la négation même de leur foi. Au nom de Dieu, on peut aussi constater des comportements sectaires blessant les convictions d’autrui.
Comment donc lutter efficacement et non idéologiquement contre ces dérives et remettre sur le devant de la scène une laïcité qui favorise une convivialité, un respect mutuel entre tous, croyants et non croyants, et qui évite les dérives sans pour autant entrer dans un laïcisme niant la liberté de conscience ?
Les interventions successives des orateurs, cet après-midi, montrent combien cet équilibre est fragile et difficile.
Une chose est certaine : à travers ces propos assez contradictoires, nous avons fait la preuve, ainsi que l’admettait Alain Tourret lui-même, que toucher à la loi de 1905 serait provoquer un débat d’une extrême tension qui ne ferait qu’attiser le communautarisme, chacun renforçant encore plus son identité propre.
Le premier enseignement de ce débat me semble donc que l’abandon par la majorité de son projet d’article 2 est sage. Comme vous le savez, il a suscité un grand émoi dans de nombreuses associations, notamment le scoutisme, dont personne ne peut nier l’intérêt en termes de formation de la conscience, y compris s’agissant du respect des valeurs républicaines.
Le deuxième enseignement est qu’en raison des dérives que nous condamnons tous, qui sont le fait d’une toute petite minorité, on en vienne à nier le concept même de laïcité française, qui repose sur un équilibre entre deux principes : la neutralité de l’État – article 2 de la loi de 1905, selon lequel « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » ; la liberté de conscience – son article 1er –, selon lequel « La République […] garantit le libre exercice des cultes ».
Lorsqu’on rouvre le débat sur la laïcité, comme c’est le cas aujourd’hui, les législateurs que nous sommes doivent penser en priorité au respect de cet équilibre.
C’est ce qu’exprime Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État et à ce titre gardien de la bonne application du droit, lorsqu’il déclare : « La laïcité n’est pas la négation du fait religieux ou son ignorance par la puissance publique, mais le respect des opinions religieuses. C’est l’exigence de neutralité religieuse des services publics mais cela n’a jamais été un athéisme d’État. »
Selon le Conseil constitutionnel, il doit y avoir neutralité de l’État, non-reconnaissance des cultes, respect de toutes les croyances, égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion, et il faut la garantie du libre exercice du culte.
Selon la commission nationale consultative des droits de l’homme dans son avis du 26 septembre 2013 sur la laïcité, la séparation des églises et de l’État ne doit pas être comprise comme visant à l’éviction hors de l’espace public de toute manifestation d’une conviction religieuse.
Ainsi, il est sage qu’après un long débat – dont on pressentait assez les dérives – vous nous proposiez de nous en tenir à l’article premier, lequel ne fait que traduire la jurisprudence de la Cour de cassation : l’affaire Baby Loup est derrière nous et il serait dangereux que nous remettions sur le devant de la scène un équilibre si justement trouvé après tant de polémiques.
Troisième enseignement : si l’on doit être très prudent dans la loi, l’État et les collectivités doivent être ambitieux quant aux moyens permettant aux personnes et, en particulier, aux jeunes, d’envisager avec maturité leurs propres convictions.
Cela signifie qu’il est essentiel, dans notre République, de pouvoir accéder à la connaissance dans toute sa diversité.
La télévision publique montre ainsi l’exemple depuis des décennies avec ses émissions du dimanche matin qui, par la diversité de leurs intervenants – respectant tous les principes de la République et notamment son principe de laïcité – permettent à chacun d’accéder à la connaissance et de se forger sa propre conviction, en toute liberté, tout en comprenant et en respectant celle d’autrui.
Je rappellerai pour finir l’intervention de Jules Ferry, qui fut l’un des penseurs de la laïcité, au mois de novembre 1879 à la Faculté protestante de théologie de Paris : « Notre évangile politique est aussi le vôtre. […] Nous vous saluons donc comme une puissance amie, comme une alliée nécessaire, qui ne fera défaut ni à la République, ni à la liberté. Vous pouvez compter sur nous comme nous pouvons compter sur vous, assurés que vous êtes, messieurs, de trouver auprès de nous, en tout temps, non seulement justice mais profonde sympathie ».
Ces propos nous invitent donc à permettre à chacun de pouvoir vivre ses convictions dans le respect de celles d’autrui.
Nous ne voulons admettre ni les signes religieux ostensibles qui perturbent la sérénité des écoles – ceci a été examiné dans le cadre de la loi de 2004 – ni un laïcisme d’État qui deviendrait une forme de religion militante.
C’est pourquoi j’approuve la sagesse du rapporteur d’avoir retiré son article 2 et de s’être cantonné à la traduction de la jurisprudence dans la loi. En ce sens, ce débat n’était pas vain.
La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à dix-neuf heures cinq.
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
L’amendement no 3 , tendant à supprimer l’article 1er, est défendu.
La parole est à M. Alain Tourret, rapporteur, pour donner l’avis de la commission.
La parole est à Mme la secrétaire d’État, pour donner l’avis du Gouvernement.
Avis défavorable.
L’amendement no 3 n’est pas adopté.
La parole est à M. Alain Tourret, rapporteur, pour soutenir l’amendement no 22 .
Cet amendement constitue le coeur même de la proposition de loi. Nous nous en sommes suffisamment expliqués : il prend en charge la jurisprudence du Conseil d’État, d’une part, et celle de la Cour de cassation, d’autre part, et leur donne ainsi force de loi.
Avis favorable. Comme j’ai eu l’occasion de le dire lors de la présentation du texte, cet amendement donne effectivement une base solide aux jurisprudences que vient de rappeler M. le rapporteur.
L’article 1er, amendé, est adopté.
Comme je l’ai indiqué dans ma motion de renvoi en commission, je souhaite, à ce stade, que soit insérée dans ce texte la proposition de loi que j’avais défendue en 2003, introduisant dans le code du travail la possibilité d’insérer dans le règlement intérieur de toutes les structures privées des restrictions à la liberté d’expression religieuse. Une telle approche serait beaucoup plus large, beaucoup plus audacieuse, beaucoup plus courageuse, beaucoup plus ambitieuse, comme je m’en suis expliqué tout à l’heure. Nous avions débattu très longuement de ce texte en 2003 dans cet hémicycle et je regrette qu’il n’ait pas été adopté. S’il l’avait été, si nous avions, si vous aviez, mes chers collègues de la majorité, le courage de l’adopter ce soir, nous réglerions définitivement, et de façon courageuse, de nombreux problèmes.
Avis défavorable. Vous reprenez, monsieur Ciotti, l’argumentation que vous avez déjà exposée dans votre motion de renvoi en commission. Par ailleurs, je souligne que la proposition de loi à laquelle vous faites référence a été déposée en 2013, et non en 2003.
Indépendamment du fait que le Gouvernement n’est pas sourd aux demandes exprimées régulièrement de ne pas alourdir encore le code du travail, qui est déjà très lourd, son avis est le même que celui qu’il avait émis lors de la discussion de la proposition de loi en 2013 : avis défavorable.
Je voudrais répéter ce que j’ai déjà dit lors de la discussion générale : monsieur Ciotti, le problème que vous posez dans cet amendement, comme dans la proposition de loi qu’avait déposée le groupe UMP, est une question qui est devant nous et qu’il nous faudra traiter. Le problème est complexe et il faudra l’aborder avec prudence. Mais je ne crois pas, mon cher collègue, qu’il faille agréger à l’avancée que propose aujourd’hui le groupe RRDP la question du fait religieux dans l’entreprise.
L’amendement no 21 n’est pas adopté.
L’amendement no 4 , tendant à supprimer l’article 1er bis, est défendu.
L’amendement no 4 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.
La parole est à M. Alain Tourret, rapporteur, pour soutenir l’amendement no 11 rectifié .
L’amendement no 11 rectifié , accepté par le Gouvernement, est adopté et les amendements nos 24 , 26 , 25 et 27 tombent..
L’article 1er bis, amendé, est adopté.
J’évoquais tout à l’heure notre volonté d’élargir le champ de ce texte qui, je le crains, va être considérablement restreint. Vous abordez la question de l’expression de la laïcité dans le contexte de la petite enfance, mais cette question se pose également, dans un cadre différent, mais qui participe du même esprit, à l’université. Je rappelais tout à l’heure le récent rapport de l’Inspection générale de l’éducation nationale, révélé par Le Monde hier soir, qui décrit la situation particulièrement scandaleuse de l’Université Paris 13, à Villetaneuse. On y constate des pressions communautaristes, des conflits et des menaces de mort à l’encontre du directeur de l’IUT dépendant de l’université de Villetaneuse. J’ai déjà rappelé l’exclusion d’un professeur par le président de cette même université.
De plus en plus de problèmes se posent dans les salles de cours, dans les amphithéâtres, où la nature même des cours peut être contestée, tandis que les signes religieux sont de plus en plus présents au sein de l’université. Pour moi, l’université est un espace tourné vers la modernité, la tolérance, la science, la recherche. Par conséquent, je ne conçois pas que l’on accepte que, dans les salles de cours, dans ces lieux qui expriment le regard vers l’avenir d’une société, certains étudiants puissent se soumettre à des règles religieuses ou à des superstitions – j’ose le mot. Je sais que ce débat fait l’objet de controverses, mais je suis convaincu, et j’en fais le pari ce soir, que notre société, que notre république, devra dresser des garde-fous, qui permettront d’arrêter l’avancée d’un prosélytisme communautariste qui me paraît dangereux pour notre république. C’est pour cela que je défends cet amendement.
Sur l’amendement no 19 , je suis saisi par le groupe de l’Union pour un mouvement populaire d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Quel est l’avis de la commission ?
Monsieur Ciotti, vous connaissez mes convictions sur le port du voile à l’université : je pense qu’admettre le port du voile à l’université, qui est un lieu de grande liberté, est une remise en cause de l’égalité entre les hommes et les femmes. Pour autant, je ne suis pas favorable à l’adoption de votre amendement, car cela serait contraire à ce que j’ai proposé, à savoir de commencer par consolider cette loi, avant de réfléchir à d’autres avancées. Je suis donc amené à émettre un avis défavorable.
Défavorable.
Mes chers collègues, j’ai cosigné cet amendement d’Éric Ciotti et je voudrais m’en expliquer en quelques mots. J’y vois un vrai progrès pour la laïcité, entendue comme une laïcité de conservation et d’insoumission. Conservation de ce que nous sommes : une république respectueuse de l’égalité entre les femmes et les hommes et respectueuse de la liberté de croyance ; une république qui encourage l’apprentissage des savoirs et qui ne souhaite pas qu’au sein de l’université, des revendications communautaristes s’expriment de manière extrêmement visible. Laïcité d’insoumission, aussi – je dis bien d’insoumission – à ces revendications communautaristes qui montent. Et je regrette qu’au moment où l’on essaie, sur des bancs très différents, de bâtir un texte garantissant le plus large rassemblement républicain ; je regrette, monsieur le rapporteur, connaissant votre sensibilité et votre réflexion, que vous ne nous aidiez pas à franchir aussi ce pas à l’université.
S’il y avait un pari à prendre, c’est un pari très simple que je prendrais : je suis convaincu que dans les mois ou les années à venir, l’Assemblée nationale débattra à nouveau d’un dispositif similaire à celui que nous proposons et adoptera ce dispositif, dans l’intérêt national.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 19 Nombre de suffrages exprimés: 18 Majorité absolue: 10 Pour l’adoption: 4 contre: 14 (L’amendement no 19 n’est pas adopté.)
Cet amendement, monsieur le président, concerne les parents d’élèves qui accompagnent leurs enfants lors des sorties ou voyages scolaires. Sous le gouvernement précédent, le ministre de l’éducation nationale, Luc Chatel avait publié une circulaire interdisant le port de signes religieux, alors qu’un avis du Conseil d’État laissait aux directeurs d’établissement la liberté de réglementer le port de signes religieux, ce qui les plaçait dans une situation impossible. Le ministre de l’éducation nationale a pris cette mesure courageuse interdisant le port de signes religieux. L’actuelle ministre de l’éducation nationale n’applique plus aujourd’hui la même doctrine, et nous le regrettons.
Nous pensons que le législateur doit prendre ses responsabilités en la matière : des parents qui accompagnent des élèves en sortie scolaire n’ont pas à porter de signes religieux ostensibles et à imposer ainsi leur appartenance religieuse aux enfants. C’est pour cela que nous défendons cet amendement.
Pour la bonne organisation de nos débats, je vous annonce d’ores et déjà que sur l’amendement no 18 , qui sera examiné par la suite, je suis saisi par le groupe de l’Union pour un mouvement populaire d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Pour en revenir à l’amendement no 17 , monsieur le rapporteur, quel est l’avis de la commission ?
Avis défavorable, par souci de logique. M. Ciotti le comprendra parfaitement.
Avis défavorable.
Je rappelle tout d’abord à M. Ciotti que la circulaire « Chatel » est toujours en vigueur.
Je raisonne à partir de l’attachement d’hommes et de femmes à l’école de la République. Ces hommes et ces femmes sont souvent parents d’élèves, représentent une organisation de parents d’élèves, siègent au conseil d’école. Ils participent aux kermesses, et à tout ce qui permet à l’école de financer des activités. Et d’un seul coup, par une circulaire, ils se trouvent exclus de cet engagement auprès de l’école républicaine.
Alors, on parle d’intégration, de « tous ensemble », je pense que l’école peut justement être un lieu où, au travers l’action des parents, on crée ce « tous ensemble ». Et je peux vous dire qu’avoir exclu des sorties scolaires des femmes qui sont des militantes de l’école républicaine et laïque est un signe extrêmement grave de fracture dans nos sociétés. Je voterai contre cet amendement.
J’aimerais comprendre pourquoi le Gouvernement est contre cet amendement. Aux plans pratique, politique ou juridique, il est pertinent. Il consiste à graver dans le marbre de la loi ce que la circulaire « Chatel » avait énoncé. Or vous n’avez pas abrogé cette circulaire. Nous nous appuyons aussi sur l’avis rendu par le Conseil d’État en décembre 2013, qui incitait l’autorité institutionnelle à prendre ses responsabilités et à écrire la règle.
Cet amendement, nous vous le soumettons à nouveau, et nous avons un peu de mal à comprendre, madame la secrétaire d’État, pourquoi vous vous bornez à nous indiquer un avis défavorable sans argumenter un peu au-delà. Si vous êtes pour la circulaire « Chatel », vous devez être favorable à l’amendement qui l’écrit expressis verbis dans la loi de la République.
Nous en revenons au débat que nous avons eu sur la motion de renvoi de M. Ciotti. Ce texte a une cohérence, nous avons essayé d’y travailler à partir des propositions du président Roger-Gérard Schwartzenberg et de notre rapporteur.
Ce qui me gêne, c’est que vous voulez rouvrir des débats, c’est votre liberté…
Oui, ils existent dans la société, mais nous pouvons avoir d’autres débats, c’est votre libre choix.
S’agissant de l’école, les parents ne sont pas producteurs du service public de l’éducation nationale. Si l’école ne veut pas des parents tels qu’ils sont, que l’éducation nationale organise elle-même les accompagnements scolaires. Pour reprendre la publicité d’une grande chaîne nationale de fast-food : « Venez comme vous êtes ».
Nous avons réussi progressivement à installer le principe de la coéducation. Si l’on commence à faire le tri dans les parents, que voulons-nous ? Voulons-nous que les parents accompagnent la réussite éducative de leurs enfants, qu’ils viennent comme ils sont, en tongs ou en foulard pour faire une sortie de piscine ou de musée, ou veut-on les laisser hors de l’école ? À un moment donné, il faut choisir.
Je considère que les parents ne sont pas producteurs du service public de l’éducation nationale, ils ne sont pas rémunérés, ce sont des bénévoles extérieurs qui ont la gentillesse de suppléer à un manque de moyens pour l’éducation nationale. Je préfère que des mères voilées ou des pères en tongs accompagnent comme bénévoles des sorties scolaires dans un musée, plutôt que de rester en dehors de l’école. En rentrant chez eux, ils pourront expliquer, échanger avec leurs enfants, et l’on travaillera à la réussite éducative.
Cet amendement n’apporte rien à l’éducation, au contraire, il enlève. Il ne faut pas mélanger les débats. Pour ma part, je suis totalement opposé à cette proposition, pas par lâcheté, pas par communautarisme, mais pour la réussite éducative des enfants de la République.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR et SRC.
Très bien !
En tout état de cause, tel qu’il est rédigé, cet amendement ne donne pas satisfaction aux cas de discrimination positive. Il existe des cas dans lesquels une mère ne va pas accompagner en portant un foulard, mais j’ai moi-même connu le cas, il y a de longues années, en tant que mère d’élève accompagnatrice, d’une mère d’élève appartenant à une grande religion monothéiste – qui n’est pas l’Islam – et qui était allé s’asseoir à l’écart des autres enfants à l’occasion de la visite du musée d’Auvers-sur-Oise. Elle agissait ainsi de manière à ce que sa fille ne puisse pas partager le pain, le vin – si je puis dire ! – et le couvert avec les autres enfants, ni recevoir d’eux une nourriture quelconque.
C’est un comportement beaucoup plus discriminatoire que de porter un petit foulard et de venir partager le couscous avec les autres élèves. Et ce comportement n’est pas couvert par l’amendement tel qu’il est rédigé. Cela montre les contradictions dans lesquelles nous entrerions avec ce type d’interdiction. Il faut faire confiance aux chefs d’établissement pour éviter des dérapages qui pourraient être excessifs dans un certain nombre de cas. Pour le reste, je ne crois pas que l’on puisse rédiger quelque chose qui ne soit pas discriminatoire à l’encontre de certaines religions par rapport à d’autres, ce qui serait un comble !
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 20 Nombre de suffrages exprimés: 18 Majorité absolue: 10 Pour l’adoption: 3 contre: 15 (L’amendement no 17 n’est pas adopté.)
« Ah ! » sur les bancs du groupe RRDP.
Avis défavorable. Concernant tous les amendements présentés par M. Ciotti, le Gouvernement souhaite que l’Assemblée en reste à l’objet initial de la proposition de loi, qui consiste à tirer les conséquences de l’affaire Baby Loup et renforcer cette jurisprudence.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 20 Nombre de suffrages exprimés: 19 Majorité absolue: 10 Pour l’adoption: 3 contre: 16 (L’amendement no 18 n’est pas adopté.)
L’amendement no 5 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.
L’article 1er ter est adopté.
L’amendement no 6 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.
L’article 1er quater est adopté.
L’amendement no 7 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.
L’article 1er quinquies est adopté.
Je me suis exprimé sur cet amendement de suppression. Je pense qu’il ne fait pas consensus actuellement, tant pour des questions de rédaction que de périmètre. Nous avions essayé de trouver une solution avec un décret en Conseil d’État, qui est également d’une légalité fragile.
Je préfère donc, pour ces multiples raisons, demander la suppression de l’article 2.
L’amendement no 8 est défendu. Quel est l’avis du Gouvernement sur ces deux amendements identiques ?
Avis favorable. Cet article 2 incluait dans son champ d’application un nombre trop large de structures, avec des effets juridiques incertains et différenciés. Adopter cet amendement de suppression serait donc raisonnable.
C’est finalement un amendement de coordination qui tend à tenir compte, dans le titre de la proposition de loi, de la suppression de l’article 2, proposée par un amendement distinct. C’est pourquoi je propose, au titre de la proposition de loi, de substituer aux mots : « à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs », les mots : « aux structures privées en charge de la petite enfance ».
L’amendement no 14 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
La proposition de loi est adoptée.
Applaudissements sur tous les bancs.
La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à dix-neuf heures trente-cinq, sous la présidence de M. Marc Le Fur.
La parole est à Mme Chantal Guittet, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger, mes chers collègues, nous sommes réunis ce soir pour examiner une proposition de loi qui donnera, j’en suis sûre, une bouffée d’oxygène aux sociétés de négoce international. Le rôle de ces sociétés est souvent méconnu. Elles sont pourtant des maillons indispensables du commerce international. Elles favorisent la conquête de nouveaux marchés, lointains et difficiles d’accès, et contribuent à la réduction du déficit de notre balance commerciale.
C’est une satisfaction personnelle de voir en passe d’aboutir un texte que je porte depuis longtemps, avec mon collègue Jean-Pierre Le Roch. Cette proposition de loi s’inscrit dans l’ambition générale du Gouvernement et de la majorité de lever tous les obstacles législatifs et réglementaires auxquels sont confrontées les entreprises. Elle n’ouvre aucune boîte de Pandore, ne menace aucun droit, ne contient aucun recul.
Il est simplement proposé à l’Assemblée nationale un ajustement à la loi de modernisation économique, dite « LME », pour tenir compte des spécificités du commerce en dehors de l’Union européenne. Les bénéfices attendus seront, sans nul doute, un gain de compétitivité pour les sociétés exportatrices, une augmentation des achats faits en France – les entreprises françaises n’iront plus chercher de meilleurs délais de paiement chez les fournisseurs étrangers – et, à terme, des investissements et des emplois. J’espère donc susciter l’enthousiasme sur tous les bancs de l’hémicycle, comme ce fut le cas en commission des lois.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi de modernisation de l’économie en 2008, le délai de paiement entre entreprises est borné à quarante-cinq jours fin de mois ou à soixante jours à compter de la date d’émission de la facture. Toutes les transactions entre entreprises françaises sont soumises à cette règle, sauf si elles concernent des denrées périssables. Le dépassement du délai est durement sanctionné : l’article L. 441-6 du code de commerce prévoit une amende importante de 375 000 euros pour une personne morale. Cette disposition a eu beaucoup de vertus en matière d’assainissement des délais de paiement sur le marché domestique. Elle est, a contrario, un frein puissant, un handicap face à nos concurrents internationaux quand il s’agit d’entreprises actives à l’international.
Le droit international – en l’occurrence, la convention de Vienne de 1980 – laisse aux parties une totale liberté de choix pour la fixation des délais de paiement, sous réserve que personne ne soit lésé dans la négociation. Quant au droit européen, une directive du 16 février 2011 fixe un délai de soixante jours, tout en laissant aux cocontractants la possibilité de s’entendre sur un délai.
Ainsi, alors que la France ordonne un délai de quarante-cinq jours fin de mois ou de soixante jours à compter de la facture, le reste du monde, y compris nos voisins européens comme la Belgique, l’Allemagne ou l’Italie, laisse une entière liberté aux commerçants. L’entreprise française subit alors un effet ciseau : elle doit payer ses fournisseurs rapidement alors qu’elle ne peut imposer le même délai à ses clients étrangers. Le faire reviendrait, dans la plupart des cas, à faire payer à ceux-ci les commandes avant réception, ce qui est totalement inconcevable. En Afrique, par exemple, les clients étrangers ont coutume de payer dans un délai de 90 à 180 jours pour tenir compte des délais d’acheminement, longs de dix semaines en moyenne.
En France, une telle situation entraîne des frais de trésorerie, évalués autour de 10 %. Elle nuit donc à la compétitivité de nos entreprises, leur fait manquer des contrats et détruit des emplois.
Les exportations indirectes réalisées par nos sociétés de négoce indépendantes atteignent un montant de 36 milliards d’euros par an. De nombreuses entreprises – environ 5 000 – employant un grand nombre de salariés sont placées dans une situation de faiblesse concurrentielle. Bizarrement, notre code de commerce les incite à choisir un fournisseur étranger, avec qui les délais de paiement sont négociables, plutôt qu’un fournisseur français, pour lequel ces délais sont imposés. Selon les opérateurs spécialisés du commerce international, chaque fois que les négociants indépendants substituent à 1 % de leurs achats auprès des producteurs français des achats à l’étranger, ce sont 360 millions d’euros de chiffre d’affaires qui sont perdus par les usines et les agriculteurs français. Cela représente des manques à gagner importants. Cette hémorragie doit cesser.
Dans sa rédaction initiale, la proposition de loi visait à dispenser les entreprises de « grand export », c’est-à-dire exportant hors de l’Union européenne, de l’encadrement des délais de paiement prévu par la loi de modernisation de l’économie. Cette initiative inquiétait leurs fournisseurs, qui redoutaient de voir la charge de trésorerie se reporter sur eux. Nous avons entendu cette inquiétude : la commission des lois y a répondu en adoptant des amendements qui, au lieu de supprimer l’encadrement réglementaire, font le choix de l’assouplir. Les délais de paiement légaux seront un peu plus longs pour les entreprises exportatrices : quatre-vingt-dix jours à compter de la facture si le fournisseur est une PME, et cent vingt jours s’il s’agit d’une grande entreprise. Nous offrirons ainsi plus de liberté aux exportateurs tout en maintenant le contrôle auquel sont attachés les fournisseurs.
Du fait de l’adoption de ces amendements en commission, l’article 2 de la proposition de loi a perdu sa raison d’être. Pendant un temps, j’ai envisagé de le supprimer, mais la proposition formulée par M. Le Roch et le groupe SRC m’a fait changer d’avis en faveur d’une réécriture. J’indique d’ores et déjà que je serai favorable à l’amendement no 1 , qui étend le dispositif aux exportations de denrées alimentaires périssables, sous réserve de deux précisions mineures.
La législation actuelle constitue, de fait, un véritable barrage à l’achat des productions françaises destinées au grand export, donc à la valorisation de ce que nous appelons le « made in France » à l’international. Les productions étrangères se voient conférer un avantage comparatif évident à cause d’une malheureuse distorsion légale. La présente proposition de loi rend à nos entreprises la possibilité de lutter à armes égales avec leurs concurrents internationaux, sans pour autant sacrifier la sécurité économique apportée aux fournisseurs par la loi de modernisation de l’économie.
Je tiens à remercier le groupe SRC et son président, Bruno Le Roux, d’avoir inscrit ce texte important à l’ordre du jour. Je remercie tous les autres groupes qui composent l’Assemblée nationale, de la majorité comme de l’opposition, de l’avoir unanimement adopté en commission des lois. J’espère qu’il en sera de même, dans quelques minutes, en séance publique.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger.
Monsieur le président, madame la rapporteure et auteure de la proposition de loi, mesdames et messieurs les députés, l’Assemblée nationale entame aujourd’hui l’examen en première lecture d’une proposition de loi visant à instaurer une dérogation aux délais de paiement interentreprises pour les activités de « grand export ».
La loi de modernisation de l’économie de 2008 a plafonné les délais de paiement interentreprises à quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d’émission de la facture. En instaurant ces délais, cette loi visait à protéger les PME, qui se font trop souvent imposer des délais de paiement supérieurs à soixante jours, notamment par les grandes entreprises, les plaçant parfois dans des situations extrêmement difficiles. Le plafonnement répondait à une demande très forte des PME, auxquelles vous connaissez mon attachement particulier. Des difficultés, des abus et des complications en résultaient bien souvent.
Après vous, madame la rapporteure, je tiens à souligner qu’il n’est en aucun cas question de remettre en cause la protection dont bénéficient aujourd’hui les PME. L’équilibre ainsi construit par la loi de modernisation de l’économie sur ce point doit être maintenu. Il s’agit en revanche de permettre à nos entreprises de faire face à la concurrence qui s’exerce dans un cadre européen et international.
Quel est le problème aujourd’hui ? La directive européenne sur les délais de paiement autorise les sociétés de négoce et leurs fournisseurs à négocier, par voie contractuelle, des délais de paiement supérieurs à soixante jours, dès lors que ces délais ne constituent pas un abus manifeste à l’égard du créancier. Au regard du droit communautaire, cette situation pénalise les sociétés françaises de négoce, qui vendent des produits hors de l’Union européenne.
Ces sociétés ont en effet des clients qui ne sont pas assujettis aux mêmes obligations et négocient des délais de paiement à quatre-vingt-dix, cent vingt, voire cent quatre-vingts jours, pour tenir compte notamment de temps de transport supérieurs à soixante jours. En matière d’export, cela arrive fréquemment.
Les sociétés françaises de négoce doivent alors financer la période entre la date à laquelle elles payent leurs fournisseurs français et la date à laquelle elles sont payées par leurs clients domiciliés hors de l’Union européenne.
Quel est l’enjeu ? Ce sont aujourd’hui 17 000 petites et moyennes entreprises et entreprises de taille intermédiaire de négoce représentant 37 milliards d’euros d’exportation qui sont concernées.
Or ces sociétés sont le bras armé commercial de beaucoup de PME françaises, qui n’ont souvent pas les ressources humaines, financières et juridiques pour se développer seules à l’international.
Il s’agit donc de faire en sorte que les sociétés de négoce ne délocalisent pas leur activité et continuent à se fournir auprès d’entreprises françaises. En effet, il existe des risques sérieux de voir les sociétés françaises de négoce délocaliser leur activité ou se fournir auprès d’autres entreprises européennes qui peuvent leur octroyer des délais de paiement supérieurs à soixante jours en application de la directive européenne.
C’est un enjeu essentiel tant pour les sociétés de négoce que, par ricochet, pour les petites et moyennes entreprises qui risquent de se voir progressivement détrôner et remplacer par d’autres PME au sein de l’Union européenne en tant que fournisseur au cas où des sociétés françaises de négoce décidaient de délocaliser leurs activités. Cela serait très préjudiciable à la fois pour notre économie et pour l’exportation des petites et moyennes entreprises.
La proposition de loi présentée par la députée Chantal Guittet prévoit l’introduction en France de la même souplesse que celle qui existe dans les autres pays européens.
L’objectif est de donner la possibilité aux fournisseurs français de négocier des délais de paiement supérieurs à soixante jours avec les sociétés de négoce. Aujourd’hui, ils n’ont en effet pas d’autre choix que de proposer quarante-cinq ou soixante jours, ce qui les conduit à perdre des contrats. Pour lever cette difficulté, il est nécessaire d’introduire une dérogation à un régime qui, encore une fois, doit rester très protecteur et qui, sur le plan des principes, ne saurait être remis en cause.
C’est pourquoi la dérogation proposée par Mme Guittet est strictement encadrée et limitée pour éviter tout abus de la part des sociétés de négoce, et ce par une série de quatre dispositions.
Premièrement, les marchandises doivent être expédiées hors de l’Union européenne. De plus, les marchandises exportées doivent être « livrées en l’état », c’est-à-dire qu’elles ne doivent pas subir de transformation entre l’achat en France et l’exportation. Il s’agit d’éviter que l’allongement du délai de paiement ne se répercute sur l’ensemble de la chaîne de fabrication, ce que l’on appelle parfois l’effet domino.
Le fournisseur français est alors libre de choisir s’il accepte les conditions de paiement supérieures à quarante-cinq ou soixante jours qui lui sont proposées par la société de négoce ou s’il souhaite ne pas conclure le contrat.
Ensuite, afin d’éviter des abus de position dominante, les sociétés de négoce rentrant dans la catégorie des « grandes entreprises », soit plus de 5 000 salariés ou plus de 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires, ne pourront pas bénéficier de cette dérogation, qui leur permettrait d’imposer leurs conditions de paiement aux fournisseurs français. Sur ce point, il ne faut pas être naïf. Il ne s’agit pas d’inventer un dispositif qui serait parfait sur le papier, mais qui dans la réalité serait détourné. Et c’est le sens de cette disposition.
Enfin, le dépassement du délai de soixante jours ne pourrait avoir lieu que dans un cadre contractuel dont le non-respect et les abus seraient sanctionnés si le dépassement n’est pas justifié par des délais de paiement à l’export supérieurs aux délais de paiement imposés en France, plafonnés à 75 000 euros et 375 000 euros selon qu’il s’agit de personne physique ou de personne morale.
En lien avec le ministère chargé du commerce extérieur et le ministère chargé de l’économie, vous avez, madame la députée, par ailleurs souhaité renforcer le cadre dans lequel s’inscrit cette proposition de loi, en plafonnant cette dérogation :
À soixante jours quand le fournisseur de la société de négoce est un grand groupe ou une entreprise de taille intermédiaire. Par conséquent, le délai de paiement maximum est alors de cent vingt jours, soit soixante jours liés au droit commun et soixante jours liés à la dérogation ;
À trente jours quand le fournisseur de la société de négoce est une PME. Par conséquent, le délai de paiement maximum est alors de quatre-vingt-dix jours, soit soixante jours liés au droit commun et trente jours liés à la dérogation. Je ne crois pas trahir votre pensée, madame la députée.
C’est le sens de l’amendement que vous avez déposé et qui a été adopté par la commission des lois le 15 avril dernier.
Je sais, pour en avoir parlé avec elles, les réticences de plusieurs fédérations professionnelles. Or tout le monde reconnaît qu’il y a un enjeu important pour les PME françaises, mais il est vrai que certaines fédérations professionnelles craignent que cette dérogation ne conduise à fragiliser les dispositions législatives encadrant les délais de paiement inter-entreprises.
Ces préoccupations sont légitimes, le Gouvernement les entend.
Mais d’une part, vous l’avez constaté, les mesures qui encadrent strictement la dérogation proposée visent à prévenir toute dérive et la fragilisation d’un régime précisément destiné à protéger nos PME. La logique qui préside à cette dérogation est de la limiter à des cas très particuliers, et qu’elle ne puisse jamais être imposée aux PME françaises, qui coopèrent avec une PME de négoce. La liberté de choix des fournisseurs français est au centre du dispositif.
C’est en raison de toutes ces précautions que le réseau des conseillers du commerce extérieur de la France a, par la voix de son président M. Bentéjac, apporté son soutien à la présente proposition de loi laquelle est également soutenue par la fédération représentant les sociétés de négoce, que préside M. Vauchez. Tous sont attentifs à ces questions et à l’encadrement très strict auquel il est procédé.
D’autre part, les enjeux pour notre commerce extérieur sont significatifs. Nous l’avons dit, les difficultés qui pèsent sur les sociétés de négoce auront des répercussions sur le développement international de nos entreprises, notamment nos PME. Aujourd’hui, le diagnostic est connu : les PME françaises ont des difficultés à se lancer à l’international. Nous avons deux fois moins d’entreprises exportatrices que l’Italie, trois fois moins que l’Allemagne et nos entreprises ont des difficultés à exporter dans la durée. C’est pourquoi nous avons engagé un travail de fond pour nous attaquer à cette faiblesse structurelle et aider les PME à travers un plan d’action global.
Ainsi, le Gouvernement met en place un parcours simplifié d’accompagnement à l’export qui bénéficiera à 3 000 entreprises sur les trois prochaines années ; des mesures de simplification douanière et un réseau de référents PME dans les pays d’implantation des conseillers du commerce extérieur de la France – cent quarante-neuf pays – sont en cours. Les acteurs publics et privés du soutien à l’export sont mobilisés dans le cadre du conseil stratégique que j’ai créé pour piloter la mise en oeuvre de ces mesures, présentées en mars lors du premier forum des PME à l’international, organisé au Quai d’Orsay.
Décliné dans les treize futures régions françaises, ce forum permettra aux responsables de PME et aux acteurs locaux qui travaillent à l’export de bénéficier d’un ensemble d’outils cohérents au service de l’internationalisation de nos entreprises. Le texte qui est soumis à votre examen aujourd’hui s’intègre parfaitement dans les travaux du Gouvernement au service des PME à l’international. L’ensemble du Gouvernement est mobilisé sur ce front en lien avec les régions.
La dérogation proposée est strictement encadrée et ne remettra en aucun cas en cause les principes posés par la loi de modernisation de l’économie sur la question des délais. Je note d’ailleurs que lors de mes déplacements sur le terrain, de nombreux responsables de PME ont évoqué leurs difficultés et fait part de leur souhait qu’on y apporte des réponses pragmatiques et encadrées.
C’est dans cet état d’esprit, mesdames et messieurs les députés, que le Gouvernement émet un avis favorable à cette proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP et UDI.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous sommes ici aujourd’hui pour réaliser une avancée très attendue par les entreprises exportatrices françaises, fruit d’un travail mené avec ma collègue rapporteure Chantal Guittet.
Je tiens tout d’abord à saluer et à remercier pour la qualité de leur travail et de leur engagement les chefs d’entreprise conseillers du commerce extérieur de la France ainsi que la fédération professionnelle des opérateurs spécialisés du commerce international, qui représente 20 000 entreprises de négoce françaises.
Ce sont eux qui, en 2013, nous ont alertés sur les conséquences dramatiques de l’application uniforme des dispositions de la loi de modernisation de l’économie, dite LME, sur les délais de paiement pour les sociétés de négoce exportant à l’international.
Depuis l’entrée en vigueur en 2008 de la loi LME, les délais de paiement entre les entreprises ne peuvent excéder quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d’émission de la facture. Cette disposition vise à éviter qu’une grande entreprise, en réglant ses factures en retard, ne mette en péril les TPE et PME qui la fournissent.
La loi relative à la consommation, que nous avons adoptée le 17 mars 2014, est venue renforcer cette règle en créant un régime de sanctions administratives.
Au niveau européen, la directive de 2011 relative à la lutte contre les retards de paiement dans les transactions commerciales fixe également un délai de soixante jours. Mais elle fait primer la liberté contractuelle des sociétés de négoce et fournisseurs, qui peuvent s’entendre sur un délai supérieur, à condition qu’il n’y ait pas d’abus.
Ainsi, ces dispositions apportent une sécurité bienvenue aux opérateurs économiques, aussi bien au niveau national qu’au niveau intra-européen. Dans un contexte où le crédit interentreprises engendré par ces délais de paiement est évalué à plus de 600 milliards d’euros, soit environ 30 % du PIB, cette mesure est une bonne mesure, attendue par les entreprises.
Cependant, elle pose un problème de taille pour les entreprises pratiquant le « grand export », c’est-à-dire la vente hors de l’Union européenne.
Le droit international, par la convention de Vienne de 1980, laisse une complète liberté de choix aux parties dans la fixation des délais de paiement. Nos entreprises doivent donc composer avec des délais de paiement hors Union européenne significativement plus longs, ceux-ci pouvant courir jusqu’à cent vingt jours, cent cinquante jours ou plus encore.
Ainsi nos entreprises se voient confrontées à un effet ciseau. Elles doivent rémunérer leurs fournisseurs français immédiatement, mais accepter d’être elles-mêmes payées par leurs clients bien plus tard, afin de s’adapter aux réalités du marché international.
Ce hiatus entre délais de paiement européens et extra-européens entraîne des frais de trésorerie pour l’entreprise française, nuit à sa compétitivité, l’empêchant de se positionner sur certains contrats et à terme, détruit des emplois.
En effet, cette situation conduit nécessairement les entreprises de négoce à rechercher, de la part de leurs fournisseurs, de la flexibilité. Chez nombre de nos partenaires européens, tels que le Royaume-Uni, la Belgique, l’Italie ou encore l’Autriche, elles en disposent. Ce n’est pas le cas en France. L’absence de flexibilité qui interdit, même au producteur français qui le désire de partager l’effort financier de son négociant exportateur, constitue, de fait, un barrage à l’achat des productions françaises destinées au grand export, et donc à la valorisation du made in France à l’international.
Nous parlons ici de près de 10 % des exportations françaises. La demande à satisfaire atteint environ 36 milliards d’euros, ce qui représente des perspectives de croissance et d’emploi considérables.
Les entreprises de négoce au « grand export » sont en effet un des piliers de l’appareil exportateur français, contribuant à la réduction du déficit de notre balance commerciale. Elles offrent à nos entreprises, en particulier à celles qui débutent à l’export, des compétences ainsi qu’une interface pour le développement de leurs exportations. Véritables bras armés commerciaux de beaucoup de PME, elles sont une des forces des économies allemande et japonaise, qui se sont appuyées très tôt sur des entreprises spécialisées dans la commercialisation de produits, pour pallier l’inexpérience de leurs acteurs nationaux.
Or ces 4 600 entreprises françaises, qui emploient plus de 35 000 personnes, doivent arbitrer entre les trois options suivantes : acheter en France dans des conditions qui, compte tenu du cadre légal, sont particulièrement coûteuses en termes de trésorerie ; jouer d’artifices légaux afin de contourner cette contrainte, en ayant par exemple recours à des contrats de droit étranger ou en délocalisant leur siège ; ou acheter chez nos partenaires européens cités précédemment, avec lesquels il est possible de négocier, par voie contractuelle, des conditions mutuellement plus équitables.
Quelle que soit l’option choisie, les conséquences ne peuvent être que funestes pour l’activité de nos territoires. Ainsi, comme le rappelait Mme Chantal Guittet lors de l’examen de notre texte en commission des lois, chaque fois que les négociants indépendants choisissent de remplacer 1 % de leurs achats en France par des achats à l’étranger, s’envoleraient près de 360 millions d’euros de chiffre d’affaires pour nos entreprises. En termes d’emplois, ce sont ainsi entre 3 500 et 7 000 postes qui seraient détruits.
Cette terrible faiblesse concurrentielle et ses répercussions néfastes sur le tissu économique français ne sont pourtant dues qu’à une simple distorsion légale. Il était donc nécessaire d’ajuster la législation, afin de donner un peu d’air à nos entreprises.
Durant les deux dernières années, nous avons mené un long travail de concertation, au cours duquel nous avons dialogué et rencontré le soutien de nos entreprises exportatrices, des ministères et de nos collègues socialistes, ainsi que l’appui renouvelé du président de la commission des affaires économiques, M. François Brottes, que je tiens à remercier encore ici.
Nous avons également levé quelques inquiétudes. En effet, afin d’apaiser les craintes des fournisseurs de nos entreprises exportatrices, nous avons choisi, en commission des lois, d’assouplir l’encadrement réglementaire plutôt que de le supprimer. Ainsi, les délais de paiement s’élèveront à 90 jours à compter de la facture si le fournisseur est une PME, et à 120 jours s’il s’agit d’une grande entreprise. Il reviendra ensuite aux commissaires aux comptes et au ministère de l’économie de vérifier le respect de ces nouvelles prescriptions.
L’équilibre trouvé en commission des lois est ainsi plus que satisfaisant, comme l’a montré son adoption unanime et transpartisane.
Cependant, l’extension des délais légaux de paiement que nous avons votée voilà maintenant un mois ne concerne que le commerce des biens autres qu’alimentaires. Compte tenu du fait que les exportations françaises comprennent pour une large part des denrées alimentaires et des boissons alcooliques, et afin de parfaire ce texte, je vous proposerai donc un amendement visant à ce que ces productions, très appréciées à l’international, bénéficient des mêmes facilités d’exportation que celles des autres secteurs.
Nous avons aujourd’hui l’occasion de donner à nos entreprises la possibilité d’être au plus près des réalités du marché international et, ainsi, de lutter à armes égales avec leurs concurrents étrangers. Dans le même temps, nous pouvons sécuriser l’accès des producteurs français à des marchés qui, jusque-là, leur échappaient au profit de fournisseurs étrangers non soumis aux dispositions de la loi de modernisation de l’économie.
Lever les obstacles réglementaires à la croissance économique et favoriser l’activité de nos entreprises, tels sont nos objectifs et ceux de notre Gouvernement.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, le groupe UDI tient tout d’abord à saluer le travail effectué par Mme la rapporteure Chantal Guittet, dont chacun connaît l’engagement de longue date sur ce sujet.
Lors des débats sur la loi consommation, vous aviez déjà déposé, madame la rapporteure, un amendement qui allait dans le sens de cette proposition de loi. L’opposition vous avait alors massivement soutenue, consciente de l’importance qu’il y avait à aider davantage nos PME exportatrices et, plus généralement, notre commerce extérieur.
La question des délais de paiement représente indéniablement un enjeu économique et financier majeur pour les entreprises de grand export et, si nous nous accordons tous à dire qu’il est important d’encadrer ces délais, notamment pour éviter toute forme d’abus, il me semble néanmoins pertinent de les définir en fonction de l’activité principale de l’entreprise.
Depuis la loi de modernisation de l’économie d’août 2008, le délai limite de règlement est fixé à 30 jours à compter de la réception de la marchandise. Cependant, le fournisseur et le client ont la possibilité de convenir d’un délai plus court ou plus long, qui ne peut toutefois dépasser 45 jours fin de mois ou 60 jours calendaires.
La loi relative à la consommation de mars 2014 a renforcé ce dispositif, en incitant à réduire davantage les délais de paiement et en aggravant les sanctions en cas de non-respect de ces délais. Lors de l’examen de ce texte, le groupe UDI n’avait cessé de souligner les incohérences d’un gouvernement qui semblait manquer de pragmatisme face à des questions aussi essentielles, touchant directement la compétitivité de nos entreprises.
En effet, les choix opérés dans la loi Hamon ne nous ont pas toujours paru opportuns. Il aurait, par exemple, été préférable d’accompagner les entreprises rencontrant des difficultés de paiement, plutôt que de les sanctionner encore plus durement. Alors que la France traverse une crise économique, financière et sociale sans précédent, notre devoir est de soutenir nos entreprises, véritables leviers de croissance pour notre pays.
Nous sommes par ailleurs convaincus que les modifications répétées de notre réglementation sur les délais de paiement ne font qu’apporter un peu plus de complexité à un dispositif souvent contraignant pour les entreprises.
Le groupe UDI ne s’est cependant jamais opposé à un véritable débat de fond sur la épineuse question des délais de paiement. En effet, si la LME a eu le mérite de les réduire, force est de constater que les pertes de trésorerie subies par nos entreprises restent, aujourd’hui encore, très importantes.
Si nous devons continuer ce combat pour éviter de mettre en danger nos entreprises, nous devons aussi adapter notre réglementation aux réalités du terrain, en prenant en compte les cas particuliers. Ainsi, plus d’un an après l’adoption de la loi Hamon, cette proposition de loi sonne presque comme un mea culpa destiné à nos entreprises de grand export, car elle leur permet enfin de bénéficier de dérogations aux délais de paiement.
Cette mesure aurait certes pu être adoptée un peu plus tôt, mais nous nous réjouissons de l’initiative prise par le groupe SRC de mettre ce texte à l’ordre du jour.
Lors des discussions sur la loi relative à la consommation, M. Benoît Hamon s’était montré particulièrement hostile à un tel dispositif et avait même jugé préférable de repousser l’amendement. De nombreux débats s’étaient alors engagés à l’Assemblée nationale et au Sénat, sans malheureusement parvenir à trouver un consensus équilibré.
Or, le groupe UDI reste convaincu que la situation des sociétés exportatrices doit être traitée comme un cas à part. En effet, une grande partie de leurs exportations s’effectuent dans des régions souvent lointaines, nécessitant des délais d’acheminement parfois très longs. Il est donc plus difficile pour ces entreprises de respecter les délais imposés par la LME et par la loi Hamon pour payer leurs fournisseurs. On estime en effet que les entreprises de grand export, hors Union européenne, doivent souvent composer avec des délais de paiement client allant de 90 à 360 jours. Cet écart de délai peut pousser certaines des sociétés de grand export à arrêter tout approvisionnement auprès de fournisseurs français, par crainte de ne pas respecter les délais imposés et donc de se voir infliger des sanctions insoutenables.
Ne serait-ce qu’au sein de l’Union européenne, de nombreux pays ont fait le choix d’instaurer des dérogations dans des cas bien définis. La Belgique laisse même une entière liberté à ses commerçants. S’il n’est pas souhaitable de tomber dans un tel excès, cet exemple a le mérite de nous faire réfléchir sur notre propre réglementation. De plus, la directive européenne de 2011 ne fait toujours pas l’objet d’une réglementation unifiée, laissant finalement son application peu effective.
La France ne doit pas être, une nouvelle fois, le mouton noir qui bride ses entreprises à l’international, alors que notre compétitivité est en berne.
Le groupe UDI reste néanmoins conscient des réserves qui peuvent être émises sur ce texte. La version initiale de la proposition de loi méritait quelques éclaircissements, notamment sur la place du fournisseur français.
Ainsi, l’instauration d’une dérogation pour les exportations réalisées hors de l’Union européenne risque de pénaliser le fournisseur français, qui verra, de fait, les délais de paiement se rallonger lorsqu’il traite avec des entreprises de « grand export ». Mécaniquement, sa trésorerie se trouvera menacée.
Un juste équilibre devait donc être trouvé pour éviter, d’un côté, que les entreprises exportatrices se détournent des fournisseurs français et, de l’autre, qu’elles les pénalisent en payant leurs créances trop tardivement.
Nous nous interrogions également sur le type d’entreprises concernées par cette dérogation, qui doit rester exceptionnelle.
Ces différentes craintes avaient été exprimées dans le rapport annuel de l’observatoire des délais de paiement publié en janvier 2014 sous la direction de Jean-Hervé Lorenzi. Selon l’Observatoire, si une dérogation peut bénéficier à un ensemble d’entreprises, elle risque de le faire au détriment d’un autre. Il est vrai cependant que les fournisseurs français n’ont pas à supporter les coûts liés aux délais de paiement pratiqués sur des marchés plus éloignés.
Ces préoccupations, nous les entendons et nous les comprenons. Il me semble, cependant, que l’examen du texte en commission des lois a permis une évolution positive.
L’exemption de délai de paiement est finalement écartée, au profit d’une extension du délai de droit commun, porté à 90 ou 120 jours, selon la taille du fournisseur. Cette mesure de bon sens permet donc de moduler les délais de paiement afin de ne pas pénaliser les petites entreprises, dont la trésorerie ne supporterait pas des paiements trop tardifs.
Le groupe UDI se félicite également de l’adoption d’un amendement visant à préciser que les grandes entreprises exportatrices ne pourront pas prétendre à l’extension du délai légal de paiement. Cette précision permet de mieux encadrer la dérogation, qui ne sera désormais autorisée que pour les TPE et PME, souvent plus vulnérables.
Enfin, la proposition de loi spécifie bien que le nouveau délai convenu par les parties ne devra en aucun cas constituer « un abus manifeste à l’égard du créancier », sous peine de pénalités. Cette mesure devrait ainsi permettre d’éviter tout excès qui pourrait placer les fournisseurs français dans une situation délicate.
Mes chers collègues, si ce texte reflète une prise de conscience tardive de la part de la majorité, il va néanmoins dans le bon sens et permet de redonner un peu d’oxygène à des entreprises souvent écrasées par le poids des normes.
Pour toutes ces raisons, le groupe UDI le votera.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Monsieur le président monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui à l’initiative du groupe socialiste est l’occasion d’aborder un sujet très concret pour nos entreprises : les délais de paiement.
La loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 a fixé les délais de paiement à 45 jours fin de mois ou 60 jours à compter de la date d’émission de la facture. En encadrant ainsi les délais de paiement, nous voulions donner plus de trésorerie aux entreprises et éviter les déséquilibres fréquents entre les factures à payer et celles en attente d’être payées.
Rappelons, chers collègues de la majorité, que l’opposition que vous représentiez hier avait beaucoup décrié cette disposition. Or, force est de constater qu’elle a eu les effets positifs escomptés. Même l’exposé des motifs de votre proposition de loi, madame la rapporteure, reconnaît qu’elle a « grandement contribué à l’amélioration de la santé financière des entreprises ». Nous nous réjouissons que vous vous soyez ralliée à cette position.
Il n’empêche qu’il est de notre devoir de législateur d’évaluer les lois que nous adoptons et d’apporter, si besoin, les ajustements nécessaires.
C’est ainsi que, lors de précédents débats parlementaires, les députés UMP ont soutenu des amendements adaptant la législation sur les délais de paiement, afin de tenir compte de la situation particulière des secteurs à forte saisonnalité, comme ceux des sports d’hiver et des jouets. Cela concerne des petites entreprises non exportatrices, par exemple des magasins de sports d’hiver.
Dans ces secteurs, les achats sont en effet réalisés bien en amont de la période de vente – achat des skis l’été et vente l’hiver, dans le cas des sports d’hiver. Une telle dérogation était nécessaire.
Plus précisément, c’est un amendement commun de M. Martial Saddier, Mme Virginie Duby-Muller et moi-même, également déposé par M. Bernard Gérard, qui a permis de proroger les accords d’exceptions pour ces secteurs, dans le cadre du projet de loi Macron. Nous aurons très certainement l’occasion d’en rediscuter lors de la navette parlementaire.
La proposition de loi que nous examinons poursuit le même objectif, mais cette fois pour les entreprises qui interviennent dans le grand export, c’est-à-dire hors de l’Union européenne. Ces entreprises ont en effet des partenaires commerciaux internationaux qui ne sont pas soumis aux mêmes règles en matière de délais de paiement.
Les entreprises françaises exportatrices à l’international subissent donc un décalage entre les délais de paiement de leurs clients à l’international, plus longs, et les délais de paiement à leurs fournisseurs nationaux, régis par la loi de modernisation de l’économie. Cette situation porte non seulement préjudice aux entreprises françaises qui exportent, mais également à de nombreuses PME qui seraient susceptibles de travailler avec ces entreprises – autrement dit, des fournisseurs.
Afin de soutenir l’export, la proposition de loi crée donc une dérogation à la réglementation des délais de paiement. Cette dérogation ne concernera cependant pas les grandes entreprises mais se concentrera sur les PME, qui sont les plus fragiles à l’international.
Afin d’éviter tout risque de contentieux, le délai convenu entre les parties ne pourra pas excéder quatre-vingt-dix jours à compter de la date d’émission de la facture lorsque l’achat est effectué auprès d’une micro-entreprise ou d’une PME, et cent vingt jours lorsque l’achat est effectué auprès d’une ETI ou d’une grande entreprise.
Autant le dire tout de suite, ces modifications vont dans le bon sens. Le groupe UMP, en cohérence avec toutes ses prises de position, ne s’opposera pas à cette proposition de loi. Nous avons en effet le devoir de travailler à toute initiative permettant à des entreprises françaises d’être plus compétitives.
Cela étant, il convient de veiller à ne pas créer trop de délais dérogatoires qui pourraient aller à l’encontre de l’objet initial de la loi de modernisation de l’économie. Les députés du groupe UMP resteront donc particulièrement attentifs aux conséquences de cette dérogation et aux éventuels abus dans le cadre du contrôle de l’application de la loi. Il faut rester vigilant – et nous le sommes jusqu’à présent – pour que les délais maxima ne portent pas préjudice aux entreprises les plus petites.
Cela étant dit, j’aimerais profiter de mon intervention pour parler plus largement de la question des délais de paiement. Les PME y sont confrontées et j’aimerais rappeler la situation de la grande majorité d’entre elles, celles qui ne sont pas en situation d’exporter hors Union européenne, ni même d’exporter tout court. Pour elles, la LME constitue un grand pas, mais il faut savoir qu’aux États-Unis, les paiements se font quasiment sans délai. En Allemagne, l’expression « délai de paiement » n’existe même pas et le retard moyen est de six jours – ça fait rêver !
S’agit-il d’un problème de mentalité ? La loi ne peut pas vraiment agir, si c’est le cas, mais il faut bien que les choses évoluent. Selon la CGPME, sur les 62 000 faillites d’entreprises recensées l’année dernière, 15 000 sont dues à des impayés directs – 15 000 !
L’idéal serait que les pouvoirs publics donnent l’exemple. Les administrations, notamment les collectivités locales, tardent beaucoup trop à payer leurs factures, ce qui met les PME dans l’embarras ; elles sont nombreuses à avoir déjà eu à faire face à cette situation.
Selon le rapport de l’observatoire des délais de paiement de 2012, le délai de paiement moyen des collectivités publiques était de trente-deux jours pour l’État et de vingt-sept jours pour le secteur local : on devrait pouvoir faire beaucoup moins. Les pénalités ont été renforcées dans le cadre de la loi « consommation », avec des amendes pouvant aller jusqu’à 375 000 euros, ce qui est dissuasif mais ne s’applique pas aux commandes publiques. Espérons que la généralisation de la facture électronique permettra de raccourcir ces fameux délais.
Pour terminer, et sans nier l’utilité de cette proposition de loi, je pense qu’elle n’est malheureusement qu’un grain de sable qu’on retire du lourd fardeau qui pèse sur les entreprises françaises. Le groupe UMP ne cesse de le rappeler : il est urgent d’aller bien au-delà pour donner de la compétitivité à nos entreprises à l’international.
De vraies réformes sont nécessaires ; elles sont connues et attendues. Elles passent notamment par une baisse des charges, par une simplification et un assouplissement du code du travail, par le développement de l’apprentissage pour transmettre aux plus jeunes les savoir-faire si précieux qui font la fierté de notre pays, par un soutien à l’innovation et à la recherche-développement.
Aussi, puisque vous semblez prêts ce soir à vous soucier utilement des entreprises, je vous suggère de mûrir, pendant ce pont de l’Ascension, toutes les mesures que vous avez prises depuis trois ans et sur lesquelles il faudrait revenir. Je pense notamment à la mise en oeuvre du compte pénibilité,…
Il faut le dire à Xavier Bertrand !
…ou encore aux nouvelles obligations issues de la loi sur l’économie sociale et solidaire et de la loi « Florange » en cas de cession d’une entreprise.
Vous êtes déjà revenus sur l’instauration d’une durée hebdomadaire minimale de vingt-quatre heures pour tout temps partiel, réalisant qu’il s’agissait d’une bêtise. Sur le dispositif de cession, vous êtes également en train de revoir vos ambitions à la baisse – heureusement pour les entreprises !
Pour le compte pénibilité, nous ne lâcherons rien car, là aussi, c’est une erreur. Nous en reparlerons sans doute lors du projet de loi relatif au dialogue social dès la semaine prochaine. De telles mesures pro-entreprises ne sont malheureusement pas à l’ordre du jour ; nous savourons donc d’autant plus l’existence de cette proposition de loi. Mais, sans vouloir être pessimiste, il en faudrait bien plus pour restaurer la confiance des chefs d’entreprise, pour restaurer la croissance et, au final, pour restaurer l’emploi.
Comme ce soir, vous aurez notre appui à chaque fois que vous vous engagerez réellement et concrètement dans cette voie, sans donner dans le fourre-tout ou dans les effets de manche. Pour encore deux ans, la balle est dans votre camp !
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour l’examen de la proposition de loi relative à l’instauration d’une dérogation aux délais de paiement interentreprises pour les activités de grand export, à l’initiative des membres du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Cette proposition vise les activités de grand export, à savoir les activités commerciales exercées hors de l’Union européenne avec des clients étrangers, afin que les entreprises françaises puissent déroger à l’obligation de paiement dans les soixante jours suivant la date d’émission de la facture, les exportations hors de l’Union européenne étant les plus longues à honorer.
En effet, la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 a instauré des délais de paiement entre entreprises fixées à quarante-cinq jours. Or, les entreprises ont critiqué le préjudice lié à l’instauration de telles contraintes, notamment en comparaison avec les pays où les délais de paiement des factures peuvent être de quatre-vingt-dix, voire de cent vingt jours, en fonction des réglementations applicables.
Ces différences de traitement entre pays entraînent de fait un effet de ciseau pour les entreprises concernées. Mais toutes les entreprises ne subissent pas les mêmes contraintes avec cette législation. Si les grandes entreprises ou les grands groupes peuvent imposer leurs délais de paiement issus de la réglementation française aux entreprises étrangères, les petites et moyennes entreprises n’en ont pas la possibilité et se retrouvent dans une situation financière complexe, renforçant de fait l’hégémonie des grandes entreprises sur le marché du négoce international.
De la même manière, les grandes entreprises disposent d’une trésorerie suffisante leur permettant de payer les factures de leurs fournisseurs, avantage dont les petites entreprises ne peuvent se prévaloir. Ces contraintes temporelles constituent également un frein au développement des activités par les entreprises, celles-ci se retrouvant dans une situation moins favorable que leurs homologues d’entreprises étrangères, non contraintes par les mêmes délais.
Ces contraintes pèsent également sur les capacités d’investissement des entreprises, celles-ci ne pouvant lever de fonds sur le long terme et devant faire face à des contraintes de trésorerie importantes. Or le renforcement de la compétitivité des entreprises françaises, souhaité par le Gouvernement, passe aussi par la simplification des contraintes et des entraves au développement des activités et de l’exportation par les entreprises françaises.
De fait, imposer des contraintes temporelles et financières aux entreprises va à l’encontre de cette politique. S’il apparaît impératif de soutenir les entreprises françaises exportatrices tout en protégeant les fournisseurs français, il apparaît pertinent de lever les freins à l’exercice effectif des activités commerciales et au développement des exportations.
En effet, les entreprises françaises recourent parfois à des techniques dérivées afin de contrer les délais de paiement entre entreprises. La délocalisation partielle des activités à l’étranger afin de traiter avec les entreprises étrangères par le biais de leurs filiales est une technique légale utilisée par les entreprises. Les contrats ainsi passés par des filiales étrangères pour le compte d’entreprises mères françaises ne se voient pas appliquer les mêmes obligations en matière de délais de paiement et permettent aux entreprises françaises d’être actrices sur le marché de l’exportation.
Toutes ces difficultés démontrent les entraves que constitue la persistance de délais de paiement trop courts par rapport aux autres pays, constituant alors des freins à la croissance de l’activité économique française.
Cela autant, une harmonisation des législations au niveau européen pourrait constituer un moyen de contrer ces difficultés. Si la directive 20117UE du 16 février 2011 a prévu un plafonnement des délais de paiement à soixante jours suivant l’émission de la facture, les États se sont vus reconnaître la possibilité de déroger à ces délais de paiement par voie contractuelle. Ce fut chose faite par certains pays, à l’instar du Royaume-Uni ou de l’Italie, entraînant une concurrence déloyale entre les entreprises européennes.
Les entreprises françaises, se trouvent ainsi plus réticentes à recourir aux services des entreprises nationales et se retournent vers des entreprises de sous-traitance ou d’approvisionnement issues d’autres pays de l’Union européenne, fournissant le même service mais disposant d’une législation plus flexible.
De plus, la loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises a renforcé les contraintes applicables aux entreprises en prévoyant que si elles ne respectent pas les délais de paiement, elles encourent une amende administrative d’un montant prohibitif. Mais il faut noter que ces délais peuvent être réduits ou ne commencer à courir qu’à la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation, sous réserve d’accords sectoriels homologués par décret après avis de l’Autorité de la concurrence.
Cette proposition de loi déposée par nos collègues socialistes a fait l’objet d’un large consensus en commission des lois. Telle qu’issue des travaux de la commission et adoptée à l’unanimité par celle-ci, la proposition vise, en son article 1er, à permettre, pour les exportations réalisées hors de l’Union européenne, d’augmenter les délais de paiement.
Ce délai passerait de soixante à quatre-vingt-dix jours à compter de la date d’émission de la facture pour les achats effectués auprès d’une micro-entreprise et d’une petite ou moyenne entreprise, et passerait à cent vingt jours lorsque les achats sont effectués auprès d’une entreprise de taille intermédiaire ou d’une grande entreprise.
Toutefois, il est précisé que des pénalités de retard seront appliquées si les biens concernés ne justifient pas l’application de la dérogation. De même, la dérogation n’est pas applicable aux achats effectués par les grandes entreprises. Cela se justifie, les grandes entreprises ayant des possibilités de trésorerie plus importantes et pouvant faire face à des contraintes de délais de paiement plus strictes que les structures les plus petites.
Aussi le deuxième article de la proposition de loi vise-t-il à encadrer les pénalités applicables si les biens ne reçoivent pas la destination justifiant l’application de la dérogation, à savoir les seuls achats destinés à l’exportation hors de l’Union européenne. Ces précisions visent à se prémunir de l’exercice d’un abus manifeste à l’égard des créanciers par le débiteur acheteur.
Cette dérogation limitée tant dans les nouveaux délais proposés que dans les activités concernées nous semble aller dans le sens de l’amélioration des exportations par les entreprises françaises.
Toutefois, un mot de procédure : comme l’ordre du jour parlementaire est très chargé jusqu’à la fin de la session et qu’une session extraordinaire tout aussi chargée s’annonce, et alors que le Gouvernement est constamment à la recherche de créneaux dans les semaines qui ne relèvent pas de l’ordre du jour prioritaire, peut-être cette heureuse initiative du groupe socialiste aurait-elle pu faire l’objet d’un amendement judicieusement incorporé au projet de loi « Macron ». Cela nous aurait fait gagner un peu de temps !
Enfin, en dépit de cette remarque, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste votera en faveur de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, chers collègues, chacun s’est largement exprimé sur l’objet de cette proposition de loi créant une exception à un principe européen et français en faveur des sociétés exportatrices dans le domaine du négoce.
Je rappellerai brièvement ce principe de plafonnement du délai de paiement interentreprises, qui a également pour but de renforcer la lutte contre les retards de paiement. Cela a été voulu pour des raisons évidentes de protection.
En effet, le rapport de force entre donneurs d’ordre et sous-traitants dissuade le plus souvent les petites entreprises d’exiger des délais de paiement plus courts, notamment dans notre pays. À titre d’information, ces délais sont de cinquante-trois jours en France en 2012 – je ne dispose pas de chiffres plus récents – contre trente-cinq en Allemagne ou en Suède.
L’observatoire des délais de paiements fait état de pratiques dilatoires de la part des grandes entreprises pour faire des économies substantielles de trésorerie au détriment des plus petites. À titre d’illustration, la Banque de France fait état de transferts financiers potentiels de l’ordre de 11 milliards d’euros des grandes entreprises vers les autres, essentiellement des PME, en cas de baisse des délais de paiement par alignement sur la norme légale. On comprend dès lors que les délais de paiement aient été encadrés par une loi de 2008 et une directive de 2011, complétées par la loi du 17 mars 2014.
Il s’avère que ces délais sont difficiles à respecter, d’autant qu’au stade de l’application, la France est, comme souvent, moins souple que ses partenaires, créant ainsi une distorsion de concurrence entre nos entreprises et celle des autres pays.
Nous devons donc concilier ces deux exigences : réduire de manière générale les délais de paiement tout en protégeant le secteur exportateur.
Comme rapporteure spéciale du budget du commerce extérieur, je soutiens cette proposition de loi. En effet, je ne peux que confirmer que le coût de l’export est, à côté de notre faible capacité à commercer et de notre défaut de compétitivité, un des éléments qui expliquent la difficulté de nos entreprises à exporter.
Cette proposition de loi vient partiellement répondre à la question du financement des délais sous l’angle de la trésorerie des entreprises qui exportent hors de l’Union européenne.
Cependant – et en disant cela, je m’adresse tout spécialement à vous, monsieur le secrétaire d’État – j’estime que la solution d’assouplir la règle pour répondre à la détresse de ces entreprises qui souffrent de distorsions de concurrence du fait de la rigidité de la législation française ne devrait être que transitoire.
En effet, cette dérogation vient s’ajouter à celles qui ont été déjà accordées à d’autres secteurs économiques comme le transport routier, le jouet, le cuir, la bijouterie, et d’autres, comme le bâtiment ou la viticulture, réclament eux aussi un aménagement du droit commun des délais de paiement. Or, comme le disaient les sénateurs Bourquin et Charbonnier, « cette légitime préoccupation en faveur du soutien à l’export contredit l’objectif de réduction globale des délais de paiement ».
Le problème de fond n’est-il pas celui du financement des besoins de trésorerie des sociétés exportatrices, comme le relevait l’observatoire des délais de paiement dans un état des lieux dressé en 2013 ? Résoudre la question de la trésorerie nous permettrait d’éviter d’élaborer des stratégies de contournement.
Dans cette optique, je serai attentive à la concrétisation des annonces qui ont été faites lors du lancement des rencontres de Bercy Financement Export en mars 2015, en ce qui concerne l’accès au financement de l’export et la nouvelle assurance-crédit. Je pense aussi à l’affacturage, qui mériterait d’être développé en dépit de son coût. Le rapport remis par M. Prat et M. Fromentin au nom du comité d’évaluation et de contrôle a montré que la Coface et la Banque publique d’investissement, la BPI, mettaient leurs outils à la disposition des TPE et PME qui exportent. Mais ceux-ci sont-ils suffisamment attractifs et efficaces ? Après vous avoir entendu sur le parcours simplifié, monsieur le secrétaire d’État, je n’ai pas d’inquiétude sur vos intentions.
Aujourd’hui nous répondons à l’urgence – et je remercie mes collègues Chantal Guittet et Jean-Pierre Le Roch de leur ténacité – en créant une dérogation supplémentaire. Je souhaite que demain nous réglions le problème dans le cadre du droit commun grâce à des outils adaptés. Multiplier les dérogations risquerait en effet de nuire à une culture du paiement rapide, de bon aloi dans les relations économiques et dont l’absence pourrait s’avérer coûteuse pour l’État.
L’examen des crédits du budget pour 2016 sera, si vous le voulez, l’occasion de reparler de tout cela et de demander une étude d’impact avant toute évolution législative en la matière.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La discussion générale est close.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
Je veux tout d’abord vous remercier, mesdames et messieurs les députés, pour la qualité de ces débats et du travail parlementaire qui a abouti à cette proposition de loi. Je salue tout particulièrement le travail extrêmement approfondi d’audition, de consultation, de concertation et d’expertise que vous avez accompli, madame la rappporteure et monsieur Le Roch, qui êtes à l’initiative de cette proposition de loi. C’est ce travail d’une très grande qualité qui a permis le très large consensus que nous constatons en faveur du dispositif que vous avez élaboré et qui est en passe aujourd’hui d’être adopté.
Vous avez dans votre intervention, monsieur le député Le Roch, exposé à la fois le cadre juridique et les enjeux économiques, notamment une compétition internationale qui place aujourd’hui les sociétés de négoce et les PME françaises dans une situation périlleuse. Je rejoins tout à fait votre analyse. Il faudra continuer à y être attentif et à procéder aux évaluations nécessaires pour répondre aux besoins.
Votre diagnostic est en partie exact, monsieur le député Tuaiva, mais je ne peux pas vous rejoindre quand vous reprochez au Gouvernement de manquer de pragmatisme. Ce dispositif avait déjà été proposé par voie d’amendement au projet de loi Hamon et adopté par l’Assemblée nationale avant de connaître un destin contraire au cours du débat parlementaire. Je me félicite que cette proposition trouve aujourd’hui son aboutissement.
Vous avez tout à fait raison, monsieur le député Tardy : le Parlement est dans son rôle en prenant l’initiative sur ce genre de sujet, comme il le sera lorsque, dans le cadre de sa mission d’évaluation, il veillera à ce que le dispositif soit très strictement appliqué. Je peux vous assurer que le Gouvernement, l’administration, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes seront totalement mobilisés pour veiller au respect et de la lettre et de l’esprit de ce dispositif.
En revanche je ne peux évidemment pas approuver la fin de votre intervention, d’un caractère sans doute plus politique. Les dispositifs de baisse des cotisations votées par cette majorité ont fait du « zéro cotisation » au niveau du SMIC une réalité, et cela vaut pour toutes les entreprises de France, y compris les PME. C’était souhaitable et c’est cette majorité qui l’a fait.
Quant au compte pénibilité mis en place par le précédent gouvernement, il fait l’objet d’études d’impact afin d’en faire un outil le plus pragmatique possible. Vous savez par ailleurs que le secrétaire d’État Thierry Mandon met en oeuvre une vigoureuse politique de simplification et prend des décisions semaine après semaine pour que cet objectif se traduise dans la réalité. En ce qui concerne le suivi et l’évaluation, nous pouvons tomber d’accord.
Vous avez eu raison, monsieur Chalus, d’insister sur les risques de délocalisation, rejoignant en cela des préoccupations relayées par l’OSCI, organisation qui fédère les opérateurs spécialisés du commerce international et par son président Étienne Vauchez.
Vous avez également insisté sur la nécessité d’encadrer le dispositif. Cet encadrement est assuré dans le texte, et je vous confirme que l’administration et la DGCCRF se mobiliseront pour que ce qui sera voté aujourd’hui se traduise dans les faits et que le dispositif ne soit pas contourné.
En tant que rapporteure spéciale pour le commerce extérieur, madame Rabin, vous connaissez bien le sujet qui nous occupe. Nous sommes, avec le ministre de l’économie et le ministre des finances, extrêmement attentifs à la question du financement, dont vous avez raison de souligner le caractère tout à fait essentiel, notamment pour les PME. Celles-ci ont en effet plus de difficulté à s’adapter aux évolutions et à avoir accès aux différents outils de financement. L’enjeu est d’importance : il s’agit, non seulement de mettre à leur disposition des outils adéquats – nous y travaillons – mais aussi de leur permettre d’accéder à l’information.
Vous souhaitez que la dérogation soit transitoire. le texte ne le prévoit pas. Mais nous évaluerons le dispositif pour nous assurer qu’il correspond à des besoins réels. En tout état de cause, un encadrement très strict permettra de s’assurer que ni ce dispositif ni les principes posés dans la loi LME ne sont contournés.
Voilà ce que je souhaitais dire sur ces sujets. Je me tiens évidemment à la disposition du Parlement pour répondre à toutes les questions concernant les exportations en général, et celles de nos petites et moyennes entreprises en particulier.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
L’article 1er est adopté.
Dans le droit-fil du souhait de la commission des lois d’encadrer la dérogation au droit commun des délais de paiement hors Union européenne, cet amendement a pour objet de substituer à la rédaction actuelle de l’article 2, devenue superflue, une disposition similaire à celle de l’article 1er visant les biens alimentaires et les boissons alcooliques.
Le sous-amendement no 2 vise à exclure les vins du champ de la dérogation, ceux-ci bénéficiant déjà d’une dérogation plus avantageuse.
Le second sous-amendement vise à rectifier une erreur de référence.
Sous réserve de l’adoption de ces deux sous-amendements, je suis favorable à l’amendement de M. Le Roch.
Le Gouvernement émet un avis absolument favorable, et sur l’amendement et sur les deux sous-amendements, qui permettent d’assurer la cohérence du dispositif.
L’amendement no 1 , sous-amendé, est adopté et l’article 2 est ainsi rédigé.
La proposition de loi est adoptée à l’unanimité.
Je ne voudrais pas allonger davantage le débat, d’autant que tout a été dit et fort bien dit, après avoir été fort bien préparé. Le résultat est là : cette proposition de loi a été votée à l’unanimité. Je m’en réjouis et j’en remercie les initiateurs de cette proposition de loi et vous tous, qui avez voté pour son adoption.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Prochaine séance, mardi 19 mai, à neuf heures trente :
Questions orales sans débat.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures quarante.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly