Intervention de François de Rugy

Séance en hémicycle du 13 mai 2015 à 15h00
Respect du principe de laïcité dans l'accueil des mineurs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois de Rugy :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous avons aujourd’hui à nous prononcer sur une proposition de loi déposée au Sénat, qui vise à étendre l’obligation de neutralité aux structures privées en charge de la petite enfance, et à assurer ainsi le respect du principe de laïcité – c’est ainsi que l’ont conçue ses auteurs.

Mes collègues ont eu l’occasion de rappeler avant moi que ce débat intervient au terme d’une très longue séquence à la fois juridique, médiatique et législative. Celle-ci a commencé avec ce que l’on a appelé l’affaire Baby Loup, du nom de cette crèche associative qui, en 2008, a licencié une de ses salariées au motif que celle-ci refusait d’ôter son voile sur son lieu de travail.

Elle s’est poursuivie sur le terrain du droit, puisque la salariée en question a saisi le conseil des prud’hommes ainsi que la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, avant que la cour d’appel de Versailles, la chambre sociale de la Cour de cassation, la cour d’appel de Paris et enfin l’assemblée plénière de la Cour de cassation se prononcent sur l’affaire. Des décisions parfois contradictoires se sont ainsi succédé, la dernière en date reconnaissant la validité du licenciement de cette personne. Enfin, si l’on peut dire, cette affaire s’est prolongée dans nos assemblées, puisque les sénateurs radicaux de gauche ont déposé une proposition de loi en octobre 2011, qui fut adoptée en première lecture au Sénat en janvier 2012.

Au cours de la procédure parlementaire, le texte dont nous sommes saisis aujourd’hui a sensiblement évolué – c’est un euphémisme ! Dans sa version initiale, il prévoyait que le respect de la neutralité figure parmi les qualifications professionnelles requises des personnes chargées de l’accueil des enfants de moins de six ans, et que l’obtention d’un agrément du conseil départemental pour les assistantes maternelles soit conditionnée à leur neutralité.

Lors de son examen au Sénat, le rapporteur a réécrit le texte, proposant un dispositif reposant sur trois régimes distincts. Premièrement, une obligation de neutralité pour les crèches bénéficiant d’une aide financière publique. Je vous fais remarquer, au passage, qu’il ne doit pas y avoir beaucoup de crèches dans notre pays qui ne bénéficient d’aucune aide publique. Il ne doit pas y avoir beaucoup de crèches à financement « 100 % privé », sans aide de la CAF ni des collectivités territoriales.

Deuxièmement, une possibilité de neutralité, précisée dans le règlement de l’établissement, pour les crèches ne bénéficiant pas d’aide financière publique – ce dernier cas, comme je l’ai dit, est sans doute rarissime. Troisièmement, une exemption de l’obligation de neutralité pour les crèches privées se prévalant d’un caractère religieux, ces établissements devant par ailleurs, lorsqu’ils bénéficient d’une aide publique, accueillir tous les enfants sans distinction d’appartenance, de croyance ou d’origine. On voit bien qu’il s’agit là de définir un régime d’exemption, car les dispositions initiales heurtaient des réalités qui, jusqu’à aujourd’hui, ne gênaient personne. En la matière, il faut savoir être pragmatique.

Cette proposition de loi prévoyait également la transposition de ces dispositions pour les centres de vacances et de loisirs, et l’obligation de neutralité pour les assistants maternels, sauf en cas d’accord entre l’employeur et l’employé précisé dans le contrat de travail. Elle allait donc vraiment très loin dans le détail. Lors des débats en commission des lois dans notre assemblée, la portée de ce texte a été réduite, puisque l’article 3, portant sur les assistants et assistantes maternels, a été supprimé à l’initiative des groupes socialiste et écologiste, avec l’aval du rapporteur.

Enfin, à la lecture des amendements déposés par le rapporteur pour cette séance, il apparaît que le champ d’application de la loi pourrait encore être restreint. Comme l’a dit Alain Tourret, l’article 1er se résumerait alors, en quelque sorte, à l’inscription dans la loi de la jurisprudence Baby Loup. L’article 2, quant à lui, serait supprimé.

Il est un peu délicat, dans ce contexte, de se prononcer sur un texte dont les contours, le périmètre, ne sont pas encore totalement définis. Pour le groupe écologiste, les choses doivent être claires : la proposition de loi, dans sa rédaction initiale – issue d’abord du Sénat, puis de la commission des lois de notre assemblée –, n’était pas satisfaisante. Je ne peux m’empêcher de relever, à ce stade, que nous jouons à fronts renversés : contrairement à notre réputation et à celle du Sénat, c’est nous qui tempérons les ardeurs sénatoriales, si je puis m’exprimer ainsi.

Nous critiquions la rédaction issue des travaux au Sénat, parce qu’elle proposait de passer d’une possibilité de neutralité à une obligation de neutralité pour les crèches bénéficiant d’aides financières publiques, c’est-à-dire presque toutes. Incontestablement, dans cette rédaction, ce texte ouvrait une brèche dans laquelle les tenants de la surenchère pourraient être tentés de s’engouffrer – M. Ciotti nous en a donné un exemple tout à l’heure. À cet égard, les amendements déposés par Éric Ciotti et ses collègues de l’UMP, qui visent à restreindre les manifestations de convictions religieuses des parents accompagnants les sorties et les voyages scolaires, sont à nos yeux de nature à créer une polémique stérile, inutile et dangereuse.

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