J’imagine en effet qu’elle pourrait être étendue à tout le pays : ce serait magnifique.
Cette charte « interdit le port de signes ou de tenues par lesquels les collaborateurs manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ». Aussi pourquoi, au lieu de légiférer comme nous le proposent nos collègues, ne pas s’inspirer de cette démarche de citoyenneté sur les lieux de travail ? Pourquoi ne pas prendre le parti de la réflexion et de la négociation communes, et tendre vers des accords collectifs partagés, et donc plus facilement applicables ?
Car si la laïcité est menacée, un des dangers qui la menace n’est-il pas qu’elle soit trop souvent vécue comme imposée, et non construite en commun ? Vous le savez, monsieur Tourret, votre proposition de loi a soulevé beaucoup de questions. L’Observatoire de la laïcité a exprimé – j’ai trouvé à cet égard la remarque relative à « l’Observatoire de la foi » quelque peu déplacée – sa réserve à l’égard de votre initiative. Dans son avis du 9 mars dernier, il a rappelé son opposition à toute nouvelle législation relative à l’extension au secteur privé de l’obligation de neutralité. Dans cet avis, il considère que « le droit actuel, bien que méconnu, permet déjà d’encadrer le fait religieux, y compris les tenues vestimentaires, et d’interdire tout prosélytisme au sein d’une entreprise privée ».
L’arrêt crèche Baby Loup de la Cour de de cassation du 25 juin 2014 l’a confirmé, aller au-delà et imposer une neutralité générale et absolue pourrait être contre-productif et contrevenir aux principes constitutionnels d’égalité et de liberté de conscience garantis par la Convention européenne des droits de l’homme. Cela pourrait également conduire à s’opposer au principe de laïcité qui garantit cette liberté.
Saisis de cette même question, la Commission nationale consultative des droits de l’homme et le Conseil économique, social et environnemental ont adopté deux avis allant dans le même sens, c’est-à-dire s’opposant à toute nouvelle législation de ce type. Des associations ont exprimé leurs craintes de voir ce débat raviver des rejets.
Oui, cette proposition de loi suscite beaucoup d’interrogations quant à son opportunité, alors même que le code du travail prévoit déjà, je l’ai montré, la possibilité pour un employeur, via le contrat de travail ou le règlement intérieur, de traiter la question de la liberté religieuse. Les interrogations sur la raison d’être de cette proposition de loi s’appuient non seulement sur l’évolution de son contenu, mais aussi sur les conditions de sa discussion. De modifications en modifications, elle a perdu de sa substance, au point que se pose aujourd’hui la question de sa raison d’être.
Chers collègues, la laïcité ne peut être vécue comme une somme d’interdits. En prenant connaissance des amendements déposés par les députés siégeant à la droite de l’hémicycle, je constate que certains cherchent à utiliser cette valeur formidable pour diviser, interdire et rejeter une partie de nos concitoyens.
Repartons du remarquable travail de la commission Stasi, devant laquelle j’avais été, à l’époque, auditionnée. J’avais souligné que la laïcité vaux mieux que l’accumulation de lois partielles. Elle est un des principes qui garantissent à notre peuple sa cohésion dans la pluralité. Elle découle directement de l’affirmation de droits universels, qui ne sont pas liés à l’appartenance à tel ou tel groupe social pas plus qu’à la profession de telle ou telle opinion. Ces droits supposent la liberté d’opinion et de pensée, la liberté religieuse et, plus que la tolérance, la reconnaissance. La laïcité est donc la garantie d’une société de paix, bâtie par des hommes et des femmes différents qui veulent vivre ensemble.
Vaincre le repli et l’intégrisme suppose une politique beaucoup plus audacieuse en faveur de la laïcité, par exemple pour défendre les droits des femmes face à tous les intégrismes qui s’y opposent. On a encore pu le constater l’an dernier avec les campagnes contre les ABCD de l’égalité, ou, au sein de notre hémicycle, lorsque nous avons réaffirmé le droit à l’IVG. Une politique plus audacieuse pourrait, par exemple, donner à chaque jeune les moyens de son autonomie et faire vivre l’égalité dans tous les domaines et sur tout le territoire, en allant vers une VIème République soucieuse de la parole citoyenne.
Dans un même mouvement, il faut affirmer que l’autorité publique, qui procéde de la souveraineté du peuple, ne peut être soumise à aucune tutelle. La laïcité fait donc de la République un espace accueillant toutes les représentations du monde, dès lors qu’elles ne contestent pas son principe, ses valeurs, ses lois, et les droits de tous ses enfants.
C’est pourquoi nous craignons l’image qui en est donnée à travers ces lois partielles qui s’ajoutent les unes aux autres. Idéal positif et mobilisateur, la laïcité n’est pas une grammaire statique. Elle a besoin qu’on lui donne du souffle, de s’expérimenter et d’être vécue en conscience. Elle a besoin non de la peur et des phobies, mais de l’expression des différences dans le respect d’autrui et de la société.
Le renouveau de la laïcité doit nécessairement s’accompagner de celui de la citoyenneté, de la politique et de la recherche de sens. La mixité de notre société, l’unité de notre peuple et l’universalité de l’humanité exigent en effet de rechercher ce qui nous fait semblables. Il faut la liberté, l’égalité et la fraternité.
Pour toutes ces raisons, les députés du Front de gauche, en l’état actuel de ce texte, s’abstiendront.
Le 03/11/2015 à 12:09, laïc a dit :
"Cette charte « interdit le port de signes ou de tenues par lesquels les collaborateurs manifestent ostensiblement une appartenance religieuse »."
Rappelons quand même que la constitution ainsi que le code pénal interdisent les discriminations en fonction de la religion "supposée ou avérée" (pour reprendre les termes du code pénal) de l'individu, et si on prononce l'exclusion en fonction de la visibilité religieuse de l’intéressé, on entre dans le domaine de l'exclusion en fonction de la religion "supposée ou avérée" de l'individu. Car le signe religieux permet autant la supposition que la constatation (avec toujours une petite dose de supposition) de la religion de l'individu, et le prendre en compte pour en faire un élément d'exclusion est de ce fait complètement illégal. Donc il faut bien connaître la loi, et ne pas interdire la religion à tout va dès lors qu'il s'agit d'apparence extérieure. Cette charte est inconstitutionnelle, et va également à l'encontre du code pénal. Une plainte pour violation du code pénal et/ou de la constitution devrait normalement être recevable pour toute personne victime de cette disposition.
Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui