Intervention de Philippe Doucet

Séance en hémicycle du 13 mai 2015 à 15h00
Respect du principe de laïcité dans l'accueil des mineurs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Doucet :

Il est ensuite organisé par Nicolas Sarkozy, quia relancé la machine à stigmatiser dans l’espoir de rattraper ses électeurs perdus en courant après Marine Le Pen. Résultat : dans notre pays, les débats touchant à la pratique de la laïcité, qui hier pouvaient se tenir sereinement, se déroulent aujourd’hui dans une atmosphère électrique. On peut aisément le comprendre, dès lors que certains de nos concitoyens se sentent menacés dans ce qu’ils ont de plus intime : leurs croyances et leur foi.

Mais le déséquilibre va au delà des provocations de l’extrême-droite et de la perte de repères républicains de l’UMP. Il vient, je le crois profondément, du fil rompu avec l’un des piliers de la République, fondement de la laïcité française : la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État, grande charte de paix publique.

Je suis convaincu que le principal problème auquel est aujourd’hui confrontée la société française n’est pas l’obsolescence de cette loi, mais l’ignorance grandissante de ses principes. Notre compréhension collective de cette loi s’est d’abord affaiblie du fait du travail du temps. C’est loin, 1905, pour les élèves de nos collèges et de nos lycées comme pour leurs professeurs, pour les responsables des associations cultuelles comme pour les élus de la République.

Nous avons, par ailleurs, peut-être eu le tort de considérer cette loi comme un acquis, alors que nous aurions dû continuer à la porter comme une méthode de construction permanente de notre pacte républicain. Dans un discours prononcé le 27 mai 1882 à l’Académie française, Ernest Renan a défini la laïcisation de la société comme « le progrès continu de la laïcité, c’est à dire de l’État neutre entre les religions, tolérant pour tous les cultes, et forçant l’Église à lui obéir en ce point capital ».

Beaucoup de choses importantes sont ici dites en peu de mots. La laïcisation de la société est un progrès continu, nous dit Renan, et non un processus qui se serait arrêté au lendemain du vote de la loi de 1905, ou après avoir interdit le foulard à l’école, ou encore après que notre assemblée ait achevé l’examen de la présente proposition de loi.

Assurer la laïcité dans la société est, au contraire, un défi permanent. Car si la République est laïque, comme le proclame notre Constitution, la société, elle, évolue et change. Rien ne pouvait garantir que le fonctionnement des religions, comme les revendications des croyants ou des non-croyants, allait rester figé dans l’état où il se trouvait en 1905.

Évidemment, en un siècle, le fait religieux a changé de nature. Évidemment, de nouvelles religions sont apparues ou ont pris plus de place dans notre pays. Évidemment, les revendications de certains, les pressions parfois – ne soyons pas naïfs – peuvent se heurter aux principes laïcs de la République. Mais face à ces mouvements, la République a un devoir impérieux : celui de garder son sang-froid.

C’était, déjà, en 1907, le mot d’ordre d’Aristide Briand dans cet hémicycle. S’exprimant au lendemain du premier mort survenu lors d’un inventaire des biens de l’Église catholique, c’est-à-dire dans des circonstances autrement plus dramatiques que celles dans lesquelles ont lieu nos débats actuels, il déclarait : « Malgré tous ces excès, nous saurons conserver notre sang-froid. La loi restera ce qu’elle est. Elle sera exécutée avec prudence, mais sans faiblesse, avec circonspection, mais sans défaillance. »

Mes chers collègues, à notre tour, gardons notre sang-froid ! Ne cherchons pas à réécrire la loi de 1905 à chaque fois que le journal de vingt heures s’ouvre sur une affaire de jupe, ni à envenimer le débat en stigmatisant, en divisant ou en humiliant !

Au contraire, rappelons à nos concitoyens que défendre la laïcité, c’est défendre la République, et que c’est aussi, comme l’expliquait Jaurès en août 1904 dans les colonnes de L’Humanité, défendre la démocratie. « Si la démocratie fonde, en dehors de tout système religieux, toutes ses institutions, tout son droit politique et social, si elle ne s’appuie que sur l’égale dignité des personnes humaines appelées aux mêmes droits et invitées à un respect réciproque, j’ai bien le droit de dire qu’elle est foncièrement laïque, laïque dans son essence comme dans ses formes, dans son principe comme dans ses institutions, et dans sa morale comme dans son économie. Ou plutôt, j’ai le droit de répéter que démocratie et laïcité sont identiques ».

Mes chers collègues, si nous voulons réellement apaiser la société française et les tensions qui la traversent, nous devons, avant tout, lutter contre l’ignorance et entamer un travail de pédagogie. Il ne s’agit pas de donner des cours de droit, mais nous devons rappeler, dans le débat public, les principes qui sont au coeur de la loi de 1905. Vous me permettrez de le faire ici, brièvement, car je sais que la discussion de ce jour est suivie avec beaucoup d’attention par de nombreux observateurs, et c’est à eux que je veux m’adresser.

3 commentaires :

Le 15/05/2015 à 08:48, laïc a dit :

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"Il est ensuite organisé par Nicolas Sarkozy, qui a relancé la machine à stigmatiser dans l’espoir de rattraper ses électeurs perdus en courant après Marine Le Pen."

N'importe quoi, il serait stigmatisant de faire un menu unique en application de la laïcité, mais il ne serait pas stigmatisant d'interdire des signes religieux pourtant autorisés par la loi, puisque la République ne prend pas en compte la visibilité religieuse pour en faire un élément d'exclusion (sans distinction de religion...). Le PS devrait se demander en quoi il ne court pas après le FN lorsqu'il interdit les signes religieux à tout va, au mépris de la laïcité. Le cynisme politique a ses limites.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 25/03/2016 à 09:43, laïc a dit :

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C'est bien de parler de laïcité autour d'une tasse de thé ou de café (car parler à l'Assemblée revient au même en fin de compte). Pendant ce temps, les terroristes islamistes font des bombes à Argenteuil. Tout a-t-il été bien fait à Argenteuil pour combattre l'intégrisme islamique qui y s'est développé, avec les conséquences que l'on connaît depuis la nuit du 24 mars 2016 ? Le menu unique, en conformité avec le principe essentiel de non distinction des religions et de non discrimination, y est-il bien appliqué ? La conseillère municipale d'Argenteuil, responsable à l'enfance, que l'on voit en photo avec son foulard islamique sur le site officiel de la mairie d'Argenteuil, a-t-elle bien dénoncé la charia et ses aspects anti-républicains avant de prendre son poste ?

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Le 25/03/2016 à 16:51, laïc a dit :

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"Au contraire, rappelons à nos concitoyens que défendre la laïcité, c’est défendre la République"

Il faut bien reconnaître alors que la République est fort mal défendue, et qu'elle est même bien trahie... Pauvre République, espérons qu'elle renaîtra plus forte et plus crédible après ces terribles épreuves où la laïcité n'est plus qu'un prétexte au mensonge politique et à l'égarement des masses.

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