Intervention de Michel Heinrich

Séance en hémicycle du 19 mai 2015 à 21h30
Transition énergétique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Heinrich :

Comment expliquer aux contribuables locaux français que la prochaine loi sur la transition énergétique va leur imposer un effort supplémentaire de 500 millions d’euros pour collecter séparément les déchets organiques, mais que, dans le même temps, pas une seule nouvelle filière de REP n’est créée ? Comment expliquer que certaines filières de REP assurent à peine 10 % du coût du gisement dont elle a la charge ? Que certaines filières, après des décennies de fonctionnement, ne captent même pas 50 % du gisement dont elles ont la responsabilité ? Pourquoi les filières REP se sont-elles pour la plupart limitées aux gisements des déchets ménagers, alors que les mêmes produits achetés dans le cadre d’activités économiques sont souvent orphelins ou mal gérés ? N’est-il pas temps de poser des prescriptions minimales en termes de taux de captage, de recyclage, de valorisation et de prise en charge financière ?

Enfin, la REP, auxquels les élus locaux sont très attachés dans le principe, pose désormais la question des modalités de sa mise en oeuvre et surtout de sa gouvernance. En effet, au-delà du principe d’une responsabilisation juridique, environnementale et financière des metteurs sur le marché qui doit être soutenu unanimement, se pose la question de ces éco-organismes et de leur statut pour le moins original – ce sont « des sociétés anonymes sans but lucratif d’intérêt général » – ; de leur puissance financière – leur budget représente six fois celui de l’ADEME pour les déchets – ; de leur puissant lobby très présent au Parlement ; de leurs effectifs cinquante fois supérieurs aux effectifs du ministère chargés d’encadrer ces filières ; de leur agrément par l’État, qui n’a de toute façon pas vraiment d’autre choix que de les agréer, puisqu’ils sont pour la plupart en situation monopolistique ; de leur pilotage par les metteurs sur le marché, alors que les consommateurs paient l’éco-contribution, que les collectivités gèrent et surtout financent aujourd’hui plus de la moitié des coûts de gestion des gisements concernés et que les opérateurs n’ont qu’une voie consultative dans des instances de concertation, et sont donc dépourvus d’une véritable capacité d’influence sur la stratégie de ces éco-organismes.

Plusieurs épisodes ont appelé l’attention des parlementaires sur la gouvernance de ces éco-organismes : crise des placements financiers aux Îles Caïmans pour la filière emballages ; guerre des vieux vêtements ; appels d’offres a minima sur le traitement des déchets dangereux ayant fragilisé les opérateurs français... Plus récemment, certains éco-organismes ont refusé de signer des contrats avec des collectivités, ou ont freiné leur déploiement pour réduire ou retarder les coûts. D’autres encore ont stoppé leurs collectes en déchetteries, de manière unilatérale.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est temps que nous renforcions le principe vertueux de responsabilité élargie des producteurs, dont nous avons besoin pour atteindre les objectifs que vous nous proposez dans ce texte, pour voir enfin décoller l’économie circulaire, laquelle dans la plupart des cas ne se mettra pas en place naturellement, que nous stabilisions quelques règles communes, que nous rééquilibrions les efforts du recyclage et de son coût entre l’amont et l’aval, et que nous fassions une analyse en profondeur du fonctionnement des éco-organismes et de leur régulation.

Malgré plusieurs tentatives, y compris de certains députés, tels que nos collègues Guillaume Chevrollier et Jean-Jacques Cottel, le modèle de REP à la française, qui doit être conforté, est en train de s’essouffler, de trouver ses limites et de connaître de vrais dysfonctionnements que nos élus locaux en charge des déchets nous font remonter quotidiennement. Monsieur le ministre, mes chers collègues, osons poser les vraies et bonnes questions sur ce sujet complexe, mais essentiel, de la gestion des déchets ! Osez voter les amendements que nous proposerons dans ce projet de loi et dans la future loi de finances, qui devra être l’occasion d’un débat sur le retour au taux de 5,5 % pour la gestion des déchets !

Les collectivités le demandent, les consommateurs, les ONG environnementales et les opérateurs aussi. Il est temps que nous écoutions tous ces acteurs de la gestion des déchets pour que le modèle de REP à la française trouve son second souffle plutôt qu’il ne s’enlise dans une gouvernance déséquilibrée et une régulation à la fois laxiste et sous-dimensionnée.

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