Intervention de Jean-Patrick Gille

Réunion du 13 mai 2015 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Patrick Gille, rapporteur pour avis :

Michel Pouzol l'a dit, le texte dont nous débattons s'inscrit dans la continuité des travaux que notre collègue Christian Kert et moi-même avons menés à l'Assemblée nationale, puis de ceux de la mission de concertation. Il ne s'agit pas pour autant de régler ici l'intégralité de la question, mais de traiter ce qui relève du domaine législatif. D'autres avancées relèvent du domaine réglementaire, de circulaires, des pratiques – notamment avec Pôle emploi – et de la négociation. La réponse n'est pas étatique, puisqu'elle doit passer par la négociation : on peut désapprouver le choix que nous faisons, mais on ne peut pas, en l'occurrence, parler de dirigisme.

Des inquiétudes se sont fait jour et se sont traduites par une forme étonnante d'alliance objective du MEDEF et de la CIP, qui considèrent l'un et l'autre que le projet de loi ne sanctuarise pas l'intermittence, mais prépare au contraire la création d'une caisse autonome. Le choix retenu par le texte est, à l'inverse, d'établir des règles spécifiques dans le cadre du régime de solidarité interprofessionnelle, d'articuler le régime général et des règles particulières répondant à la spécificité de l'emploi culturel.

Sans doute ces inquiétudes s'expliquent-elles par l'intervention de l'État dans le financement. Ceux-là mêmes qui réclamaient que l'État intervienne protestent dès que celui-ci prend en charge le différé – il s'agissait en l'occurrence de sortir de la crise –, car ils voient dans cette solution un cheval de Troie. Il n'est pourtant question que de sanctuariser les annexes et d'améliorer le fonctionnement du régime.

Une conférence sur l'emploi dans le secteur culturel se tiendra au mois de septembre prochain, dans la droite ligne des annonces faites par le Premier ministre le 7 janvier dernier, annonces qui concernaient également les crédits de la culture et du spectacle vivant pour 2015 et 2016. La conférence devrait aboutir à la constitution d'un fonds pour l'emploi. Il faut conforter l'intermittence tout en la contenant et trouver un dispositif de sortie par le haut, afin d'éviter un recours excessif à ce statut. La situation du chauffeur employé en CDDU peut sembler, au départ, constituer une facilité pour l'employeur et un avantage pécuniaire pour le salarié mais, à terme, personne n'a à y gagner, ni l'intéressé ni la collectivité.

Avec le double niveau de négociation, tous les intéressés – non seulement les salariés mais également les organisations représentatives des employeurs – auront voix au chapitre. Ce secteur professionnel est mûr et capable de s'organiser. Deux scénarios étaient possibles : soit on imposait la concertation au sein du secteur, soit on prévoyait une forme de délégation de la négociation en ce qui concerne les annexes VIII et X. Le Gouvernement a choisi la seconde solution, à la grande surprise des acteurs qui réclamaient un changement, mais ne s'attendaient pas à un tel dispositif, retenu pour sa solidité juridique comme en atteste l'avis du Conseil d'État qui a achevé de déterminer le Gouvernement. Reste à savoir qui négociera, car la profession n'est pas tout à fait déterminée à ce sujet et cette question, que nous aborderons avec les amendements, est en cours de règlement.

Le comité d'expertise ne doit pas être un nouveau comité Théodule. Il s'agit de responsabiliser la profession en la dotant d'une expertise afin de signifier que l'Unédic n'en a pas le monopole. L'Unédic est compétente dans le domaine interprofessionnel, et les professionnels le sont dans celui des règles particulières. Cela a été un des éléments de la crise que nous avons dénouée en 2014. Depuis dix ans, la CIP et des syndicats émettaient des propositions qui n'avaient jamais fait l'objet d'une expertise ou d'une évaluation. Nous nous sommes attelés à ce travail, avons organisé le débat, trouvé des accords, et les résultats ne se sont pas fait attendre.

Ainsi, madame Langlade, le débat relatif au retour à la date anniversaire a permis de dédramatiser la situation. Nous ne l'avons pas inscrit dans la loi, car on ne peut pas, d'un côté, demander aux acteurs de négocier et, de l'autre, leur donner la réponse à l'avance. L'expertise a montré que, contrairement à ce qui a pu être dit, le coût n'est pas exorbitant. Les annexes du rapport remis au mois de janvier montrent que le comité d'experts a déjà travaillé et établi des projections. Il faut conserver aux professionnels du secteur le droit de bénéficier d'une expertise reconnue par tous. C'est pourquoi je ne souhaite pas que le comité se prononce sur l'ensemble du dispositif par un avis sanctionnant la conformité de l'accord au cadrage. Le nombre de ses membres ne doit d'ailleurs pas être très élevé, mais comprendre quelques statisticiens spécialistes de la question. Il ne s'agit pas d'organiser des colloques, mais d'être immédiatement opérationnel dans l'analyse des chiffres.

Le calendrier optimiste de la révision des listes d'emplois me semble raisonnable. Si les choses n'allaient pas aussi vite que souhaité, je fais confiance au Sénat pour apporter un peu de sagesse. Christian Kert a considéré que le texte ne répondait pas à l'ensemble de la problématique, mais comment pourrait-il en être autrement, puisque seul l'aspect législatif est traité ? Le législateur se borne à améliorer la négociation relative aux règles particulières au sein d'un cadre paritaire réunissant l'Unédic et l'interprofession.

Un amendement relatif à la trajectoire financière est tombé sous le coup de l'article 40 de la Constitution, mais la disposition qui était proposée existe déjà. L'Unédic participe à la discussion et propose des solutions adaptées à l'état des finances. Le débat principal porte sur le régime d'assurance chômage, qui concerne potentiellement 20 millions de personnes, puis viennent les annexes dont le sort est souvent réglé à la fin des négociations, au milieu de la nuit. Celles-ci servent alors de variables d'ajustement, ce qui est d'autant plus facile que les intéressés ne sont jamais vraiment représentés. Ainsi en vient-on à prendre des décisions qui ne sont pas parfaitement éclairées du point de vue technique. C'est pourquoi le texte a prévu une négociation en amont : soit elle aboutit en respectant la trajectoire financière fixée par l'interprofession, auquel cas le texte s'imposera, soit elle échoue, mais les éléments de la discussion demeureront. Encore une fois, l'ensemble du dispositif repose sur la responsabilisation du secteur professionnel.

En réponse à la question de Mme Attard au sujet des « matermittentes », j'indique qu'un décret a d'ores et déjà abaissé de 200 à 150 heures trimestrielles la durée nécessaire et qu'une circulaire a été prise à l'intention des services sociaux. Cela ne règle pas tous les problèmes et nous dialoguons avec l'administration sur ce sujet mal connu. Un consensus existe pour trouver une solution, qui ne relève pas du domaine législatif. Au demeurant, si un signal législatif était nécessaire, nous l'intégrerions dans la loi.

Mme Hobert, comme M. de Mazières, a relayé les inquiétudes de la CIP, dont les revendications sont contradictoires : d'un côté, on veut rester dans l'interprofession et, de l'autre, on réclame un statut. M. Tardy bondirait à ces propos, car, dans son esprit, statut signifie caisse et régime spécial : or la tendance n'est pas à la multiplication des régimes spéciaux. La CIP, avec qui nous avons beaucoup dialogué, sait qu'elle ne sera pas partie à la négociation, puisqu'elle ne constitue pas une organisation représentative au sens de la loi, même si son influence est grande sur la profession. Au demeurant, ses représentants ont participé à l'expertise et apporté les propositions parmi les plus intéressantes grâce à leur parfaite connaissance des dossiers.

Je remercie Mme Marie-George Buffet d'avoir exprimé sa satisfaction en constatant que le Gouvernement tenait ses engagements. J'ai pris connaissance de ses amendements qui portent sur les questions de l'avis et de l'expertise ; nous nous situons bien dans une démarche de simplification du processus.

À Mme Colette Langlade qui m'a interrogé au sujet du retour à la date anniversaire, je répète que l'on ne peut à la fois inciter à la négociation et en imposer les conclusions. J'entends bien que cela rassurerait certains, mais inscrire dans la loi les règles spécifiques tuerait la négociation, alors qu'il ne s'agit que de fixer le cadre de celle-ci et de fournir les moyens de l'expertise.

Pour relativiser les inquiétudes de M. Tardy, je rappelle que le comité d'expert ne constitue pas une commission de plus : il garantit le droit des acteurs d'avoir accès à une expertise. Il s'agit d'un processus de subsidiarité au sein duquel les décisions sont prises par les intéressés ou au plus près d'eux. Mme Martinel a trouvé une excellente formule en réponse aux propos de M. Tardy : on ne crée pas une exception, on consacre une spécificité.

C'est bien l'interprofession qui va établir le document de cadrage à l'occasion des discussions sur le régime général. Elle le fait déjà, mais le document sera désormais communiqué aux autres organismes intéressés. Puisque des acteurs vont être conduits à mener une négociation dans la négociation, ils doivent avoir connaissance des enjeux.

Mme Dominique Nachury s'est montrée assez critique au sujet de l'inégalité de traitement entre le secteur privé et les intermittents. Je rappelle que ces derniers sont des salariés de droit privé. N'alimentons pas les inquiétudes en laissant croire que l'interprofession va se désengager du système ! On se demande plutôt, d'habitude, si c'est bien à elle de le financer, si c'est bien, par exemple, à la caissière du supermarché de financer le festival d'Avignon, auquel elle n'assiste peut-être pas. On ne peut pas formuler les deux critiques en même temps. Le Gouvernement, suivant en cela les propositions de nos rapports successifs, a choisi de rester dans l'interprofession, de la conforter tout en la contenant.

On s'est également demandé qui exerçait le contrôle. Je rappelle que le CDDU, forme particulière de CDD, relève du droit commun : il relève donc des contrôles exercés par l'inspection du travail. Celle-ci a des priorités au niveau national : le secteur du spectacle et de l'intermittence est l'un de ceux qu'elle contrôle le plus souvent. En second lieu, il y a le juge : lorsqu'une décision arbitraire est prise, la partie lésée a, en général, gain de cause devant les prud'hommes ; une ligne de financement est d'ailleurs prévue à cet effet à Radio France. Certes, nous avons affaire ici à un contexte spécifique : alors que, d'habitude, on s'assure que le patron n'exploite pas le salarié, il y a, dans ce secteur, une sorte d'accord tacite pour abuser du CDDU. Le chauffeur dont il a déjà été question plus tôt dans nos débats peut accepter de ne pas être en CDI, mais plutôt en CDDU permanent, car cela lui permet de travailler ailleurs en parallèle. Il fait alors le calcul qu'il y gagne financièrement. Mais, arrivé à quarante-cinq ans, il s'aperçoit qu'il n'a pas cotisé suffisamment pour sa retraite. Je peux témoigner, pour l'avoir constaté lors des nombreuses réunions plénières que nous avons tenues, du fait que la profession, notamment les syndicats d'employeurs, souhaite mettre elle-même de l'ordre dans tout cela. C'est sur cette autorégulation de la profession que nous parions.

C'est ainsi qu'il faut comprendre le quatrième point de l'article. Nous demandons à la profession de travailler sur les listes d'emplois, mais, dans la perspective de la conférence pour l'emploi culturel prévue pour septembre 2015 et dont les discussions préparatoires commenceront dès fin mai-début juin, la question se posera aussi de savoir s'il faut aller plus loin dans l'encadrement du CDDU. Voilà d'ailleurs un problème que vous auriez pu soulever. La mission de concertation a formulé des propositions tendant à ce que la requalification en CDI soit automatique au-delà de 600 ou de 900 heures travaillées ; mais, du fait des effets de seuil, si tout le monde fait 899 heures, cela ne suffira pas à résoudre le problème : il convient donc de se montrer pragmatique. Symétriquement, il faudrait interdire tout CDDU de moins d'une demi-journée. Aujourd'hui, il existe des CDDU d'une heure ! C'est excessif.

Quoi qu'il en soit, plutôt que d'inscrire dès à présent ces dispositions dans le texte, nous avons opté pour une phase de négociation par la profession elle-même, et nous verrons si un accord interbranche se dégage ou s'il est nécessaire de légiférer sur ce point. Pour l'instant, nous nous sommes limités aux listes d'emplois – compte tenu des réserves que j'ai indiquées –, puisque cet aspect faisait consensus. Dans la mesure où la profession bénéficie d'un système spécifique, elle doit apprendre à le réguler collectivement.

Je remercie notre collègue Allossery d'avoir rappelé un autre aspect qui ne figure pas dans la loi et n'a d'ailleurs pas à y figurer : la création au sein de Pôle emploi, à l'intention des intermittents, d'une ligne téléphonique dédiée, d'un médiateur et d'un comité de liaison sur le modèle de ce qui existe dans les régions, Pôle emploi services ayant en quelque sorte vocation à faire office de quatorzième région. Les contacts en seront facilités.

Les rapports avec Pôle emploi sont d'autant plus importants que celui-ci ne traite pas moins de 4 millions de contrats. Ce traitement, par voie numérique, fonctionne bien, mais, au moindre dysfonctionnement, c'est la catastrophe pour la personne concernée : ses heures ne sont plus comptabilisées, elle cesse brutalement d'être indemnisée et comme le processus est entièrement automatisé, elle a beaucoup de mal à trouver un interlocuteur physique à qui expliquer la situation. C'est ce problème – que Pôle emploi a bien compris – que nous cherchons à résoudre.

Madame Arribagé, le recours abusif aux CDDU est bien abordé, de manière implicite, par le quatrième point, comme je viens de l'expliquer.

À Mme Bouillé, M. Féron et Mme Faure, je veux confirmer qu'il est nécessaire de relancer le GUSO, qui avait du mal à se réunir et était quelque peu livré à lui-même. Cela ne dépend toutefois pas du législateur, mais de la profession. Cet aspect relève du volet relatif à Pôle emploi, puisque celui-ci est l'opérateur.

Le comité d'expertise est à mes yeux, je le répète, un groupe de travail. En ce sens, l'important est d'y faire siéger les bonnes personnes : la question de la représentativité ne se pose pas à cet égard. Or, ces personnes, nous les avions trouvées. Je serais donc d'avis de ne pas modifier la composition du comité, d'autant que le dispositif fonctionne déjà très bien.

M. de Mazières m'a questionné sur l'amélioration effective du système. D'abord, la sanctuarisation des annexes est un gage d'apaisement ; je l'ai senti sur le terrain. Ensuite, nous faisons le pari de la reconnaissance d'une branche devenue « mûre » et de sa capacité à négocier en interne et à articuler sa négociation à celle de l'interprofession, loin de remettre celle-ci en cause.

Cette articulation entre les deux niveaux de négociation est cruciale, comme nous le verrons en examinant les amendements. La démarche n'a rien d'étatiste ni de dirigiste ; elle a toute sa place dans un texte sur le dialogue social, car l'enjeu est bien de crédibiliser et renforcer celui-ci au sein d'une profession et d'un secteur économique en plein essor. Le moment est venu de le faire. Tous mes interlocuteurs, que je salue ici, en sont capables, et la concertation que nous avons menée pendant six mois a créé les conditions de la réussite.

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