Intervention de Alain Vidalies

Séance en hémicycle du 6 décembre 2012 à 15h00
Conditions de l'usage légal de la force armée par les représentants de l'ordre — Présentation

Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement :

Notre position est celle de la clarté et de la cohérence dans la mise en oeuvre de l'essentiel des préconisations Guyomar. Elles doivent faire l'objet d'indispensables concertations interministérielles et syndicales. Ce travail est actuellement en cours. L'engagement du ministre de l'intérieur comme du Gouvernement est entier pour le voir aboutir.

Monsieur le rapporteur, l'article 1er de votre proposition, en écho à une actualité récente et tragique, revient sur la question récurrente des contours de l'utilisation des armes à feu. Vous avez écarté l'instauration d'une présomption de légitime défense en cas d'ouverture du feu.

Je tiens à vous dire combien il est satisfaisant pour le Gouvernement de constater cette évolution de la part des parlementaires de l'UMP alors qu'en avril dernier, Nicolas Sarkozy, alors candidat à sa succession, s'était fermement prononcé en sens contraire. Le Gouvernement ne veut plus de lois de circonstances, votées sous le coup de l'émotion et qui ne sont jamais appliquées, comme l'a rappelé le Premier ministre lors de son discours de politique générale.

Les fonctionnaires ont le droit de bénéficier pleinement, et j'ose ajouter dans la sérénité, de la présomption d'innocence et de procédures d'enquêtes, tant administratives que judiciaires, équilibrées et rapides.

Chacun doit être conscient que l'établissement d'une présomption de légitime défense entraînerait de fait, et de façon systématique, un renversement de la charge de la preuve dont les conséquences sont lourdes sur le plan juridique et humain. J'aurai, je pense, l'occasion d'y revenir à l'occasion de l'examen des amendements.

Les travaux de la commission des lois vous ont conduit à vous interroger sur l'efficacité du cadre légal de l'usage des armes par les forces de l'ordre chargées de missions de sécurité intérieure et sur la pertinence du maintien de régimes différents entre policiers et gendarmes.

Monsieur le rapporteur, vous affirmez que les policiers et les gendarmes ne sont, aujourd'hui, pas soumis aux mêmes règles et que ce serait donc le droit commun du code pénal qui s'appliquerait aux policiers et non une loi spéciale.

D'un point de vue juridique, le code pénal s'applique indifféremment aux militaires et aux fonctionnaires de police. Les mêmes présomptions, d'innocence, par exemple, ou les mêmes faits justificatifs s'appliquent à tous sans distinction ou discrimination, sauf à méconnaître le principe d'égalité devant la loi.

Ce sont les raisons de l'histoire comme du statut militaire qui expliquent que ces agents sont soumis à des droits et des devoirs spécifiques.

En l'occurrence, vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, le droit en vigueur dispose que les policiers sont soumis au droit commun de l'article 122-5 du code pénal, selon lequel « n'est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte ».

Les gendarmes, quant à eux, doivent respecter l'article L. 2338-3 du code de la défense, issu d'un texte du début du siècle précédent, qui autorise les officiers et sous-officiers à déployer la force armée « lorsque les personnes invitées à s'arrêter par des appels répétés de "Halte gendarmerie" faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s'arrêter que par l'usage des armes ».

Aligner un régime civil sur un régime militaire ne me semble pas, à ce stade, la bonne méthode pour sécuriser les policiers et gendarmes dans l'exercice de leur mission. Ce fut également le sens des conclusions de la commission Guyomar. Je rappelle d'ailleurs qu'il n'existe pas de véritable consensus au sein des organisations professionnelles sur ce sujet.

Je tiens en outre à souligner que la différence historique des régimes juridiques trouve son origine dans la différence des situations auxquelles sont confrontés les policiers et les gendarmes. Ces derniers, en zone rurale, ne sont pas dans la même situation que des policiers en zone urbaine, où chacun peut comprendre que l'emploi des armes à feu soit régulé du fait de la densité de population.

Cette différence a toujours sa pertinence si vous songez par exemple aux missions complexes menées par la gendarmerie nationale en Guyane dans le cadre de l'opération Harpie, en pleine forêt amazonienne.

Enfin et surtout, il m'apparaît que l'alignement envisagé, fondé sur une comparaison littérale des textes applicables, fait fi de l'importante et décisive jurisprudence, tant nationale qu'européenne, qui est venue éclairer l'application de ces dispositions, notamment sur l'exigence de l'état de nécessité et de proportionnalité dans l'usage des armes à feu.

C'est un point très important, souligné par le rapport Guyomar et relativement absent de votre texte comme de vos explications. Les dispositions spécifiques aux gendarmes sont ainsi, aujourd'hui, appréciées par les juridictions à l'aune des standards européens qui s'appliquent à l'ensemble des forces de sécurité intérieure de l'Europe.

Il nous semble dès lors, ainsi que de nombreux parlementaires l'ont fait valoir en commission, qu'il convient de repousser les dispositions de cet article 1er.

Le Gouvernement est parfaitement conscient de l'importance du sujet qui nous occupe aujourd'hui, car il n'y a pas d'ordre sans respect des forces de l'ordre. Les mesures réglementaires pour améliorer la protection des fonctionnaires et des militaires en exercice sont d'ores et déjà engagées. Les mesures d'ordre législatif seront prochainement annoncées, une fois qu'elles auront été discutées, concertées et chiffrées.

Ce travail préparatoire s'achevant, le Parlement en sera informé et saisi rapidement. Aussi le Gouvernement est-il, à ce stade, défavorable à l'adoption de la présente proposition de loi.

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