L’article 19 contient des dispositions importantes portant en particulier sur la problématique très vaste et très complexe des déchets ménagers. Une réflexion cohérente part nécessairement de la globalité du problème pour aller vers des applications qui ne peuvent pas ne pas être locales et doivent donc tenir compte, par définition, de réalités telles que l’histoire, les territoires, l’ambition et les capacités qui sont par nature tout à fait différentes. J’aurai l’occasion de défendre des amendements à mes yeux utiles et même indispensables. Je compte pour l’heure non pas apporter des éléments d’information, car nous sommes tous plus ou moins informés à ce sujet et certains d’entre nous font même preuve d’une plus grande implication, mais surtout jeter les bases de l’échange que j’appelle de mes voeux, tout comme le Gouvernement et la majorité à n’en pas douter, c’est-à-dire un échange aussi objectif, fouillé et pragmatique que possible. Nous sommes tous d’accord sur de nombreux points, qu’il n’est pas inutile de rappeler.
Le premier point est devenu une tarte à la crème : le meilleur déchet est celui que l’on ne produit pas. Cela marche : le volume global des déchets produit par les ménages ne cesse de diminuer ; la prise de conscience de nos concitoyens et des acteurs publics locaux et nationaux est bien réelle depuis une quinzaine d’années, et ne cesse de s’accentuer.
La deuxième réalité sur laquelle, me semble-t-il, nous sommes tous d’accord est qu’il faut donner un vrai sens à notre action en essayant d’améliorer sans cesse nos performances dans le traitement du « déchet ultime ». Le déchet ultime est celui qui, en l’état actuel de nos connaissances, de nos compétences et de nos capacités technologiques et économiques, ne peut plus rien produire, celui dont on ne peut plus rien tirer.
Entre les deux, il y a le bon ordre des choses et la capacité des uns et des autres à apporter le maximum d’éléments de nouveauté en matière de retour au sol. Cela peut se faire en particulier par la matière organique, la création d’énergies propres et renouvelables et – ce dont on vient de parler et qui sera à nouveau abordé dans cet article – le concept d’économie circulaire.
Je voulais insister auprès de vous, madame la ministre, vous sachant sensible à cette question, ainsi qu’auprès de tous nos collègues, sur le sujet important – eu égard aux constats que nous établissons en ce domaine, à l’ambition que nous devons nourrir en la matière et au potentiel existant, qu’il ne faut pas gâcher – que constituent aujourd’hui, dans notre pays, les déchets ménagers fermentescibles.
Je m’exprime certes, ici, à titre personnel, mais je le fais d’une manière attendue, comprise et revendiquée par un nombre très important d’élus locaux, quelle que soit leur affiliation – ou leur absence d’affiliation – politique, qui se sont regroupés dans de multiples associations. Ces dernières, grâce à l’échange de bonnes pratiques, concourent à améliorer la situation qui, bien que parfois incertaine, s’améliore de jour en jour. Je citerai l’Association pour la méthanisation écologique des déchets – MÉTHÉOR –, que j’ai l’honneur de présider et qui regroupe en son sein non seulement des collectivités mais également des industriels qui concourent à la méthanisation des déchets ménagers, ainsi que la Fédération nationale des collectivités de compostage – la FNCC – et une autre structure que chacun connaît, l’Association nationale des collectivités, des associations et des entreprises pour la gestion des déchets, de l’énergie et des réseaux de chaleur – AMORCE –, qui nourrit également des réflexions en ce domaine. Les réflexions et les conclusions de ces trois associations – et de bien d’autres – vont dans le même sens, celui d’un pragmatisme éclairé et du refus de l’enfermement dans des positions qui ne sont parfois pas suffisamment éclairées pour être tout à fait objectives.
Madame la ministre, dans le texte que vous avez présenté initialement, vous avez prévu des dispositions qui peuvent toujours être contestées et améliorées mais qui ont la grande sagesse de dresser le constat le plus équilibré possible de l’action des collectivités dans le domaine de l’utilisation de la partie fermentescible de leurs déchets. Certaines choses marchent, d’autres fonctionnent moins bien, d’autres encore n’ont donné aucun résultat mais marcheront peut-être mieux maintenant, dans une économie récente et au moyen d’une technologie également récente. Tout cela, j’y insiste, est très récent : le syndicat que je préside s’est lancé depuis seulement quinze ans dans la méthanisation de ses déchets ménagers. Auparavant, il se contentait, si l’on peut dire, de réaliser un compostage à l’ancienne, qui avait ses mérites et ses limites.
Il est un sujet dont j’ai du mal à comprendre qu’il ait pris des proportions – j’emploie des guillemets pour ne choquer personne – à ce point « idéologiques » : celui que l’on persiste à appeler le tri mécano-biologique – le TMB. Il s’agit d’un épouvantail, qui consiste en l’utilisation, par des unités industrielles de traitement des déchets, de cylindres rotatifs qui ont comme caractéristique de préparer la fermentation des déchets qui y sont placés et leur insertion dans une chaîne de tri. Cette dernière permet ensuite d’obtenir un produit qui, avec ou sans méthanisation, permet la fabrication d’un compost stabilisé respectant la norme que nous connaissons, que nous devons absolument améliorer, respecter et rendre de plus en plus exigeante.
Madame la ministre, aucune collectivité ne se lance spontanément, quand bien même elle n’aurait pas d’autre solution, dans l’utilisation de ce procédé industriel, bien qu’il soit devenu de plus en plus pertinent et performant et permette de faire à l’usine ce que l’habitant n’a pas la capacité de faire ou ne réussit pas assez bien. J’en ai fait l’expérience dans le syndicat que je préside : lorsque nous avons lancé, il y a dix ans, la collecte sélective de nos déchets, nous avions prévu – et nous l’avons conservé quelques années – un bac spécifiquement dédié à la collecte, chez l’habitant, de la partie fermentescible des déchets – pour l’essentiel, les déchets de cuisine. Nous avons dû constater, après sept ou huit ans, que le flux obtenu ne représentait que la moitié de celui que nous espérions obtenir pour faire tourner nos méthaniseurs, soit 7 000 à 8 000 tonnes au lieu de 15 000 tonnes. Cela ne nous permettant pas de pérenniser ce méthaniseur, nous avons changé nos consignes de tri.
Grâce à la performance de notre usine – beaucoup d’autres obtiennent les mêmes résultats : je vous en citerai quelques-unes, que j’ai visitées récemment –, nous obtenons à l’arrivée une production de biométhane que nous pouvons transformer dès aujourd’hui en électricité et que nous pourrons transformer demain en gaz, comme cela a d’ailleurs déjà été fait, en particulier à Lille. Ce gaz peut désormais être injecté dans le réseau, ce qui permet, par substitution, d’engendrer de l’énergie propre et renouvelable, en particulier du gaz naturel vert, fort utile. Au sein de mon syndicat, d’ici quelque temps, les véhicules collectant les déchets des habitants rouleront avec du carburant produit par ces déchets.
Il faut accepter cette réalité telle qu’elle est, sans opposer de manière trop artificielle les détenteurs supposés de la vertu, qui auraient la capacité de ne méthaniser que des déchets fermentescibles prélevés à la source chez l’habitant, et les autres, qui seraient les paresseux, les non-vertueux, qui n’auraient pas accompli l’effort nécessaire. Une telle distinction est fausse : il n’y a pas des vertueux et des non-vertueux ; il y a seulement ceux qui peuvent méthaniser à un moment donné et ceux qui s’y essaient sans y parvenir. Toutefois, notre technologie, notre industrie, nous permet aujourd’hui de fonctionner et d’atteindre les objectifs fixés. L’étude de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques – l’INERIS –, menée il y a quelque temps, a prouvé que l’on produit aujourd’hui, grâce aux usines de compostage, ou de méthanisation et de compostage, un compost qui est tout à fait aux normes et – c’est aisément vérifiable – très apprécié par nos agriculteurs.
Il faut être vigilant et exigeant sur ce qui se passe aujourd’hui, et ne pas se cacher les difficultés et les retours d’expérience qui en découlent. Il faut faire confiance à ce qui a progressé et à ce qui marche. J’ai eu l’occasion, avec Mme Corinne Lepage, d’inaugurer l’usine de Brametot, en Seine-Maritime, qui marche bien. J’ai également visité récemment le site de Bil ta Garbi ; j’invite d’ailleurs, en ma qualité de président de MÉTHÉOR, le président de la commission spéciale aux dixièmes états généraux de la méthanisation qui se tiendront sur ce site, à l’usine de Bayonne, au début du mois de juin. Personne n’a entendu parler de Bil ta Garbi, parce qu’il n’y a là ni mouches, comme on en a eu malheureusement à Montpellier, ni odeurs, comme il est arrivé qu’il y en ait – c’est de moins en moins le cas, parce que les usines sont à présent en dépression et ont des modes de traitement des odeurs particulièrement pertinents. L’usine du syndicat que je préside, au moyen de la nouvelle chaîne de tri qui sera inaugurée à la rentrée, permettra d’obtenir encore de meilleurs résultats.
J’invite tous mes collègues, tous ceux qui sont intéressés par ces questions, à venir à notre contact, à découvrir les réalités, à s’en imprégner et à ne pas hésiter à faire preuve d’une critique objective et positive pour améliorer le dispositif. Nous y gagnerons tous, parce qu’il n’y a pas, je le répète, de clivage en la matière. L’association MÉTHÉOR regroupe des élus de tous bords : son ancien président était un chaud partisan de la méthanisation – que l’on nomme aujourd’hui, pour mieux le décrier, le TMB – tandis que la présidente de Bil ta Garbi, que l’on ne peut pas particulièrement classer à droite, partage les positions dont je vous ai fait part.
Il faut éviter de décourager, qui plus est de manière désobligeante, toutes ces femmes et tous ces hommes, élus, industriels, acteurs locaux, qui déploient de nouvelles technologies et s’efforcent de les améliorer en permanence, et qui permettent une utilisation du déchet fermentescible dans toutes ses dimensions. Ce dernier peut produire du biométhane et ce qui en découle, et il ne faut pas gâcher cette source d’énergie renouvelable. Aucun autre mode de traitement ne permet de mettre à la disposition des agriculteurs la matière première, ce compost qui va redonner des éléments essentiels, qui ont été prélevés par l’agriculture et qui – chose on ne peut plus naturelle – méritent de retourner à la terre pour que les sols ne soient pas privés de toute leur substance. Tout cela est extrêmement riche et important.
Je m’efforce d’avoir la position la plus équilibrée possible, cette question – à travers ses réussites, ses difficultés et les améliorations que l’on peut y apporter – appelant une telle mesure. Mon propos a pour seul objectif de permettre qu’à l’issue de nos échanges sur cet article 19, la loi, dans ses parties consacrées au traitement de nos déchets ménagers, permette d’avancer. Il nous faut faire preuve en la matière de vigilance, d’une grande exigence et de respect à l’égard de ce qui est fait par tous les acteurs de terrain, dont je fais partie.
Madame la ministre, j’ai eu le sentiment que vous n’étiez pas très éloignée de ma position. À défaut de pouvoir progresser ensemble sur votre texte initial, j’estime qu’il serait sage que notre assemblée en restât, en revenant à ce texte, à ce qui était l’intention première du Gouvernement qui invite à regarder de près ce qui se passe, à éviter des actions qui ne seraient pas maîtrisées, sans interdire : rien ne serait pire, en effet, que d’interdire ce qui fonctionne de mieux en mieux et d’empêcher par là même de tirer tout le parti de ce que nos déchets contiennent – et Dieu sait qu’ils contiennent énormément de choses ! Si nous ne parvenions pas à atteindre cet objectif, nous commettrions collectivement une erreur, mais j’ai confiance : nous ne la commettrons pas.