Intervention de Yves Jégo

Séance en hémicycle du 21 mai 2015 à 21h30
Transition énergétique — Article 46

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Jégo :

Madame la ministre, je voudrais que nous employions le temps et la solennité nécessaires pour que nos propos, ce soir, soient gravés dans le marbre. Hier, à l’Unesco, dans un discours marquant, le Président de la République a appelé les entreprises du monde entier à faire un effort de technologie pour lutter contre le réchauffement climatique, considérant, à juste titre, que c’est grâce aux progrès de la technologie que nous trouverons les ressources pour atteindre les objectifs de la COP21, objectifs que nous souhaitons tous universels.

C’est exactement de cela que nous débattons : il y a une technologie française qui permet, par des microcoupures chez les particuliers, sans rupture de confort, de faire des économies d’énergie conséquentes aux moments où le marché est au maximum de ses besoins et où les fournisseurs sont obligés de mettre en branle des centrales à charbon, avec tous les dégâts que l’on imagine sur le climat.

Il n’y a pas deux visions, madame la rapporteure : nous disons tous la même chose. Mais vous mettez des freins. Vous le faites sans doute par prudence, ce que je peux comprendre, mais ces freins sont trop nombreux.

La loi Brottes remonte à 2013. Toutes les questions que vous avez soulevées, monsieur le président – Qui rémunère qui ? Quel est l’équilibre ? Qui gagne ? Comment sont réparties les charges ? – sont connues depuis deux ans ! Entre-temps, on a tâtonné, on a cherché à savoir si la CSPE ne serait pas la manne dans laquelle piocher, avant de comprendre que non…

En prévoyant le recours à des appels d’offres, on continue de tâtonner. Comme si ce devait être miraculeux ! Comme si les fonctionnaires qui les monteront avaient trouvé la solution des équilibres de financement ! Mais les appels d’offres prévoiront une prime, il faudra donc bien aller la chercher dans la poche de quelqu’un ! Retour à la case départ…

Ce que proposent le groupe UDI, le groupe UMP, les parlementaires socialistes qui ont signé des amendements allant dans le même sens, c’est que nous fassions la vérité sur les prix en mesurant tout de suite si l’économie réalisée par les fournisseurs grâce à la baisse du marché au moment des effacements compense une partie du versement qui est dû.

Madame la rapporteure, il n’y a pas de problème constitutionnel : nous ne supprimons pas le versement. L’effaceur effectuera le versement, mais son montant sera diminué de l’économie qu’aura réalisée la communauté des fournisseurs grâce à la baisse du marché. Cette mécanique, nous la connaissons et elle ne pose aucun problème. Vous avez fait référence aux procès en cours aux États-Unis : ils n’ont rien à voir avec ce système mais sont liés à la répartition entre l’État fédéral et les différents États.

Madame la ministre, si, comme vous semblez vouloir le proposer, vous expliquez aux effaceurs diffus indépendants qu’ils paieront tout pendant deux ans sans connaître l’équilibre de leur marché, ils renonceront, tout simplement ! Installer des boîtiers dans plusieurs millions de foyers, c’est un investissement très important. Ces effaceurs indépendants qui, depuis bientôt trois ans, croient en la loi Brottes, ont commencé ces investissements. Pourtant, ils ne savent toujours pas quel sera leur équilibre économique !

Ce qui va se passer, si nous ne faisons pas aujourd’hui ce choix de la vérité et de la transparence, c’est que la technologie française sera rachetée par d’autres. Il y a des pays qui lorgnent dessus. Avoir mis tant de freins et ouvert autant de parapluies aboutira à la perte de ce savoir-faire. Les autres effaceront à notre place.

Madame la ministre, vous étiez à l’Unesco hier, en compagnie du Président de la République. La COP21 devra montrer que la France est en pointe sur ces sujets. Savez-vous combien de CO2 l’effacement diffus indépendant, chez les particuliers, peut nous permettre d’économiser ? 2 millions de tonnes par an, ce qui représente 0,6 % de tout le CO2 émis en France, et 5 % du CO2 généré par l’électricité ! Sans que cela coûte à personne, sans que l’État dépense un centime, sans que les fournisseurs perdent de l’argent ! Simplement par l’équilibre du marché, par le jeu de l’effacement. Je n’ai pas entendu ces chiffres ce soir.

Mes chers collègues, nous devons faire l’effort aujourd’hui de desserrer les freins. Rassurez-vous, nous n’avons pas prévu de laisser le marché libre. Compte tenu de ce qui s’est dit notamment lors de la table ronde, et alors que ce n’était pas notre position initiale, nous avons prévu une roue de secours au cas où le système déraperait : les appels d’offres. Mais si vous mettez la roue de secours avant le reste, en bloquant le système pendant deux ans, cela ne marchera pas. Voilà la vérité ! Et vous ne pourrez pas annoncer au mois de décembre que la France est en pointe sur une technologie qui peut devenir mondiale, et que grâce à ce dispositif, nous nous épargnerons 2 millions de tonnes de CO2 par an.

Nous sommes au coeur du sujet ! Je vous en supplie, madame la ministre, ne vous laissez pas impressionner par la force des lobbies que j’ai découverts à l’occasion de ces débats. Ne vous laissez pas impressionner par les fournisseurs qui, au fond, voudraient être effaceurs eux-mêmes et ne veulent pas des effaceurs indépendants. Il est tellement facile de faire les choses soi-même, de s’auto-contrôler, de contrôler tout le marché !

Il s’agit d’un secteur de pointe, qui peut faire briller la France à la COP21. Nous devons simplement laisser la technologie se développer rapidement. Si à l’inverse on tue le marché en plaçant des freins à tout bout de champ, je vous fais le pari que, dans deux ans, nous aurons peut-être les équilibres que vous appelez de vos voeux, monsieur Brottes, mais qu’il n’y aura plus d’effacement en France. Les autres se seront emparés de cette technologie.

Il ne s’agit pas d’un sujet technique. Nous sommes tous d’accord sur le fait qu’il faut trouver les équilibres. La question est de savoir si l’on y parvient en libérant le marché de l’effacement indépendant privé, ou en bloquant tout et en décourageant les investisseurs.

J’ai entendu le Président de la République parler hier à l’Unesco de l’agenda des solutions. Nous en avons une. Grâce à vous, François Brottes, elle est dans la loi française depuis 2013. Pourquoi ne fonctionne-t-elle pas ? Parce que les acteurs privés n’ont pas les mains libres. Il ne s’agit pas de gagner de l’argent – et encore, je ne vois pas où serait le drame de s’enrichir en exportant une technologie dans le monde entier – mais de développer un savoir-faire, une intelligence des systèmes. Nous pourrons ainsi prendre notre part dans la lutte pour le climat, de façon efficace et pragmatique, sans attendre des plans sur la comète pour éventuellement diminuer le réchauffement climatique.

Madame la ministre, le groupe UDI est très engagé sur ce sujet. Si le système devait se trouver bloqué ce soir, je demanderais que le groupe se réunisse d’urgence, car cela conditionne la position que nous aurons sur l’ensemble du présent texte, qui devrait être consensuel. Si, sous la pression des lobbies, ou en raison d’inquiétudes que je veux bien partager, nous bloquons le seul levier qui peut produire des effets dans ce texte et faire briller les technologies françaises, nous tuerons le système ! Alors, nous n’aurons pas joué notre rôle.

Mes chers collègues, il s’agit d’une décision fondamentale. Il n’y a aucun risque, ni pour les finances publiques, ni pour quoi que ce soit. Je vous demande de voter en faveur de ces amendements, dont je vous rappelle qu’ils ont été signés par des parlementaires de tous les bancs. Vous aurez ainsi agi dignement, en mettant dans la loi ce qui, sans doute, sera le sujet dont on parlera le plus.

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