Intervention de Armand Jung

Réunion du 27 mai 2015 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArmand Jung, rapporteur :

Il y a une partie technique dans ce texte, que je vais m'efforcer d'exposer avec le plus de pédagogie possible. Il y a évidemment une dimension symbolique importante, car ce projet de loi s'inscrit dans un double contexte.

Cette année marque le soixante-dixième anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale, celui des débarquements alliés en Normandie et en Provence, mais aussi de la libération des camps de concentration et d'extermination nazis. Trois commémorations qui éclairent le contexte de la signature de l'accord, signé entre la France et les Etats-Unis, sur l'indemnisation de certaines victimes de la Shoah, soumis aujourd'hui à notre approbation.

Les prises de position de nos dirigeants sur la question de la responsabilité de la France dans la déportation des juifs de France, sont connues. J'en rappellerai quelques-unes.

Ainsi que l'indiquait le Premier ministre, Lionel Jospin, lors de la Conférence internationale sur l'éducation, la mémoire et la recherche sur la Shoah qui s'est tenue à Stockholm le 26 janvier 2000 : « Si les gouvernements français ont tardé à reconnaître la responsabilité de l'État dans la persécution et la spoliation des juifs de France pendant la deuxième guerre mondiale, l'oeuvre accomplie en quelques années est très importante. »

Un décret présidentiel le 3 février 1993 avait institué une journée nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous l'autorité de fait dite « Gouvernement de l'État français ». Le 16 juillet 1995, dans un discours prononcé à l'occasion des commémorations de la Rafle du Vélodrome d'Hiver, que Jacques Chirac, reconnaissait solennellement : « La France, patrie des Lumières et des Droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. Nous conservons à leur égard une dette imprescriptible. » Plus récemment, durant la commémoration de 2012 de la Rafle du Vélodrome d'Hiver, le président de la République, François Hollande, a prononcé un discours la qualifiant de « crime commis en France, par la France ». D'autres discours publics importants ont également été prononcés en 2012, notamment par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, à l'occasion de l'inauguration du Camp des Milles, ainsi que par le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, certains pays d'Europe ont mis en place des régimes d'indemnisation très différents. En France, l'indemnisation des préjudices physiques subis par les victimes de la Shoah a été ouverte par la loi du 20 mai 1946 relative aux victimes civiles de la guerre, qui a prévu des droits à pension spécifiques à la Seconde Guerre mondiale, dont la déportation.

Le droit à pension de victime civile de guerre (catégorie qui englobe les déportés politiques) est ouvert sous condition de nationalité : les victimes doivent posséder la nationalité française lors du fait de guerre et lors de la demande de pension. Ce droit est aussi reconnu aux personnes de nationalité de pays ayant signé une convention de réciprocité avec la France (Belgique, Royaume-Uni, Pologne, ex-Tchécoslovaquie) ainsi qu'aux personnes relevant des conventions internationales sur les réfugiés de 1933 et 1938. Enfin, depuis 1998, le droit à pension des déportés, de nationalité étrangère lors de la déportation qui ont acquis ultérieurement la nationalité française, ainsi que leurs ayants cause, est reconnu. Un régime d'indemnisation des orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites a plus tard été mis en place, par le décret du 13 juillet 2000, au motif que de nombreux orphelins n'avaient pu faire valoir des droits à pension, soit par ignorance de leurs droits par leurs tuteurs, soit en raison des conditions de nationalité applicables aux victimes civiles et à leurs ayants cause.

J'en viens au présent projet de loi, qui propose la ratification d'un accord signé avec les États-Unis en vue d'indemniser certaines victimes de la Shoah.

En effet, en dépit des mesures de réparations mises en place en France, des déportés survivants, ou leurs ayants droits, n'ayant pas eu accès au régime de pensions d'invalidité du fait de leur nationalité, ou à des compensations versées par d'autres États ou institutions.

Ces personnes ont tenté, à partir des années 2000, d'obtenir des réparations par d'autres voies notamment devant les juridictions américaines. Pour prendre l'exemple le plus récent, en avril 2015, trois plaignants ont attaqués la SNCF devant une cour fédérale de Chicago. Il existe un risque que d'autres plaintes soient déposées contre la SNCF (et tous les démembrements de l'État). De plus, des projets de loi ont été introduits au Congrès américain pour permettre aux juridictions américaines de poursuivre toutes entreprises ayant joué un rôle dans le transport des victimes de la déportation, faisant ainsi craindre le développement d'un contentieux majeur, notamment pour la SNCF.

Des discussions informelles ont donc été engagées entre la France et les États-Unis, à partir de 2012, afin de trouver une solution à la situation de ces victimes. La conclusion d'un accord intergouvernemental a été proposée aux autorités américaines. Cette approche, dans un cadre négocié et non contentieux, a recueilli le soutien de la communauté juive française et des grandes organisations juives américaines, qui avaient été évidemment consultées.

L'accord soumis aujourd'hui à l'approbation de notre Assemblée a été signé par les deux chefs de délégation à Washington le 8 décembre 2014, au terme de près d'un an de négociations. Elles ont eu lieu à un rythme soutenu avec l'ambition de conclure dans les meilleurs délais pour tenir compte notamment de l'âge avancé des déportés survivants, et se sont achevées début novembre 2014.

L'accord prévoit la mise en place d'un fonds ad hoc, doté de 60 millions de dollars, dont la gestion reviendra aux Américains, et qui doit permettre la pleine indemnisation des victimes de la Shoah déportées depuis la France, n'ayant pas pu bénéficier d'une réparation au titre du droit français, et marquer la fin des contentieux qui affectaient nos relations bilatérales.

Mes chers collègues, je ne m'attarderai pas davantage, afin de laisser la place au débat.

Je me bornerai à rappeler que l'option d'un fonds ad hoc plutôt que l'extension des droits à pensions dans le cadre du code des pensions militaires a été très tôt confirmée dès lors que nos partenaires souhaitaient notamment, pour des raisons d'équité, une application rétroactive qui n'était pas possible aux termes du droit commun. Le compromis qui a été trouvé a été considéré comme un bon point d'équilibre par les deux parties, étant précisé que nos partenaires américains souhaitaient la prise en compte de la date des premiers contentieux devant les juridictions américaines, soit l'année 2000, et que nous ne souhaitions pas remonter au-delà du début des discussions informelles, soit 2012.

Je vous invite à approuver cet accord en adoptant le présent projet de loi, dont l'objet n'est évidemment pas de réparer l'irréparable, ni de compenser les créances de l'histoire, mais de garantir l'indemnisation de ceux qui en étaient privés et ainsi de mettre fin à un différend regrettable qui aurait pu nuire à notre dialogue bilatéral avec les États-Unis. La Shoah n'a pas terminé de produire ses effets dramatiques, ce projet de loi nous le rappelle, et je suis heureux que notre diplomatie ait pu permettre de résoudre ce contentieux. Il ne fallait pas en effet ajouter du malheur au malheur.

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