Cette discussion vient confirmer une crainte que j'éprouve depuis longtemps. Celle que le discours de Jacques Chirac en 1995, puis celui de Lionel Jospin, et ce principe que nous avons tous repris depuis ne conduisent à aller plus loin. Les propos du rapporteur l'illustrent, puisqu'il vient de déclarer qu'il a fallu attendre 1995, comme si une faute avait été commise entre la fin de la seconde guerre mondiale et cette date.
Ce n'est absolument pas mon avis. Heureusement que le général de Gaulle a adopté cette attitude. C'est elle qui nous a permis d'être dans le camp des vainqueurs, et il s'en est fallu de peu. Le regard porté par les Etats-Unis sur la France n'était pas du tout celui qui a finalement prévalu, grâce à l'attitude du général de Gaulle, grâce à celle des résistants, grâce au sentiment profond du peuple français, puis grâce à la fidélité de Valéry Giscard d'Estaing et de François Mitterrand à ces principes. On ne peut pas reprocher au général de Gaulle son attitude, au contraire.
En 1995, du temps étant passé, le statut de la France n'étant plus en cause, la réconciliation nationale ayant eu lieu, Jacques Chirac, Lionel Jospin et ceux qui les ont suivis ont décidé de reconnaître la responsabilité de l'Etat de Vichy et d'enclencher un processus qui a conduit à une indemnisation. C'est tout à leur honneur et il ne faut pas l'opposer à la politique conduite jusqu'en 1995.
Avec ce texte, nous avons le sentiment qu'un pas est franchi, sous la pression de la justice américaine et avec une signification politique allant très au-delà de la question des indemnisations et de la recherche d'une solution de compromis. Je pense que l'on ne peut pas voter ce texte en l'état ; pour ma part, je ne le ferai pas. Il me semble que vous devriez suspendre l'examen du projet de loi pour demander au ministre des affaires étrangères de préciser sa pensée et sa volonté en nous présentant ce texte.
J'ajoute que la manière dont la justice américaine se conduit dans le monde pose un problème de souveraineté en France, en Europe et dans beaucoup d'autres Etats. C'est un sujet sur lequel je m'efforce d'ailleurs de travailler. L'affaire de la BNP m'a conduit à m'interroger sur les mécanismes conduisant la justice américaine à poursuivre des entreprises françaises ou européennes. Il y a là une situation tout à fait exorbitante des principes du droit international tels que les Européens les conçoivent. Je crois qu'il serait utile, Madame la présidente, que l'on s'intéresse aussi à cette question, de manière bien sûr tout à fait séparée du sujet d'aujourd'hui.