Intervention de Pierre Lévy

Réunion du 19 mai 2015 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Pierre Lévy, directeur de l'Union européenne au ministère des affaires étrangères et du développement international :

Merci Madame la Présidente, Messieurs les ministres, Mesdames et Messieurs les députés pour votre invitation qui intervient à un moment clé pour la politique européenne de voisinage.

Tout d'abord, vous avez rappelé l'intérêt stratégique de la politique européenne de voisinage (PEV) dont la problématique est liée à l'élargissement ; on se souvient des premières initiatives de Javier Solana et Chris Patten en 2003. C'est un véritable test pour la capacité des Européens à garantir la stabilité de leur environnement. Nous sommes à mi-chemin avec toutes ces critiques et ces questions. C'est au coeur du débat qui est actuellement engagé. Un débat engagé d'une bien meilleure manière qu'auparavant compte tenu de la la qualité de la relation de travail entre Mme Mogherini et le commissaire Hahn.

Deuxièmement, cette revue de la PEV doit être l'occasion de faire le réexamen de notre engagement au sud et à l'est afin de renforcer l'efficacité de cette politique. Vous avez rappelé la réunion de Barcelone qui était aussi un évènement important. Nous sommes maintenant à la veille du Sommet de Riga. Cette revue est fondée sur des relations privilégiées pour favoriser la prospérité, le bon voisinage, et attribuer une aide financière importante (15,4mds € sur 2014-2020) dans l'idée d'établir aux frontières de l'Union un espace de stabilité et de prospérité. On voit bien aujourd'hui, avec ce qui se passe à l'est et au sud, combien ces enjeux sont d'actualité. Néanmoins, cette PEV a plusieurs défauts que vous avez mentionnés : ce n'est pas un instrument global avec des politiques bien articulées , et elle devrait inclure de manière plus active les nouveaux défis que sont le terrorisme et les crises à répétition.

Nous travaillons dans quatre directions. Premièrement, pour la diplomatie française, il est important de renforcer la dimension politique de la PEV, pour qu'elle soit plus opérationnelle, plus active pour associer nos partenaires (principe de co-appropriation), et plus individualisée (principe de différenciation). Notre deuxième axe de travail traduit notre volonté de faire de la PEV une politique plus réactive, afin de soutenir aussi les pays qui vont plus de l'avant, comme par exemple la Tunisie. A cet effet, il faut avoir des mécanismes financiers qui soient plus flexibles. Troisièmement, nous voulons une dimension régionale renforcée : c'est tout l'intérêt aussi de travailler avec l'Union pour la Méditerranée (UpM) sur des projets concrets et structurants comme la jeunesse, la formation, et l'emploi. Quatrièmement, nous avons besoin d'une meilleure prise en compte de la dimension sécuritaire ; on voit bien son importance dans le contexte actuel.

Il y a aussi trois principes essentiels de la PEV auxquels la diplomatie française est très attachée et reste attentive. Le premier est la question de la porosité entre la PEV et la politique d'élargissement. Il existe une ambigüité fondatrice qui consiste à considérer qu'il faut offrir un autre choix à nos partenaires qu'un choix binaire (être ou ne pas être dans l'Union). Pour certains Etats membres, la PEV est la « salle d'attente » de l'élargissement, tandis que pour d'autres, cette question n'est pas à l'ordre du jour. Deuxièmement, il y a une concurrence permanente entre l'est et le sud. Il faut rappeler que le Partenariat oriental a été créé en 2009 en réaction à la création de l'UpM en 2008. Au Sommet de Barcelone en avril dernier, le ministre Laurent Fabius a proposé de créer une structure plus formelle pour travailler sur le sud, notamment avec d'autres acteurs comme la Fondation Anna Lindh. Troisième principe, le principe de l'unicité du cadre de la PEV. Il serait une erreur stratégique majeure pour l'Europe si les Etats membres du sud s'occupaient du sud et si les Etats membres de l'est s'occupaient de l'est. La France, compte tenu de sa vision politique et de ses relations avec les partenaires du sud et de l'est, a une voix très particulière à faire entendre pour que cette cohérence globale soit maintenue. Je prends l'exemple du travail que nous avons fait en format « Weimar » avec la Pologne et l'Allemagne au cours de trois réunions lors desquelles nous avons travaillé à des contributions communes pour la revue de la PEV en traitant ensemble des dimensions est et sud. Ensuite, le ministre est allé avec son homologue allemand en Tunisie. Le ministre des affaires étrangères polonais souhaite aussi faire des voyages avec nous dans le sud. Je crois que c'est un point important. Enfin, une meilleure communication pour mieux « vendre » ce que nous faisons est primordiale, et je vous rejoins dans les critiques que vous avez pu faire.

En ce qui concerne le voisinage sud, la réunion ministérielle de Barcelone du 13 avril dernier a pu associer les pays du sud aux réflexions en cours. Les conclusions à tirer de ce Sommet sont la large convergence des visions entre les pays du nord et du sud, et un jugement globalement positif sur les actions mis en oeuvre de la PEV dans le voisinage sud, malgré les critiques connues que sont la différenciation et le manque de réactivité. Certains pays ont souhaité aller plus loin, comme le Maroc et la Tunisie. D'une manière générale l'accent a été mis sur trois priorités ; mobilité, sécurité, développement économique. L'importance est aussi d'avoir des projets structurants : je pense à l'idée de Méditerranée des projets qui a été portée par le Président de la République au Sommet de Malte en octobre 2012. Cela renforce notre conviction de bien utiliser l'UpM et d'avoir une complémentarité avec d'autres enceintes régionales, comme le Dialogue 5+5. Il y aussi la question de l'appropriation par les pays bénéficiaires et le renforcement du soutien à la société civile. Madame la présidente, la Fondation Anna Lindh a là un rôle majeur à jouer en lien avec la Commission et le SEAE pour le maintien du dialogue, le respect de la diversité et la compréhension mutuelle dans cette période pleine de tensions.

Au sujet de la préparation du Sommet de Riga dans un contexte de crise ukrainienne et de tensions avec la Russie, on note des avancées depuis le Sommet de Vilnius en 2013: la signature des trois accords d'association avec la Moldavie, la Géorgie et l'Ukraine avec des processus de ratification qui sont en cours, la libéralisation des visas pour la Moldavie et des avancées du processus avec les autres pays. Pour nous, ce Sommet de Riga est d'abord un sommet de la concrétisation des engagements pris. La présidence lettone est sur une voie raisonnable, réaliste, elle veut éviter tout rebondissement à Riga, après les tensions de Vilnius . Il est clair qu'il faut travailler sur la substance dans un processus qui sera long. Nous voulons donc privilégier un travail de fond, et c'est le message que le Président de la République portera à Riga . Il faudra bien sûr concilier deux impératifs : réaffirmer notre engagement collectif dans le Partenariat oriental sans donner l'impression de plier face à la Russie, et ne pas afficher ce Sommet comme dirigé contre Moscou. Pour cela, nous travaillons dans trois directions : la mise en oeuvre des politiques de bonne gouvernance, la différenciation afin de proposer du sur-mesure pour certains partenaires (Azerbaïdjan, Arménie, qui ne veulent pas s'engager sur le modèle exigeant des accords d'associations que nous proposons), définir un mode de relation entre l'UE, ses partenariats orientaux et la Russie. D'où l'intérêt d'un dialogue à trois avec la Russie sur les problèmes énergétiques, sur la mise en oeuvre de l'accord d'association (les Russes nous disent en pas être satisfait) ; il faut là faire un effort de pédagogie sans offrir le moindre prétexte à la Russie pour nous critiquer et laisser le choix souverain à nos partenaires de leurs relations et de signer les accords qu'ils souhaitent.

Lors de ce Sommet, nous serons vigilants sur deux points : (1) la question de la perspective européenne pour ceux qui la réclament (Moldavie, Géorgie, Ukraine). Il y a un front franco-allemand qui tient bien face à d'autres partenaires comme les pays baltes et la Suède qui veulent qu'on aille plus loin. C'est donc primordial de ne pas avoir un langage ambigu, de se concentrer sur le fond, et de ne pas offrir le spectacle d'une division européenne qui serait le meilleur cadeau qu'on pourrait faire à la Russie (2) la question de la mobilité car pour nous le processus de libéralisation des visas de court séjour est de nature technique car il y a des conditions à satisfaire (Etat de droit, contrôle des frontières, lutte contre la corruption) et non un processus politique.

Pour résumé, la PEV est un processus très long et important vu l'ampleur des difficultés à l'est et au sud ; il ne faut donc pas s'inscrire dans le temps de la crise. Il s'agit d'un travail de fond considérable et d'une portée stratégique majeure pour les Européens.

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