Commission des affaires étrangères

Réunion du 19 mai 2015 à 17h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Audition de M. Pierre Lévy, directeur de l'Union européenne au ministère des affaires étrangères et du développement international, et de M. Eric Fournier, directeur de l'Europe continentale, sur le processus de révision de la politique européenne de voisinage.

La séance est ouverte à dix-sept heures quinze.

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Nous avons le plaisir de recevoir de MM. Pierre Lévy, directeur de l'Union européenne, et Eric Fournier, directeur de l'Europe continentale, au ministère des affaires étrangères et du développement international, sur le processus de révision de la politique européenne de voisinage.

En effet le président de la commission, Jean-Claude Juncker, a, dans sa lettre de mission, demandé au commissaire à l'élargissement et à la politique européenne de voisinage, Johannes Hahn, de proposer des pistes de réforme de la politique de voisinage dans les « douze premiers mois de son mandat ». La publication, le 4 mars 2015, d'un document conjoint de la Commission et de la Haute représentante a fixé le cadre des consultations qui doivent se poursuivre jusqu'en juin 2015. La communication finale devrait être présentée en octobre-novembre 2015. La revue de la PEV a été abordée pour le voisinage Sud lors de la réunion ministérielle de Barcelone (13 avril 2015), elle le sera pour le voisinage Est lors du Sommet de Riga (21-22 mai 2015).

La politique de voisinage a été conçue dans son format actuel en 2003 pour fournir une alternative à l'élargissement de l'Union, qui allait passer de 15 à 25 membres en 2004, et développer un espace de prospérité et de stabilité aux abords de l'Union. Force est de constater qu'elle n'a donné que de très maigres résultats et doit être adaptée à un contexte qui a changé. Les critiques sont nombreuses et portent sur :

– la confusion, parfois volontairement entretenue, notamment pour le voisinage Est, entre politique de voisinage et élargissement ;

– l'absence totale de priorité politique et stratégique, et le caractère trop technique de la PEV, qui nuit à sa visibilité et son attractivité pour nos partenaires – comme pour les citoyens européens.

– l'insuffisante intégration de la PEV à la politique étrangère de l'Union, et à ses intérêts stratégiques, qui permettrait une approche globale, le recours à tous les instruments de l'Union et des Etats membres. Il semblerait que l'intention de Federica Mogherini soit de remédier à cette absence d'articulation, vous nous le confirmerez peut être ;

– l'insuffisante différenciation de cette politique à l'égard des besoins, des priorités stratégiques et des préférences de nos partenaires ; la quasi-absence de consultation et association de nos partenaires à la définition de la PEV, notamment pour ce qui est de la société civile et des partenaires sociaux ;

– enfin l'insuffisante prise en compte « des voisins de nos voisins » dans la définition de la PEV, que ce soit la Russie à l'Est ou l'Afrique subsaharienne au Sud.

J'estime pour ma part qu'au-delà des débats techniques, il faut d'abord et avant tout renforcer la vision stratégique de la PEV, et son pilotage politique. Il semblerait que le renforcement du volet sécuritaire de la PEV, ainsi que la lutte contre la radicalisation soit à l'étude. D'autres domaines méritent aussi d'être priorisés tels que la formation et la lutte contre le chômage des jeunes, l'éducation, les migrations etc…). La prise en compte de la dimension multilatérale régionale me semble par ailleurs indispensable. Enfin, il nous faut insister sur l'importance d'inclure la société civile dans la révision, mais aussi d'en faire un acteur de la PEV à part entière, ce qu'elle n'est pas aujourd'hui.

La commission des affaires européennes a adopté cet après-midi une proposition de résolution, élaborée par nos collègues Marie Louise Fort et Joachim Pueyo, que nous aurons l'occasion de discuter ici en commission des affaires étrangères.

Si vous le voulez bien, nous commencerons par évoquer les grands enjeux de la réforme de la politique de voisinage, pour l'Europe, mais aussi pour la France, et les positions de nos principaux partenaires européens, au premier rang desquels l'Allemagne, avant d'aborder les problématiques propres aux voisinages Sud et Est.

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Pierre Lévy, directeur de l'Union européenne au ministère des affaires étrangères et du développement international

Merci Madame la Présidente, Messieurs les ministres, Mesdames et Messieurs les députés pour votre invitation qui intervient à un moment clé pour la politique européenne de voisinage.

Tout d'abord, vous avez rappelé l'intérêt stratégique de la politique européenne de voisinage (PEV) dont la problématique est liée à l'élargissement ; on se souvient des premières initiatives de Javier Solana et Chris Patten en 2003. C'est un véritable test pour la capacité des Européens à garantir la stabilité de leur environnement. Nous sommes à mi-chemin avec toutes ces critiques et ces questions. C'est au coeur du débat qui est actuellement engagé. Un débat engagé d'une bien meilleure manière qu'auparavant compte tenu de la la qualité de la relation de travail entre Mme Mogherini et le commissaire Hahn.

Deuxièmement, cette revue de la PEV doit être l'occasion de faire le réexamen de notre engagement au sud et à l'est afin de renforcer l'efficacité de cette politique. Vous avez rappelé la réunion de Barcelone qui était aussi un évènement important. Nous sommes maintenant à la veille du Sommet de Riga. Cette revue est fondée sur des relations privilégiées pour favoriser la prospérité, le bon voisinage, et attribuer une aide financière importante (15,4mds € sur 2014-2020) dans l'idée d'établir aux frontières de l'Union un espace de stabilité et de prospérité. On voit bien aujourd'hui, avec ce qui se passe à l'est et au sud, combien ces enjeux sont d'actualité. Néanmoins, cette PEV a plusieurs défauts que vous avez mentionnés : ce n'est pas un instrument global avec des politiques bien articulées , et elle devrait inclure de manière plus active les nouveaux défis que sont le terrorisme et les crises à répétition.

Nous travaillons dans quatre directions. Premièrement, pour la diplomatie française, il est important de renforcer la dimension politique de la PEV, pour qu'elle soit plus opérationnelle, plus active pour associer nos partenaires (principe de co-appropriation), et plus individualisée (principe de différenciation). Notre deuxième axe de travail traduit notre volonté de faire de la PEV une politique plus réactive, afin de soutenir aussi les pays qui vont plus de l'avant, comme par exemple la Tunisie. A cet effet, il faut avoir des mécanismes financiers qui soient plus flexibles. Troisièmement, nous voulons une dimension régionale renforcée : c'est tout l'intérêt aussi de travailler avec l'Union pour la Méditerranée (UpM) sur des projets concrets et structurants comme la jeunesse, la formation, et l'emploi. Quatrièmement, nous avons besoin d'une meilleure prise en compte de la dimension sécuritaire ; on voit bien son importance dans le contexte actuel.

Il y a aussi trois principes essentiels de la PEV auxquels la diplomatie française est très attachée et reste attentive. Le premier est la question de la porosité entre la PEV et la politique d'élargissement. Il existe une ambigüité fondatrice qui consiste à considérer qu'il faut offrir un autre choix à nos partenaires qu'un choix binaire (être ou ne pas être dans l'Union). Pour certains Etats membres, la PEV est la « salle d'attente » de l'élargissement, tandis que pour d'autres, cette question n'est pas à l'ordre du jour. Deuxièmement, il y a une concurrence permanente entre l'est et le sud. Il faut rappeler que le Partenariat oriental a été créé en 2009 en réaction à la création de l'UpM en 2008. Au Sommet de Barcelone en avril dernier, le ministre Laurent Fabius a proposé de créer une structure plus formelle pour travailler sur le sud, notamment avec d'autres acteurs comme la Fondation Anna Lindh. Troisième principe, le principe de l'unicité du cadre de la PEV. Il serait une erreur stratégique majeure pour l'Europe si les Etats membres du sud s'occupaient du sud et si les Etats membres de l'est s'occupaient de l'est. La France, compte tenu de sa vision politique et de ses relations avec les partenaires du sud et de l'est, a une voix très particulière à faire entendre pour que cette cohérence globale soit maintenue. Je prends l'exemple du travail que nous avons fait en format « Weimar » avec la Pologne et l'Allemagne au cours de trois réunions lors desquelles nous avons travaillé à des contributions communes pour la revue de la PEV en traitant ensemble des dimensions est et sud. Ensuite, le ministre est allé avec son homologue allemand en Tunisie. Le ministre des affaires étrangères polonais souhaite aussi faire des voyages avec nous dans le sud. Je crois que c'est un point important. Enfin, une meilleure communication pour mieux « vendre » ce que nous faisons est primordiale, et je vous rejoins dans les critiques que vous avez pu faire.

En ce qui concerne le voisinage sud, la réunion ministérielle de Barcelone du 13 avril dernier a pu associer les pays du sud aux réflexions en cours. Les conclusions à tirer de ce Sommet sont la large convergence des visions entre les pays du nord et du sud, et un jugement globalement positif sur les actions mis en oeuvre de la PEV dans le voisinage sud, malgré les critiques connues que sont la différenciation et le manque de réactivité. Certains pays ont souhaité aller plus loin, comme le Maroc et la Tunisie. D'une manière générale l'accent a été mis sur trois priorités ; mobilité, sécurité, développement économique. L'importance est aussi d'avoir des projets structurants : je pense à l'idée de Méditerranée des projets qui a été portée par le Président de la République au Sommet de Malte en octobre 2012. Cela renforce notre conviction de bien utiliser l'UpM et d'avoir une complémentarité avec d'autres enceintes régionales, comme le Dialogue 5+5. Il y aussi la question de l'appropriation par les pays bénéficiaires et le renforcement du soutien à la société civile. Madame la présidente, la Fondation Anna Lindh a là un rôle majeur à jouer en lien avec la Commission et le SEAE pour le maintien du dialogue, le respect de la diversité et la compréhension mutuelle dans cette période pleine de tensions.

Au sujet de la préparation du Sommet de Riga dans un contexte de crise ukrainienne et de tensions avec la Russie, on note des avancées depuis le Sommet de Vilnius en 2013: la signature des trois accords d'association avec la Moldavie, la Géorgie et l'Ukraine avec des processus de ratification qui sont en cours, la libéralisation des visas pour la Moldavie et des avancées du processus avec les autres pays. Pour nous, ce Sommet de Riga est d'abord un sommet de la concrétisation des engagements pris. La présidence lettone est sur une voie raisonnable, réaliste, elle veut éviter tout rebondissement à Riga, après les tensions de Vilnius . Il est clair qu'il faut travailler sur la substance dans un processus qui sera long. Nous voulons donc privilégier un travail de fond, et c'est le message que le Président de la République portera à Riga . Il faudra bien sûr concilier deux impératifs : réaffirmer notre engagement collectif dans le Partenariat oriental sans donner l'impression de plier face à la Russie, et ne pas afficher ce Sommet comme dirigé contre Moscou. Pour cela, nous travaillons dans trois directions : la mise en oeuvre des politiques de bonne gouvernance, la différenciation afin de proposer du sur-mesure pour certains partenaires (Azerbaïdjan, Arménie, qui ne veulent pas s'engager sur le modèle exigeant des accords d'associations que nous proposons), définir un mode de relation entre l'UE, ses partenariats orientaux et la Russie. D'où l'intérêt d'un dialogue à trois avec la Russie sur les problèmes énergétiques, sur la mise en oeuvre de l'accord d'association (les Russes nous disent en pas être satisfait) ; il faut là faire un effort de pédagogie sans offrir le moindre prétexte à la Russie pour nous critiquer et laisser le choix souverain à nos partenaires de leurs relations et de signer les accords qu'ils souhaitent.

Lors de ce Sommet, nous serons vigilants sur deux points : (1) la question de la perspective européenne pour ceux qui la réclament (Moldavie, Géorgie, Ukraine). Il y a un front franco-allemand qui tient bien face à d'autres partenaires comme les pays baltes et la Suède qui veulent qu'on aille plus loin. C'est donc primordial de ne pas avoir un langage ambigu, de se concentrer sur le fond, et de ne pas offrir le spectacle d'une division européenne qui serait le meilleur cadeau qu'on pourrait faire à la Russie (2) la question de la mobilité car pour nous le processus de libéralisation des visas de court séjour est de nature technique car il y a des conditions à satisfaire (Etat de droit, contrôle des frontières, lutte contre la corruption) et non un processus politique.

Pour résumé, la PEV est un processus très long et important vu l'ampleur des difficultés à l'est et au sud ; il ne faut donc pas s'inscrire dans le temps de la crise. Il s'agit d'un travail de fond considérable et d'une portée stratégique majeure pour les Européens.

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éric Fournier, directeur de l'Europe continentale, sur le processus de révision de la politique européenne de voisinage

Sur le long terme, la France a , proposé dès le début de la pésidence française de l'Union européenne en juillet 2008, un accord d'association avec l'Ukraine, dans la perspective de la nouvelle Ukraine qui se dessinait. Cela étant, les systèmes demeurent très éloignés, sur le plan politiques, institutionnels, sociaux, et on ne peut pas aller beaucoup plus vite. En fait, tout se passe comme si l'Ukraine s'était rendu compte de la chute de l'URSS il y a un mois, avec 25 ans de retard. C'est la même chose en Géorgie, où l'on se pose encore la question de savoir s'il faut ou non éliminer les statues de Staline, 60 ans après sa mort. Ce rythme lent impose de travailler sur le long terme, c'est fondamental et on ne peut pas proposer l'intégration tout de suite. De la même façon que l'UE est une construction encore en cours, où les traités sont révisés régulièrement, il faut avoir conscience qu'à l'est, c'est la même chose et que le système est encore en construction.

Il faut donc changer de perspective et voir comment les voisins de nos voisins perçoivent le partenariat oriental. La Russie le perçoit comme conçu contre elle et contre sa zone d'influence, et elle lutte contre ce qu'elle soupçonne être une visée cachée : l'élargissement de l'OTAN et de l'UE vers l'est. Depuis 2007, la Russie lance des alertes, sur la base de trois arguments : il s'agit d'une attaque contre les normes et valeurs russes, contre l'influence russe ; sur le plan économique et commercial, elle y voit une volonté de s'accaparer les marchés traditionnels russes. S'agissant de la politique étrangère et de sécurité, le partenariat est vu comme l'antichambre de l'OTAN. En d'autres termes, c'est une menée séparatiste contre ce que de son côté elle essaie de construite avec ses partenaires, comme par exemple le projet de partenariat eurasiatique lancé par le président Nazarbaeiev. La Russie a des alliés sûrs sur ces questions de partenariats, et s'appuie sur des franges de populations, en Ukraine, en Géorgie (les Abkhazes, les Ossètes et autre minorités), ou encore en Moldavie, où elle a l'appui des Gagaouzes qui ont élu une femme, acquise à Moscou. L'Arménie a finalement renoncé à son accord d'association avec l'UE.

L'Azerbaïdjan n'est pas une priorité de l'Union européenne, et la Russie joue sur la menace directe, vis-à-vis de l'Arménie, et joue sur les deux tableaux, les paralyse tous deux en faisant monter les enchères. La Biélorussie est le seul État qui n'est pas affecté par un conflit. C'est un pays très grand, très peuplé, qui joue un jeu ambigu vis-à-vis de Moscou : le président Loukachenko n'était pas à Moscou le 9 mai, et le 24 avril, il n'était pas à Erevan mais en Géorgie. Il joue sa partition très habilement, et sa diplomatie est très construite ; il a soutenu Porochenko dès le début, depuis Maïdan, et n'a pas soutenu la Russie sur l'annexion de la Crimée.

Tout cela pour dire que rien n'est simple, qu'il y a de grandes complexités et qu'il faut en conséquence être modeste dans un espace où l'on a perdu beaucoup de temps suite à la chute de l'Union soviétique - les Etats-Unis étaient bien plus présents que nous – et où l'on n'avait pas de politique française définie, par exemple sur la Géorgie ou l'Azerbaïdjan avant 2008. Lorsque les Polonais, les Hongrois, les Bulgares, nous demandent de nous occuper de cette zone, cela nous pose quelques problèmes, alors que nous avons au contraire une stratégie sur notre sud établie depuis longtemps. Depuis, il y a eu 2008, le président s'est rendu en Ukraine et a beaucoup voyagé dans la région. Notre activité diplomatique monte en puissance et les critiques de certains Etats membres de l'UE sur notre désintérêt pour l'est ne sont plus fondées. Nous sommes engagés, nous avons désormais des programmes de soutien, des coopérations décentralisées, universitaires. Nous n'avons désormais plus à rougir de notre positionnement sur l'est.

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Mes premières questions s'adressent à M. Levy qui a abordé la question de la gouvernance. Y incluez-vous la décentralisation et la régionalisation ? Je pense notamment au Maroc. En ce qui concerne le « 5+5 », qu'en est-il des demandes des « voisins des voisins », notamment les pays du Sahel, c'est-à-dire les « 5+5+5 » ? En ce qui concerne les étudiants, le président de la Commission européenne a récemment proposé que des visas leur soient accordés dès cette année. Est-ce possible ?

A M. Fournier, je voudrais demander s'il pourrait revenir sur l'alerte que M. Poutine aurait donnée en 2008. Tout le monde affirme, depuis le début de la crise ukrainienne, ne rien avoir vu venir. N'aurait-on pas pu anticiper davantage les événements ? Pourquoi n'avons-nous pas été plus dynamiques, notamment sur le traité ABM et la défense anti-missile ?

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M. Fournier a souligné à quel point la politique de voisinage était non seulement une affaire d'accords de partenariat, en particulier au plan économique, mais aussi en arrière-plan de suspicion permanente à l'égard de l'OTAN. Ne faudrait-il pas saisir l'occasion de clarifier la politique de l'Union européenne à l'égard de la Russie afin de dépasser le stade des signaux, des alertes et des prétendues incompréhensions et de jouer vraiment cartes sur table, en menant une politique de coopérations avec la Russie, tout en ayant bien sûr conscience des limites de telles coopérations. Le cas échéant, comment l'Union européenne et l'Union eurasiatique pourraient-elles essayer de travailler ensemble sur des convergences, dans un respect mutuel ? Ne pourrait-on pas établir d'autres rapports afin d'éviter des situations telles que celle de l'Ukraine ?

Enfin, au-delà de ses habituels accords de partenariat, l'Union européenne est-elle prête à s'engager dans une véritable politique étrangère concertée ? Ou bien en reste-t-on à une simple extension du libre-échange ?

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Je voudrais revenir sur l'équilibre entre l'attention que nous accordons aux voisinages Sud et Est. Au plan financier, nous avons obtenu un principe de répartition de deux tiers dans un cas et d'un tiers dans l'autre. Une quinzaine de milliards d'euros n'est pas un montant insignifiant, mais il est prévu pour sept ans et doit être partagé entre des pays nombreux. Nos voisins, notamment tunisiens, se plaignent beaucoup de l'insuffisance des moyens financiers accordés à la politique de voisinage. On peut aussi concevoir certaines inquiétudes devant l'évolution économique de l'Ukraine. Nous nous sommes à juste titre engagés à l'aider, mais ce sera bien sûr un poids considérable. Comment voyez-vous notre capacité à préserver la priorité que nous voulons accorder au voisinage Sud ?

Je rejoins Jean-Pierre Dufau sur la question de l'articulation entre la stratégie européenne de sécurité, qui doit être redéfinie, et la politique de voisinage. Avons-nous avancé ? Comment lier notre politique de sécurité et notre politique étrangère à notre politique de voisinage ?

Une révision de la politique européenne de voisinage a déjà eu lieu en 2011, en direction du Sud, mais quels ont été les résultats concrets par la suite ? Il me semble que la réunion ministérielle de Barcelone a été assez décevante.

Enfin, quand nos voisins du Sud nous disent que l'Union européenne est prête à supprimer les visas pour l'Ukraine, ils se demandent pourquoi rien de tel n'est envisagé à leur égard.

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Pierre Lévy

Les questions de gouvernance ont été évoquées. Elles nous préoccupent effectivement très souvent, par exemple en Ukraine où la réforme de l'organisation territoriale est l'un des points centraux des accords de Minsk. Des projets vont donc être financés dans ce domaine sur fonds européens.

S'agissant du dialogue « 5+5 », il a aussi été évoqué à la réunion de Barcelone. Il faut prendre en compte « les voisins de nos voisins ». On le voit bien avec les enjeux qu'il y a autour de la bande sahélienne ou encore des questions migratoires ; sur ce point, nos partenaires doivent être en mesure de gérer leurs frontières et c'est pourquoi nous leur proposons un instrument de gestion intégré des frontières ; nous travaillons notamment avec le Niger.

La question des étudiants est également fondamentale. Nous veillons, dans le cadre de notre politique d'attractivité, à ce que ceux qui viennent de l'Est obtiennent les visas qu'ils demandent. C'est aussi un enjeu culturel pour contrebalancer la propagande qu'ils peuvent subir.

La question de la cohérence des relations extérieures de l'Union a été posée par M. Dufau. La politique étrangère et de sécurité commune et la politique européenne de voisinage ont été trop déconnectées et nous essayons d'avoir une approche plus intégrée. Notre action doit s'inscrire plus résolument dans une perspective politique. Le débat sur la conditionnalité en est un exemple à propos d'un pays comme l'Égypte : certains Etas membres ont voulu que nous suspendions les aides européennes, compte tenu de ce qui se passe dans ce pays ; la France s'y oppose.

Le partage des enveloppes financières « deux tiersun tiers » est un compromis politique que la France défend fermement. Le combat sur la répartition des financements est permanent et difficile, car il faut également bien voir que les crises que traversent plusieurs pays du voisinage ont des configurations très différentes. Enfin, il faut prendre en compte la capacité d'absorption : ces pays n'ont pas tous la même capacité à dépenser des fonds que l'on met à leur disposition. Les niveaux d'aide par habitant peuvent être aussi très différents.

Mme la présidente a évoqué une forme d'échec de la politique européenne de voisinage. Nous travaillons pour remédier aux défauts de cette politique. Nous avons su passer d'un cadre qui était en quelque sort imposé par l'Union aux pays du voisinage à une forme de cogestion. C'est une évolution souhaitable, mais qui suppose aussi que les pays du Sud prennent leurs responsabilités. À cet égard, je rappelle qu'il existe des problèmes entre eux, par exemple entre l'Algérie et le Maroc.

L'exercice de révision de la stratégie européenne de sécurité a été engagé simultanément : il s'agit de réviser les textes de 2003 et 2008 et Mme Mogherini a été mandatée pour ce faire. Elle a présenté son approche au dernier Conseil des affaires étrangères. La position française consiste d'abord à souhaiter un document lisible, accessible au grand public, comme l'était celui de 2003. Nous voulons aussi éviter une sorte de « livre blanc » qui serait un arbre de Noël où chacun mettrait ce qu'il veut : nous voulons un document construit à partir d'une analyse des enjeux stratégiques et qui soit d'abord – bien que pas exclusivement – sécuritaire. Quant au calendrier, il va sans doute glisser, mais on peut espérer une adoption au premier semestre 2016. Enfin, après cela, l'enjeu sera d'éviter d'avoir un décalage entre un beau texte et une absence d'actions concrètes.

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Pouvez-vous nous donner des précisions sur la question des visas avec l'Ukraine ?

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éric Fournier

Il y a quarante-cinq millions d'Ukrainiens et leur économie est sinistrée. Autant dire que la France voit avec un grand scepticisme la libéralisation qui est demandée. Il se trouve que la Commission européenne vient de publier un rapport d'où il ressort que les critères à remplir ne le sont pas par l'Ukraine : de ce fait, la suppression des visas de courts séjours ne devrait pas advenir en 2015, à la différence de ce qui a été fait l'année dernière pour la Moldavie. Cela dit, il est probable que des États membres vont pourtant insister pour accorder cette mesure à l'Ukraine, car ils seront sensibles à l'argumentation développée par le premier ministre Iatseniouk : les Ukrainiens se sont battus pour l'Europe et pourtant celle-ci ne voudrait leur accorder ni la reconnaissance d'une perspective d'intégration, ni la suppression des visas, ni les moyens de se défendre…

Je voudrais aussi revenir sur ce qui s'est passé en 2008, puisque la question a été évoquée. Il faut rappeler que nous avions des raisons de douter de la capacité du gouvernement géorgien du président Saakachvili à garder sa sérénité et que nous voyions bien que la Russie ne plaisantait pas. Or, les États membres n'étaient, dans leur majorité, pas prêts à s'engager : même avec un préavis de trois semaines, seules la France et la Pologne ont été capables d'envoyer pour la fin septembre 2008, avec un préavis de trois semaines seulement, une trentaine d'observateurs, les autres en ont envoyé un ou deux. Cette faible capacité de réaction de l'Union européenne explique pourquoi elle n'a pas semblé alors plus dynamique.

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Une dernière question sur les « voisins des voisins ». Que peut proposer l'Union européenne aux pays d'Afrique subsaharienne au-delà ce que vous avez indiqué sur les politiques migratoires ? Est-ce que l'on a discuté l'idée de développer des partenariats triangulaires entre l'Union, des pays du voisinage Sud et des pays subsahariens ?

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Pierre Lévy, directeur de l'Union européenne au ministère des affaires étrangères et du développement international

Vous avez abordé la question centrale de l'utilisation de l'aide au développement et de son rôle dans la gestion des crises migratoires. Mais il faut souligner que l'utilisation du Fonds européen de développement (FED) comme outil sécuritaire pose des problèmes de principes, - certains diraient philosophiques-, à certains.

Sur la question relative au Niger, qui est devenu la plaque tournante des migrations illégales vers le Maghreb, il faut améliorer notre gouvernance, utiliser les outils dont dispose la PSDC, travailler avec l'administration des douanes ou encore l'administration de la police aux frontières, les différents outils doivent être combinés.

La séance est levée à dix-huit heures vingt-sept.