Intervention de Claude Bartolone

Séance en hémicycle du 3 juin 2015 à 15h00
Réception de sa majesté le roi d'espagne

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClaude Bartolone, président :

Sire, Madame, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les députés, madame la maire de Paris, messieurs les ambassadeurs, mesdames, messieurs, c’est un grand jour pour notre Assemblée ; c’est un grand jour pour la France et l’Espagne. Je souhaite, au nom de la représentation nationale, la bienvenue à Leurs Majestés le roi Felipe VI et la reine Letizia.

La joie qui est la nôtre aujourd’hui est à la mesure de la douleur et du chagrin qui nous ont envahis en mars dernier, alors que vous étiez notre hôte, en apprenant la catastrophe aérienne qui survenait dans les Alpes. Nos pensées vont aux familles des victimes.

Dans cet hémicycle où se dessine, chaque jour, l’avenir de la nation française, nous sommes très heureux d’ouvrir, avec vous, un nouveau chapitre de la relation entre nos deux pays. Notre histoire est celle, tumultueuse, de deux voisins qui se sont regardés durant des siècles avec fascination, mais se sont aussi déchirés et insuffisamment compris.

Votre Majesté, cette histoire est derrière nous. Nos chemins, encore divergents au siècle dernier, ont fini par se rejoindre, et de grands hommes ont surmonté les obstacles et tracé la voie du rapprochement. Je souhaite, à cet égard, rendre hommage à la personne de votre père, le roi Juan Carlos, visage de la liberté et de l’unité retrouvées en Espagne.

Il a prononcé, dans ce même hémicycle, un discours que je n’hésiterai pas à qualifier de fondateur pour la relation franco-espagnole. Il dressait le bilan du cheminement de nos deux pays et, citant André Malraux, nous appelait à embrasser résolument notre mission commune, celle de « porter une part de l’espérance du monde ».

Vingt-deux années se sont écoulées. Aujourd’hui, avec vous, et alors que nous sommes entrés dans un nouveau siècle, nous voulons persévérer dans ce sens, aller encore plus loin. Notre amitié est désormais solide, notre fraternité assumée. Toutes deux doivent se décliner concrètement, pour le bien de nos deux peuples, dans une alliance vivante et revendiquée.

Une alliance à laquelle nous invitent naturellement la géographie et l’histoire ; une alliance sans laquelle l’Europe ne saurait être entièrement l’Europe. C’est sur ce point que je veux insister, car la France et l’Espagne nourrissent le même rêve européen, la même ambition pour notre continent.

L’Europe, nous la voulons d’abord apaisée, réconciliée en elle-même et porteuse d’espérance pour ses citoyens. L’histoire nous a enseigné, en France comme en Espagne, le coût de la division, et nous savons ce que nous devons à l’Union : la paix et la prospérité.

Les efforts déployés par nos gouvernements et nos parlements pour redresser nos pays, en les réformant sur le plan national, n’ont de sens que dans l’approfondissement du projet européen, dans la construction d’une Europe plus énergique et efficace, plus démocratique et transparente, plus écologique, plus juste et solidaire.

Nous traversons une période déterminante. La crise continue de nourrir l’inquiétude de nos concitoyens, tantôt leur résignation et tantôt même leur colère. Elle est aussi, en particulier pour nos jeunesses, un motif d’engagement inédit.

Une nouvelle génération émerge, qui ne se satisfait pas de l’avenir qui lui est réservé et qui rejette la faiblesse et la froideur des institutions européennes, comme la précarité de sa gouvernance politique et économique. Portons la voix de nos jeunesses plus haut, pour que l’Europe les entende et grandisse avec elles, pour elles.

L’Europe, nous la voulons ensuite ouverte au monde. L’Espagne s’est, très tôt, imposée et exposée. C’est l’Espagne qui a offert à l’humanité l’islam d’Averroès et le judaïsme de Maïmonide. C’est elle qui a donné à l’Europe les universités de Salamanque et de Saragosse. C’est elle qui a porté, avec Bartolomé de las Casas et Francisco de Vitoria, des débats d’une précocité et d’une modernité remarquables sur la dignité humaine, le rapport à l’Autre, le droit des peuples et le droit entre les peuples.

Dans les arts, la philosophie et les sciences, l’histoire de votre pays est jalonnée d’excellence : celle dont sont capables les hommes lorsqu’ils se mélangent, lorsqu’ils débattent et unissent leurs efforts.

C’est une leçon que nous devons plus que jamais garder à l’esprit. France et Espagne ressentent, mieux que d’autres, la nécessité de faire preuve d’une vigilance redoublée pour le continent, car il faut le protéger des menaces qui nous viennent de l’extérieur comme des crispations qui naissent de l’intérieur.

Notre devoir est de faire vivre ce message ensemble, à l’heure où nos sociétés sont tentées par la division, où les peurs sont excitées et les rancoeurs échauffées, à l’heure où nos valeurs d’ouverture et de tolérance sont défiées.

L’Europe, nous la voulons, enfin, engagée dans le monde. Nos deux pays sont des fenêtres ouvertes sur la Méditerranée, l’Afrique et l’Amérique. C’est parfois une charge, c’est surtout une chance, c’est en tout cas une grande responsabilité : celle d’assurer une partie du rayonnement international de l’Europe, celle de porter en Europe la voix des pays amis et des peuples opprimés.

Car plaider pour que l’Europe relève les défis posés par son environnement régional, c’est rappeler qu’on ne peut vivre en paix et en sécurité chez nous si notre voisinage immédiat est rongé par la pauvreté, la guerre et le terrorisme.

L’Espagne prend mieux que quiconque la mesure de cette dernière menace et a payé un lourd tribut sur son propre territoire. C’est un fléau contre lequel nos deux pays sont mobilisés ensemble, à notre frontière, comme à l’étranger. Je veux rendre hommage aux soldats espagnols et français engagés en Afrique et au Moyen-Orient pour la liberté.

Souhaiter que l’Europe pèse de tout son poids diplomatique, c’est refuser le repli, que nous savons, par notre passé, illusoire et dangereux, et lui opposer, au contraire, une exigence de solidarité entre Européens et au-delà de nos frontières.

France et Espagne sont des partenaires solides pour le reste du monde, en matière de défense et de sécurité comme en matière de développement. Mieux que quiconque, nous connaissons l’aspiration de nos voisins du Sud à la stabilité, à la démocratie et à la prospérité ; nous savons ce qu’ils attendent de nous et ce que nous pouvons faire avec eux.

Cette ambition européenne, nous la porterons d’autant mieux que nous la porterons ensemble, à Bruxelles, Strasbourg et New York. À Paris aussi, dès décembre. Ensemble, pour que soit préservée la planète. Ensemble, pour que soit écoutée la voix des peuples en Europe. Ensemble, pour que l’Europe soit à la hauteur de son héritage : un berceau, un laboratoire, un carrefour.

France et Espagne n’ont jamais été si prêtes d’assumer leur destinée commune. De part et d’autre des Pyrénées, la volonté est là, mue par des hommes et des femmes dont beaucoup portent, dans leur chair même, le couple franco-espagnol – il n’aura échappé à personne que c’est le cas à tous les niveaux de l’État français : dans notre assemblée, au plus haut niveau du Gouvernement comme à l’hôtel de ville de Paris.

Votre Majesté, nous sommes certains que vous oeuvrerez avec énergie à donner corps à cette communauté de destin. Votre sens de l’écoute et votre rigueur ont déjà convaincu les Espagnols. Par la résolution avec laquelle vous entendez adapter l’institution monarchique aux exigences de notre temps, vous incarnez parfaitement le renouveau attendu par le peuple espagnol. Vous répondrez d’autant mieux à ses attentes, avec la Reine Letizia, qui vous accompagne, et dont chacun sait qu’elle est une observatrice avertie des mutations du monde.

Vous réservez à la France votre première visite d’État. Je veux vous dire, avant de vous céder la parole, combien la représentation nationale tout entière est heureuse d’accompagner ainsi votre installation à la tête du Royaume d’Espagne, et combien nous sommes honorés de l’amitié que vous témoignez, par votre présence et par votre maîtrise parfaite de notre langue, au peuple français. Estamos aqui en la casa del pueblo francés. Esta siempre abierta para Su Majestad, como lo fuè para Su padre, y como lo serà para Sus sucesores.

La parole est à Sa Majesté Felipe VI roi d’Espagne.

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