Intervention de Jean-Christophe Fromantin

Séance en hémicycle du 3 juin 2015 à 15h00
Débat sur l'évaluation du soutien public aux exportations

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Fromantin :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger, chers collègues, il est évidemment difficile de prendre la parole après le roi d’Espagne mais nous demeurons malgré tout dans une configuration internationale puisque nous allons évoquer les questions liées à l’exportation et, plus généralement, aux politiques de développement économique à l’international, tant il serait sans doute délicat d’exclure les premières des secondes.

Le contexte est assez intéressant puisque nous disposons des chiffres – mauvais – du chômage lesquels nous interpellent vraiment, monsieur le secrétaire d’État, quant à la compétitivité, au développement et au rayonnement de l’économie et des entreprises françaises.

En outre et très récemment, le Conseil d’analyse économique a publié une note relative à la dégradation des parts de marché de la France qui, là encore, nous interpelle fortement sur un certain nombre de politiques publiques liées, précisément, à la prospérité et au développement de nos parts de marché.

Quelques données factuelles concernant nos exportations permettent rapidement de connaître notre environnement.

Les parts de marché de la France à l’international se dégradent depuis quasiment vingt ans puisqu’elles ont diminué de moitié – 45 %, à peu près –, en moins de vingt ans. On pourrait considérer qu’une telle dilution s’explique en grande partie par l’émergence de nouveaux pays qui ont fait leur entrée sur la scène du commerce international mais les parts de marché de l’Espagne, de l’Italie et de l’Allemagne, dans le même temps, ne se sont pas dégradées ou très faiblement et, quoi qu’il en soit, hors de proportion avec ce que connaît notre pays.

Dans ce monde devenu global, le nombre d’entreprises exportatrices a paradoxalement baissé en France puisque nous avons perdu de 10 000 à 20 000 exportateurs depuis une dizaine d’années, ce qui est extrêmement préoccupant au regard de cette évolution naturelle qui devrait permettre à nos entreprises de s’inscrire dans le jeu international.

De surcroît, 80 % de nos exportations résultent d’une amplification des flux existants et non de l’émergence de nouveaux acteurs proposant de nouvelles offres, de nouveaux produits et des innovations sur le marché international.

Finalement, nous sommes dans une situation de rente, qui se dégrade peu à peu, et nos exportations ne mettent en lumière ni un renouvellement de l’offre, ni la création de nouvelles entreprises non plus que l’émergence ou la conquête de nouvelles parts de marché, bien entendu, contrairement à plusieurs voisins européens.

Enfin, la part de l’industrie s’élève désormais à 12 % de notre PIB et a chuté de moitié, ce qui une fois encore nous interpelle quant à notre tissu d’entreprises exportatrices.

Ces données factuelles inquiétantes et préoccupantes interrogent à deux titres notre avenir même, la politique économique qui est menée et ses conséquences sur le chômage, nous l’avons vu récemment.

Tout d’abord, nous constatons que cette concurrence internationale entraîne une dépendance de nos entreprises à l’endroit d’un écart : celui qui sépare nos politiques fiscales et normatives de celles en vigueur dans les autres pays.

Grossièrement, si nous continuons à nous singulariser à travers la pression fiscale sur les entreprises et les diverses dispositions concernant les charges sociales, cet écart entre la France et le reste du monde sera encore plus difficile à supporter par nos entreprises, ce qui explique probablement d’ores et déjà une part importante de cette dilution de nos parts de marché et de notre perte de compétitivité.

Ensuite, une exposition moindre au commerce international en raison même de cette perte de parts de marché entraîne mécaniquement un moindre profit de la croissance mondiale.

Bien que, depuis dix ans, celle-ci ait été assez importante, soutenue, dynamique – elle sera sans doute moins forte dans les dix prochaines années, comme l’annonce le FMI – cette double peine qu’est la moindre exposition de l’économie française à l’international et le ralentissement de la croissance mondiale risque d’exposer la France à de graves difficultés en matière de développement économique et d’emploi.

Chers collègues, l’analyse de cette double peine – combinaison de notre exposition et des perspectives de croissance – est vraiment intéressante et nous interpelle quant à l’avenir de nos parts de marché et de notre commerce extérieur.

Ce sont peut-être là des éléments d’explication à la fois de nos mauvaises performances en matière d’emploi et de la faible réaction de notre économie à ce « bon alignement des planètes », comme l’on dit : évolution de la parité entre l’euro et le dollar, baisse des taux d’intérêt, réduction de la facture énergétique.

Nous voyons bien que ce « paquet » de bonnes nouvelles impacte peu nos exportations et l’évolution de notre économie.

Ceux qui attendaient de la baisse de l’euro des effets rapides auraient dû se pencher sur le cas de l’économie allemande, qui supporte la même parité euro-dollar et qui n’a pourtant pas souffert d’un euro fort depuis quelques années. Au contraire, l’Allemagne a même plutôt développé son économie et ses parts de marché à travers le monde. Peut-être même que, telles qu’elles étaient voilà quelques mois ou quelques années, la parité et une monnaie forte permettaient d’incorporer dans nos productions des sous-produits ou des biens intermédiaires en zone dollar de nature à renforcer la compétitivité de notre économie en optimisant notre politique d’achat et de valeur ajoutée.

Il faut donc absolument reprendre la main sur nos exportations !

Cela ne consiste pas seulement à changer le nom d’UbiFrance en BusinessFrance et à attendre les effets positifs des mesures ou des évolutions liées à la parité euro-dollar, à la facture énergétique ou aux taux d’intérêt : cela consiste à prendre à bras-le-corps un certain nombre de paramètres dans notre politique publique afin de redonner une dynamique internationale à notre économie.

Alors, la liste est longue des mesures ou des politiques publiques qu’il conviendrait de développer pour une telle reprise en main de la stratégie internationale de la France.

J’en choisis quelques-unes, qui ne sont d’ailleurs pas nécessairement les plus souvent citées.

L’une d’entre elles, qui concerne plusieurs ministères et compétences, me paraît clairement stratégique, monsieur le secrétaire d’État : le développement de l’hinterland de nos grands ports maritimes.

Aujourd’hui, vous le savez, le système de notre commerce extérieur fait que les frontières sont extrêmement poreuses. Les armateurs mettent sur l’eau des bateaux qui porteront demain 18 000 ou 20 000 containers. La dynamique des flux du commerce international liée à leur massification est une chance pour nos grands ports maritimes mais seulement si l’irrigation de l’ensemble de nos territoires par les hinterlands constitue un paramètre stratégique.

Or, nous constatons que ce sont Rotterdam, Gênes et Barcelone qui gagnent le plus de parts de marché sur l’économie française en matière d’activités portuaires à l’international et non les grands ports maritimes français.

Nous sommes en train de gâcher un atout considérable faute d’une vision de l’aménagement du territoire proactive par rapport à cette chance, précisément, que représentent ces grands ports maritimes dans la perspective de la massification des flux alors même que le container sera un élément stratégique de notre commerce international quoiqu’il ne semble pas considéré ainsi par les politiques publiques.

Pas plus tard que ce matin, le débat en commission sur le canal Seine-Nord a donné lieu à de grandes controverses alors que la doctrine de l’État en matière d’hinterland et d’irrigation territoriale devrait s’imposer.

Le renforcement de nos politiques d’investissement et d’innovation constitue également un vrai sujet. Nous persistons à favoriser une économie dans laquelle les marges des entreprises ne permettent pas de renouveler l’offre à l’international, laquelle permettrait pourtant de renforcer nos avantages comparatifs.

Il est surprenant de constater que les secteurs dans lesquels la France dispose d’un avantage intrinsèque – l’agroalimentaire, la mécanique ou d’autres domaines traditionnellement puissants dans notre pays – perdent aussi des parts de marché parce qu’ils ne sont probablement pas assez influencés, stimulés et irrigués par l’innovation.

Hors les marges réalisées par les entreprises, la France ne parvient pas à enclencher ce processus d’innovations.

La note du Conseil d’analyse économique le souligne : une telle situation soulève également un problème s’agissant de notre compétitivité hors prix. Cette dernière est aujourd’hui insuffisamment développée, rayonnante, assumée et portée par les politiques publiques alors que la formation, l’ambition culturelle et bien d’autres initiatives devraient renforcer le rayonnement de la France et accompagner celui des grands groupes français qui promeuvent nos marques à travers le monde. De ce point de vue, la dynamique est insuffisante.

Je reviendrai sur un autre problème à travers la question que je vous poserai mais je note d’ores et déjà que le dispositif d’accompagnement – voilà deux ans, avec mon collègue Patrice Prat, nous avions pointé un certain nombre de points à ce propos – doit être considérablement amélioré afin que les entreprises, les PME en particulier, puissent bénéficier d’outils de promotion, de prospection, d’investissement, de valorisation, d’animation de l’offre française permettant de les rendre plus efficaces sur le plan international afin de renverser la courbe des parts de marché, le déclin étant en la matière fort inquiétant.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion