Intervention de Roger-Gérard Schwartzenberg

Séance en hémicycle du 3 décembre 2012 à 16h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2012 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoger-Gérard Schwartzenberg :

…j'en viens à un autre point peut-être plus controversé.

Tout, bien sûr, doit être fait pour combattre la flambée du chômage ; l'action pour l'emploi est, à l'évidence, la priorité des priorités, et votre réforme comporte plusieurs mesures utiles. Sur le fond, chacun reconnaît la nécessité de renforcer la compétitivité des entreprises pour qu'elles puissent agir davantage en faveur de l'emploi et de l'investissement. Mais, dans la forme, la procédure retenue pour atteindre cet objectif apparaît discutable. Le 14 novembre, le Conseil des ministres adopte le collectif budgétaire de fin d'année, qui ne comporte, alors, aucune disposition relative au pacte de compétitivité ; le 20 novembre, soit six jours après, le Gouvernement se ravise et décide d'intégrer à ce texte le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi ainsi que la restructuration de la TVA. Cette intégration se fait, des orateurs précédents l'ont souligné, par la voie de deux amendements du Gouvernement à son propre projet de loi, amendements déposés le 28 novembre pour être débattus en séance publique aujourd'hui, 3 décembre.

Un tel recours à la méthode de l'amendement présente trois inconvénients.

Tout d'abord, il aboutit à se priver de la consultation préalable du Conseil d'État, dont l'avis est obligatoire pour les projets de loi du Gouvernement mais n'a pas à intervenir sur les amendements déposés par celui-ci.

Deuxième inconvénient : présenter, sur un sujet essentiel, des dispositions qui ne peuvent être assorties d'aucune étude d'impact. De plus, puisqu'il s'agit d'amendements, conformément à la règle, ceux-ci comportent non pas un véritable exposé des motifs mais seulement un exposé sommaire. L'adjectif « sommaire » a rarement été aussi justifié. Ainsi, il n'y a que sept paragraphes dans l'exposé de l'amendement n° 4 rectifié qui crée 20 milliards d'euros d'allégements fiscaux pour les entreprises, et six paragraphes dans celui de l'amendement n° 5 rectifié qui finance ce crédit d'impôt par une réforme des taux de TVA et devrait générer en régime de croisière 6,4 milliards d'euros. Bref, pour un enjeu majeur, vous utilisez un style d'une extrême concision, monsieur le ministre, comme si vous faisiez vôtre le précepte de Saint-Just : « Le prix d'éloquence sera donné au laconisme. »

Enfin, dernier inconvénient de la démarche retenue : conduire le Parlement à statuer à la hâte sur des dispositions complexes sans avoir véritablement le temps de les examiner en profondeur.

Dans la période récente, il existe un seul précédent à ce recours contestable à la méthode de l'amendement gouvernemental pour introduire dans un projet de loi déjà déposé d'importantes dispositions nouvelles. Ce précédent remonte à janvier 2006, M. de Villepin étant alors Premier ministre et M. Borloo ministre de l'emploi. Par voie d'amendement, le Gouvernement avait alors intégré au projet de loi dénommé, sans doute par antiphrase, « Égalité des chances », un ensemble de dispositions nouvelles créant le CPE, le contrat première embauche. Certes, sur le fond, le pacte de compétitivité n'a bien sûr rien à voir avec le CPE. Mais, dans la forme, la méthode est malencontreusement analogue. Or pas plus qu'hier, la précipitation ne paraît compatible avec la qualité du travail législatif ou budgétaire et avec le nécessaire respect des droits du Parlement. Celui-ci ne peut devenir un Monsieur Bricolage, devant se borner à sous-amender des amendements, c'est-à-dire à coller des rustines sur un texte rédigé dans la rapidité, déposé à la hâte et débattu à la sauvette, dans le charme discret d'une séance du lundi.

Venons-en maintenant au fond.

Même si Noël approche, l'intention du Gouvernement, vous l'avez dit, monsieur le ministre, n'est sans doute pas de signer un chèque en blanc au patronat, et de lui offrir toute liberté d'utiliser ces 20 milliards d'euros comme bon lui semble, selon son bon plaisir. Il faut donc accompagner et préciser cette mesure par des dispositions complémentaires pour que les initiales de ce crédit d'impôt, CICE, signifient également « cadrage, information, contrepartie, évaluation ». Tel est l'objet des sous-amendements déposés par le groupe RRDP, comme par d'autres d'ailleurs.

Cadrage d'abord : c'est l'encadrement de cette mesure. En évitant donc de parler de « conditionnalité » puisque ce terme, nous dit-on, serait devenu malséant et risquerait d'offusquer le MEDEF ou de froisser sa susceptibilité. Parlons donc plutôt de cadrage du crédit d'impôt, en précisant très clairement les objectifs qui inspirent sa création. La raison d'être du CICE, c'est d'aider les entreprises à renforcer leur compétitivité pour qu'elles puissent embaucher, investir et innover davantage. Énoncer ces objectifs dans la présente loi de finances rectificative contribuera à éviter que ce crédit d'impôt soit utilisé de manière discrétionnaire – « illégitime », a dit tout à l'heure Jérôme Cahuzac – par les entreprises, selon leur bon vouloir, voire détourné éventuellement vers d'autres fins, comme la majoration des rémunérations ou des avantages de leurs dirigeants, ou encore la distribution accrue de dividendes à leurs actionnaires. La vocation de ce crédit d'impôt, c'est l'emploi, c'est l'investissement, ce n'est pas de servir à améliorer les parachutes dorés ou les cours de Bourse des entreprises du CAC 40.

Information aussi : c'est la transparence nécessaire pour assurer le suivi du nouveau dispositif. À cet égard, on peut regretter que l'amendement du Gouvernement ne fixe pas dès à présent les modalités selon lesquelles le Parlement, les partenaires sociaux et les institutions représentatives du personnel seront tenus informés de son utilisation effective. Faute de telles dispositions dans l'amendement gouvernemental présenté aujourd'hui, il faudra donc adopter, au premier trimestre 2013, une loi de suivi qui permettra de vérifier l'application du dispositif. Cette loi devra déterminer les conditions d'information et de contrôle du Parlement et des acteurs sociaux afin qu'ils puissent s'assurer que l'utilisation du crédit d'impôt contribue réellement au renforcement de la compétitivité des entreprises et à leur soutien à l'emploi et à l'investissement.

Troisième point à préciser : les contreparties à obtenir des entreprises bénéficiaires de ce crédit d'impôt. Le ministre de l'économie et des finances a parlé du « principe du donnant-donnant ». Très bien. Sauf que dans l'amendement gouvernemental, rien ne concerne ces contreparties, notamment pour les salariés, cette question étant renvoyée à plus tard. On peut regretter que le dépôt et l'examen de cet amendement interviennent avant que soit achevée la négociation sur la réforme du marché du travail engagée entre les partenaires sociaux. On peut le regretter d'autant plus que le texte du MEDEF présenté dans cette négociation est très exhaustif sur la flexibilité du marché du travail, mais très sibyllin sur la sécurisation des parcours professionnels. Là aussi, il faudra donc s'en remettre à la seconde loi, qui sera examinée début 2013, pour définir, enfin, les contreparties, notamment quant à la gouvernance des entreprises, à la rémunération de leurs dirigeants et au civisme fiscal.

Dernier point : l'évaluation. Toute politique publique doit être évaluée pour qu'on puisse apprécier son efficacité et ses résultats. Au demeurant, le 6 novembre, le Premier ministre, présentant le pacte pour la compétitivité, avait annoncé la création d'un « comité de suivi du pacte associant l'État et les partenaires sociaux pour dresser à intervalles réguliers un constat partagé du bon fonctionnement du dispositif ». Cependant, ce comité de suivi, pourtant dépourvu de tout caractère contraignant, ne figure pas dans l'amendement gouvernemental. Cette omission est palliée par un sous-amendement du groupe socialiste visant à établir ce comité de suivi et des comités régionaux. Toutefois, au lieu de créer un comité national supplémentaire, d'une efficacité incertaine, mieux vaudrait utiliser une structure existante et experte : la Cour des comptes et ses chambres régionales des comptes. Selon l'article 47-2 de la Constitution, « la Cour des comptes assiste le Parlement et le Gouvernement dans l'exécution des lois de finances () ainsi que dans l'évaluation des politiques publiques ». Dans ce cadre, la Cour des comptes, institution indépendante, serait chargée de veiller au suivi de la mise en oeuvre du crédit d'impôt créé par la présente loi de finances rectificative et d'apprécier ses résultats ; elle établirait chaque année un rapport sur l'application et l'évaluation du crédit d'impôt ; ce rapport d'évaluation, remis au Parlement et au Gouvernement, serait rendu public. La transparence s'impose en effet quand il s'agit de l'utilisation de l'argent public, surtout à de tels niveaux.

Si nos sous-amendements ou des sous-amendements analogues sont acceptés par le ministre et adoptés, nous voterons les amendements gouvernementaux car ils se trouveront alors précisés, complétés et cadrés, comme ils auraient pu l'être d'emblée, dès leur dépôt. Cela montrerait que le Parlement n'est pas inutile quand il s'agit d'améliorer des dispositions imparfaites mais résultant de bonnes intentions, et comme le dit l'adage : « C'est l'intention qui compte. »

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion