Intervention de Maud Olivier

Réunion du 2 juin 2015 à 16h45
Commission spéciale pour l'examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMaud Olivier, rapporteure :

Pour compléter les propos du président Guy Geoffroy, je vais faire un bref rappel de la genèse de cette proposition de loi et des textes qui sont venus enrichir notre réflexion.

En décembre 2011, une résolution réaffirmant la position abolitionniste de la France en matière de prostitution a été adoptée à l'unanimité des groupes politiques.

Les dégâts physiques et psychiques subis par les personnes prostituées ont été mis en lumière par deux rapports : l'un, rédigé en 2012 par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), portait sur les enjeux sanitaires du phénomène ; l'autre, publié en octobre 2013 par nos collègues sénateurs Jean-Pierre Godefroy et Chantal Jouanno, était consacré à la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées.

Dans le cadre du groupe de travail de la délégation aux droits des femmes, le rapport d'information sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel a été adopté à l'unanimité en septembre 2013. En outre, la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes dispose à son article 1er, alinéa 2, que la politique pour l'égalité entre les femmes et les hommes comporte notamment la mise en oeuvre d'actions visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel.

Enfin, dans une étude financée à 90 % par la Commission européenne, le cabinet Psytel estime à 1,6 milliard d'euros le coût économique et social de la prostitution en France, dont plus de 850 millions d'euros d'évasion fiscale. Cette étude présente aussi l'intérêt de montrer qu'il ne faut surtout pas intégrer dans le produit intérieur brut (PIB) ce que pourrait rapporter la prostitution.

Ces rapports mettent d'abord en évidence que les personnes prostituées sont victimes de violences particulièrement graves qui portent atteinte à leur intégrité physique et psychique, la violence étant consubstantielle à l'univers prostitutionnel.

Rappelons les termes du préambule de la Convention des Nations unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui du 2 décembre 1949, ratifiée par la France le 19 novembre 1960 : « La prostitution et le mal qui l'accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine et mettent en danger le bien-être de l'individu, de la famille et de la communauté. »

Ces rapports montrent, en deuxième lieu, que la prostitution est, depuis les années 2000, pratiquée à 90 % par des personnes de nationalité étrangère. Principalement originaires de Roumanie, de Bulgarie, du Nigéria, du Brésil et de Chine, ces personnes sont le plus souvent sous la coupe de réseaux de traite et de proxénétisme organisés et violents.

En troisième et dernier lieu, il apparaît que la prostitution est un phénomène sexué qui contrevient au principe d'égalité entre les femmes et les hommes : si 85 % des 20 000 à 40 000 personnes prostituées en France sont des femmes, 99 % des clients sont des hommes. La prostitution est la traduction de rapports archaïques et inégalitaires entre les hommes et les femmes et porte une atteinte fondamentale au principe d'égalité entre les sexes. L'abolition de la prostitution relève d'une obligation pour toute société humaniste. Nous devons nous souvenir que les sociétés dans lesquelles l'égalité entre les hommes et les femmes est la plus marquée sont celles qui comptent les taux les plus faibles de violences faites aux femmes. La lutte contre le système prostitutionnel ne saurait donc être appréhendée autrement que comme un pan à part entière du combat pour l'égalité entre les sexes.

Rappelons que la proposition de loi telle qu'adoptée par l'Assemblée nationale avait reçu l'avis favorable du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes.

La proposition de loi implique la suppression de toute disposition juridique susceptible d'encourager l'activité prostitutionnelle, sans pour autant l'interdire, et suppose la mise en place d'une réelle protection des personnes prostituées, notamment par la répression de l'exploitation sexuelle d'autrui, la prévention de l'entrée dans la prostitution et l'aide à la réinsertion des victimes.

Elle est bâtie sur quatre piliers.

Le premier pilier prévoit le renforcement des moyens de lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle.

Le deuxième pilier vise à améliorer la protection des victimes de la prostitution. Dans cette perspective, est mis en place un véritable parcours de sortie de la prostitution.

Le troisième pilier porte sur la prévention des pratiques prostitutionnelles et du recours à la prostitution. Il a pour objet d'améliorer l'état de connaissances des jeunes scolarisés dans les collèges et les lycées sur la réalité du système prostitutionnel en général et sur les conditions d'existence des personnes prostituées en particulier. Des mesures de sensibilisation et d'éducation apparaissent indispensables pour déconstruire les représentations erronées ainsi que toute forme de stéréotypes de genre, et pour prévenir les pratiques prostitutionnelles occasionnelles ou régulières.

Le quatrième et dernier pilier pose les règles relatives à l'interdiction de l'achat d'actes sexuels, afin de décourager la demande, largement responsable du développement de la prostitution et des réseaux d'exploitation sexuelle. À cet égard, notons que l'article 6 de la Convention de Varsovie, signée en mai 2005 et entrée en vigueur en France le 1er mai 2008, stipule que la demande « favorise toutes les formes d'exploitation des personnes, en particulier celle des femmes et des enfants, aboutissant à la traite » et qu'il convient en conséquence de la décourager.

Mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui amenés à nous prononcer sur la proposition de loi telle qu'adoptée par le Sénat et à y apporter les amendements qui nous sembleront indispensables pour répondre à l'urgence de la situation dramatique dans laquelle se trouve la majorité des personnes prostituées. Il s'agit en effet de bâtir un ensemble cohérent d'actions destinées à mieux protéger les victimes de la prostitution et à faciliter leur sortie du système prostitutionnel, ainsi qu'à transformer en profondeur les représentations et les comportements de chacun dans notre société.

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