La séance est ouverte à 16 heures 45.
Présidence de M.Guy Geoffroy, président.
La commission spéciale procède à l'examen, en deuxième lecture, de la proposition de loi visant à la lutte contre la traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle, contre le proxénétisme et pour l'accompagnement des personnes prostituées (n° 2690) (Mme Maud Olivier, rapporteure).
Mes chers collègues, notre commission spéciale se réunit à nouveau et j'ai plaisir à retrouver bon nombre de ceux qui ont participé à ses travaux depuis le dépôt de cette proposition de loi, en octobre 2013. Adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 4 décembre 2013, le texte a ensuite été examiné au Sénat par une commission spéciale le 8 juillet 2014, puis en séance publique le 30 mars dernier.
Vous aurez tous noté que la maturation du texte au Sénat a connu non pas des vicissitudes mais des évolutions. La commission spéciale du Sénat a été successivement présidée par M. Jean-Pierre Godefroy – qui a démissionné le 17 mars 2015 – puis par M Jean-Pierre Vial. Tout comme moi, ce dernier souhaite que nous fassions le point sur les divergences et convergences qui existent entre les deux assemblées. En accord avec Mme la rapporteure, j'ai proposé à nos collègues du Sénat de les rencontrer avant la séance publique à l'Assemblée nationale, afin de voir si les points de vue ne pourraient pas se rapprocher pour aboutir à un texte issu d'un dialogue consensuel et constructif entre nos deux assemblées.
J'ai le sentiment – et je ne crois pas travestir la réalité ni la vérité en l'exprimant – qu'un grand nombre de nos collègues sénateurs sont plutôt disposés à avancer dans une direction qui ne soit pas trop éloignée de la nôtre. Le texte qui nous arrive n'a pas été adopté par une large majorité de sénateurs convaincus de leur analyse ; le résultat est moins établi qu'il n'y paraît. Toujours est-il que les sénateurs ont assez considérablement modifié le texte sur certains aspects, y apportant parfois des améliorations. À l'heure où nous nous retrouvons, nos deux assemblées divergent essentiellement sur deux sujets : le Sénat a réintroduit les dispositions relatives au délit de racolage que nous avions supprimées ; inversement, il a supprimé la notion nouvelle de responsabilisation du client de la prostitution que nous avions inscrite dans le texte.
Après l'intervention de notre rapporteure et la discussion générale, nous passerons à l'examen le plus approfondi possible de la soixantaine d'amendements qui ont été déposés – une bonne moitié par notre rapporteure, quelques-uns de manière conjointe par notre rapporteure et par votre serviteur, et d'autre part des membres de la Commission. Rappelons que le texte sera examiné en séance publique le vendredi 12 juin à partir de neuf heures trente.
Pour compléter les propos du président Guy Geoffroy, je vais faire un bref rappel de la genèse de cette proposition de loi et des textes qui sont venus enrichir notre réflexion.
En décembre 2011, une résolution réaffirmant la position abolitionniste de la France en matière de prostitution a été adoptée à l'unanimité des groupes politiques.
Les dégâts physiques et psychiques subis par les personnes prostituées ont été mis en lumière par deux rapports : l'un, rédigé en 2012 par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), portait sur les enjeux sanitaires du phénomène ; l'autre, publié en octobre 2013 par nos collègues sénateurs Jean-Pierre Godefroy et Chantal Jouanno, était consacré à la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées.
Dans le cadre du groupe de travail de la délégation aux droits des femmes, le rapport d'information sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel a été adopté à l'unanimité en septembre 2013. En outre, la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes dispose à son article 1er, alinéa 2, que la politique pour l'égalité entre les femmes et les hommes comporte notamment la mise en oeuvre d'actions visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel.
Enfin, dans une étude financée à 90 % par la Commission européenne, le cabinet Psytel estime à 1,6 milliard d'euros le coût économique et social de la prostitution en France, dont plus de 850 millions d'euros d'évasion fiscale. Cette étude présente aussi l'intérêt de montrer qu'il ne faut surtout pas intégrer dans le produit intérieur brut (PIB) ce que pourrait rapporter la prostitution.
Ces rapports mettent d'abord en évidence que les personnes prostituées sont victimes de violences particulièrement graves qui portent atteinte à leur intégrité physique et psychique, la violence étant consubstantielle à l'univers prostitutionnel.
Rappelons les termes du préambule de la Convention des Nations unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui du 2 décembre 1949, ratifiée par la France le 19 novembre 1960 : « La prostitution et le mal qui l'accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine et mettent en danger le bien-être de l'individu, de la famille et de la communauté. »
Ces rapports montrent, en deuxième lieu, que la prostitution est, depuis les années 2000, pratiquée à 90 % par des personnes de nationalité étrangère. Principalement originaires de Roumanie, de Bulgarie, du Nigéria, du Brésil et de Chine, ces personnes sont le plus souvent sous la coupe de réseaux de traite et de proxénétisme organisés et violents.
En troisième et dernier lieu, il apparaît que la prostitution est un phénomène sexué qui contrevient au principe d'égalité entre les femmes et les hommes : si 85 % des 20 000 à 40 000 personnes prostituées en France sont des femmes, 99 % des clients sont des hommes. La prostitution est la traduction de rapports archaïques et inégalitaires entre les hommes et les femmes et porte une atteinte fondamentale au principe d'égalité entre les sexes. L'abolition de la prostitution relève d'une obligation pour toute société humaniste. Nous devons nous souvenir que les sociétés dans lesquelles l'égalité entre les hommes et les femmes est la plus marquée sont celles qui comptent les taux les plus faibles de violences faites aux femmes. La lutte contre le système prostitutionnel ne saurait donc être appréhendée autrement que comme un pan à part entière du combat pour l'égalité entre les sexes.
Rappelons que la proposition de loi telle qu'adoptée par l'Assemblée nationale avait reçu l'avis favorable du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes.
La proposition de loi implique la suppression de toute disposition juridique susceptible d'encourager l'activité prostitutionnelle, sans pour autant l'interdire, et suppose la mise en place d'une réelle protection des personnes prostituées, notamment par la répression de l'exploitation sexuelle d'autrui, la prévention de l'entrée dans la prostitution et l'aide à la réinsertion des victimes.
Elle est bâtie sur quatre piliers.
Le premier pilier prévoit le renforcement des moyens de lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle.
Le deuxième pilier vise à améliorer la protection des victimes de la prostitution. Dans cette perspective, est mis en place un véritable parcours de sortie de la prostitution.
Le troisième pilier porte sur la prévention des pratiques prostitutionnelles et du recours à la prostitution. Il a pour objet d'améliorer l'état de connaissances des jeunes scolarisés dans les collèges et les lycées sur la réalité du système prostitutionnel en général et sur les conditions d'existence des personnes prostituées en particulier. Des mesures de sensibilisation et d'éducation apparaissent indispensables pour déconstruire les représentations erronées ainsi que toute forme de stéréotypes de genre, et pour prévenir les pratiques prostitutionnelles occasionnelles ou régulières.
Le quatrième et dernier pilier pose les règles relatives à l'interdiction de l'achat d'actes sexuels, afin de décourager la demande, largement responsable du développement de la prostitution et des réseaux d'exploitation sexuelle. À cet égard, notons que l'article 6 de la Convention de Varsovie, signée en mai 2005 et entrée en vigueur en France le 1er mai 2008, stipule que la demande « favorise toutes les formes d'exploitation des personnes, en particulier celle des femmes et des enfants, aboutissant à la traite » et qu'il convient en conséquence de la décourager.
Mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui amenés à nous prononcer sur la proposition de loi telle qu'adoptée par le Sénat et à y apporter les amendements qui nous sembleront indispensables pour répondre à l'urgence de la situation dramatique dans laquelle se trouve la majorité des personnes prostituées. Il s'agit en effet de bâtir un ensemble cohérent d'actions destinées à mieux protéger les victimes de la prostitution et à faciliter leur sortie du système prostitutionnel, ainsi qu'à transformer en profondeur les représentations et les comportements de chacun dans notre société.
Bien que le texte issu du Sénat ait permis de progresser, par exemple en matière de blocage par l'autorité administrative des sites internet de prostitution, il nous mène dans une impasse en ce qui concerne deux points essentiels : la pénalisation du client et le délit de racolage.
Privé de toutes les mesures sur la responsabilisation du client, pourtant réclamées dans la résolution adoptée à l'unanimité en 2011 et par le Parlement européen en février 2014, le texte perd son caractère novateur, ambitieux et utile. D'ailleurs, il aurait davantage sa place dans le projet de loi sur le droit des étrangers, étant donné qu'il facilite l'accès au titre de séjour plus qu'autre chose.
Pour ma part, je pense que la responsabilisation du client est tout à fait indispensable. Je m'étais abstenu lors du vote du texte en première lecture, considérant que les sanctions n'allaient pas assez loin : l'infraction de recours à la prostitution était considérée comme une contravention de cinquième classe, passible d'une amende de 1 500 euros maximum ; seule la récidive aurait constitué un délit. Il eût été préférable de considérer cette infraction comme un délit à part entière, autorisant le placement en garde à vue du client, un meilleur suivi de la récidive grâce à l'inscription au casier judiciaire et des poursuites dans le cas où les faits sont commis à l'étranger.
Il est aussi regrettable que le Sénat ait supprimé le stage de sensibilisation aux conditions d'exercice de la prostitution, tant il est vrai que l'efficacité de ce type de dispositifs a été prouvée dans d'autres domaines tels que la toxicomanie, les discriminations raciales ou même les délits routiers. Un dispositif alliant pénalisation et responsabilité du client, sur le modèle suédois, serait de nature à dissuader le recours à la prostitution et à rendre notre pays moins attractif pour les réseaux criminels. Malgré tout, il ne suffira pas à régler définitivement le problème.
Par ailleurs, après en avoir maintenu la suppression en commission, le Sénat a réintroduit en séance le délit de racolage public qui avait été supprimé lors de l'examen en première lecture à l'Assemblée nationale. La directive européenne du 5 juin 2011, comme l'a confirmé Mme Michèle-Laure Rassat, professeure émérite des facultés de droit spécialiste du droit pénal, n'impose pas à la France l'abrogation de ce délit, les conditions qu'elle pose étant déjà remplies par le pouvoir d'appréciation du ministère public quant à l'opportunité des poursuites et la possibilité pour les juridictions pénales de dispenser de peine.
Je pense que ce délit de racolage n'est pas principalement un instrument de répression des prostituées. Consultés lors de nos auditions, les enquêteurs nous avaient expliqué que ce délit n'était pas utilisé à l'égard des très rares prostituées indépendantes françaises, mais qu'il permettait surtout d'entrer en contact avec les victimes de réseaux, de leur permettre d'accéder à un médecin – souvent pour la première fois depuis leur arrivée en France – et de leur proposer de coopérer avec les autorités judiciaires, avec toutes les difficultés que l'on connaît et sur lesquelles je ne vais pas m'étendre.
La loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure avait transformé l'ancienne contravention de cinquième classe en délit de racolage. Ce faisant, elle avait permis de rétablir la tranquillité dans des quartiers qui connaissaient des troubles à l'ordre public considérables, ce qui n'est pas négligeable. En fait, la mesure s'est révélée efficace tant que les tribunaux l'appliquaient. Signalons d'ailleurs que même le Syndicat du travail sexuel (STRASS) a fait part de sa crainte de voir ce délit supprimé, le jugeant préférable aux arrêtés municipaux ou préfectoraux qui sont plus discriminants. Sa réintroduction par le Sénat, pour opportune qu'elle soit, ne saurait permettre à nos deux chambres de s'accorder sur de nouvelles mesures permettant de lutter contre la prostitution.
Dans le cadre de nos travaux, un dialogue s'est engagé. Pour ma part, je n'ai pas déposé d'amendement alors que la matière ne manque pas – facilités migratoires, attribution d'aides financières non budgétisées, nécessité de réintroduire un véritable délit de recours à la prostitution et un stage de sensibilisation – pour permettre à un consensus de se dégager. Comme vous l'avez compris, je suis à la fois pour la pénalisation du client et pour le délit de racolage. Mais je pourrais être favorable à une proposition équilibrée prévoyant la pénalisation du client tout en supprimant le délit de racolage public, à condition qu'elle permette aux enquêteurs de continuer à entrer en contact avec les prostituées victimes des réseaux, voire de les interroger. On pourrait, par exemple, doter ces dernières d'une sorte de statut de témoin protégé afin de recueillir des informations nécessaires au démantèlement des réseaux. Je serais assez favorable à ce genre de propositions, qui pourraient peut-être satisfaire une majorité de membres de cette assemblée sans priver les enquêteurs de moyens d'action.
Lors de son audition, M. Yves Charpenel, président de la fondation Scelles, a considéré qu'il serait toujours possible de recourir aux articles du code de procédure pénale qui autorisent les contrôles d'identité sur instruction écrite du procureur, dans des lieux et pour une période déterminés, y compris dans des établissements comme les hôtels et autres salons de massages qui se multiplient, afin d'éviter le retour de troubles à l'ordre public. Cette solution a d'ailleurs été préconisée par la garde des Sceaux lors de son audition au Sénat. Peut-être recueillera-t-elle l'approbation d'un certain nombre d'entre nous ?
Sur un tel texte, il serait bon de parvenir à nous rassembler autour de mesures équilibrées et efficaces. Cela pourrait permettre de faire avancer la cause de ces femmes victimes plus rapidement que ne le ferait une navette parlementaire avec des positions d'assemblées antithétiques.
Philippe Goujon a soulevé les arguments que je comptais développer.
J'ai eu l'honneur de participer aux travaux ayant abouti à la résolution adoptée à l'unanimité lors de la dernière législature et qui répondait à trois préoccupations : sécuriser, médicaliser et fiscaliser. Par la suite, il y a eu des avancées et je regrette les modifications opérées sur ce dernier texte au Sénat, notamment en ce qui concerne le client. Si Philippe Goujon a évoqué la situation à Paris, ma collègue députée de l'Aude ne me contredira pas si je dis que, dans le sud, la prostitution offre un spectacle lamentable : les filles sont complètement abandonnées au bord des routes. Entre les préfets et les autorités territoriales, il y a un transfert de charges, de responsabilités et d'angoisse extraordinaires, chacun essayant de renvoyer le dossier à l'autre.
C'est très bien d'établir un diagnostic car toutes les intentions sont bonnes, mais ma fibre médicale me pousse à considérer que ce n'est pas suffisant. Je crains que les solutions proposées dans le nouveau texte ne soient pas à la hauteur de nos ambitions. Nous sommes dans une situation où un député peut s'entendre répondre par un représentant de l'État : je ne peux rien faire parce qu'il y a un vide juridique. Quant au maire, il lui répondra : vous n'avez qu'à changer les lois parce que ma police municipale ne peut pas, à elle seule, régler le problème. Que fait-on ? J'ai l'impression que le travail n'est pas totalement abouti. Pardonnez-moi, monsieur le président, cet inhabituel pessimisme.
Après un long séjour au Sénat, ce texte revient enfin devant notre Commission dont il convient de saluer le travail de qualité. Nous avons toujours recherché un consensus constructif sur tous les aspects de cette question : la prévention, la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains, la protection des victimes.
Nous avions abouti à un texte complet mais, en supprimant la responsabilisation du client et en réintroduisant le délit de racolage, le Sénat a affaibli ce qui en constituait le coeur : la lutte contre le système prostitutionnel. Faire du racolage un délit revient à dire que la personne prostituée est coupable, pas le client. Or, comme dans la résolution de 2011, le texte que nous avions adopté en première lecture tirait sa force du renversement de cette perspective. Nous devons préserver le sens profond du texte : la victime, c'est la personne prostituée ; le coupable, c'est le client.
Notre rapporteure et notre président ont rappelé que, plus que jamais, la violence est liée à la prostitution. Le nombre de personnes victimes de la traite et de la prostitution est sans commune mesure avec ce qu'il était il y a trente, quarante ou cinquante ans, et nous assistons à une aggravation des phénomènes de violence qui ont toujours existé dans ce milieu.
J'espère qu'à la faveur des amendements adoptés lors de notre deuxième lecture, nous pourrons rétablir l'objectif et l'efficacité de ce texte. Il y a là une urgence humaine dont nous sommes tous conscients.
À l'instar de ma collègue Marie-George Buffet, je veux souligner la qualité de nos débats en commission spéciale, où nous nous étions collectivement réjouis de notre capacité à échanger sur un texte générateur de haute tension – pour dire les choses de manière diplomatique.
Ce texte suscite aussi des débats dans la société, notamment parmi les organisations qui sont attachées à la défense des libertés et qui, pour certaines, sont spécialisées dans le suivi et l'accompagnement des personnes prostituées. Il est bon de pouvoir débattre d'un thème de cette nature sans tomber ni dans la démagogie, ni dans un affrontement stérile. Ce ne fut pas toujours le cas lors de l'examen du texte en séance publique, où les propos caricaturaux et les accusations un peu outrancières ont parfois dominé les débats. Je me souviens encore de la très belle intervention de notre collègue Jean-Louis Borloo, rappelant à l'ordre un collègue de la majorité.
Cela étant, je vous trouve bien optimiste, monsieur le président, de penser que nous allons aboutir facilement à un texte commun avec le Sénat. La philosophie sénatoriale est sensiblement éloignée de celle – que je ne partage d'ailleurs pas – du texte issu de cette commission et du vote de l'Assemblée nationale.
Avant de rappeler la position du groupe Écologiste, je voudrais émettre un voeu qui, je l'espère, ne sera pas vain : que chacun ici précise au moins la source des chiffres qu'il cite. Je sais que ce n'est pas forcément l'usage dans cette maison, où les rapports et les statistiques sont souvent utilisés de manière très fantaisiste. Quand j'entends les accusations de l'opposition à l'égard de la politique de Mme Christiane Taubira, je me demande souvent d'où sortent les chiffres cités. En suivant les débats sur ce texte tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, j'ai assisté à une véritable explosion du nombre de personnes concernées par la prostitution : de minute en minute, d'une intervention à l'autre, les chiffres augmentaient par dizaines de milliers.
L'enjeu de santé publique est suffisamment sérieux pour que les références données soient au moins scientifiquement établies. D'ailleurs, le rapport publié fin 2012 par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), auquel a fait référence notre rapporteure, est tout à fait éclairant à ce sujet. Dès son introduction, il met en exergue la difficulté à mesurer la réalité de la prostitution, en l'absence de sources épidémiologiques assez solides et d'études suffisamment étayées et reconnues dans le monde universitaire. Le rapport de l'IGAS a aussi le mérite de présenter la diversité du phénomène et des profils des personnes concernées par la prostitution.
Autre point très important sur lequel j'avais insisté lors de nos précédents débats en citant un rapport antérieur de notre collègue Alain Vidalies : le rapport de l'IGAS refuse la confusion, parfois entretenue ici ou là, entre prostitution, proxénétisme et traite des êtres humains. Cette confusion n'est pas seulement une erreur malheureuse, elle est parfois criminelle pour les publics que nous cherchons à aider. En tout cas, elle ne permet pas d'appréhender ce sujet avec l'exigence nécessaire en termes de santé publique, d'accompagnement social et économique. C'est une facilité où le paternalisme – le mot n'est peut-être pas tout à fait adéquat – n'est pas totalement absent.
Dans ce débat, les Écologistes défendront des positions connues. Nous sommes parfois des soutiens solides du Gouvernement et nous le soutiendrons notamment pour combattre la mesure de blocage administratif des sites internet, rétablie de manière un peu maladroite par les sénateurs, sur proposition, me semble-t-il, de Mme la rapporteure. Le Gouvernement avait été assez clair sur la vacuité de ce type de dispositif que toutes les études et tous les experts jugent inefficace, inapproprié, contre-productif. Comment faut-il l'expliquer pour que l'on finisse par comprendre qu'un blocage administratif ne sert à rien ? Nous défendrons le retrait de cette proposition réintroduite par nos collègues sénateurs.
Nous demandons aussi la suppression des dispositions relatives au délit de racolage passif. Au Sénat, ma collègue Esther Benbassa était à l'origine d'une proposition de loi qui avait permis l'abrogation de ce délit. Comme l'a dit notre collègue Marie-George Buffet, criminaliser l'activité des travailleuses et des travailleurs du sexe, dans un pays où la prostitution n'est pas interdite, est un contresens. Cette criminalisation vise seulement à établir un climat de terreur que les arrêtés municipaux contribuent à augmenter. Contrairement à ce que vous dites, monsieur Goujon, le STRASS ne se réjouit pas du maintien de ce délit au prétexte qu'il serait plus doux et plus accommodant que les arrêtés municipaux. Le syndicat condamne dans un même mouvement le délit de racolage passif et les arrêtés municipaux sur la prostitution.
Enfin, comme Barbara Pompili l'avait rappelé au nom de notre groupe en séance, nous nous opposons à la pénalisation des clients. Partageant la position de nombreuses organisations telles que Médecins du Monde, la Ligue des droits de l'homme, le Syndicat de la magistrature, l'association Les Amis du bus des femmes, ou le Mouvement français pour le planning familial, je ne crois pas que la pénalisation, voire la criminalisation d'une activité permettent à celles et ceux qui l'exercent de mieux s'en sortir. En tout cas, je ne crois pas que cette pénalisation permette aux victimes de la traite ou du proxénétisme d'avoir un avenir meilleur, plus protecteur.
Pour ma part, j'adhère à presque toutes les positions qui viennent d'être défendues sur un sujet que j'ai suivi de très près en tant que membre de la délégation aux droits des femmes. Je voulais vous remercier pour l'important travail accompli, qui a abouti à un texte qui aborde tous les problèmes, y compris les plus sensibles. C'est un bon texte qui permettra de régler un certain nombre de choses même si rien n'est parfait dans ce type de démarches.
Rappelons que la prostitution a beaucoup changé au cours des dernières années. Nous sommes désormais confrontés à des réseaux qui exploitent la précarité et la vulnérabilité d'autrui. Les victimes en sont principalement des femmes qui sont ballottées d'une ville à l'autre et d'un pays à l'autre. Cette caractéristique complique la mise en place des moyens d'action.
Deux points restent en discussion, sur lesquels j'ai déposé des amendements : le délit de racolage et la pénalisation des clients. Pourquoi accepte-t-on que les femmes soient des boucs émissaires via le délit de racolage alors que les hommes qui bénéficient de la prostitution n'en subissent aucune conséquence ? C'est une question que je me suis toujours posée.
Comme vous tous, je me réjouis du retour à l'Assemblée nationale de ce texte qui doit désormais déboucher rapidement sur une loi très attendue par la société.
Tout d'abord, en tant que présidente de la délégation aux droits des femmes, dont notre rapporteure est membre, je souligne que ce texte se situe dans le débat sur l'égalité entre les femmes et les hommes.
Ensuite, j'aimerais faire une remarque à propos des diverses associations qui interviennent auprès des personnes prostituées : toutes celles qui les accompagnent vers une sortie de la prostitution sont dites abolitionnistes. Ces associations ont besoin de s'appuyer sur une loi pour accompagner dans leur parcours difficile les personnes qui veulent sortir de la prostitution.
Enfin, je pense que l'actualité proche ou lointaine nous aide. Pendant que le Sénat discutait de ce texte, le procès dit du « Carlton » se déroulait dans le nord de la France. À cette occasion, on a découvert qu'aucune des facettes de la prostitution n'était belle ou souhaitable. Les escort girls choisissent ce « métier », nous dit-on. Pour notre part, nous n'utilisons jamais l'expression « travailleur du sexe », étant donné que nous ne considérons pas que la prostitution est un métier. Au fil des audiences, ces femmes ont témoigné de leur difficulté à vivre ce qu'elles vivaient, de la souffrance engendrée par la prostitution. Ce procès a ouvert les yeux de certains.
Plus loin de nous, des réseaux tels que Daech enlèvent des jeunes filles et des femmes dont certaines sont vouées à un esclavage sexuel et probablement livrées à des réseaux de traite d'êtres humains. Dans d'autres cas, les proxénètes exploitent la misère qui sévit dans certains pays, en faisant croire aux femmes qu'elles vivront beaucoup mieux en Europe où elles pourront exercer des métiers qui leur permettront de faire vivre leur famille.
Avec notre texte, il s'agit de lutter contre l'asservissement des femmes. Il s'agit de combattre l'inégalité qui existe entre, d'une part, les proxénètes et les clients qui sont très majoritairement des hommes, et, d'autre part, les victimes qui sont surtout des femmes. Cette loi est très attendue. Nous en avons besoin pour abolir le système prostitutionnel, mais elle devra s'accompagner de politiques publiques et de moyens.
Ce matin, j'ai reçu une lettre dans laquelle le responsable d'une association spécialisée dans la réinsertion des prostituées tient grosso modo le même discours que notre collègue Catherine Coutelle. Il nous enjoint de ne pas céder à la facilité, au fatalisme, au conservatisme.
Nous devons avoir le courage de poser le problème, y compris en termes d'économie de marché : s'il y a des femmes prostituées, c'est qu'il y a des clients – des hommes dans 95 % des cas. Nous devons donc nous occuper aussi du client et le responsabiliser. Le grand apport de notre texte est d'écrire dans le droit français que le fait d'avoir des relations sexuelles tarifées constitue un délit. Certains voulaient que ce soit une contravention, d'autres un crime. Nous avons pris l'option intermédiaire. Ce texte a le mérite de changer un peu le regard sur la prostitution et de parler des clients des prostituées. Ce n'est pas parce qu'il n'est pas parfait qu'il ne faut pas l'adopter : nous avons rarement adopté des lois parfaites. Au moins, il va dans la bonne direction.
Nous aurons l'occasion de revenir sur tous ces points lors de l'examen des amendements. Avant de donner la parole à notre rapporteure, je voudrais, en écho à certaines interventions, formuler quelques observations.
Il ne s'agit pas de priver notre rapporteure de sa responsabilité. Si j'interviens, c'est en ma qualité de président, mais aussi en raison de mon engagement connu et ancien dans ce domaine. À partir du texte du Sénat et de l'entretien que j'ai eu avec le président de la commission spéciale de la haute assemblée, j'ai essayé de trouver la piste qui nous permettrait de ne renoncer à aucune de nos ambitions, sans créer de difficulté majeure pour des questions de symboles ou de tabous.
J'en profite pour revenir sans animosité sur les propos de notre collègue Sergio Coronado, qui pourraient être mal interprétés. Il ne faut pas faire un amalgame entre les notions de traite des êtres humains, de proxénétisme, et de prostitution. Rappelons toutefois ce passage du préambule de la Convention des Nations unies de 1949, déjà cité par la rapporteure : « La prostitution et le mal qui l'accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne et mettent en danger le bien-être de l'individu, de la famille et de la communauté. » Je ne crois pas qu'il ait été criminel, de la part des Nations unies, de déclarer qu'il fallait absolument lutter pour l'abolition de la traite des êtres humains et de la prostitution qui en est une partie importante. Il faut se souvenir que cette notion est inscrite dans les textes fondateurs de notre organisation mondiale depuis plus de soixante-cinq ans.
Mon état d'esprit est, je crois, largement partagé au sein de cette commission, de notre assemblée et même de la Nation tout entière : nous devons combattre de toutes nos forces ceux qui pratiquent la traite des êtres humains, qui organisent les réseaux de prostitution et qui en profitent. Cette loi, telle que nous allons la finaliser, doit permettre d'accentuer la lutte que nous devons mener à tous les niveaux contre ce phénomène criminel.
Dans cette affaire, il y a aussi un personnage essentiel, bien que dépourvu de statut : le client. La loi doit aussi contribuer à responsabiliser ce client, sans lequel il n'y aurait pas de prostitution et qui ne risque pour l'instant aucune interpellation de la part de la société. Nous proposerons donc de rétablir les dispositions adoptées en première lecture. La loi prévoira alors que le client d'une prostituée contrevient à la loi et que, en cas de récidive, il devient un délinquant.
À côté des criminels et des délinquants que j'ai décrits, il y a une personne considérée comme délinquante par notre législation actuelle : la personne prostituée. Le racolage actif est une infraction qui existe depuis fort longtemps dans notre droit et qui, jusqu'en 2003, était poursuivie au titre des contraventions de cinquième classe. En 2003, cette infraction a intégré le racolage passif et elle est devenue un délit. Je pense que nous serons tous d'accord pour considérer que le statut de la personne prostituée doit changer, que celle-ci ne doit plus être considérée comme une délinquante, même si l'intention n'était pas de la stigmatiser.
Soutenu par notre rapporteure, j'ai donc pris l'initiative de lier deux éléments : la responsabilisation du client et le changement de statut de la personne prostituée. Pour être effective, la responsabilisation du client doit comporter un aspect pénal : la pénalisation est vue comme un moyen et non comme un objectif. Quant au changement de statut de la personne prostituée, il pourrait être prévu à l'article 1er ter du texte. Il faudrait compléter et préciser cet article de manière à faire de la personne prostituée une victime protégée par la loi qui, si elle le souhaite, peut témoigner et apporter ainsi des informations utiles au démantèlement d'un réseau.
Cet accès à des informations était d'ailleurs l'objectif que nous poursuivions lorsque nous avons étendu le délit de racolage dans le cadre de la loi pour la sécurité intérieure adoptée en 2003. Lorsque Manuel Valls était ministre de l'intérieur, je lui avais fait part des propos que j'avais échangés avec le ministre de l'intérieur de 2003, Nicolas Sarkozy. Ce dernier ne considérait pas l'extension du délit de racolage comme un moyen de montrer du doigt la personne prostituée, en la déclarant coupable et en la punissant. En réponse à une demande des forces de l'ordre, il souhaitait créer un point d'entrée dans les réseaux, et nous avons fait l'erreur de penser que la personne prostituée pouvait jouer ce rôle. Le point d'entrée doit être le client, responsable de ses actes, la victime bénéficiant, quant à elle, d'une protection.
Voilà ce que nous comptons proposer pour répondre à des aspirations qui peuvent paraître contradictoires mais qui ne le sont plus : renforcer la protection de la victime pour mieux l'aider à sortir de la prostitution ; indiquer au client que le recours à la prostitution, c'est-à-dire à la marchandisation du corps humain, constitue une infraction considérée d'abord comme une contravention de cinquième classe, puis comme un délit en cas de récidive.
Les amendements qui nous permettent d'atteindre cet objectif sont cosignés par la rapporteure et votre serviteur. Ces éléments permettront de mieux comprendre le reste du dispositif qui résulte des amendements proposés par notre rapporteure. Nous devrions ainsi aboutir au texte équilibré auquel chacun aspire. Et tout cela me permet d'espérer un accord sur des bases responsables, équilibrées et raisonnables avec nos collègues du Sénat.
Merci à tous d'être intervenus sur le fond du dossier. Je ne répondrai pas sur tous les points soulevés car nous allons pouvoir étayer nos arguments respectifs au fil de l'examen des amendements.
Avant tout, je vous confirme que le président Guy Geoffroy et moi-même souhaitons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour aboutir à une proposition de loi qui puisse être également acceptée par le Sénat, et pour mettre ainsi un terme à la longue route de ce texte qui vise à lutter contre le système prostitutionnel.
Mon collègue Sergio Coronado a cité les associations qui, en 2013, nous avaient contactés pour s'élever contre la proposition de loi. Entre-temps, des chiffres sont tombés. Le cabinet d'experts Psytel, dont le sérieux ne peut être mis en cause, vient de publier une étude financée par la Commission européenne sur les coûts médicaux de la prostitution. Si l'on cite l'IGAS, il faut préciser que la prostitution coûte 86 millions d'euros à l'économie française, en hospitalisations, soins divers, médicaments, etc. Il faut aussi indiquer que le taux de suicide des personnes qui se prostituent est douze fois plus élevé que celui de la moyenne de la population.
Nous devons trouver des solutions et, jusqu'à preuve du contraire, nul n'en a trouvé de meilleures que celles que nous vous proposons.
La commission en vient à l'examen des articles.
Chapitre Ier Renforcement des moyens de lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle
Article 1er (art. 6 et 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique) : Renforcement de la lutte contre les réseaux de traite et de proxénétisme agissant sur Internet
La commission examine, en discussion commune, les amendements identiques CS8 de M.Sergio Coronado et CS11 de M.Lionel Tardy, les amendements identiques CS9 de M.Sergio Coronado et CS12 de M.Lionel Tardy, et l'amendement CS34 rectifié de la rapporteure.
Mon amendement CS8 vise, à l'instar de celui de mon collègue Lionel Tardy, à supprimer cet article et les deux dispositions qu'il contient.
La première disposition tend à étendre l'obligation faite aux hébergeurs et fournisseurs d'accès à internet (FAI) de mettre en place des dispositifs de signalement des contenus illicites ayant rapport à la traite et au proxénétisme. Il ne s'agit pas d'interdire ces contenus, qui peuvent déjà être bloqués, mais seulement d'instaurer une obligation spécifique pour les FAI et les hébergeurs.
Comme cela a été dit à plusieurs reprises et par différents experts, il est difficile pour un hébergeur, donc pour une entreprise, de décider de ce qui relève du licite ou de l'illicite, notamment en ce qui concerne des annonces dont tout le monde convient qu'elles peuvent être extrêmement ambiguës. Pour qui est attaché à l'intervention du juge judiciaire, il paraît erroné et inefficace de confier ce genre de responsabilité à une entreprise privée. Une autre voie devrait être désormais privilégiée : la saisine directe des services de police par les navigateurs ou le site lui-même. Cette voie est plus efficace et elle est privilégiée dans des domaines comme la lutte contre le terrorisme.
La deuxième disposition de l'article propose d'instaurer un blocage administratif des sites proposant un accès à la prostitution. Cette extension rapide du blocage administratif, alors que le dispositif actuel n'a pas encore été évalué, pose de nombreux problèmes comme, par exemple, l'impossibilité pour la personnalité qualifiée d'exiger le rétablissement d'un contenu abusivement supprimé. C'est la porte ouverte à de nombreux contentieux.
Depuis une quinzaine d'années, il a été prouvé que le blocage administratif présente une marge d'erreur extrêmement importante. À l'Assemblée nationale, un blocage administratif interdit l'accès à des sites qui fournissent de la pornographie. D'une part, on est incapable de donner la liste des sites bloqués. D'autre part, des sites d'information se sont retrouvés bloqués à de multiples reprises par ce filtrage informatique. Ce système n'est pas efficace, nous le savons. C'est ce qui avait conduit le Gouvernement à déposer un amendement de suppression de la proposition de Mme la rapporteure. Même si elle n'était pas totalement d'accord, Mme la rapporteure avait finalement admis la justesse de la position du Gouvernement.
L'amendement CS9 est un amendement de repli.
Tout comme Sergio Coronado, je persiste à penser qu'il faudrait supprimer cet article, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, sans être un spécialiste de la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains, je trouve surprenant d'aborder cette question sous l'angle de l'accès à internet. À mon avis, en matière d'exploitation sexuelle comme de terrorisme, la lutte doit commencer à la source.
Ensuite, cet article prévoit une extension du blocage des sites à laquelle je suis opposé.
Enfin, le premier alinéa de cet article a malheureusement été adopté conforme. Cet alinéa prévoit que des FAI puissent signaler certains sites en vue d'empêcher leur accès. Dans ce domaine comme dans d'autres, les intermédiaires n'ont pas à jouer le rôle d'une police d'Internet. Vous confiez à des acteurs privés une sorte de mission régalienne. Ils sont seuls à évaluer les contenus, sans en avoir les moyens bien souvent, ce qui pose un vrai problème. Pour se conformer à leurs obligations, ils risquent d'avoir une interprétation large et de signaler plus que de raison. Des contenus réellement dangereux vont alors être noyés dans la masse, au point de rendre le dispositif contre-productif. Les statistiques concernant la pédopornographie et l'incitation à la haine raciale montrent ainsi que les services ont une réelle difficulté à faire le tri : sur 12 000 signalements effectués en 2012, seulement 1 329 ont été transmis à la police et 3 970 à Interpol. Difficultés techniques, système contre-productif : voilà des arguments qui doivent vous inciter à supprimer la totalité de cet article 1er, comme le propose mon amendement CS11.
À défaut, mon amendement CS12 vise à supprimer son alinéa 2. À titre personnel, j'ai toujours été contre le blocage des sites à la demande d'une autorité administrative, sans recours à un juge. Le groupe Socialiste, républicain et citoyen s'y opposait également jusqu'à une époque très récente, mais l'alternance l'a fait changer d'avis, si j'en juge d'après le texte initial de la proposition de loi. Quand il était dans l'opposition, il avait demandé un moratoire sur cette question, ce qui était une bonne idée. En tout cas, il faudrait arrêter d'étendre ce dispositif par petites touches à tous les sujets, et préférer une approche globale qui débute par une réflexion sur l'absence du juge dans la procédure.
Si cet article était adopté en l'état, nous serions bien loin du moratoire : ce serait le troisième texte en moins d'un an à comprendre une telle extension. Ce n'est pas parce que le Gouvernement a étendu ce dispositif aux sites terroristes l'année dernière, contre l'avis du Conseil national du numérique, qu'il faut changer d'avis. Il faut à tout prix limiter les extensions de ce dispositif pour des raisons que nous invoquons depuis plusieurs années. Il existe un vrai risque de sur-blocage touchant, par exemple, des contenus scientifiques sur la prostitution. Le risque d'atteinte à la liberté d'expression existe bel et bien.
En première lecture, dans un éclair de lucidité, le Gouvernement a décidé de supprimer cet alinéa. Cette position est cohérente avec celle que le Parti socialiste a défendue quand il était dans l'opposition. Malheureusement, le Sénat a réintroduit le blocage administratif, contre l'avis du Gouvernement, d'où cet amendement.
Mon dernier argument porte sur la constitutionnalité de cette mesure. Si le Conseil constitutionnel a estimé qu'elle était acceptable, de façon exceptionnelle, pour lutter contre l'exploitation sexuelle des mineurs, rien n'indique que cette exception soit également valable pour le proxénétisme. Je ne vais pas développer davantage mais je tiens à votre disposition des extraits de la saisine du groupe Socialiste, républicain et citoyen, au moment de l'adoption de la loi du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, où les arguments contre le blocage administratif des sites sont très nombreux. Je vous laisse par exemple apprécier cette métaphore alors employée : « Vouloir bloquer les sites pédopornographiques en bloquant l'accès à Internet revient à vouloir bloquer des avions en plein ciel en dressant des barrages routiers au sol. » Je n'aurais pas dit mieux concernant le texte contre le proxénétisme.
L'amendement CS34 rectifié est rédactionnel. La version du Sénat comporte en effet une erreur de référence : l'article 225-4-1 du code pénal renvoie non pas au proxénétisme, comme le laisse entendre la rédaction actuelle, mais à la traite des êtres humains, tandis que les articles 225-5 et 225-6 du même code renvoient, eux, au proxénétisme et aux infractions assimilées à ce dernier.
S'agissant des amendements défendus par MM.Sergio Coronado et Lionel Tardy, je voudrais citer quelques chiffres tout à fait sérieux. Selon Eurostat, le nombre de victimes de la traite a augmenté de 18 % entre 2012 et 2013 au sein de l'Union européenne. Une note publiée le 28 mai dernier par la direction centrale de la police judiciaire confirme l'essor de la cyber-prostitution. Quant au service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée (SIRASCO), il indique que, sur cinquante réseaux transnationaux de prostitution démantelés en 2014, dix-neuf concernaient la prostitution par Internet. Par conséquent, il est plus qu'utile d'intervenir sur cette forme de prostitution : Internet devient le moyen de prise de rendez-vous le plus développé et le lieu d'organisation de ces cyber-tours que vous connaissez aussi bien que moi.
Cela étant, nous sommes bien conscients de l'efficacité limitée du blocage des sites. Il est possible de contourner un tel blocage et de créer un site miroir. Toutefois, il me semble excessif de dénier toute forme d'efficacité à ce dispositif : il peut réduire ponctuellement l'exposition de personnes qui accèdent fortuitement à ces contenus ; en revanche, il est moins efficace quand il s'agit d'empêcher une personne souhaitant se connecter à un site. En outre, lorsque le retrait du contenu litigieux est impossible, par exemple lorsque l'hébergeur se trouve dans un pays étranger et qu'il ne souhaite pas coopérer avec les FAI ou les autorités de notre pays, le blocage reste la seule solution. C'est pourquoi je me réjouis de la proposition faite par le Sénat.
Monsieur Coronado, nous avions effectivement accepté de retirer cet amendement lors de la première lecture, dans l'attente des conclusions d'un groupe de travail qui devait se pencher sur la question. Précisons que les décisions de l'autorité administrative pourront toujours être contestées devant un juge administratif et, le cas échéant, être annulées.
Pour toutes ces raisons, j'émets un avis défavorable aux amendements de MM.Sergio Coronado et Lionel Tardy.
Sans vouloir prolonger nos débats sur le sujet, je vous signale, madame la rapporteure, que votre amendement n'est pas tout à fait rédactionnel…
Autre remarque : puisque vous nous présentez des chiffres d'Eurostat, il serait intéressant de rappeler que la récolte des données sur la prostitution ne s'effectue pas sur les mêmes bases dans tous les pays européens. Au fichier sur la prostitution d'Eurostat, la France communique essentiellement des chiffres issus de l'arrestation de prostituées sans papiers ou concernant des victimes de la traite, ce qui fait flamber la place de ce groupe dans les données globales sur la traite à l'échelle européenne. Vous pourriez le rappeler par souci de transparence sur la manière dont les statistiques sont construites à l'échelle européenne. De même, lorsque vous citez l'étude de Psytel, vous pourriez aussi indiquer que c'est l'évasion fiscale qui coûte le plus cher au budget de l'État, et non pas les dépenses liées à la santé des victimes de la prostitution.
J'avais aussi deux demandes. Le blocage administratif de sites Internet suscite un vrai débat dans notre Commission mais aussi dans l'ensemble de la société. Serait-il possible, avant l'examen du texte en séance, d'auditionner la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ? Pourrions-nous aussi avoir les conclusions du groupe de travail auquel vous avez fait référence ? Cela me paraît nécessaire pour procéder à une réflexion éclairée sur cette question cruciale.
Pour ma part, je me réjouis de l'apport positif du Sénat concernant le blocage des sites, d'autant plus que le groupe de travail a confirmé qu'ils jouent un rôle primordial pour les clients de la prostitution. L'efficacité de ce dispositif, que nous avons aussi adopté en matière de lutte contre le terrorisme et la pédopornographie, n'est peut-être pas considérable et totale. Malgré ses limites, il constitue toutefois un signal qui peut dissuader certaines personnes. D'ailleurs, j'aurais souhaité que nous puissions aller plus loin : il serait logique de considérer que la consultation de ces sites est un délit, comme peut l'être celle de sites pédopornographiques. C'est pourquoi je suis opposé à la suppression de cet article.
Qu'on les applique à la prostitution, au proxénétisme ou à d'autres textes, ces technologies ne fonctionnent pas, alors même qu'elles ont un coût : en cas de blocage de sites, des indemnités doivent être versées au FAI. Comme l'a souligné la rapporteure, le dispositif peut fonctionner en cas d'accès fortuit. Nous avons rencontré les mêmes problèmes avec la loi dite Hadopi : la mère de famille va s'arrêter après avoir fait une erreur de téléchargement sur Internet ; l'habitué contournera facilement le dispositif en passant par des sites étrangers et des réseaux privés virtuels. C'est joli, ça fait bien, mais ça ne sert à rien.
La Commission rejette les amendements CS8 et CS11, puis les amendements CS9 et CS12.
Elle adopte l'amendement CS34 rectifié.
Puis elle adopte l'article 1er modifié.
Article 1er bis (art. L. 451-1 du code de l'action sociale et des familles) : Extension des formations sociales aux professionnels et personnels engagés dans la prévention de la prostitution
La Commission examine l'amendement CS35 de la rapporteure.
Cet amendement a pour objet de clarifier une disposition adoptée par le Sénat. Si les compléments apportés par les sénateurs sont justifiés sur le fond, il semble qu'il y ait une erreur d'interprétation quant à la portée de l'article L. 451-1 du code de l'action sociale et des familles. Ce dernier n'a pas vocation à dresser la liste des formations sociales dispensées mais à énumérer les catégories de personnels qui peuvent y avoir accès. Le présent amendement vise à faire bénéficier des formations sociales les professionnels et les personnels salariés et non salariés engagés dans la prévention de la prostitution et l'identification des situations de prostitution, de proxénétisme et de traite des êtres humains.
La Commission adopte l'amendement CS35, et l'article 1er bis est ainsi rédigé.
Article 1er ter A (supprimé) : Domiciliation des personnes prostituées
La Commission est saisie de l'amendement CS3 de M.Sergio Coronado.
Le Sénat a supprimé une disposition, adoptée en première lecture, qui permettait aux personnes prostituées d'avoir une adresse administrative chez leur avocat ou dans une association. Ce problème de la domiciliation – que nous avons aussi rencontré dans le cadre de la réforme pénale pour les prisonniers libérés – doit être résolu. L'absence d'adresse représente un véritable obstacle aux démarches administratives, et elle empêche la personne de faire valoir ses droits et d'avoir accès aux aides sociales.
Dans le cadre actuel de la loi, les avocats ou les associations qui domicilient une personne prostituée, dans un but purement administratif, prennent le risque d'être considérés comme des proxénètes. Rappelons que la domiciliation des personnes prostituées auprès de leur avocat ou d'une association était contenue dans la proposition n° 8 du rapport d'information sur la prostitution en France, déposé en avril 2011. Elle faisait aussi partie des mesures du Plan d'action national contre la traite des êtres humains 2011-2013.
C'est pourquoi je souhaite rétablir cet article supprimé par le Sénat.
Je suis défavorable à cet amendement car la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (la loi « ALUR ») permet à tous les publics fragiles d'élire domicile auprès d'organismes habilités comme des associations ou les centres communaux d'action sociale (CCAS). Citer spécifiquement les personnes prostituées aurait pour effet de les stigmatiser.
La Commission rejette l'amendement.
L'article 1er ter A demeure supprimé.
Article 1er ter (art. 706-34-1 [nouveau] du code de procédure pénale) : Protection des personnes victimes de la traite des êtres humains, du proxénétisme ou de la prostitution
La Commission est saisie de l'amendement CS27 de la rapporteure et de M. Guy Geoffroy.
Le présent amendement apporte une clarification rédactionnelle à l'article 1er ter qui tend à mieux protéger les victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme.
Cette protection est la contrepartie nécessaire à la création d'une infraction de recours à la prostitution, prévue aux articles 16 et 17, et à l'abrogation du délit de racolage prévue à l'article 13. Il s'agit de permettre aux forces de l'ordre d'entendre, dans le cadre de la poursuite d'infractions liées à la traite des êtres humains et au proxénétisme, les personnes prostituées victimes de ces infractions qui souhaitent témoigner librement et qui sont en capacité de le faire. Les forces de l'ordre pourront ainsi bénéficier de leur concours pour démanteler des réseaux.
Le président Geoffroy a bien expliqué, dans son propos liminaire, l'intérêt de faire figurer de manière extrêmement claire ces mesures de protection qui pourront être adaptées au cas par cas. Les victimes d'infractions liées à la traite des êtres humains et au proxénétisme pourront notamment déclarer comme domicile l'adresse du commissariat, de la brigade de gendarmerie, de leur avocat ou d'une association. Elles pourront aussi témoigner sans que leur identité n'apparaisse dans la procédure.
Monsieur le président, j'approuve votre volonté d'aboutir à un texte qui, tout en préservant nos grands principes, permettrait de recueillir l'assentiment du Sénat. Mais, à la lecture de l'exposé des motifs de cet amendement, je me demande s'il s'agit d'accorder le statut de témoin assisté aux personnes victimes du système prostitutionnel. Si c'est le cas, je suis assez dubitative : les témoins assistés sont des personnes dont on pense qu'elles ont peut-être commis des actes répréhensibles.
L'exposé des motifs est tout à fait clair : il ne s'agit pas de témoins assistés. Il s'agit de victimes protégées que les forces de l'ordre pourront entendre afin d'obtenir des informations qui pourraient servir à identifier des proxénètes, à mettre à jour des réseaux et des filières de prostitution.
Ce point est fondamental dans l'élaboration d'un ensemble d'éléments qui vont dans le même sens et qui répondent à toutes nos ambitions.
Nous ne voulons surtout pas nous référer à la notion de témoin assisté. Quand une personne est entendue comme témoin assisté, c'est que les charges sont insuffisantes pour qu'elle soit mise en examen, mais qu'elle pourrait être sur le chemin d'une incrimination pénale, ce qui n'est absolument pas le cas des victimes dont il est question dans ce texte.
Nous avions envisagé d'utiliser la notion de témoin protégé, mais nous y avons renoncé car elle correspond au statut des repentis qui, comme leur nom l'indique, sont des personnes qui ont commis des infractions. Nous ne pouvons donc pas employer cette notion pour des victimes, si nous ne voulons pas créer une catégorie ambiguë qui conduirait vraisemblablement à des difficultés d'appréciation.
Nos débats en feront foi : en tant que législateur, nous considérons la personne prostituée comme une victime qu'il faut protéger au maximum afin qu'elle puisse s'exprimer librement en tant que témoin et apporter ainsi des informations qui pourraient être utiles aux enquêtes visant les proxénètes et les réseaux de prostitution. C'est une victime appelée à témoigner dans le cadre d'une enquête menée à partir de l'infraction pénale commise par le client, et à laquelle on accorde le maximum de protection.
L'amendement n'a pas pour objet l'audition de prostituées, enjeu déjà traité par la loi, mais leur domiciliation : au dispositif très souple que j'ai proposé – la domiciliation des prostituées qui témoignent soit auprès de leur avocat, soit auprès d'une association –, vous avez préféré un dispositif très contraignant au centre duquel se trouve la police, sous prétexte de mener à bien des enquêtes et de protéger les victimes. J'ignore quelle sera l'attitude des principales personnes concernées, lorsqu'elles apprendront qu'elles doivent se domicilier au commissariat, sachant qu'elles ont déjà aujourd'hui beaucoup de mal à faire enregistrer leurs plaintes, à faire en sorte que les policiers se déplacent et à être prises au sérieux par ces derniers.
Nous ne faisons qu'élargir les possibilités offertes, qui incluent celle de se domicilier auprès d'une association ou de son avocat.
Il est vrai que l'amendement en lui-même ne porte pas sur ce que j'ai indiqué tout à l'heure. Si j'ai tenu à vous fournir ces explications, c'est pour faire apparaître le sens que nous voulons donner à cet article 1er ter : nous souhaitons instaurer un nouvel équilibre faisant du client le coupable d'une infraction pénale et de la prostituée une victime potentielle de la traite des êtres humains ou du proxénétisme, alors que c'est l'inverse à l'heure actuelle.
Si je vous comprends bien, vous proposez de rétablir les dispositions supprimées par le Sénat à cet article, permettant aux victimes de témoigner sans que leur identité apparaisse dans la procédure ou de bénéficier de mesures destinées à assurer leur protection, leur insertion et leur sécurité et de faire usage d'une identité d'emprunt.
Non, nous maintenons l'article 1er ter tout en élargissant les moyens de protéger les personnes prostituées.
Nous ne modifions guère l'article issu du Sénat. Il s'agit plutôt d'un amendement rédactionnel.
Dans ce débat, peut-être allons-nous trouver un point d'équilibre, car certains d'entre nous, dont moi-même, étaient favorables au maintien du délit de racolage. Pour avoir suivi l'application de cette disposition à Paris, nous considérions, en effet, que ce n'était pas en premier lieu un outil de répression, mais, bien souvent, un moyen d'établir un premier contact, d'identifier ainsi des réseaux et surtout d'inciter les femmes prostituées à faire un premier pas vers la sortie de la prostitution.
Si ce délit est abrogé, il n'est pas inopportun d'instaurer au profit de ces dernières un statut particulier – qui n'est pas un statut de repenti puisque l'on considère les personnes prostituées comme des victimes et non comme des délinquantes – permettant à la police comme à d'autres administrations d'établir un contact avec celles-ci. Cette solution me paraît de nature à satisfaire les services de police qui luttent contre les réseaux de proxénétisme, mais aussi ceux qui, comme nous tous au sein de cette commission, considèrent les prostituées comme des victimes.
La Commission adopte l'amendement CS27.
Puis elle adopte l'article 1er ter modifié.
Article 1er quater (supprimé) : Rapport annuel du Gouvernement au Parlement sur les actions de coopération internationale et européenne pour la lutte contre les réseaux de traite et de proxénétisme et l'impact de la loi sur la prostitution dans les zones transfrontalières
L'article 1er quater demeure supprimé.
Article 1er quinquies (nouveau) (art. L. 8112-2 du code du travail) : Extension du champ de compétence des inspecteurs du travail à la constatation des infractions de traite des êtres humains
La Commission adopte l'article 1er quinquies sans modification.
Chapitre II Protection des victimes de la prostitution et création d'un projet d'insertion sociale et professionnelle
Avant l'article 2
La Commission est saisie de l'amendement CS36 de la rapporteure.
Cet amendement a pour objet de modifier l'intitulé du chapitre II tel qu'issu du Sénat afin d'y réintroduire la notion de « parcours de sortie de la prostitution ». Plutôt que d'adopter le terme vague de « projet », il semble préférable de conserver la notion de parcours, fait d'étapes successives permettant de rompre avec l'activité prostitutionnelle.
La Commission adopte l'amendement et le chapitre II est ainsi modifié.
Section 1 Dispositions relatives à l'accompagnement des victimes de la prostitution
Article 3 (art. L. 121-9 et L. 121-10 du code de l'action sociale et des familles ; art. 42 et 121 de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure) : Création d'un parcours de sortie de la prostitution et codification d'une disposition de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure
La Commission examine l'amendement CS37 de la rapporteure.
Cet amendement a pour objet de préciser que les services de police et de gendarmerie seront représentés au sein de l'instance départementale chargée d'organiser et de coordonner l'action en faveur des victimes de la prostitution, du proxénétisme et de la traite des êtres humains. Il importe que ces services soient pleinement impliqués dans cet organisme, au regard de notre objectif de lutte contre les réseaux d'exploitation sexuelle.
Mme la rapporteure pourrait-elle expliciter cet amendement, dans la mesure où telle n'était pas sa position en première lecture ? La distinction entre la lutte contre le proxénétisme et la lutte contre la traite des êtres humains était auparavant bien établie dans le texte. Je ne vois pas en quoi la présence de policiers et de gendarmes aux côtés d'associations et de magistrats dans une instance visant à accompagner sur le plan social et sanitaire les victimes de la traite des êtres humains ou de la prostitution serait efficace, pertinente et utile.
Je ne comprends pas du tout l'interrogation de notre collègue, car plus on associe les forces de police ou de gendarmerie – selon les zones concernées – à l'accompagnement des victimes que sont les personnes prostituées, plus cela contribuera à la prise de conscience que nous voulons susciter. Il ne faut pas avoir peur des forces de police et de gendarmerie, bien au contraire ! Leur présence ne peut qu'être bénéfique, comme le montre l'exemple des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD).
J'ajoute que, dans de nombreux commissariats et postes de police, il existe désormais des cellules d'accueil de ces victimes. Pour en avoir installé une il y a peu dans ma commune, je puis vous affirmer que cela est très efficace et que policiers comme gendarmes sont particulièrement coopératifs, contribuant ainsi à améliorer notre compréhension des problèmes de ces victimes.
Au risque de chagriner M.Coronado, j'aurais même ajouté, pour ma part, la police municipale ! Madame la rapporteure, votre amendement vise-t-il bien à ce que soient présents en nombre égal représentants de l'État, élus et magistrats ?
Nous souhaitons aussi, grâce à ces commissions, faire évoluer le regard qui est porté sur les personnes prostituées. Il faut que tout le monde se persuade qu'elles ne sont pas des délinquantes mais des victimes.
Je précise à l'attention de notre collègue Sergio Coronado que ce sont en général des femmes gendarmes qui accueillent désormais les femmes prostituées et les femmes battues. Et lorsque l'on interroge ces femmes gendarmes, elles nous assurent que ces victimes se confient plus facilement à une femme qu'à un homme, ce qui paraît naturel.
La Commission adopte l'amendement CS37.
Puis elle adopte successivement l'amendement rédactionnel CS38, l'amendement de précision CS40 et l'amendement rédactionnel CS39 de la rapporteure.
Elle en vient à l'amendement CS41 de la rapporteure.
Cet amendement a pour objet de préciser que l'entrée dans le « parcours de sortie de la prostitution » n'est pas automatique, mais subordonnée à un engagement de la personne concernée.
Une rechute est celle censée conduire le représentant de l'État à exclure de ce dispositif celles qui auraient « trahi » leur engagement ?
Les modalités de ce parcours seront précisées par décret. Des dispositions ultérieures prévoient effectivement que les personnes concernées ne peuvent bénéficier du dispositif que si elles restent dans ce parcours.
Je pose la question car on voit mal comment ces personnes en difficulté pourraient sortir de la prostitution tant qu'elles restent privées de carte de séjour. Même si ce n'est pas explicite dans le texte, la philosophie générale de ce dernier repose sur l'idée que l'engagement de cesser cette activité doit être définitif et qu'aucun accident de parcours n'est toléré.
La création de commissions ad hoc permettra d'estimer les difficultés propres à chaque personne. Il n'est pas question de préciser dans le texte qu'une personne qui aurait rechuté sera exclue du dispositif, mais l'objectif est bien de faire en sorte que les personnes concernées sortent de la prostitution.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle adopte l'amendement rédactionnel CS42 de la rapporteure.
Elle examine ensuite l'amendement CS43 de la rapporteure.
Il s'agit de spécifier que les associations qui aident et accompagnent les personnes prostituées peuvent toutes être habilitées à le faire, même si leurs statuts ne précisent pas que tel est leur objet.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle adopte l'amendement rédactionnel CS44 de la rapporteure.
Elle examine ensuite l'amendement CS20 de M.Sergio Coronado.
Les travailleurs du sexe étant placés dans une situation souvent très stigmatisante, mon amendement vise à protéger l'anonymat de ces personnes, notamment lorsqu'elles sont susceptibles d'être citées dans des articles de presse.
Je m'interroge quant à l'opportunité de faire figurer cette disposition à l'article 35 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Ce dernier traite en effet des cas dans lesquels sont interdites et sanctionnées la diffusion d'une image ou la réalisation ou la publication d'un sondage d'opinion portant sur la culpabilité d'une personne mise en cause à l'occasion d'une procédure pénale. Or, il n'est pas question d'une telle procédure dans votre amendement, qui pourrait donc remettre en cause la cohérence de ce dispositif. Je rappelle que les personnes s'engageant dans un « parcours de sortie de la prostitution » ne seront pas nécessairement engagées en parallèle dans une procédure judiciaire. Je vous suggère donc de retirer cet amendement.
Je comprends l'argument, mais je le maintiens, compte tenu de l'importance du sujet. Nous verrons en séance si cette disposition peut être introduite à un meilleur endroit.
La Commission rejette l'amendement CS20.
Puis elle adopte l'article 3 modifié.
Article 3 bis (nouveau) (art. L. 441-1 du code de la construction et de l'habitation) : Extension de la liste des publics prioritaires pour l'attribution de logements sociaux
La Commission adopte successivement les amendements de coordination CS45 et CS46 de la rapporteure.
Puis elle adopte l'article 3 bis modifié.
Article 4 : Création d'un fonds pour la prévention de la prostitution et l'accompagnement des personnes prostituées
La Commission adopte l'article 4 sans modification.
Article 6 (art. L. 316-1, L. 316-1-1 [nouveau] et L. 316-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) : Admission au séjour des étrangers victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme
La Commission examine l'amendement CS4 de M.Sergio Coronado.
Il n'y a pas lieu, concernant la délivrance d'une carte de séjour temporaire, d'instaurer un traitement différent à l'égard des victimes qui ont déposé plainte contre les réseaux et qui continuent l'activité de prostitution, et celles qui l'ont cessée.
Dans son étude sur la traite et l'exploitation des êtres humains en France, rendue en octobre 2010, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) recommande qu'un titre de séjour temporaire soit remis de plein droit et sans condition à toute victime de traite ou d'exploitation, sans condition. Notre rapporteure et notre président insistant tous deux sur le fait que les intéressées sont des victimes, et non des personnes exerçant une activité librement consentie, il me paraît étrange de distinguer, pour l'obtention d'un titre de séjour, celles qui ont réussi à arrêter la prostitution et celles qui n'ont pu le faire. Je ne crois pas, par ailleurs, que l'argument selon lequel adopter cet amendement créerait un « appel d'air » puisse constituer votre objection principale.
Il est arrivé que des préfectures exigent des victimes d'exploitation sexuelle qu'elles aient effectivement cessé de se prostituer pour leur délivrer un titre de séjour. Il est donc nécessaire d'exclure clairement cette exigence. La délivrance de papiers n'étant pas automatique, l'administration doit garder la possibilité de délivrer des papiers aux prostituées qui se sentiraient menacées.
Votre amendement me semble contraire au but poursuivi par la proposition de loi : inciter les prostituées à sortir de la prostitution. Son adoption, qui plus est, serait un mauvais signal. La délivrance d'une carte de séjour temporaire aux victimes doit rester subordonnée à la rupture par celles-ci de tout lien avec les auteurs de l'infraction dénoncée, comme c'est le cas actuellement. C'est pourquoi j'émets un avis défavorable, et plaide au contraire pour que cette condition soit inscrite explicitement, comme y tendra, tout à l'heure, mon amendement CS48.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CS5 de M.Sergio Coronado.
Cet amendement concerne également la délivrance de titres de séjour à l'issue de la procédure pénale.
À la suite de l'adoption par le Sénat d'un amendement du groupe écologiste à la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, une carte de résident est délivrée de plein droit à tout étranger qui dépose plainte ou témoigne, en cas de condamnation définitive de la personne mise en cause.
Toutefois, cette rédaction ne tient pas compte du fait que, pour des raisons très diverses, de nombreuses procédures sont classées sans suite ou annulées. Il s'agit ici de sécuriser le parcours des personnes ayant déposé plainte ou témoigné en permettant qu'une carte de résident soit délivrée en cas d'échec de la procédure judiciaire, sans toutefois que ce soit automatique.
Avis défavorable. Une telle disposition créerait une discrimination à l'encontre d'autres catégories de personnes étrangères qui ne peuvent se voir délivrer une carte de résident qu'après cinq années de séjour régulier. En outre, la loi du 4 août 2014 a déjà marqué un progrès.
Cette loi dispose que, lorsqu'une procédure est engagée au profit de femmes étrangères victimes de violences, ces dernières peuvent bénéficier d'une carte de résident. Cette disposition s'applique-t-elle aux personnes prostituées ?
Il importe effectivement d'agir en cohérence avec la loi de 2014, et je serais prêt pour cette raison à voter l'amendement, mais je reconnais le risque d'appel d'air.
La loi du 4 août 2014 prévoit la délivrance de cartes de résident aux victimes de la traite d'êtres humains ou de proxénétisme en cas de condamnation définitive. En levant cette condition et en ne fixant aucune durée minimale de séjour, nous créerions une discrimination envers les autres catégories d'étrangers : un parent d'enfant français, par exemple, peut se voir délivrer une carte au bout de trois ans, un conjoint d'un Français après trois ans de mariage. Je rappelle également que tout étranger victime de violences conjugales bénéficiant d'une ordonnance de protection peut obtenir une carte de résident uniquement en cas de condamnation définitive du conjoint.
Nous parlons ici de victimes de la traite et de l'exploitation des réseaux internationaux qui prennent la décision de s'affranchir d'organisations parfois très violentes, susceptibles de s'en prendre non seulement à elles, mais également à leurs familles à l'étranger. En prenant un tel risque, ces victimes ne démontrent-elles pas, quelle que soit l'issue de la procédure judiciaire, leur volonté de sortir de l'activité prostitutionnelle ? On ne peut leur faire porter la responsabilité d'un éventuel échec de la procédure judiciaire.
Les magistrats de la Cour nationale du droit d'asile nous ont dit avoir dû, un jour, ordonner le huis clos après s'être aperçus de la présence en salle d'audience, derrière la personne demandant l'asile, de ses proxénètes. Une fois ces derniers sortis, la personne a pu témoigner qu'elle était venue contrainte et forcée par eux ! Ne sous-estimons pas l'habileté des réseaux à détourner les textes, et ne votons pas cet amendement.
La loi en vigueur dispose déjà que, en cas de condamnation définitive de son agresseur, une femme victime de violences peut obtenir un titre de séjour. Or, notre collègue Sergio Coronado propose non seulement qu'un simple dépôt de plainte suffise dans le cas des victimes de la traite ou du proxénétisme, mais que la délivrance du titre de séjour soit automatique en cas de condamnation définitive de l'auteur de l'infraction. Il serait intéressant d'approfondir la question d'ici à l'examen du texte en séance publique, mais, si nous voulons protéger les victimes dans tous les cas de figure, nous ne devons pas pour autant être naïfs : nous remettrions en cause l'efficacité de notre dispositif en créant un appel d'air au profit des réseaux de proxénétisme.
J'entends bien l'argument, monsieur le président, mais si, par malheur, des réseaux forçaient des femmes à porter plainte dans le but d'obtenir des titres de séjour, ces titres ne seraient pas, en tout état de cause, délivrés à vie, et les autorités auraient toujours la faculté de les retirer à leurs bénéficiaires. Notre collègue demande seulement qu'une carte de résident puisse être délivrée aux prostituées étrangères qui, en portant plainte, ont pris un risque important, et qu'elle ne le soit de plein droit qu'en cas de condamnation définitive des personnes dénoncées.
Je partage votre analyse, mais aucun parallélisme ne peut être établi avec le droit actuellement applicable aux victimes de violences conjugales. Pour celles-ci, le simple fait de porter plainte ne suffit pas pour obtenir la délivrance de papiers. Cela étant, la question posée par notre collègue ne manque pas de pertinence, et je souhaite que nous y réfléchissions d'ici à la séance publique.
Comme il a été rappelé, c'est le préfet qui autorisera l'enclenchement d'un parcours de sortie de la prostitution et qui décidera d'octroyer ou non une carte de séjour temporaire aux personnes concernées. Mon amendement vise simplement à permettre à toutes les victimes, indépendamment de l'issue de la procédure pénale, de bénéficier d'une égale protection. Ma position, en première lecture comme aujourd'hui, est équilibrée et non laxiste comme certains semblent le sous-entendre.
Je vous en donne acte. Imaginons cependant que, à l'issue de la procédure pénale, la personne mise en cause soit relaxée : serait-il normal que celle qui a porté plainte obtienne un titre de séjour ?
La Commission rejette l'amendement CS5.
Puis elle aborde l'amendement CS47 de la rapporteure.
Je propose que l'autorisation provisoire de séjour accordée aux victimes de la traite d'êtres humains ou de proxénétisme soit délivrée pour six mois au lieu d'un an. Il importe en effet que le titre de séjour accordé soit plus attractif lorsque ces victimes dénoncent et aident à démanteler des réseaux que celui accordé aux personnes qui se contentent de se déclarer victimes de ces derniers.
L'article 6 vise les personnes engagées dans un projet d'insertion sociale et professionnelle. Je ne vois donc pas pourquoi vous proposez de ramener la durée de leur carte de séjour d'un an à six mois.
Nous souhaitons que le dispositif soit plus incitatif pour la participation au démantèlement de réseaux.
Compte tenu des procédures nécessaires au renouvellement d'une carte de séjour, les préfectures risquent d'être débordées si la durée de validité de cette carte est limitée à six mois.
Mme Buffet a raison : ces personnes passeront les six mois à fournir les différents documents nécessaires au renouvellement de leur carte, sachant que les délais d'attente sont aujourd'hui de quatre mois pour en obtenir une.
Je ne comprends pas la distinction que vous établissez, madame la rapporteure, entre les démarches des victimes qui sont couronnées de succès et celles qui ne permettent pas de démanteler un réseau, car une personne qui décide de s'affranchir d'un réseau de proxénétisme ou de traite des êtres humains prend un risque qui ne peut être évalué à l'aune d'éléments indépendants de cet acte même. La valeur d'un témoignage n'est pas liée à la capacité des enquêteurs qui le recueillent à mener à bien leurs investigations et à faire condamner in fine les donneurs d'ordres.
Le principe que nous avons retenu, dès la première lecture, est que les personnes qui s'engagent dans un parcours de sortie de la prostitution ont droit à une carte de séjour de six mois renouvelables. La commission chargée de statuer sur ce parcours doit aussi pouvoir évaluer au bout de ces six mois l'engagement de ces personnes.
Il convient de distinguer deux notions complémentaires. La première est l'intention manifeste et vérifiée de s'engager dans un parcours de sortie de la prostitution. Elle n'est pas forcément synonyme de dénonciation d'un réseau de prostitution. Cette dénonciation, inversement, implique bien la volonté de s'engager dans un tel parcours. C'est pourquoi notre rapporteure propose que la durée de validité de la carte de séjour délivrée soit plus longue dans le second cas que dans le premier.
On aurait pu établir cette distinction autrement. Six mois, c'est peu pour qui connaît la procédure à suivre pour obtenir ou renouveler une carte de résident : il faut parfois attendre un an pour obtenir un rendez-vous en préfecture.
La carte pourra être renouvelée pendant toute la durée du parcours de sortie de la prostitution.
Pour que la durée initiale de la carte de séjour soit réellement attractive, il faut que la personne étrangère qui sort d'un réseau de proxénétisme se sente sécurisée. Or, elle ne le sera que si on lui offre un délai suffisant pour s'installer avec un projet professionnel. Il me paraît donc préférable de maintenir le texte initial. Quand on sait quels sont les délais nécessaires et les documents requis par les services des étrangers, quelles que soient les préfectures et les régions de France, il paraît contraire à la philosophie de ce texte de ramener d'un an à six mois la durée de la carte de séjour qui sera délivrée aux personnes s'engageant dans un parcours de sortie de la prostitution. On risque, en adoptant cet amendement, de fragiliser le processus.
Je rappelle que l'Assemblée nationale avait voté, en première lecture, en faveur d'un titre de séjour d'une durée de six mois et que c'est le Sénat qui a porté cette durée à douze mois. Notre rapporteure ne propose donc qu'un rétablissement du texte que nous avions voté initialement.
Je ne suis favorable ni à cet amendement, ni à l'amendement CS49 qui suit, et qui aggrave encore davantage la situation en remettant en cause l'automaticité de la délivrance par le préfet.
Il s'agit aussi de rétablir le texte que nous avions voté en décembre 2013 en accord avec le Gouvernement.
La Commission rejette l'amendement CS47.
Elle rejette également l'amendement CS49 de la rapporteure.
Puis elle examine l'amendement CS48 de la rapporteure.
Il s'agit de subordonner la délivrance de l'autorisation provisoire de séjour à la cessation de l'activité de prostitution.
Cette disposition figurait dans la rédaction de l'article 6 que nous avions votée en première lecture.
La Commission adopte l'amendement.
Elle adopte ensuite l'amendement de cohérence CS50 de la rapporteure.
Puis elle adopte l'article 6 modifié.
Article 8 (art. L. 851-1 du code de la sécurité sociale) : Extension de l'allocation de logement temporaire aux associations agréées pour l'accompagnement des victimes de la prostitution
La Commission adopte l'amendement CS51 de coordination de la rapporteure.
Puis elle adopte l'article 8 modifié.
Article 9 (art. L. 345-1 du code de l'action sociale et des familles) : Extension aux victimes du proxénétisme et de la prostitution de l'accueil en centres d'hébergement et de réinsertion sociale dans des conditions sécurisantes
La Commission adopte l'article 9 sans modification.
Article 9 bis (supprimé) (art. 222-3, 222-8, 222-10, 222-12 et 222-13, 222-24 et 222-28 du code pénal) : Aggravation des sanctions à l'encontre des personnes ayant commis des faits de violence à l'encontre de prostituées
La Commission est saisie de l'amendement CS28 de la rapporteure.
Cet amendement vise à rétablir, dans sa rédaction issue du texte adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, l'article 9 bis, qui aggrave les sanctions applicables aux personnes ayant commis des faits de violence à l'encontre de prostituées.
Je constate qu'à chaque texte de loi, on modifie l'échelle des peines applicables. Comme le souligne la garde des Sceaux, il conviendrait de revoir l'ensemble des incriminations et des peines. En supprimant cet article, le Sénat ne souhaitait nullement nier ces violences mais il ne trouvait pas pertinent d'alourdir les peines qui pourraient être prononcées contre leurs auteurs – et qui existent déjà dans le code pénal.
La Commission adopte l'amendement.
L'article 9 bis est ainsi rétabli.
Article 11 (art. 2-22 du code de procédure pénale) : Admission des associations dont l'objet est la lutte contre le proxénétisme, la traite des êtres humains et l'action sociale en faveur des personnes prostituées, à exercer les droits reconnus à la partie civile
La Commission aborde l'amendement CS29 de la rapporteure.
Cet amendement vise à rétablir l'alinéa disposant que les associations d'utilité publique qui interviennent auprès des personnes en danger de prostitution puissent exercer les droits de la partie civile sans l'accord de la victime.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle adopte l'article 11 modifié.
Section 2 Dispositions portant transposition de l'article 8 de la directive 201136UE du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002629JAI du Conseil
Article 13 (supprimé) (art. 225-10-1 du code pénal) : Transposition de la directive européenne du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et abrogation, en conséquence, de l'article 225 10 1 du code pénal relatif au délit de racolage
La Commission est saisie des amendements identiques CS30 de la rapporteure, CS1 de M.Sergio Coronado, CS17 de Mme Pascale Crozon, CS18 de Mme Marie-George Buffet et CS23 de Mme Éva Sas, tendant à rétablir l'article.
Il s'agit de rétablir l'abrogation de l'article L. 225-10-1 du code pénal relatif au délit de racolage.
C'est le changement de majorité au Sénat qui a conduit à un changement de position de sa part en séance publique. Sa commission spéciale avait en effet voté, à une très nette majorité, sur proposition d'Esther Benbassa, l'abrogation du délit de racolage, qui a entraîné, depuis 2009, la mise en garde à vue de 1 600 personnes par an, donnant lieu au demeurant à un très faible nombre de condamnations. Ce délit fut instauré au motif, alors soutenu de bonne foi par M.Geoffroy, que cette mesure favoriserait la lutte contre le proxénétisme et les réseaux de traite des êtres humains. On ne peut pas dire que depuis cette disposition ait montré toute son efficacité : le bilan est pour le moins nuancé.
J'ai fait partie de ceux, assez rares au sein de mon groupe, qui ont, au contraire, affirmé que les dispositions européennes que nous avions transposées nous plaçaient dans l'impossibilité légale d'incriminer pénalement une victime de la traite des êtres humains. Ma position a toujours été en faveur de la suppression de ce délit, même s'il m'est arrivé de regretter que, par ce biais, certains proxénètes puissent échapper aux poursuites, cette suppression empêchant la police, la gendarmerie et la justice de recueillir certaines informations. C'est pourquoi nous avons proposé que le nouveau dispositif repose sur la distinction entre le client coupable d'une infraction pénale et la personne prostituée, victime de la traite des êtres humains que nous protégeons. Cette dernière peut apporter des informations que l'on espérait auparavant obtenir grâce à son incrimination pénale. Telle est la position que j'ai toujours défendue.
La disposition adoptée par le Sénat est contraire à l'équilibre du texte et à notre volonté globale. Cette posture va à l'encontre du large consensus de l'ensemble des acteurs concernés et notamment des associations travaillant sur la question de la prostitution. Il faut donc absolument supprimer ce délit.
La Commission adopte les amendements.
L'article 13 est ainsi rétabli.
Article 14 (supprimé) (art. 225-20 et 225-25 du code pénal ; art. 398-1 du code de procédure pénale) : Coordinations dans le code pénal et le code de procédure pénale liées à l'abrogation du délit de racolage
La Commission examine les amendements identiques CS31 de la rapporteure, CS2 de M.Sergio Coronado, CS14 de Mme Pascale Crozon, CS19 de Mme Marie-George Buffet et CS24 de Mme Éva Sas.
La Commission adopte les amendements.
En conséquence, l'article 14 est ainsi rétabli.
Chapitre II bis Prévention et accompagnement vers les soins des personnes prostituées pour une prise en charge globale
Article 14 ter (art. L. 1181-1 [nouveau] du code de la santé publique) : Mise en oeuvre de la politique de réduction des risques en direction des personnes prostituées
La Commission adopte l'article 14 ter sans modification.
Chapitre III Prévention des pratiques prostitutionnelles et du recours à la prostitution
Article 15 (art. L. 312-17-1-1 [nouveau] du code de l'éducation) : Ajout de l'information sur les réalités de la prostitution et les dangers de la marchandisation du corps parmi les thématiques relevant de l'éducation à la santé et à la sexualité
La Commission examine en discussion commune les amendements CS59 de la rapporteure et CS10 de M.Sergio Coronado.
L'amendement CS59 prévoit que l'information qui sera dispensée dans les collèges et les lycées portera sur les réalités de la prostitution mais aussi sur les dangers de la marchandisation du corps, tandis que le Sénat a préféré viser les « enjeux liés aux représentations sociales du corps humain ». D'autre part, il vise à permettre aux établissements scolaires de s'associer, pour dispenser cette information, avec des associations de défense des droits des femmes et promouvant l'égalité entre les femmes et les hommes.
L'amendement CS10 tend à élargir cette information aux centres de formation d'apprentis (CFA). Par ailleurs, la notion de « groupes d'âge homogène » me semble floue et contrevient aux expériences pédagogiques menées dans certains établissements. Il convient parfois de laisser de la liberté aux enseignants.
Si l'on adopte mon amendement, le vôtre deviendra sans objet, mais l'idée d'inclure les CFA me semble intéressante.
Je propose à Mme la rapporteure de rectifier son amendement en substituant aux mots « dans les collèges et les lycées » les mots « dans les établissements secondaires ». Cela permettra d'intégrer au dispositif les CFA et tous les autres établissements.
La Commission adopte l'amendement CS59 ainsi rectifié.
En conséquence, l'amendement CS10 devient sans objet.
Puis la Commission adopte l'article 15 modifié.
Article 15 bis A (supprimé) (art. L. 312-17-1 du code de l'éducation) : Ajout de l'information sur les réalités de la prostitution aux thématiques relevant de l'éducation à la santé et à la sexualité
L'article 15 bis A demeure supprimé.
Article 15 bis (art. L. 312-16 du code de l'éducation) : Amélioration de l'information et de l'éducation à la sexualité
La Commission adopte l'article 15 bis sans modification.
Chapitre IV Interdiction de l'achat d'un acte sexuel
Article 16 (supprimé) (art. 225-12-1, 225-12-2 et 225-12-3 du code pénal ; art. L. 421-3 du code de l'action sociale et des familles) : Création d'une infraction de recours à la prostitution punie de la peine d'amende prévue pour les contraventions de cinquième classe
La Commission examine les amendements identiques CS32 de la rapporteure et de M. Guy Geoffroy, CS15 de Mme Pascale Crozon, CS21 rectifié de Mme Marie-George Buffet et CS25 de Mme Éva Sas.
L'article 16 qui tend à la responsabilisation du client de prostituées a été supprimé par le Sénat. La rapporteure et moi-même avons donc déposé un amendement rétablissant cet article.
Il est très important de rétablir ce second pilier de notre politique : la responsabilisation des clients. Pour nous, les coupables sont, bien sûr, les proxénètes et les réseaux qui tirent profit de la misère. Mais les clients doivent aussi prendre pleinement conscience de leur responsabilité dans la situation que vivent les personnes prostituées, car il n'y a pas de prostitution sans client. On ne peut plus accepter que certains paient pour disposer du corps d'autrui : ce n'est notre conception ni de la liberté ni de l'égalité entre les femmes et les hommes. Notre société doit imposer un interdit et une sanction.
Dans sa majorité en tout cas, mais, contrairement à d'autres groupes, le nôtre permet aux voix discordantes de s'exprimer…
Nous sommes opposés à la pénalisation des clients pour plusieurs raisons. D'abord, parce que l'efficacité de cette mesure n'est pas démontrée ; elle est même contestée par la plupart des associations qui travaillent aux côtés des personnes prostituées. Ensuite, parce que la question du consentement ne peut être balayée aussi facilement. Certains ont tendance à confondre – et c'est malheureux voire criminel parfois – prostitution, traite des êtres humains et proxénétisme. Nous aurons l'occasion en séance publique, lors de l'examen des motions de procédure et de la discussion générale, d'exposer plus longuement notre position de fond sur cette mesure, qui nous paraît guidée par des postures très idéologiques.
Si l'on considère – et c'est le sens de cette loi – que la personne subissant la traite ou le proxénétisme est une victime, il faut condamner le proxénète ou l'organisateur de la traite. Et, pour la même raison, sanctionner le client.
Je souhaite soutenir la position de Pascale Crozon. Certains, parmi ceux qui commentent nos travaux, ont tendance, par raccourci médiatique, à considérer que cette loi a pour seul objectif la pénalisation du client. Or nos débats, en première comme en seconde lecture, prouvent que ce n'est pas le cas. Notre premier objectif est de contribuer à l'abolition de la prostitution. Pour ce faire, il nous faut protéger les victimes que sont les personnes prostituées, lutter de toutes nos forces, avec tous les moyens de droit dont nous pouvons disposer, contre les auteurs de la traite ou les réseaux de proxénétisme, et enfin responsabiliser celui qui, aujourd'hui, est considéré comme n'ayant aucune responsabilité quelconque dans le système prostitutionnel – à savoir le client. L'instauration des sanctions pénales n'est que l'un des éléments de cette responsabilisation et non une fin en soi.
À l'issue des travaux de notre mission d'information, nous avions voté à l'unanimité une résolution dans laquelle nous parlions non pas de pénalisation, mais de responsabilisation du client. La réaction fut immédiate : le milieu de la prostitution nous fit savoir que la simple affirmation de cet objectif avait fait baisser, au moins provisoirement, le volume constaté de la prostitution. Si, pour parvenir à nos fins, il nous faut en passer par des mesures pénales graduées, notre objectif premier n'est pas de punir pour le plaisir. Je tiens à le dire car nos débats sont suivis et que les positions des uns et des autres au sein de cette commission et de cette assemblée sont légitimes et honorables.
La Commission adopte les amendements.
L'article 16 est ainsi rétabli.
Article 17 (supprimé) (art. 131-16, 131-35-1 et 225-20 du code pénal ; art. 41-1 et 41-2 du code de procédure pénale) : Création d'une peine complémentaire de stage de sensibilisation à la lutte contre l'achat d'actes sexuels
La Commission examine les amendements identiques CS33 de la rapporteure et de M. Guy Geoffroy, CS16 de Mme Pascale Crozon, CS22 rectifié de Mme Marie-George Buffet et CS26 de Mme Éva Sas.
Ces amendements reposent sur le même principe que ceux que nous venons d'adopter à l'article 16. Dans le cadre de la responsabilisation des clients, cet article instaure un stage de sensibilisation à la lutte contre l'achat d'actes sexuels.
Il convient d'affirmer l'interdiction de la prostitution, afin que celle-ci ait une portée éducative. C'est sur le plan culturel que nous devons agir pour en finir avec l'idéalisation d'une prostitution revendiquée comme un fantasme ou une liberté. L'achat de services sexuels n'est pas une transaction anodine. C'est le point de départ et la raison d'être d'un système violent qui prive de leur liberté ceux qui en sont victimes, qui les met physiquement en danger et qui les marginalise.
La Commission adopte les amendements.
L'article 17 est ainsi rétabli.
Chapitre V Dispositions finales
Article 18 : Rapport du Gouvernement au Parlement sur l'application de la loi
La Commission examine l'amendement CS13 de M.Sergio Coronado.
Cet amendement vise à préciser que le rapport prévu à cet article s'appuiera sur des travaux universitaires. Il fut un temps où les partis se réclamant de la gauche et du progressisme se servaient des sciences sociales, fortement marquées à l'époque par le marxisme, pour lire le réel et formuler des propositions. Ce n'est désormais plus le cas : on se sert parfois des sondages ou d'études ad hoc financés pour étayer des politiques publiques.
Je comprends l'objectif, mais il est très difficile d'exiger du Gouvernement qu'il s'appuie sur ce type de travaux en particulier.
Je considère qu'il ne revient pas au Parlement d'adresser au Gouvernement des directives sur la manière dont il doit établir son rapport. Et les deux ans prévus par l'article paraissent courts pour la réalisation de travaux universitaires sur ce sujet. Je vous suggère donc de retirer cet amendement.
Je l'aurais fait si le Gouvernement avait été présent à cette réunion et avait pris l'engagement de s'appuyer sur de tels travaux. Mais j'attendrai la séance publique pour le faire, le cas échéant.
La Commission rejette l'amendement.
Puis elle en vient à l'amendement CS52 de la rapporteure.
Nous souhaitons que le rapport que le Gouvernement devra remettre au Parlement ait aussi pour objet de dresser le bilan de la lutte, conduite à l'échelle nationale, contre la traite des êtres humains et le proxénétisme.
La Commission adopte l'amendement.
Elle examine l'amendement CS53 de la rapporteure.
Cet amendement vise à rétablir la disposition, supprimée par le Sénat en première lecture, selon laquelle le rapport remis par le Gouvernement au Parlement devra dresser le bilan de la création de la nouvelle infraction de recours à l'achat d'actes sexuels.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels CS54 et CS55 de la rapporteure.
Elle examine ensuite l'amendement C56 de la rapporteure.
Cet amendement vise, d'une part, à prévoir que le rapport remis par le Gouvernement au Parlement devra présenter l'évolution de la prostitution en général et pas simplement celle de certains aspects du phénomène. Il a, d'autre part, un objet rédactionnel : regrouper les dispositions relatives à l'évolution des différentes formes de prostitution au sein d'un même alinéa.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle aborde l'amendement CS6 de M.Sergio Coronado.
Cet amendement vise à distinguer, dans le rapport prévu à cet article, la question de la prostitution des mineurs et celle de la prostitution étudiante. Si la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale dispose que « tout mineur qui se livre à la prostitution, même occasionnellement, est réputé en danger et relève de la protection du juge des enfants au titre de la procédure d'assistance éducative », il n'existe aucun chiffre sur ce phénomène.
Dans leurs estimations, les services de police considèrent son ampleur comme marginale – seuls seize cas auraient été recensés à Paris en 2010. Or, pour avoir fait hier soir jusqu'à quatre heures du matin une tournée dans le bois de Boulogne avec l'association Les Amis du bus des femmes, je puis vous dire que j'en ai rencontré bien plus de seize ! Cette question est passablement occultée par les pouvoirs publics, raison pour laquelle il faut garder un certain recul par rapport aux chiffres qui nous sont fournis. Selon les associations oeuvrant en ce domaine, ces chiffres minorent l'ampleur du phénomène.
Vous soulevez un problème réel, mais personne n'a la volonté de cacher cette réalité, qui est tout simplement difficile à mesurer. Une enquête menée par l'Université de Montpellier a fourni des résultats intéressants, bien que fragmentaires. J'ai aussi eu l'occasion de participer récemment, à Beauvais, à un débat avec des étudiants, qui m'ont confirmé la réalité du phénomène tout en soulignant la difficulté qu'ils avaient à l'évaluer.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle adopte l'amendement de coordination CS57 de la rapporteure.
Ensuite, elle est saisie de l'amendement CS7 de M.Sergio Coronado.
Cet amendement vise à étendre le champ du rapport prévu à cet article à la question de l'évolution de la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains. Comme le délai de deux ans prévu par la proposition de loi pour l'élaboration de ce rapport est fort court, il conviendrait au moins de s'appuyer sur le nombre de condamnations afin d'appréhender la réalité de façon plus juste.
L'amendement est retiré.
Puis la Commission adopte l'article 18 modifié.
Titre
La Commission examine l'amendement CS58 de la rapporteure.
Outre que le titre choisi par le Sénat – « proposition de loi visant à la lutte contre la traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle, contre le proxénétisme et pour l'accompagnement des personnes prostituées » – me semble trop long, je souhaite rétablir la notion de lutte contre le système prostitutionnel. Nous proposons donc le titre suivant : « proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et accompagner les personnes prostituées ».
La Commission adopte l'amendement ainsi rectifié.
Puis elle adopte l'ensemble de la proposition de loi modifiée.
La séance est levée à 19 heures 30.