Tout comme Sergio Coronado, je persiste à penser qu'il faudrait supprimer cet article, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, sans être un spécialiste de la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains, je trouve surprenant d'aborder cette question sous l'angle de l'accès à internet. À mon avis, en matière d'exploitation sexuelle comme de terrorisme, la lutte doit commencer à la source.
Ensuite, cet article prévoit une extension du blocage des sites à laquelle je suis opposé.
Enfin, le premier alinéa de cet article a malheureusement été adopté conforme. Cet alinéa prévoit que des FAI puissent signaler certains sites en vue d'empêcher leur accès. Dans ce domaine comme dans d'autres, les intermédiaires n'ont pas à jouer le rôle d'une police d'Internet. Vous confiez à des acteurs privés une sorte de mission régalienne. Ils sont seuls à évaluer les contenus, sans en avoir les moyens bien souvent, ce qui pose un vrai problème. Pour se conformer à leurs obligations, ils risquent d'avoir une interprétation large et de signaler plus que de raison. Des contenus réellement dangereux vont alors être noyés dans la masse, au point de rendre le dispositif contre-productif. Les statistiques concernant la pédopornographie et l'incitation à la haine raciale montrent ainsi que les services ont une réelle difficulté à faire le tri : sur 12 000 signalements effectués en 2012, seulement 1 329 ont été transmis à la police et 3 970 à Interpol. Difficultés techniques, système contre-productif : voilà des arguments qui doivent vous inciter à supprimer la totalité de cet article 1er, comme le propose mon amendement CS11.
À défaut, mon amendement CS12 vise à supprimer son alinéa 2. À titre personnel, j'ai toujours été contre le blocage des sites à la demande d'une autorité administrative, sans recours à un juge. Le groupe Socialiste, républicain et citoyen s'y opposait également jusqu'à une époque très récente, mais l'alternance l'a fait changer d'avis, si j'en juge d'après le texte initial de la proposition de loi. Quand il était dans l'opposition, il avait demandé un moratoire sur cette question, ce qui était une bonne idée. En tout cas, il faudrait arrêter d'étendre ce dispositif par petites touches à tous les sujets, et préférer une approche globale qui débute par une réflexion sur l'absence du juge dans la procédure.
Si cet article était adopté en l'état, nous serions bien loin du moratoire : ce serait le troisième texte en moins d'un an à comprendre une telle extension. Ce n'est pas parce que le Gouvernement a étendu ce dispositif aux sites terroristes l'année dernière, contre l'avis du Conseil national du numérique, qu'il faut changer d'avis. Il faut à tout prix limiter les extensions de ce dispositif pour des raisons que nous invoquons depuis plusieurs années. Il existe un vrai risque de sur-blocage touchant, par exemple, des contenus scientifiques sur la prostitution. Le risque d'atteinte à la liberté d'expression existe bel et bien.
En première lecture, dans un éclair de lucidité, le Gouvernement a décidé de supprimer cet alinéa. Cette position est cohérente avec celle que le Parti socialiste a défendue quand il était dans l'opposition. Malheureusement, le Sénat a réintroduit le blocage administratif, contre l'avis du Gouvernement, d'où cet amendement.
Mon dernier argument porte sur la constitutionnalité de cette mesure. Si le Conseil constitutionnel a estimé qu'elle était acceptable, de façon exceptionnelle, pour lutter contre l'exploitation sexuelle des mineurs, rien n'indique que cette exception soit également valable pour le proxénétisme. Je ne vais pas développer davantage mais je tiens à votre disposition des extraits de la saisine du groupe Socialiste, républicain et citoyen, au moment de l'adoption de la loi du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, où les arguments contre le blocage administratif des sites sont très nombreux. Je vous laisse par exemple apprécier cette métaphore alors employée : « Vouloir bloquer les sites pédopornographiques en bloquant l'accès à Internet revient à vouloir bloquer des avions en plein ciel en dressant des barrages routiers au sol. » Je n'aurais pas dit mieux concernant le texte contre le proxénétisme.