Intervention de Jean-Frédéric Poisson

Séance en hémicycle du 9 juin 2015 à 15h00
Statut accueil et habitat des gens du voyage — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Frédéric Poisson :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, personne ici ne met en cause ni ne critique le fait que cette proposition de loi cherche des solutions à une très grande difficulté que rencontrent beaucoup de collectivités locales. Mon voisin de gauche Michel Pouzol, mon voisin de droite Jean-Marie Tetart et moi-même sommes frontaliers, tous les trois élus de la partie rurale de l’Île-de-France, et nous connaissons bien, comme beaucoup d’entre vous ici, le genre de difficultés auxquelles sont confrontés ceux qui sont dans les territoires que les gens du voyage élisent comme leur domicile passager. Mme Descamps-Crosnier, qui est aussi Yvelinoise, me fait signe qu’elle est également concernée : je le confirme puisque nous partageons parfois, madame la députée, quelques cortèges identiques, à quelques jours d’intervalle.

Que l’on veuille faire un effort pour aider à la sédentarisation ou, du moins, l’encourager – c’est que je crois comprendre de votre texte, monsieur le rapporteur –, personne ne peut être contre dans la mesure où chacun peut constater que lorsque les gens du voyage sont sédentarisés, les choses se passent sinon mieux, du moins de façon plus satisfaisante sur le plan social que quand ils ne le sont pas. C’est souvent vrai et, pour ceux qui sont attachés, comme nous tous ici, au respect des personnes, ce n’est pas une mauvaise nouvelle.

Personne ne peut non plus regretter le fait que les dispositions portant sur les obligations à respecter par les collectivités locales soient mieux respectées. Ici, à l’Assemblée nationale, nous ne pouvons nous satisfaire d’une disparité dans l’application de la loi. Ayant le bonheur d’avoir en gestion deux aires d’accueil des gens du voyage sur le territoire de ma communauté d’agglomération, je ne peux que me féliciter de cette disposition.

Cela étant dit, monsieur le rapporteur, votre proposition porte selon moi deux risques importants. Tout d’abord, elle encourage une fois encore l’État non pas à se débarrasser – ce terme serait un peu offensif à cette heure de l’après-midi –, mais à délaisser une de ses obligations pour la transférer vers les collectivités locales.

Je sais bien que, dans le cadre de la loi NOTRe, que notre collègue Dussopt a mentionnée tout à l’heure à la tribune, un certain nombre de dispositions conforteront ce qui est inclus dans votre proposition de loi et je le regrette. En effet, la philosophie même des aires d’accueil, c’est-à-dire la capacité, comme leur nom l’indique, d’accueillir en petit nombre – vingt ou trente caravanes, c’est-à-dire soixante à quatre-vingts personnes – des personnes soit de passage, soit sédentarisées, correspond parfaitement aux obligations sociales de nos collectivités. Après tout, il n’y a rien de choquant à ce que des citoyens français soient traités par les régimes sociaux, par les écoles, par les services publics exactement de la même manière : il n’y a rien à redire à cela et les collectivités doivent assumer cette responsabilité.

En revanche, les aires de grand passage ne correspondent pas à un besoin social de la collectivité mais à un besoin de stationnement passager, comme leur nom l’indique de manière très claire. Il faut de grandes superficies pour accueillir les populations dont nous parlons puisque, selon les estimations, on oscille entre 200, 300 et 400 caravanes, ce qui représente un millier de personnes d’un coup. Ces situations étant temporaires par nature, on ne comprend pas pourquoi l’État se débarrasserait de son obligation d’assurer la sécurité et le stationnement de ces rassemblements ni pourquoi il s’en dessaisirait pour la confier aux collectivités territoriales.

J’ajoute que, comme d’habitude – c’est malheureusement une tradition assez ancienne, madame la ministre – l’État s’en dessaisit sans aucunement assurer le transfert des moyens qui devrait accompagner ces investissements puisque la création d’aires de cette nature nécessite des millions d’euros, au bas mot, et encore faut-il que ces aires ne soient pas trop éloignées de l’approvisionnement en eau, des raccordements d’électricité, qu’elles soient d’accès plutôt aisé afin que – pardonnez cette trivialité – les ordures ménagères puissent être ramassées et certaines autres interventions puissent avoir lieu dans de bonnes conditions.

Madame la ministre, monsieur le rapporteur, les collectivités locales n’ont plus les moyens de faire face à ces dépenses.

Si votre texte, monsieur le rapporteur, sortait conforté par la loi NOTRe qui sera discutée à nouveau en commission la semaine prochaine, à l’exaspération de la population à l’égard des gens du voyage – parfois, d’ailleurs, exagérée et injuste – s’ajouterait celle des élus locaux qui, elle, serait renforcée à l’endroit de votre dispositif, ce qui ne serait pas la meilleure manière de traiter ce qui est un vrai sujet.

En outre, nous avons la plus grande difficulté à faire comprendre à nos administrés que cette question doit être traitée. En effet, même si les Français partagent l’idée selon laquelle toute personne doit être respectée pour ce qu’elle est, même lorsqu’elle ne respecte pas les règles de droit, il y a des limites à tout. Nos concitoyens sont capables d’accepter que d’autres, les nomades comme on disait autrefois, aient choisi un mode de vie non sédentaire, mais votre proposition de loi, monsieur le rapporteur manque cruellement d’une affirmation de nouvelles obligations clarifiées pour les personnes concernées, et cela n’est pas non plus de nature à instaurer l’équilibre attendu par les Français.

On comprend que les gens du voyage veuillent voyager ; on ne comprend pas qu’ils ne se soumettent que si peu aux règles habituelles de la vie en commun. Tant que nous ne traiterons pas cette question, nous ne trouverons pas de solution pertinente.

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