Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, en juillet 2012, le Conseil constitutionnel avait été saisi sur la conformité à la Constitution de la loi de 1969 relative au régime de circulation des gens du voyage par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité.
Dès le mois de juin 2012, je le rappelle, Esther Benbassa, sénatrice du Val-de-Marne, et le groupe écologiste du Sénat avaient déposé une proposition de loi dans le but d’abroger ce texte : il était et il est d’ailleurs toujours important de faire entrer les gens du voyage dans le droit commun.
Je l’ai dit lors des explications de vote sur les motions de procédure, la loi de 1969 est depuis longtemps décriée par de nombreuses associations, des institutions et des parlementaires de tous bords politiques. Son abrogation répond à une impérieuse nécessité tant elle est contraire aux principes fondamentaux de notre démocratie. Cette loi est discriminatoire et liberticide.
Héritière de la loi de 1912 relative au contrôle des nomades, qui avait instauré des carnets anthropométriques et permis la persécution des tziganes en France pendant la Seconde guerre mondiale, la loi de 1969 oblige les gens du voyage à posséder des passeports intérieurs, comme l’a rappelé Olivier Dussopt l’a rappelé.
Ils doivent en outre posséder des titres de circulation à faire viser régulièrement par les forces de l’ordre et la loi impose des quotas de population, soit, 3 % maximum par commune.
Or, après de multiples condamnations de la France par les instances internationales et européennes de protection des droits de l’homme, le Conseil constitutionnel n’a que partiellement censuré, le 5 octobre 2012, les dispositions de la loi de 1969.
Si elle comporte quelques avancées notables, la décision du Conseil constitutionnel est donc loin de mettre un terme au régime d’exception dont les gens du voyage font l’objet. C’est seulement le carnet de circulation, imposant un contrôle très strict avec un visa trimestriel des autorités et le délit de circuler sans titre visant les plus démunis, c’est-à-dire les personnes sans ressources et les bénéficiaires du RSA, qui est déclaré anticonstitutionnel. À ce jour, les personnes considérées comme « du voyage » doivent posséder un livret de circulation.
Le Conseil constitutionnel n’avait pas non plus censuré les dispositions relatives à la commune de rattachement, qui restent en vigueur – le texte défendu par Dominique Raimbourg, de ce point de vue-là notamment, comporte une avancée.
La proposition de loi assouplit les conditions et permet aux gens du voyage d’« élire domicile » dans une association agréée par la préfecture ou un centre communal d’action sociale.
Mes chers collègues, le Conseil d’État avait estimé le 19 novembre 2014 que les dispositions des articles 10 et 12 du décret de 1970 qui sanctionnent d’une amende contraventionnelle les personnes circulant sans livret de circulation ou qui ne peuvent produire de justificatif qu’ils en possèdent un portaient une atteinte disproportionnée – au regard du but poursuivi – à l’exercice de la liberté de circulation garantie par l’article 2 du quatrième protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme.
Le Conseil d’État a enjoint le Gouvernement d’abroger les articles 10 et 12 du décret dans un délai de deux mois soit, au plus tard, le 19 janvier 2015.
Le Comité des droits de l’homme des Nations unies a également épinglé le livret de circulation en 2014.
Le Gouvernement se devait donc de mettre le droit français en conformité avec l’article 2 du quatrième protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l’homme et le législateur se devait de mettre fin au régime discriminatoire que subissent les gens du voyage, contraire au principe d’égalité.
Je remercie de ce point de vue-là M. le rapporteur pour le travail qu’il a accompli. Contrairement à ce que les orateurs de l’opposition ont prétendu, un travail assez riche a également été mené en commission, lequel a permis de faire évoluer le texte dans le sens d’un équilibre plus riche et plus fertile encore.
Mes chers collègues, cette proposition est une initiative nécessaire mais certaines dispositions appellent encore à poursuivre le débat. J’espère que le rapporteur fera preuve en séance publique de la même ouverture d’esprit qu’en commission.
Les élus locaux ayant respecté leurs obligations s’agissant des aires d’accueil pourront obtenir plus facilement du préfet l’évacuation des gens du voyage occupant un campement illicite dès lors qu’il existe, dans un rayon de 50 kilomètres, une aire d’accueil spécialement aménagée et offrant des capacités d’accueil suffisantes, et ce sans saisine du juge, sans que le stationnement soit de nature à porter atteinte à la salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité publique.
En somme, l’article 3 du texte qui prévoit une procédure de mise en demeure de quitter les lieux crée un nouveau cas d’expulsion sommaire.
Cet article a, à juste titre, soulevé les plus vives réserves du Défenseur des droits car ces dispositions ne semblent pas répondre aux exigences posées par l’arrêt Winterstein du 17 octobre 2013 de la Cour européenne des droits de l’homme en termes de respect du droit à la sécurité, à la vie privée et au respect du domicile. Le contrôle du juge, garant des libertés publiques, est à mon sens toujours nécessaire.
Pour ma part, j’ai demandé au nom du groupe écologiste la suppression de cet article car la mise en demeure ne peut intervenir que si le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité publique. La condition d’atteinte à l’ordre public doit être semble-t-il maintenue, sans exception, pour toutes les situations.
Il faut se garder de porter une atteinte excessive aux droits des personnes concernées, notamment au regard de l’intérêt supérieur des enfants tel que préconisé par l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant.
Élargir davantage les possibilités d’expulsion ne saurait répondre aux exigences de protection des enfants, dont la scolarité risque d’être interrompue ou qui peuvent être même déscolarisés.
La question de la scolarisation des enfants du voyage est aussi capitale à mon sens. Le contrôle de l’assiduité opéré par les caisses d’allocation familiale doit d’ailleurs être amélioré et il serait souhaitable de systématiser la double inscription au Centre national d’enseignement à distance préconisée dans le rapport de Didier Quentin remis en 2011. À cet égard, je remercie M. le rapporteur d’avoir bien voulu accepter un amendement de mon groupe visant à faciliter la scolarisation.
Mes chers collègues, si des stationnements illégaux demeurent, c’est avant tout par manque d’aires d’accueil ou en raison de leur insuffisance, c’est-à-dire en raison du non-respect de la loi par une partie des autorités publiques – donc par des élus locaux –, notamment de la loi Besson du 5 juillet 2000. En effet, sur les 41 000 emplacements d’accueil prévus il y a quinze ans, seuls 30 000 ont vu le jour – en incluant les créations en cours.
C’est nettement insuffisant, et même scandaleux, et je tiens à vous dire, madame la ministre, que la situation ne changera pas sans un engagement ferme de l’État sur le plan financier. Et c’est là que le bât blesse, car je ne suis pas sûr que l’État soit aujourd’hui prêt à faire ces efforts.
Je rappelle que le groupe écologiste au Sénat avait demandé, dans sa proposition de loi déposée en juin 2012, la suppression intégrale de la loi de 1969, et je crois que la gauche, sur ce sujet, est totalement unie et totalement convergente. Aujourd’hui, la proposition de loi présentée par le groupe socialiste, républicain et citoyen et portée par Dominique Raimbourg reste une initiative importante. Mais son examen, repoussé bien après les élections départementales de mars 2015, arrive en première lecture à l’Assemblée nationale alors que la gauche n’est plus majoritaire au Sénat. J’espère que ce changement politique n’empêchera pas son adoption.
Nombreux sont ceux qui instrumentalisent – nous l’avons vu tout à l’heure – les peurs et les haines contre les gens du voyage, contre des Français dont la carte d’identité devrait suffire, et qui doivent pourtant s’adresser à la préfecture, aux services qui traitent des demandes de visa des étrangers, pour établir un livret.