Une fois de plus, vos propositions ignorent la réalité et sont promises à l’échec, je le crains. Quelle est la situation ? Les aires d’accueil ne sont pas assez nombreuses et ne remplissent pas le rôle qu’on leur avait attribué. Elles sont souvent privatisées par un groupe alors qu’une rotation devrait être assurée. Ainsi, on s’installe pour l’hiver mais on fait garder sa place pendant les grandes migrations d’été. Nous avons en quelque sorte offert aux frais des collectivités et des contribuables une possibilité de résidentialisation aux gens du voyage alors que les autres Français peinent à se loger ou y consacrent des efforts souvent insupportables.
Les aires d’accueil n’assurent pas, compte tenu de leur mode d’occupation et de leur capacité, la rotation des groupes en itinérance qui est leur vocation. Telle est la réalité, monsieur le rapporteur ! Vous êtes pourtant prêt à aller, sans en tirer les conséquences, jusqu’à la consignation de fonds intercommunaux destinés aux collectivités récalcitrantes aux obligations légales d’aires d’accueil mêmes si celles-ci sont inefficaces ou dévoyées !
Les aires d’accueil ne peuvent pas non plus recevoir les groupes intermédiaires, qui comptent plus d’une cinquantaine de caravanes, souvent en route vers les grands rassemblements. Ces groupes posent problème en envahissant des terrains publics ou privés, y compris dans les plus petits villages. La proposition de loi laissera le problème entier car ces regroupements de taille intermédiaire ne relèvent ni des aires d’accueil, ni des aires de grand passage.
Ma petite commune, qui n’est pas soumise aux obligations d’accueil, accueille chaque année pendant deux à trois semaines une communauté d’une cinquantaine de caravanes sur la base d’une convention fixant les modalités d’occupation du terrain et de couverture des charges. Cette communauté revient chaque année, ce qui consolide la confiance et l’acceptabilité. Mais cette attitude accueillante ne doit pas faire figurer ma commune dans le guide du routard des gens du voyage ! Plutôt que de contraindre, proposez donc un système incitatif qui amènerait la grande majorité des communes à accepter une fois par an une communauté dans les conditions que je viens de décrire en bénéficiant alors de la garantie que tout envahissement supplémentaire au cours de l’année donnerait lieu à une expulsion systématique.
Au bout de l’itinérance, il y a les grands rassemblements de 400, 500, 600 caravanes, voire plus, sur les aires de grand passage que l’on demande aux collectivités d’organiser et de gérer. Mais dans un département comme le mien, dont le schéma départemental prévoit deux aires de grand passage, il n’est pas rare de compter simultanément cinq à six rassemblements de cette taille ! La gestion de ces grands rassemblements, de leurs enchaînements et de leur superposition, ne peut dépendre des communes et des départements. Il appartient à l’État de fournir les terrains nécessaires aux aires de grand passage, de les équiper, d’assurer la gestion des grands rassemblements : déclaration préalable des itinéraires, négociation de l’optimisation des déplacements sur les aires de grand passage, gestion des files d’attente…
Enfin, vous souhaitez la sédentarisation partielle des familles par la mise à disposition dans les plans locaux d’urbanisme de zones dédiées à l’habitat démontable ou mobile et de terrains familiaux locatifs dont l’équipement en réseaux est à la charge de la collectivité. Cela ne résoudra évidemment pas les problèmes causés par l’itinérance et les regroupements saisonniers, mode de vie que par ailleurs je ne conteste pas. Une fois de plus, vous aurez placé les élus locaux en porte-à-faux vis-à-vis de leurs habitants sédentaires à qui l’on oppose chaque jour les règles tatillonnes de l’urbanisme.
La proposition de loi ne réglera pas vraiment les problèmes. Elle n’apaisera pas les tensions mais les amplifiera. Elle aggravera le ras-le-bol des élus locaux et le sentiment d’injustice, de « deux poids deux mesures » qui radicalise nos habitants et mène au vote que nous connaissons parfois, ce que je regrette profondément. Je voterai donc contre cette proposition de loi en l’état.