La transversalité est effectivement nécessaire. M. le député du Gard l'a rappelé, j'ai dirigé la DST un peu plus de cinq ans ; à cette époque, nous nous sentions bien seuls pour porter le sujet de la radicalisation et celui de la lutte contre le terrorisme islamiste. Aujourd'hui, chacun a compris que tout le monde doit s'y employer, mais il est assez compliqué d'instaurer un fonctionnement collectif. C'est ce que nous avons essayé de faire à Lunel, avec beaucoup de difficultés : j'ai dû insister plusieurs fois auprès du maire pour qu'il vienne siéger au sein du conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), et trois ans d'efforts m'ont été nécessaires pour faire aboutir cette création. Pourtant, la commune est située dans une zone de sécurité prioritaire confiée à la gendarmerie, initialement chargée dans ce cadre de prévenir les cambriolages, les vols de légumes dans la plaine maraîchère de Mauguio et les vols de voitures. La lutte contre la radicalisation islamique n'était pas dans le spectre d'action des gendarmes, mais ils s'y sont mis ; pour sa part, le maire ne venait pas aux réunions de pilotage de la zone de sécurité prioritaire.
La principale difficulté qui fait obstacle à la transversalité est la religion absurde professée par ceux qui, au sein des services sociaux, se refusent, pour des motifs déontologiques, à partager les données individuelles. Ainsi se perpétue un archaïsme terrible qui a pris fin à l'Éducation nationale et bien entendu avec les élus, les maires étant les premiers responsables de la sécurité dans leur commune. Pourtant, quand un service social ne donne pas les renseignements dont il dispose sur une famille ou sur un individu, il leur fait courir une perte de chance, et à la société tout entière.
Depuis l'attentat commis contre Charlie Hebdo, le gros des moyens des services de police et de renseignement se consacre à la lutte contre l'islamisme radical. Ces services sont très consciencieux et généralement assez bien organisés mais ils ont plusieurs missions. Ainsi, la DGSI est aussi chargée du contre-espionnage et de la protection des intérêts supérieurs de l'État – et quand tout le monde doit se concentrer sur la lutte contre le terrorisme parce que c'est la priorité et l'urgence de l'heure, on en fait un peu moins ailleurs. Il n'en reste pas moins que ces services ont été considérablement renforcés ces dernières années et que la fusion des anciens services de la Direction de la surveillance du territoire et des Renseignements généraux a été une très bonne chose, même si certains volets n'en sont pas parfaitement réussis. De plus, la gendarmerie assure un relais de proximité de très bon niveau. Il ne faut pas bouleverser cette architecture régionale ; ce serait disperser les moyens de la DGSI et lui faire perdre en spécialisation.
Je ne critiquerai certainement pas le projet de loi dont vous allez avoir à connaître. En ma qualité de praticien du renseignement, j'ai pu mesurer dans quel espace juridique hasardeux nous devions nous mouvoir.