La séance est ouverte à douze heures.
Présidence de M.Patrick Mennucci, rapporteur de la commission d'enquête.
Le président Éric Ciotti, empêché d'être parmi nous en raison de la catastrophe aérienne qui vient de se produire dans la région de Digne, vous prie d'excuser son absence. Je vous remercie, monsieur le préfet, d'avoir répondu à la demande d'audition de notre commission d'enquête, qui souhaite connaître votre analyse sur la surveillance des filières et des individus djihadistes. En votre qualité de préfet d'une région récemment confrontée à ce problème, vous jouez un rôle central dans la mise en place de la politique de lutte contre la radicalisation ; vous pourrez aussi nous éclairer utilement sur la coordination des services en la matière.
Conformément à votre demande, cette audition a lieu sous le régime du huis clos. La commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait et qui vous sera préalablement communiqué. Vos observations éventuelles seront soumises à la commission, qui pourra également décider d'en faire état dans son rapport.
Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Pierre de Bousquet de Florian prête serment)
Dans la région que j'administre, le Languedoc-Roussillon, on a constaté depuis dix-huit mois une centaine de départs pour les théâtres de guerre en Syrie et en Irak, et déjà 14 morts. Ces départs ont principalement eu lieu depuis l'Hérault, où l'on a enregistré à ce jour une cinquantaine de départs et huit morts, et depuis le Gard, avec une quarantaine de départs et six morts. Ces départs obéissent à des considérations différentes : dans l'Hérault, seul département pour lequel je suis compétent, la configuration n'est pas la même selon qu'il s'agit de Lunel ou de Montpellier, les deux villes où l'on a observé des foyers de départ.
Les Héraultais forment une population assez calme, qui comprend une composante musulmane importante, supérieure en nombre à la moyenne nationale, et principalement d'origine marocaine, de tradition sunnite malékite modérée. C'est dire la forte surprise ressentie devant la radicalisation puis la création de filières. Au demeurant, je ne sais si, sans entrer dans le détail des enquêtes judiciaires auxquelles je n'ai que très partiellement accès, on peut parler de filières très constituées. Je considère qu'il s'agit plutôt de groupes autonomes, non de groupes commandités de l'extérieur, même si quelques contacts ont été repérés dont on ne connaît pas la nature à ce stade.
À Montpellier, métropole de 450 000 habitants environ, on note une très importante concentration de population étrangère ou d'origine étrangère, principalement magrébine, dans quelques quartiers dont celui de La Mosson où vivent 25 000 personnes ; c'est là que résidaient quatre familles parties. Ces groupes familiaux comprenaient 32 personnes dont 16 mineurs et plusieurs femmes, et l'on dénombre déjà deux morts dans leurs rangs. Il s'agissait de familles d'obédience takfiri, donc très radicales, parties au moins autant pour vivre dans une « terre sainte » que pour participer au djihad ; puis est venue l'adhésion à Daech et deux d'entre eux sont morts, en des circonstances inconnues, dans des zones de combat. On assiste donc à une sorte d'embrigadement familial sans lien autre qu'idéologique avec un mouvement fondamentaliste, le Takfir, et sans que l'on puisse y voir la marque d'une main étrangère à l'Hérault.
Différent et aussi plus surprenant est le cas de Lunel. Dix-sept personnes sont parties de cette ville, dont six sont déjà mortes. Il s'agit d'un groupe assez homogène que, alertés par des signaux faibles, nous avons commencé de suivre au printemps 2013. Ces jeunes gens, issus de familles marocaines originaires de Tiflet, se connaissaient. La plupart avaient un passé de petits délinquants, dans un terreau favorable à la radicalisation, sans être activistes ; Internet a fait le reste. Ce terreau favorable, c'est que l'importante communauté musulmane de la ville – quelque 30 % des Lunellois – est récemment arrivée et vit dans une très grande précarité. La mosquée de Lunel est largement entre les mains des partisans du mouvement tabligh, qui ne sont pas des combattants mais des missionnaires. Cette mosquée, fondamentaliste sur le plan religieux, est dirigée par un président qui veut ménager la chèvre et le chou, et animée par un imam très insuffisant sur le plan religieux et dont la pratique du français est très mauvaise alors qu'il est installé en France depuis des années. Il prêche donc en arabe, ce qui n'est pas l'idéal quand on s'adresse à des jeunes gens qui ne parlent pas cette langue.
On a donc affaire à un groupe de jeunes délinquants ayant des contacts à la mosquée avec quelques anciens qui sans être violents ont pu eux-mêmes être autrefois alliés au Front islamique du salut, qui fréquentent la même salle de prière, la même école coranique et le même bistrot, et qui se sont monté la tête en se repassant en boucle les vidéos diffusées par certains sites accessibles sur Internet, particulièrement celui du mouvement Forsane Alizza, dissous depuis lors : films de violences, appels à l'instauration de la charia dans notre pays, condamnations virulentes de la France…
Entre novembre 2013 et la fin de 2014, ces jeunes, y compris quelques convertis dont de très jeunes femmes, sont partis par petits groupes de Lunel ou des villages alentour, finançant comme ils l'ont pu ces départs en plusieurs vagues. Ainsi avons-nous su qu'une BMW a été louée, utilisée pour le voyage puis vendue en Syrie – une méthode déjà constatée ailleurs. Il est très facile de se rendre en Syrie en voiture en passant par la Grèce puis la Turquie. On notera que l'annonce, en octobre puis en novembre 2014, de la mort de six de ces jeunes gens n'a pas empêché de nouveaux départs : aucun n'a été signalé à Lunel depuis le début de l'année 2015, mais l'on sait de manière certaine qu'il y a en a eu en décembre 2014. Enfin, une trentaine d'intégristes gravitent autour de la mosquée de Lunel, et les familles ont eu des réactions assez partagées. Le père de deux des garçons tués s'est dit fier qu'ils soient morts « en martyrs » ; un autre, juif, a vigoureusement dénoncé ceux qui ont conduit à la mort son fils converti à l'islam, et porté plainte pour savoir ce qui s'est passé. La configuration à Lunel diffère donc de celle de Montpellier.
Si ces événements sont rendus possibles, c'est sans doute aussi parce qu'à ces jeunes gens en déshérence ont manqué un encadrement et des repères. Lunel, qui s'est développée très rapidement, a été quelque peu oubliée des politiques d'aménagement du territoire, oubliée des implantations industrielles, et peut-être un peu oubliée aussi par ses édiles. La municipalité actuelle n'est pas la seule en cause : depuis une vingtaine d'années, les conseils municipaux successifs ont sans doute travaillé pour les Lunellois « de souche » davantage que pour ceux qui, n'ayant pas trouvé leur place à Nîmes ou à Montpellier, villes plus chères, se sont installés là et ont été mal pris en compte. L'État a sa part de responsabilité. L'analyse rétrospective de ses interventions depuis une ou deux décennies montre que nous avons sans doute été moins présents qu'il l'aurait fallu ; la grande précarité persistante de cette population contribue à la formation d'un terreau favorable à la radicalisation. Voilà ce que je puis vous dire de la situation dans mon département.
Nous avons entendu avant vous le maire de Lunel, dont nous avons senti le profond désarroi.
Il m'est arrivé de devoir parfois « bousculer » M.Claude Arnaud, maire très attaché à sa ville qu'il a pensé gérer au mieux en faisant coexister toutes les communautés. Il a pour obsession de maintenir l'image de sa commune, dont il juge qu'elle a été injustement stigmatisée, et pense que tout se réglera en créant des emplois. J'ai organisé de multiples réunions, auxquelles je l'ai toujours associé, ainsi que M.Philippe Vignal, député de la circonscription. M. Arnaud a insisté auprès de moi pour que le contrat de plan facilite le contournement autoroutier de Lunel afin de mieux desservir une zone économique qu'il a en projet. Ce projet est certainement une bonne chose et c'est ce qui a été fait, mais chacun comprendra que les retombées économiques de ces grands travaux et leurs bénéfices en termes d'emplois ne seront pas immédiates. Dans le même temps, le maire a toujours nié le manque d'accompagnement et de médiation dans sa commune.
L'état des lieux étant dressé, comment prévenir la radicalisation ? Avez-vous le sentiment d'une transversalité suffisante entre les services locaux eux-mêmes et entre eux et les services de l'État ? Au Danemark, nous avons été frappés par la détermination avec laquelle les collectivités locales traitent le sujet : les services de police, les acteurs sociaux et les services de prévention travaillent ensemble à repérer ceux qui sont susceptibles de se radicaliser afin de mieux les suivre. Dans les villes importantes où se trouvent déjà des jeunes radicalisés, quelles mesures de ce type peut-on prendre ?
Étant donné votre expérience passée de directeur d'un service de renseignement, jugez-vous suffisants les moyens de la DGSI, et pertinente leur répartition territoriale ? Quelle est votre opinion sur le projet de loi sur le renseignement dont nous allons débattre sous peu ? Vous avez plusieurs fois incité à la création de comités de coordination associant les services de police, de justice, de l'Éducation nationale et des services sociaux, et souligné la difficulté encore éprouvée à faire remonter certaines informations. Par quels biais les signalements vous parviennent-ils en plus grand nombre – la plate-forme du numéro vert spécialisé, ou ces comités ? Et, une fois que ces signalements vous ont été communiqués, quel suivi en est fait ?
La transversalité est effectivement nécessaire. M. le député du Gard l'a rappelé, j'ai dirigé la DST un peu plus de cinq ans ; à cette époque, nous nous sentions bien seuls pour porter le sujet de la radicalisation et celui de la lutte contre le terrorisme islamiste. Aujourd'hui, chacun a compris que tout le monde doit s'y employer, mais il est assez compliqué d'instaurer un fonctionnement collectif. C'est ce que nous avons essayé de faire à Lunel, avec beaucoup de difficultés : j'ai dû insister plusieurs fois auprès du maire pour qu'il vienne siéger au sein du conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), et trois ans d'efforts m'ont été nécessaires pour faire aboutir cette création. Pourtant, la commune est située dans une zone de sécurité prioritaire confiée à la gendarmerie, initialement chargée dans ce cadre de prévenir les cambriolages, les vols de légumes dans la plaine maraîchère de Mauguio et les vols de voitures. La lutte contre la radicalisation islamique n'était pas dans le spectre d'action des gendarmes, mais ils s'y sont mis ; pour sa part, le maire ne venait pas aux réunions de pilotage de la zone de sécurité prioritaire.
La principale difficulté qui fait obstacle à la transversalité est la religion absurde professée par ceux qui, au sein des services sociaux, se refusent, pour des motifs déontologiques, à partager les données individuelles. Ainsi se perpétue un archaïsme terrible qui a pris fin à l'Éducation nationale et bien entendu avec les élus, les maires étant les premiers responsables de la sécurité dans leur commune. Pourtant, quand un service social ne donne pas les renseignements dont il dispose sur une famille ou sur un individu, il leur fait courir une perte de chance, et à la société tout entière.
Depuis l'attentat commis contre Charlie Hebdo, le gros des moyens des services de police et de renseignement se consacre à la lutte contre l'islamisme radical. Ces services sont très consciencieux et généralement assez bien organisés mais ils ont plusieurs missions. Ainsi, la DGSI est aussi chargée du contre-espionnage et de la protection des intérêts supérieurs de l'État – et quand tout le monde doit se concentrer sur la lutte contre le terrorisme parce que c'est la priorité et l'urgence de l'heure, on en fait un peu moins ailleurs. Il n'en reste pas moins que ces services ont été considérablement renforcés ces dernières années et que la fusion des anciens services de la Direction de la surveillance du territoire et des Renseignements généraux a été une très bonne chose, même si certains volets n'en sont pas parfaitement réussis. De plus, la gendarmerie assure un relais de proximité de très bon niveau. Il ne faut pas bouleverser cette architecture régionale ; ce serait disperser les moyens de la DGSI et lui faire perdre en spécialisation.
Je ne critiquerai certainement pas le projet de loi dont vous allez avoir à connaître. En ma qualité de praticien du renseignement, j'ai pu mesurer dans quel espace juridique hasardeux nous devions nous mouvoir.
Sans doute ; il n'empêche que des opérations de sécurité ont parfois eu lieu dans des conditions acrobatiques. Elles devaient être faites et je les ai toujours assumées, mais je considère très bienvenues les dispositions légales qui vous seront soumises, qu'elles soient relatives aux opérations techniques, aux communications ou aux possibilités d'intrusion domiciliaire. Il serait difficile de détricoter cet ensemble qui forme un tout cohérent, et même si les critiques de bonnes âmes commencent de se faire entendre, ce ne serait pas inutile que majorité et opposition portent ensemble cette loi d'intérêt général. Il faut savoir ce que l'on veut, et quand les contraintes sont trop fortes, on aboutit à des solutions « à l'américaine », c'est-à-dire que les choses se font en dehors de la loi.
Certaines contraintes légales ou réglementaires aux États-Unis ont abouti à ce que la CIA prenne quelques libertés avec le traitement des prisonniers, inventant la détention à Guantánamo faute de traitement judiciaire possible sur le territoire américain. L'excès autant que le manque de réglementation sont nuisibles.
On a atteint, dans l'Hérault, une centaine de signalements. La démarche, efficace, demande un important travail en amont – ne parvient aux départements que ce qui a été trié par la cellule nationale – et pour nos services, car nous devons vérifier la véracité des informations qui nous sont transmises : des signalements peuvent émaner de gens inquiets sans raison ou de personnes malveillantes, dont des membres de couples en difficulté… Mais des signalements proviennent aussi de familles véritablement démunies et qui appellent à l'aide. Pour l'instant, les signalements remontent de la plateforme du numéro vert plus que des élus ou du milieu éducatif. C'est que la reconnaissance des signaux faibles demande une formation, et qu'il faut aussi apprendre à connaître l'islam. Très peu de ceux qui ont un rôle à jouer dans le dispositif de prévention de la radicalisation – professeurs des écoles, responsables associatifs, élus… – sont capables de décrire ce qu'est l'islam et de distinguer les obédiences. Une intense formation est nécessaire pour faire comprendre cette culture et éviter qu'elle ne soit rejetée en bloc.
En matière de prévention toujours, un effort d'envergure s'impose pour faire naître un islam de France et francophone, dans la liberté et le respect mais avec une grande détermination ; il est néfaste que les imams qui prêchent dans notre pays soient payés par des pays étrangers.
Enfin, il est impératif de condamner systématiquement les islamistes radicaux et ceux qui aident à la radicalisation avec une intention malveillante tendant à la commission d'actes terroristes. Nous disposons pour cela d'un arsenal de neutralisation judiciaire que bien des pays nous envient, caractérisé par la centralisation des poursuites, des incriminations et de l'instruction et par le chef d'accusation d'« association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ».
Ce qu'il faut améliorer maintenant est ce qui permet de traiter du pré-terrorisme ou ce qui lui est périphérique. Lors de la guerre en Afghanistan, les djihadistes partis de France et qui menaçaient de revenir étaient quelques dizaines et nous jugions ce phénomène très inquiétant. À présent, c'est à quelques milliers de djihadistes que nous avons à faire et, aussi bien armée soit la DGSI, elle ne peut suivre 3 000 à 4 000 personnes, leurs familles et leurs contacts, d'autant que notre système anti-terroriste centralisé atteindra très vite ses limites. Dans le cas de Lunel, une information judiciaire avait déjà été ouverte à la suite des morts de ressortissants français en Syrie mais ce n'était pas la priorité du magistrat instructeur, submergé par les dossiers. Finalement, une opération judiciaire a finalement pu être déclenchée, que j'ai fini par obtenir à l'influence et avec beaucoup de mal. Mais que dire de tout ce qui entoure ces affaires ? Ainsi, pour ce qui est de la soustraction d'une BMW chez le loueur par quatre garçons qui étaient déjà dans le collimateur des services, on aurait sans doute pu agir plus tôt sans que cela soit nécessairement centralisé au parquet anti-terroriste. En d'autres termes, le parquet local pourrait se saisir de certaines affaires et les traiter pour désencombrer la justice anti-terroriste. Il va sans dire que la condition impérative d'un tel partenariat est le maintien d'un lien très étroit entre les intervenants, pour que l'on ne retombe pas dans les travers des années 1980, avec une dispersion complète des affaires judiciaires.
Certains magistrats, y compris au parquet anti-terroriste, pensent aussi que les parquets locaux pourraient alléger la tâche de la justice anti-terroriste, à la condition expresse d'une parfaite coordination.
Quel jugement portez-vous sur le service central du renseignement territorial (SCRT) ? Dans un autre domaine, sentez-vous monter au sein de la communauté musulmane un mouvement de résistance visant à bloquer le phénomène djihadiste ?
Le service du renseignement territorial a bien progressé depuis ses débuts et il est maintenant pleinement opérationnel. Le volet le moins réussi de la réforme a été que les services de la sécurité publique n'ont pas su se saisir du renseignement territorial. Cette culture n'a pas pris, peut-être aussi parce que ces services ont récupéré des éléments moins agiles et moins allants que ceux qui sont restés à la DGSI. Le SCRT a longtemps conservé des méthodes floues, aléatoires et peu cadrées par la sécurité publique mais ce n'est plus le cas. Dans l'Hérault, le niveau de coopération est très bon entre la DGSI, le SCRT et la gendarmerie et les dispositions récemment prises par le ministre de l'intérieur amélioreront encore l'articulation entre les services. Mais il ne faut pas penser que le salut viendra de la mise en commun de toutes leurs informations. Procéder de la sorte compromettrait le secret et pourrait provoquer une perte de confiance des sources et des services de renseignement extérieurs. Chacun doit rester dans son rôle et, selon la règle stricte des services de renseignement, les informations ne doivent être diffusées que conformément au besoin d'en connaître, une appréciation qui relève de la responsabilité du chef de service. Je suis favorable au partage de l'information, certainement pas à la transparence complète avec l'accès de tous à tout.
Vous avez évoqué la situation du parquet anti-terroriste, submergé par les dossiers et dont il faudra définir comment lui permettre de faire face à une mission sans cesse croissante. Je signale incidemment que le Patriot Act, parce qu'il est refusé par plus de la moitié des États américains, est très mal appliqué aux États-Unis ; les tribunaux appliquant avec une sévérité particulière les dispositions relatives aux libertés publiques, la CIA et la NSA, dans certains cas, sont obligés de passer outre.
Pourquoi les propos attentatoires à la sécurité publique tenus par certains imams dans leurs mosquées ne sont-ils pas poursuivis alors qu'ils tombent sous le coup du droit pénal ?
Dans le territoire que vous administrez, les habitants, comme en témoigne le résultat des élections, sont extrêmement réactifs sur les questions de l'immigration et du communautarisme ; dans ce contexte, avez-vous entendu mentionner l'apparition d'organisations violentes ?
Enfin, il a été fait état d'une interaction entre délinquance et radicalisation, les connaissances théologiques des jeunes gens concernés étant souvent très faibles, ce qui les intéresse en réalité étant d'aller faire le coup de main en Syrie et en Irak. Qu'en pensez-vous ?
La réaction des musulmans a beaucoup tardé. Outre que certains ne se sentaient pas concernés, il est toujours délicat de dénoncer les actes commis par des coreligionnaires ; la même pudeur a été observée par les fidèles d'autres religions face à des actes excessifs ou déplacés.
Pourquoi ne pas poursuivre davantage les propos attentatoires à la sécurité publique ? C'est qu'un membre du SCRT n'assiste pas à chaque prêche ; la République ne surveille pas les cultes, en tout cas pas toujours et pas de cette manière. Mais les prêcheurs sont maintenant informés des risques qu'ils prennent et multiplient les précautions ; le temps du double langage façon « Frères Musulmans » est quelque peu dépassé, et l'on n'entend plus dans les mosquées de violentes diatribes contre la France, les juifs ou les mécréants. Or, pour que des poursuites judiciaires aboutissent, des preuves de la commission du délit doivent être attestées et saisies. Nos parquetiers ne souhaitent pas soutenir une accusation qui ne tiendra pas.
À Paris, la 17ème chambre du tribunal de grande instance est beaucoup moins regardante en matière de propos diffamatoires ! Outre que les mosquées sont des lieux publics, les prêches explicites qui y sont prononcés font l'objet d'enregistrements et de traductions qui peuvent être consultées.
À supposer que vous disposiez d'éléments dont la nature correspond à celle que vous décrivez, et à supposer aussi que ces éléments n'aient pas été fabriqués, il vous appartiendrait de les communiquer à la justice. Le maire de Lunel nous a expliqué que sa ville ne comptant qu'une mosquée, tous les fidèles s'y rendent. Mais, selon lui, l'imam n'est pas radical ; son tort est de ne pas parler le français.
On cherche à expulser les imams qui prêchent la mauvaise parole mais il faut pour cela documenter la procédure, et ce qui est rapporté de deuxième ou de troisième main ne tiendra pas devant le tribunal administratif ou le juge des libertés.
La population du Languedoc-Roussillon est en effet très sensibilisée à ces questions ; cela s'exprime fortement dans les urnes dans les départements du Midi, mais je n'ai pas connaissance de projets de milice.
L'interaction entre délits de droit commun et radicalisation est connue d'assez longue date. Des individus incultes, sans aucune espèce de culture religieuse, peuvent se radicaliser en prison. C'est un lieu où l'on a besoin de protection ; ce caïdat la confère. De plus, pour beaucoup de ces jeunes gens, l'islam n'est pas une religion mais une identité. Souvent, de petits délits les conduisent à l'incarcération ; ils se trouvent alors en contact avec des « grands frères » qui les embrigadent. Ensuite vient la grande délinquance – vols, contrefaçon, trafics en tous genres et blanchiment – qui sert à financer le terrorisme. On se trouve donc face à de petits délinquants qui, une fois radicalisés, sont prêts à actionner tous les ressorts de la grande délinquance. À cela s'ajoute ce qu'apporte le djihad : une perte complète d'inhibition. Ainsi de trois jeunes gens, morts depuis lors, qui nous ont été décrits comme d'une parfaite gentillesse. Je ne les ai pas vues personnellement mais on m'a rapporté que nos services disposent de vidéos tournées en Syrie ; il semblerait qu'on y voie deux d'entre eux participer à une crucifixion et le troisième à la lapidation d'une femme. Voilà de quoi sont capables les jeunes gens livrés à cet embrigadement mortifère ; ils sont d'autant plus dangereux quand ils reviennent en France.