La formation est la clé : pour que l'école transmette non seulement des savoirs, mais aussi des valeurs, les enseignants doivent bénéficier d'une bonne formation, initiale et continue.
En ce qui concerne la formation initiale, les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE), dont il était nécessaire de rétablir le principe, forment aujourd'hui 20 000 nouveaux enseignants par an, soit pas moins de 200 000 en dix ans. Je leur ai demandé – ce sera l'objet d'une réunion en juin prochain – de veiller à ce que leur tronc commun d'enseignement intègre bien la capacité à transmettre les valeurs de la République et à les faire comprendre. Nous nous acheminons donc vers des ESPE qui ne se cantonnent pas aux contenus disciplinaires, mais forment aussi leurs étudiants à expliquer ce qu'est la laïcité, à résister ou à répondre à la contestation d'un enseignement, etc. Nous avons également demandé que les jurys des concours d'enseignement puissent davantage évaluer cette capacité. Cela fait partie des nouvelles mesures que nous avons adoptées lorsque l'école s'est mobilisée au lendemain des attentats de janvier.
Quant à la formation continue, l'effort consistant à former 300 000 enseignants, après 1 000 formateurs, est assurément important, notamment du point de vue financier. Je rappelle toutefois que nous avons décidé de consacrer à la mobilisation post-attentats 25 millions d'euros supplémentaires, dont l'essentiel ira à la formation continue. Il s'agit donc d'une ambition assumée et ces 300 000 enseignants seront bel et bien formés, comme nous l'avons prévu, d'ici à la fin de l'année.
En ce qui concerne les liens entre les services de l'éducation nationale et d'autres ministères, j'ai longuement évoqué l'action que nous menons avec le ministère de l'intérieur et la manière dont elle se répercute au niveau local par le travail conjoint des préfets et des recteurs. Celui-ci, bien relancé par notre réunion commune du 9 février dernier, sous l'égide du Premier ministre, est de plus en plus satisfaisant. J'ai en outre annoncé avec Christiane Taubira lundi dernier, à propos de l'affaire de pédophilie à Villefontaine, que j'allais étendre à l'éducation nationale ce que l'on appelle les référents justice : dans chaque académie, une personne sera en relation permanente avec la justice et informée des affaires pouvant concerner les personnels ou les enfants. Ce qui servira aussi la lutte contre la radicalisation, puisque l'existence de cet interlocuteur choisi facilitera l'accès de l'éducation nationale aux informations utiles et sa collaboration avec la justice.
J'en viens aux agents de proximité, et plus généralement à toutes les personnes qui, sans appartenir à l'éducation nationale, sont amenés à côtoyer les enfants – en particulier les agents municipaux encadrant le temps périscolaire – et à se poser les mêmes questions que les enseignants sur la laïcité ou la manière de réagir aux incidents. L'éducation nationale travaille avec l'Association des maires de France (AMF) en vue d'appliquer des règles identiques et de resserrer les liens entre nos agents et ceux de la municipalité dans le cadre périscolaire. Ce travail en cours est lui aussi né de l'après-attentats, à la suite d'une véritable prise de conscience, d'un sursaut commun : les collectivités avaient été invités à la grande consultation que nous avions organisée et dont nous sommes en train de tirer les conclusions.
De manière plus générale, cette mobilisation de l'école après les attentats a commencé, le 22 janvier, par l'annonce de plusieurs mesures concernant la formation, mais aussi de l'ouverture d'assises sur tout le territoire : il était demandé à l'école ainsi qu'à ses partenaires au niveau territorial – collectivités locales, parents d'élèves, entreprises, etc. – de se réunir localement pour tirer les conclusions de ce qui s'était passé – les attentats, les incidents dans les écoles – et étudier la manière de travailler ensemble pour éviter que ces situations, en particulier les incidents, ne se reproduisent. Ces assises ont eu lieu partout et rencontré un succès assez phénoménal, au-delà de nos espérances : 75 000 personnes sur l'ensemble du territoire y ont pris part depuis trois mois en s'exprimant en réunions publiques. Nous y reviendrons mardi 12 mai en faisant état de certaines préconisations qui nous sont remontées et qui viendront enrichir notre plan à l'école et vis-à-vis des partenaires de l'école.
Il s'agira de traiter des diverses questions que l'on a beaucoup évoquées ici, mais aussi de la mixité sociale, qui fait naturellement partie du sujet : comment peut-on parler d'égalité à nos enfants quand ils n'en font pas l'expérience dans leur propre établissement scolaire, parce qu'ils vivent dans des quartiers ghettoïsés et qu'ils fréquentent des établissements sans horizon ? Sur cette question de la mixité scolaire, nous avons également annoncé un travail de révision de la sectorisation, pour définir des secteurs plus vastes où la répartition serait plus équilibrée afin d'éviter la ghettoïsation.
Nous clôturerons ces assises en annonçant enfin le lancement de ce que l'on appelle la réserve citoyenne, que nous avions préfigurée mais qui n'était pas encore en place. Elle permettra à des adultes de bonne volonté, qui en ont manifesté le souhait, d'intervenir dans les classes au nom d'une expérience ou d'une expertise qui leur est propre et qui pourrait utilement être mise à la disposition des élèves. Il peut s'agir de mieux les éclairer sur un événement tragique du passé qu'ils auraient du mal à aborder, par exemple la Shoah, en faisant venir, comme cela se pratique aujourd'hui, mais uniquement avec d'anciens résistants ou déportés, des témoins d'autres drames historiques. Il peut aussi être intéressant de convier un chef d'entreprise pour rendre motivation et envie de se battre à certains élèves. Aujourd'hui, cela a été dit, l'éducation nationale est très fermée à l'intervention d'acteurs extérieurs. La réserve citoyenne favorisera au contraire une grande ouverture, étant entendu que nous contrôlerons la qualité et la probité des intervenants. Nous avons déjà 4 000 candidats, que nous mettrons en relation avec les établissements qui ont exprimé des besoins à propos de telle ou telle thématique. Typiquement, ce peut être une Latifa Ibn Ziaten ; il y en a d'autres, différents – car Latifa est toute singulière –, mais qui peuvent eux aussi apporter leur contribution aux établissements. Ce dispositif n'a rien de théorique ni de nébuleux : nous l'organisons rectorat par rectorat, sur le terrain.
Enfin, s'il est un enjeu dont je suis parfaitement consciente et à propos duquel je suis très lucide, c'est bien la nécessité d'enseigner à nos enfants, très tôt, à trier l'information sur Internet, à faire la part de la désinformation, à savoir se méfier. On en vient très vite à Internet, sur bien des sujets, dont la radicalisation ou le harcèlement – qui a causé récemment le terrible suicide d'une adolescente. La capacité à prendre du recul et à lire de façon éclairée les informations qui circulent sur les réseaux sociaux et sur le web en général est cruciale. Or, en ce domaine, l'école détient une responsabilité. Certains voudraient qu'elle reste en mode avion, qu'elle se tienne à l'écart de cette évolution de la société ; je crois que ce ne serait pas rendre service à nos enfants : puisqu'ils baignent de toute façon dans cet univers, autant leur donner les codes qui leur permettront de s'y protéger plutôt que les laisser tomber dans tous les pièges qui leur sont tendus.
Le Président de la République fera justement plusieurs annonces, à l'occasion d'un déplacement que nous effectuerons demain après-midi, sur l'introduction du fameux plan numérique, que nous évoquons depuis plusieurs mois, au collège en 2016, afin, je le répète, non seulement d'enseigner aux élèves les outils, mais aussi de développer leur esprit critique face au numérique.