Commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Réunion du 6 mai 2015 à 17h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • laïcité
  • radicalisation
  • rectorat
  • signalement
  • valeurs

La réunion

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La séance est ouverte à 16 heures 35.

Présidence de M. Éric Ciotti, président.

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Merci, madame la ministre, d'avoir répondu à l'invitation de notre commission d'enquête, constituée le 3 décembre 2014, avant les événements tragiques que notre pays a connus les 7, 8 et 9 janvier.

Votre audition est ouverte à la presse et retransmise sur le site de l'Assemblée nationale.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relatif au fonctionnement des commissions d'enquête, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Najat Vallaud-Belkacem prête serment.)

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En vous renouvelant nos remerciements, je vous laisse maintenant la parole pour un exposé liminaire, puis nous vous interrogerons sur les sujets qui nous mobilisent et nous préoccupent.

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Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m'accueillir parmi vous pour vous parler d'un sujet qui nous préoccupe évidemment tous, et qui me préoccupe comme ministre de l'éducation nationale : la radicalisation qui peut tenter un certain nombre de jeunes, dont une partie est scolarisée, et dont plusieurs sont passés à un moment ou à un autre par l'école de la République.

Je veux tout d'abord vous dire la détermination totale de l'éducation nationale à agir, depuis sa place, dans son rôle, pour prévenir cette radicalisation.

Je partirai des éléments de bilan dont le ministère de l'éducation nationale dispose pour apprécier l'ampleur du phénomène, avant de vous exposer notre action de prévention, de repérage et de signalement des suspicions de radicalisation, puis la manière dont nous comptons la prolonger par une politique plus structurelle, à travers les enseignements et les projets pédagogiques menés dans les établissements.

En ce qui concerne les constats chiffrés, parallèlement aux données du ministère de l'intérieur, nous disposons aujourd'hui de remontées statistiques liées aux signalements effectués par des professionnels de l'éducation nationale. Je reviendrai plus précisément sur le dispositif de signalement. Sachez qu'à la mi-mars, ce sont 536 signalements de suspicions ou de faits de radicalisation qui ont été effectués depuis la rentrée de septembre 2014. Dans chacun de ces cas, les enseignants ou les chefs d'établissement ont estimé, à partir d'un faisceau d'indices, que l'élève présentait suffisamment de signes inquiétants pour que sa situation mérite d'être signalée.

Ces chiffres nous montrent d'abord que nous sommes capables de compter ces jeunes, mais aussi que nous devons apprendre à mieux les connaître, à savoir qui ils sont. C'est un véritable défi s'agissant de la radicalisation, souvent dissimulée par les élèves et qui n'est pas nécessairement visible dans l'enceinte de l'école.

Ces 536 signalements doivent évidemment aussi être mis en rapport avec le nombre d'élèves total en France, dont je rappelle qu'il dépasse 12 millions. Néanmoins, cette menace est naturellement à prendre très au sérieux ; je considère en effet, comme ministre de l'éducation, que la radicalisation d'un seul de ces jeunes est un échec et que nous devons y remédier chacun depuis notre place.

Pour une vision plus fine de ces jeunes, nous manquons clairement d'enquêtes et de recherches. J'y reviendrai à la fin de mon exposé pour vous indiquer l'action que j'ai engagée afin d'améliorer cette situation.

Parmi les quelques enquêtes qui ont été menées, vous avez naturellement eu connaissance de celle du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l'islam, menée par l'anthropologue Dounia Bouzar. Elle était relativement intéressante en ce qu'elle observait que le milieu socio-économique des jeunes concernés était plus divers que ce que l'on aurait pu imaginer de prime abord, par exemple que près de 70 % des jeunes candidats au djihad sont issus des classes moyennes et que 80 % sont des athées. L'enquête a également pour intérêt de montrer que les techniques utilisées par les recruteurs djihadistes sont les mêmes que celles des sectes : l'effacement de l'individu au profit du collectif ; le dénigrement de la famille et la prise de distance avec elle ; le repérage de jeunes qui ne sont pas nécessairement en difficulté sociale, mais qui sont hypersensibles et en quête d'un idéal ou d'une cause à défendre. Je ne ferai qu'une allusion rapide à cette enquête que vous connaissez ; je le répète, il nous faut des données plus précises.

J'en viens à ce que l'éducation nationale a mis en place pour prévenir, repérer et signaler les suspicions de radicalisation, voire de candidature au djihad.

Avant même les attentats de janvier, des consignes spécifiques avaient été données aux rectorats en matière de détection, de signalement et de suivi de la radicalisation. Concrètement, dans le cadre de la circulaire du 29 avril 2014, les préfets, ainsi que le secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance (CIPD), ont organisé des formations pour les acteurs de terrain, y compris les personnels de l'éducation nationale. Un stage national a été instauré par le ministère de l'éducation nationale, qui a veillé à ce que, dans chacune de ses académies, des référents soient formés, selon un programme élaboré en concertation avec le CIPD ; la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) intervient également dans ce cadre. Par ailleurs, une information sur les phénomènes de radicalisation a été dispensée le 30 septembre 2014 à tous les directeurs de cabinet des recteurs par des experts du sujet puisque nous avons fait appel au service central du renseignement territorial. Une nouvelle information a été délivrée aux recteurs eux-mêmes le 13 janvier dernier par le secrétaire général du CIPD.

Cette action a été déclinée dans les rectorats. En voici quelques exemples précis. Dans l'académie de Strasbourg, une réunion a été organisée avec l'ensemble des personnels de direction d'établissements scolaires et le préfet de région, qui est venu présenter les phénomènes de radicalisation dans leur complexité. Le commissaire divisionnaire responsable du renseignement territorial était présent, ainsi que l'officier adjoint chargé du renseignement de la région de gendarmerie d'Alsace. Dans l'académie de Rennes, le recteur a adressé un courrier à l'ensemble des personnels de direction et des inspecteurs du premier degré. Dans celle de Toulouse, qui avait été marquée par l'affaire Merah, des réunions se sont tenues à l'initiative du préfet et de la rectrice, notamment afin de former les quarante chefs des établissements scolaires a priori les plus exposés aux phénomènes de radicalisation. Des échanges chaque fois nourris ont permis, dans ces différents cas et sur le terrain, de répondre aux interrogations des uns et des autres.

Nous avons par ailleurs créé en octobre 2014 un nouveau circuit de remontée des informations du terrain vers le ministère, afin d'intégrer les suspicions de radicalisation. Si cela intéresse les membres de la commission d'enquête, nous pourrons vous transmettre la note d'information précise qui a été adressée aux recteurs en ce sens. Ce circuit d'information sur la radicalisation en tant que telle est piloté par les préfets et par les services de renseignement en fonction des problématiques locales, pour être au plus près des réalités. Aujourd'hui, tous les rectorats ont organisé des circuits de liaison entre les établissements, d'une part, et, d'autre part, les services départementaux de l'éducation nationale ainsi que les rectorats eux-mêmes, afin qu'aucune information ne se perde.

Il s'agit là de la remontée d'informations qui nous permet de disposer des données que j'évoquais tout à l'heure. Parmi les outils que nous avons nous-mêmes élaborés et mis à la disposition des professionnels de l'éducation nationale, j'insisterai sur un livret consacré aux phénomènes de radicalisation qui a été diffusé dans tous les établissements.

Nous y expliquons aux professionnels ce qu'est la radicalisation, sur le fondement d'un faisceau d'indices qui comprend le discours intransigeant, la marginalisation progressive, la contestation de la société, le processus d'emprise mentale proche des dérives sectaires, la rupture avec les comportements antérieurs, la modification de la vie sentimentale, morale, sociale de l'élève, son allégeance inconditionnelle à une personne ou à un groupe qui conduit à une obéissance absolue.

À partir de ce faisceau d'indices, nous donnons des repères aux professionnels pour identifier les signes qui, cumulés, doivent les alerter : rupture relationnelle, rupture avec l'école, contestation répétée d'enseignements, multiplication des absences, déscolarisation soudaine, rupture avec la famille, nouveaux comportements alimentaires ou vestimentaires, modification du discours, intérêt soudain pour telle religion ou telle idéologie, discours relatifs à la fin du monde, fascination manifeste pour les scénarios apocalyptiques, etc.

Et, à partir de là, nous donnons plusieurs consignes aux professionnels. D'abord, ne pas rester seuls face à ces signaux d'alerte, mais en faire immédiatement part à leur équipe de direction. Ensuite, si la situation est jugée préoccupante, tout personnel de l'éducation nationale a l'obligation de la signaler, à des fins de protection, au procureur de la République. C'est une instruction très claire que nous leur avons transmise, sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale. Dans tous les cas, le recteur, l'inspecteur d'académie et le directeur d'académie des services de l'éducation nationale doivent être informés sans délai de la situation.

Enfin, si les familles d'élèves mineurs expriment une préoccupation, les professionnels de l'éducation nationale sont invités à leur rappeler que, comme titulaires de l'autorité parentale, elles peuvent faire opposition à la sortie de France de leur enfant si elles craignent qu'il ne parte à l'étranger, en particulier sous l'influence de mouvements radicaux.

En pratique, les signalements sont réalisés par les établissements, mais aussi, parfois, par les parents eux-mêmes, dans des proportions qui nous échappent puisque, dans ce cas, ils contactent directement le numéro vert prévu à cet effet, sans passer par l'établissement scolaire.

Lorsqu'un signalement émane de l'établissement, il remonte, comme je l'ai indiqué, par la voie hiérarchique, et il est communiqué en parallèle par le rectorat à la cellule de veille de la préfecture du département et au directeur de cabinet du préfet. Les suspicions sont analysées par les équipes éducatives des établissements, et le comportement de l'élève, au sens large, est plus précisément suivi par le conseiller principal d'éducation de l'établissement.

Nous demandons aux chefs d'établissement d'agir chaque fois que cela est possible en concertation avec les familles, avec l'appui de l'équipe éducative, voire de l'assistante sociale de secteur, et celui de l'éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse quand une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert a été prise par le juge pour enfants dans le cadre d'une procédure pénale. L'objectif, chaque fois, est de maintenir autant que possible l'élève au sein de l'établissement, afin qu'il reste en contact avec l'équipe pédagogique. C'est très important pour nous. Enfin, selon la gravité des faits, les informations préoccupantes sont transmises aux conseils généraux afin qu'une prise en charge soit effectuée au titre de l'aide sociale à l'enfance.

Voilà, en résumé, notre dispositif de signalement. Mais, au-delà du signalement et du repérage, l'éducation nationale se sent concernée, et elle se mobilise pour transmettre les valeurs de la République, à long terme, aux enfants qu'elle reçoit, notamment au travers de la grande mobilisation de l'école que j'ai impulsée à la suite des attentats de janvier et dont je veux rappeler ici les trois objets.

Premièrement, veiller à mieux transmettre les savoirs fondamentaux aux élèves que nous accueillons. Ce doit être notre priorité. En effet, de toutes les consultations que nous avons menées, de tout ce que nous avons entendu, il ressort que clairement que savoir lire et écrire est la première étape indispensable ; qu'un élève ne peut pas argumenter s'il maîtrise mal la langue française ; qu'il ne peut pas débattre s'il n'a pas appris à écouter l'autre. Nous venons donc de lancer un chantier prioritaire pour la maîtrise du français, qui permettra de mieux détecter les élèves en difficulté face à la lecture et à l'écriture, notamment grâce à une évaluation en français au début du CE2. Nous allons poursuivre et amplifier la mise en oeuvre de la loi de refondation de l'école pour que l'élévation du niveau de connaissances et de réussite se réalise concrètement. Il s'agit en somme de donner aux élèves d'autres armes que la violence pour s'exprimer.

Ensuite, transmettre les valeurs républicaines, au premier rang desquelles la laïcité. C'est le deuxième défi que l'école doit aujourd'hui relever : faire en sorte que ces valeurs républicaines soient le ciment d'une culture commune pour tous les futurs citoyens de ce pays. Nous avons estimé que nous parviendrions mieux à les diffuser en commençant par former ceux qui sont chargés de les transmettre. Voilà pourquoi nous avons lancé un plan exceptionnel de formation, destiné aux chefs d'établissement, référents laïcité et inspecteurs pédagogiques, sur tout le territoire. Au mois d'avril, mille personnes ont déjà été ainsi formées à la laïcité, à l'enseignement moral et civique, afin de pouvoir former à leur tour jusqu'à 300 000 enseignants d'ici à la fin de l'année.

Par ailleurs, les valeurs républicaines ont d'autant plus de chances d'être comprises par les élèves que ceux-ci ont l'occasion d'en faire personnellement l'expérience et d'être initiés, au sein de leurs établissements, à la citoyenneté. Tel est le sens du parcours éducatif citoyen que vont suivre tous les élèves, de la primaire au lycée, dans toutes les filières, à partir de la rentrée 2015. Ce parcours se nourrit du nouvel enseignement moral et civique dont on a beaucoup parlé et auquel je pourrai revenir en répondant à vos questions, mais comprendra aussi un important volet consacré à l'éducation aux médias et à l'information, afin d'apprendre aux élèves à mieux décrypter celle-ci. L'un des défis fondamentaux auxquels nous sommes confrontés consiste en effet à contrer les théories du complot qui sévissent sur Internet.

La mobilisation de l'école vise enfin à faire mieux respecter son autorité, pour permettre à chaque élève d'apprendre dans un cadre rassurant. Afin que chacun connaisse les règles et se sente responsabilisé, le règlement intérieur de l'établissement ainsi que la charte de la laïcité seront désormais expliqués aux élèves et à leurs parents, qui seront invités à les signer pour manifester leur engagement à les respecter. Par ailleurs, tout comportement contraire à ces règles fera systématiquement l'objet d'un signalement au directeur d'école ou au chef d'établissement, d'un dialogue éducatif et, le cas échéant, d'une sanction, pour ne plus rien laisser passer.

Comme ministre de la recherche, je compte également mobiliser la recherche universitaire afin qu'elle vienne éclairer la société dans son ensemble sur les fractures qui la traversent et sur les facteurs de radicalisation. Ce qui suppose d'abord de rassembler et de mieux valoriser les recherches existantes ; tel était l'objet d'un colloque que nous avons organisé avant-hier avec la Conférence des présidents d'université et le Centre national de la recherche scientifique, et qui nous a d'ailleurs permis de constater qu'il fallait susciter davantage de recherches. Je demanderai donc à l'Agence nationale de la recherche de lancer un appel à projets sur ces questions de radicalisation.

Voilà ce que je puis vous dire du bilan dont nous disposons, qui se réduit aujourd'hui au chiffre des signalements alors qu'il nous faut en savoir plus, et de la mobilisation, celle de toutes mes équipes mais aussi des rectorats, des équipes de direction, des chefs d'établissement et plus généralement de l'école, autour des valeurs de la République.

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Merci beaucoup, madame la ministre. Nous passons aux questions.

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Merci, madame la ministre, de votre intervention. Je suis député-maire d'Alençon, où nous rencontrons des difficultés concernant les valeurs citoyennes avec certains jeunes, notamment collégiens, dont le comportement est très problématique.

S'agissant des signalements, il est intéressant que l'éducation nationale travaille avec tous les services de l'État pour repérer les personnes signalées, puis les traiter ; pourriez-vous toutefois nous citer des exemples de traitement de cas ? Nous en saurons sans doute davantage sur l'identité de ces jeunes au cours des mois à venir. Vous avez évoqué 70 % de jeunes issus des classes moyennes, ajoutant qu'un certain nombre d'entre eux sont athées – je ne sais comment on peut le savoir, et je suis un peu surpris.

Au-delà des problèmes ponctuels que révèlent les signalements, c'est un problème de fond, s'agissant des valeurs laïques, qui a été posé par l'intermédiaire des événements de janvier. Vous avez dit à plusieurs reprises qu'il faut renforcer la laïcité ; on le répète depuis dix ans ; sur ce point, j'aimerais des éléments très concrets. Comment poursuivre cet objectif afin d'éviter que les principes religieux ne s'imposent dans les structures où nous accueillons des jeunes ? Je ne parle pas seulement de l'école.

Il me semble que cela suppose de créer un véritable parcours citoyen et civique obligatoire, organisé en séquences et en cours, au-delà des enseignements déjà dispensés d'éducation civique et, en troisième et en première, de défense – dont on peut se demander, à entendre les enseignants, s'ils ne devraient pas être mieux formés pour les assurer. Que diriez-vous de renforcer ainsi le parcours existant, qui me paraît insuffisant, de l'école primaire à l'âge adulte, en passant par les centres de formation, par les lycées et les universités ? Je suis rapporteur d'une mission d'information de la commission de la défense qui a déjà présenté un point d'étape sur le parcours citoyen ; ce parcours a été évoqué par le Président de la République à l'occasion d'une toute récente visite dans un établissement public d'insertion de la défense (EPIDe) de ma ville. Bref, on en parle, mais il convient de le développer très concrètement. Faut-il par exemple instaurer de nouveau à l'école publique les rites républicains que j'y ai connus dans ma jeunesse ?

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À propos de laïcité, vous avez récemment, madame la ministre, pris position dans l'affaire de la jupe à Charleville-Mézières en soutenant la principale du collège, ce dont je vous ai personnellement approuvée. Dans cette affaire, est-ce un phénomène de radicalisation qui a été détecté ?

La question se pose par ailleurs du port des signes religieux lors de l'accompagnement de sorties scolaires. Vous n'avez pas souhaité poursuivre la politique adoptée par le précédent Gouvernement, qui avait interdit, par une circulaire de Luc Chatel, le port de signes religieux dans ces circonstances. Cela me paraît en contradiction avec les positions que vous avez récemment exprimées. Estimeriez-vous utile, au vu de l'évolution constatée dans ce domaine, de revenir sur cette décision ?

Enfin, quelle est votre position sur les ouvertures, de plus en plus nombreuses, d'établissements scolaires confessionnels ? Dans ma ville, à Nice, l'ouverture d'un collège confessionnel musulman fait ainsi débat. Comment les phénomènes de radicalisation pourraient-ils être contrôlés dans ces établissements, comment le sont-ils aujourd'hui ?

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Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche

J'aimerais d'abord clarifier un point pour éviter tout malentendu. L'enquête de Mme Dounia Bouzar que j'ai évoquée est une étude bien précise, portant sur des jeunes partis faire le djihad ou ayant manifesté le souhait de le faire : il ne s'agit pas du tout des mêmes que les 536 cas signalés. J'ai par ailleurs moi-même déploré l'absence d'enquêtes qui puissent venir compléter, conforter ou infirmer ses conclusions. Il ne s'agissait que d'un élément parmi d'autres que je soumettais à votre réflexion.

Pour le reste, oui, nous devons renforcer la laïcité à l'école, de manière générale, et non, cela ne peut passer uniquement par le fait d'apposer une charte de la laïcité sur un mur. Nous ne devons pas seulement imposer la laïcité aux élèves. C'est important, assurément : l'école doit être en quelque sorte sanctuarisée ; en effet, on y transforme les enfants en élèves et ils doivent, pour développer leur esprit critique, y laisser de côté tous leurs atours religieux, confessionnels ou autres, pour grandir en futurs citoyens. Mais il faut aussi faire aimer la laïcité. C'est essentiel, et c'est la raison pour laquelle nous devons dissiper certains malentendus quant à ce qu'elle est, en rappelant quelque chose que l'on peut expliquer aux élèves, ce pourquoi nous formons des enseignants : il s'agit d'une chance, la chance laissée à tout citoyen, en France, d'avoir la confession de son choix – ou aucune –, et la neutralité de l'État et des pouvoirs publics à l'égard des confessions ou de l'absence de confession. En d'autres termes, aucun individu ne pourra être favorisé ni défavorisé par la puissance publique du fait de sa confession.

La laïcité s'apprend aussi dans chacun des cours que les élèves sont amenés à fréquenter, notamment dans l'enseignement laïque du fait religieux que l'on rencontre souvent plus particulièrement en histoire. Nous veillerons donc, je le répète, à ce que cet enseignement non seulement se retrouve dans les futurs programmes d'histoire, mais y soit renforcé. Il est nécessaire, en effet, que les élèves connaissent le fait social, historique, que représentent les religions, pour porter un regard éclairé sur elles. Il s'agit là de leur transmettre non une foi, mais une connaissance de la réalité historique, culturelle et sociale des religions.

Au-delà de cet enseignement de la laïcité, le parcours citoyen a vocation à faire des élèves de futurs citoyens, en leur apprenant les valeurs de la République, et d'abord la liberté, l'égalité, la fraternité ; et à les faire participer, au sein de leur établissement scolaire, à certaines activités qui donnent tout son sens à l'expression de « rite républicain », parce qu'elles leur font vivre l'expérience de la République. Nous avons par exemple prévu que chaque établissement s'engage à célébrer une journée de commémoration avec ses élèves, et ce dans le cadre d'un projet éducatif : il ne s'agit pas seulement d'être là le jour J et de chanter La Marseillaise, même si cela fait partie de la démarche. C'est une manière d'aborder, de comprendre et de s'approprier l'histoire de France, en vue d'adhérer aux valeurs républicaines qui sous-tendent ces célébrations et les rites qui les accompagnent.

Ce parcours citoyen est en construction, et je vous invite à participer au processus. Je n'ai pas eu connaissance des travaux auxquels vous avez référence, monsieur le député, mais j'en suis évidemment tout à fait preneuse. Dans le cadre de la mobilisation du mois de janvier, nous avons demandé aux établissements de revoir leur projet d'école et d'établissement pour y intégrer cette nouvelle donne. D'où les éléments que j'ai mentionnés : règlement intérieur, charte de la laïcité à faire signer par les parents, introduction des rites républicains. Mais, je le répète, ce travail est en cours et nous sommes naturellement ouverts à vos suggestions.

Monsieur le président, il me semble que, pour défendre la laïcité et la faire aimer aux élèves, nous devons en toute chose garder de la mesure. Par exemple, on ne peut pas prétendre que c'est au nom de la longueur d'une jupe que l'on exclurait une jeune fille d'un établissement. Tel était le sens de mon propos. En réalité, d'ailleurs, dans l'établissement dont nous parlons, il n'y a pas eu d'exclusion ; je sais que les médias se sont très rapidement émus à cette idée, mais elle était fausse. En outre, ce n'est pas en raison de la longueur ou de la couleur de sa jupe que l'élève a été convoquée et qu'on lui a demandé l'ouverture d'un dialogue éducatif avec ses parents – puisque c'est bien de cela qu'il s'agit –, mais à cause d'un prosélytisme affiché, qui, en l'occurrence, ne passait pas nécessairement par la tenue vestimentaire, et qui doit absolument être combattu dans tous les établissements scolaires. Je suis très claire sur ce point.

Ce qui me permet de faire le lien avec la question des mères accompagnatrices. Notre position est que nous devons être intransigeants face au prosélytisme et aux provocations ; voilà pourquoi la fameuse circulaire Chatel est maintenue, afin de permettre aux équipes éducatives et aux chefs d'établissement de s'opposer fermement à toute dérive prosélyte, laquelle peut d'ailleurs être religieuse, politique, ou autre. Bref, les digues qui permettent de protéger la laïcité à l'école sont là. En revanche, le respect du droit des parents – dès lors que le Conseil d'État, dont vous connaissez la décision par coeur, a précisé que, n'étant pas des collaborateurs du service public, ils ne sont pas soumis à l'obligation de neutralité religieuse – nous amène à considérer que, s'ils manifestent leur bonne volonté pour accompagner des sorties, sans se livrer au moindre prosélytisme, s'ils désirent coopérer avec l'école, nous devons les accueillir, réagir par le dialogue et non par la fermeture. On sait, en effet, ce que la fermeture entraîne, notamment dans l'esprit des enfants : lorsqu'ils ont le sentiment que c'est uniquement à cause de leur religion que leurs parents sont mis de côté et stigmatisés, on en connaît les conséquences, en particulier la difficulté à les « raccrocher » ensuite au concept même de laïcité. En somme, nous luttons contre toutes les dérives, mais nous permettons aux parents de bonne volonté qui souhaitent coopérer avec l'école de le faire, nous en remettant à cet égard au discernement des équipes éducatives sur le terrain, issu de leur expertise.

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Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche

En premier lieu, la liberté d'enseignement est un principe constitutionnel. Le ministère répond aux demandes : sa position ne consiste ni à soutenir l'ouverture d'établissements privés – qu'ils soient ou non confessionnels, d'ailleurs –, ni à y faire obstacle. Dans ce domaine, je suis attentive au respect de deux principes. D'abord, l'égalité de traitement entre les demandes, qui doivent obéir aux mêmes procédures de déclaration, pour la création d'établissements hors contrat puis leur passage sous contrat d'association. La règle est en effet qu'au bout de cinq ans d'existence, un établissement hors contrat peut demander à passer sous contrat. Cette dernière demande fait l'objet d'une analyse partagée entre les académies et les préfectures. Nous avons engagé un travail commun avec le ministère de l'intérieur afin de veiller à l'harmonisation de nos procédures et de nos éléments d'analyse.

Pour mémoire, l'enseignement sous contrat, aujourd'hui, ce sont 7 300 établissements affiliés à l'enseignement catholique, plus de 120 affiliés à l'enseignement juif, 4 à l'enseignement musulman. En ce qui concerne ce dernier – puisque tel était, semble-t-il, l'objet de la question –, une quinzaine d'établissements hors contrat sont susceptibles, du fait de leur ancienneté, de demander un passage sous contrat d'association au cours des trois années à venir.

Par ailleurs un principe de vigilance s'impose, je l'ai rappelé dans mon propos liminaire, pour lutter contre les phénomènes de radicalisation. Voilà pourquoi nous avons diffusé le livret de prévention de la radicalisation dans tous les établissements scolaires, privés comme publics.

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Madame la ministre, je vous ai écoutée avec beaucoup d'intérêt, mais j'ai trouvé votre exposé liminaire – pardonnez-moi – un peu académique. Il exprime une sorte de colbertisme de l'éducation nationale : tout est bien rangé, les livrets sont là, etc. Cela met mal à l'aise. Car s'agissant de ce à quoi vous êtes confrontée comme ministre, et des difficultés que cela comporte, nous avons déjà entendu il y a bien des années, dans le cadre de la mission d'information conduite par Jean-Louis Debré sur la laïcité – entre autres instances –, des témoignages attestant que la situation devenait intolérable dans certaines classes du fait du prosélytisme et du refus opposé à l'enseignement de la gymnastique, de la biologie, ou à l'évocation historique du drame de la Shoah. J'ai le sentiment que l'éducation nationale, en tant que corps, n'a pas su prendre la mesure de ce qui était en train de se passer et a vécu dans une tour d'ivoire, refusant très souvent de collaborer avec des corps constitués extérieurs pour tenter de faire face.

Vous avez très justement parlé de rappeler les fondamentaux. M.Chevènement ne disait pas autre chose. On me dit laïcard, je ne vais pas me réformer ; mais la laïcité, ce sont les règles de la vie commune. C'est très fort. Il en va de même du parcours citoyen. J'ai en somme l'impression que l'éducation nationale en reste à une démarche très théorique, bien calibrée, mais un peu éloignée des réalités.

J'aimerais donc davantage de renseignements sur les signalements. Quel est celui qui met en cause l'élève le plus jeune ? Quelle est, parmi les jeunes concernés, la part de filles, de garçons ? Quelle est, si l'on peut dire, la « riposte » ? Ces enfants qui parfois se regroupent, à en croire certains professeurs, quel discours leur adresse-t-on ? Est-on ou non capable de les confronter à des éducateurs spécialisés qui vont leur ouvrir les yeux ? En quoi consiste leur prise en charge effective ? On a souvent parlé de mettre certains enfants dans des classes spécialisées, avec un peu plus d'encadrants, pour leur enseigner les fondamentaux ; ne peut-on agir ainsi vis-à-vis de ce qui peut représenter, vous l'avez dit, une dérive sectaire ?

Quant aux écoles confessionnelles, votre discours était là encore vraiment académique, éloigné des réalités. Ce qui remonte du terrain, ce n'est pas cela du tout : souvent, nous dit-on, les rectorats ont laissé faire et donné l'autorisation d'ouvrir des écoles à des gens qui n'avaient même pas la nationalité française ! Je connais des cas où le préfet et le procureur étaient prêts à intervenir, mais où le rectorat a lâché.

Cela pose un grave problème. Dans quelles conditions un certain nombre d'écoles confessionnelles sont ouvertes ? Et quel est le contenu de l'enseignement qui y est dispensé ? Les inspecteurs de l'éducation nationale y débarquent-ils pour le vérifier, au nom de l'ordre public – non celui des CRS, mais pour faire respecter la laïcité, les fondamentaux, l'égalité des sexes ? Car il est nécessaire d'agir avec force ; non la force brutale, mais la force de la République.

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Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche

J'ai bien entendu votre question sur le détail des signalements, que nous vous transmettrons. Je comprends bien, en effet, la nécessité d'établir des statistiques.

Dans les écoles confessionnelles, il y a des contrôles. C'est assurément un domaine dans lequel on peut s'améliorer en permanence. Mais les écoles privées sous contrat, qui doivent, je le rappelle, appliquer les mêmes programmes que l'école publique, sont soumises à des contrôles visant à vérifier le respect de ces programmes, des horaires des enseignants et de tout ce qui relève des valeurs républicaines. Ainsi, récemment, la manière dont l'établissement Averroès, visé par les accusations d'un professeur, a suscité débats et polémiques nous a conduits à dépêcher une inspection pour voir ce qui s'y passait exactement.

Quant aux établissements hors contrat, ils relèvent d'un régime non d'autorisation d'ouverture mais de déclaration.

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À condition d'être conformes à la loi !

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Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche

Je suis d'accord avec vous pour considérer que nous devons renforcer les contrôles dans ces établissements. Nous sommes précisément en train de constituer un pôle dédié au sein de l'inspection pour qu'ils soient plus fréquemment inspectés. En effet, la jurisprudence nous permet d'aller plus loin en ce domaine que ce que la loi indiquait jusqu'à présent…

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Je suis un peu étonné de ce que vous nous dites, madame. Dès lors qu'un établissement accueille du public, à la déclaration s'ajoute l'autorisation préfectorale. Il ne s'agit pas d'une déclaration comparable à celle qui précède une manifestation.

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Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche

Monsieur Myard, je répondais à votre question, par laquelle vous avez accusé les rectorats de laisser passer des établissements qui devraient être davantage contrôlés. Nous parlons des établissements hors contrat. Si le préfet a son mot à dire, tel n'est pas le cas du rectorat. Celui-ci, en effet, ne délivre pas une autorisation d'ouverture. Il ne s'agit, à son niveau, que d'une déclaration. Ce que vous dites est exact s'agissant du ministère de l'intérieur.

Nous sommes d'accord sur la nécessité de renforcer les contrôles et nous y travaillons en ce moment même, avec le ministère de l'intérieur, puisque cette compétence appartient aux préfets mais que nous avons évidemment des éléments d'analyse à leur apporter.

La jurisprudence, disais-je, montre que même dans les établissements hors contrat, nous pouvons, au-delà des règles d'hygiène et de sécurité dont l'application y était jusqu'à présent vérifiée en vertu de la loi, contrôler aussi le respect des valeurs républicaines. L'article L. 241-4 du code de l'éducation limitait l'inspection des établissements hors contrat aux questions de moralité, d'hygiène, de salubrité et à l'exécution des obligations imposées à ces établissements. La jurisprudence, aujourd'hui beaucoup plus claire, permet en outre de vérifier que l'on n'y prêche pas des idées contraires aux valeurs de la République. Nous devons simplement nous en saisir davantage et organiser des inspections. C'est ce que nous sommes en train de faire, mais c'est une nouveauté.

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Sauf erreur de ma part, il n'y a certes qu'une déclaration préfectorale mais la désignation du chef d'établissement, notamment, est subordonnée au contrôle de certains critères dont la durée d'enseignement. Elle dépend donc d'un dossier précis.

Vous soulignez qu'il faudrait contrôler de manière plus volontariste les écoles confessionnelles, ce qui suggère a contrario qu'aujourd'hui celles-ci ne sont pas contrôlées. Qu'en est-il ? À Nice, dans le quartier de l'Ariane, l'ouverture d'un établissement confessionnel qui doit relever de ce cadre fait débat. Quels peuvent être les contrôles, notamment en ce qui concerne la radicalisation ? Comment les dispositifs de prévention et de signalement que vous vous avez présentés peuvent-ils s'appliquer dans ce type d'établissements ?

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Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche

Pardonnez-moi de le répéter ici, mais vous êtes bien placés pour savoir qu'il existe un principe constitutionnel de liberté d'enseignement. C'est la base.

Ensuite – vous avez raison –, lorsque ces établissements ouvrent, nous contrôlons les locaux, aux fins d'hygiène et de sécurité dont je viens de parler, ainsi que les titres des enseignants. Mais cela ne signifie pas que nous puissions vérifier par la suite le contenu des enseignements – sauf dans le cadre de la possibilité, qui nous est désormais offerte par la jurisprudence, d'aller plus loin en vérifiant qu'il n'est pas porté atteinte aux valeurs de la République.

C'est toute la différence entre un établissement hors contrat et un établissement sous contrat. Dès lors qu'un établissement hors contrat demande à passer sous contrat, donc à bénéficier de subventions publiques, puisque c'est bien de cela qu'il s'agit, nous avons la possibilité d'accepter ou de refuser, puis, si nous acceptons, d'y effectuer régulièrement des contrôles, y compris du contenu des enseignements. Il convient de bien distinguer ces deux statuts.

Monsieur Myard, vous avez évoqué sinon le rapport Obin, du moins la contestation de certains enseignements et les difficultés de ce type, que l'on rencontre effectivement parfois. Un travail très important a été entrepris pour ne plus laisser les enseignants seuls face à ces situations. Nous avons ainsi développé, dans toutes les académies, des référents laïcité dont l'activité à temps plein a précisément cette fonction : se tenir disponibles pour être dépêchés, afin d'accompagner les enseignants, dans les établissements où on nous signale une difficulté particulière liée à l'enseignement de telle ou telle période historique ou des incidents ayant trait à la laïcité.

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Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche

Un. Avant, il n'y en avait aucun ! L'idée n'est pas que tout repose sur leurs épaules, mais que les enseignants eux-mêmes soient formés. C'est l'objet du plan exceptionnel que nous avons lancé pour former 1 000 formateurs, à leur tour chargés de former 300 000 enseignants d'ici à la fin de l'année. En outre, les corps d'inspection sont également mobilisables et mobilisés. Ainsi, au lendemain des incidents qui se sont produits dans des établissements scolaires autour de la minute de silence, nous avons fait appel aux corps d'inspection et aux référents laïcité pour qu'ils se rendent dans les établissements concernés et y évoquent de nouveau le sujet dans les classes. Il y a même des endroits où, au bout de plusieurs jours, une minute de silence a été réorganisée et, cette fois, respectée. Le travail est fait, selon une consigne ferme et claire donnée aux établissements le 22 janvier : ne surtout pas laisser passer ce type d'incidents et en informer chaque fois la direction et le rectorat.

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Madame la ministre, je me permets d'insister sur un point à propos duquel vous ne m'avez pas répondu, et qui nous paraît important. Comment les mesures de prévention et de détection de la radicalisation que vous nous avez présentées peuvent-elles s'appliquer dans les établissements confessionnels ouverts ou en voie d'ouverture, lesquels sont précisément susceptibles d'accueillir les enfants de familles désireuses de quitter le cadre où s'effectuent les contrôles ? Il existe un risque de contournement du dispositif prévu pour les établissements de droit commun, si l'on peut dire. C'est un sujet d'inquiétude. Y a-t-il pour les établissements hors contrat des mesures spécifiques destinées à identifier les signes plus ou moins faibles d'une radicalisation ? Votre plan de traitement de la radicalisation s'y applique-t-il ?

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Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche

Il s'applique clairement dans les établissements confessionnels sous contrat puisque nous y contrôlons le contenu des enseignements. En ce qui concerne les établissements hors contrat, comme je viens de vous le dire, le ministère de l'intérieur et le ministère de l'éducation nationale ont entrepris un travail conjoint destiné à renforcer nos inspections, en nous appuyant notamment sur une jurisprudence qui nous permet aujourd'hui de le faire. Nous constituons un pôle dédié d'inspecteurs qui se rendront dans ces établissements pour y vérifier les éventuelles atteintes aux valeurs de la République, ce qui inclut naturellement la radicalisation. Nous y oeuvrons avec le ministère de l'intérieur, les préfectures, sur le terrain, mais aussi les services de renseignement. Le 9 février dernier, avec le Premier ministre et le ministre de l'intérieur, nous avons réuni – c'était inédit – tous les préfets et tous les recteurs de France pour qu'ils travaillent ensemble sur ces questions, notamment celle d'une meilleure inspection des établissements hors contrat. Ce travail est donc bien en cours.

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Cela nous inquiète, car certains pourraient se détourner vers un système où l'on ne détecterait pas la radicalisation.

Un autre moyen de le faire, dont Yves Goasdoué, à qui je vais passer la parole, a été témoin lors d'un déplacement de notre commission d'enquête dans un collège, consiste à demander une dérogation scolaire. Une inspectrice de secteur nous a dit que de telles demandes pour motifs religieux étaient de plus en plus fréquentes.

En tout état de cause, notre commission formulera des propositions, mais c'est un point sur lequel nous souhaitions appeler votre attention.

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Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche

Notre mobilisation intègre aussi la question de l'instruction à domicile, pour laquelle nous voulons renforcer les contrôles, qui sont sans doute insuffisants dans ce domaine comme dans les établissements hors contrat.

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On a bien vu ce problème à propos des sectes.

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Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche

Absolument.

D'une manière générale, vous avez souhaité m'auditionner, mais je suis moi aussi preneuse de vos propositions à ce sujet.

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Pourriez-vous nous communiquer le nombre de demandes de dérogation pour motifs religieux ? A-t-il connu une évolution très marquée au cours des derniers mois ?

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Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche

A priori, il ne semble pas y avoir une évolution significative, mais nous allons étudier la question et nous vous répondrons par écrit.

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Madame la ministre, je profite de votre présence pour remercier l'immense majorité des équipes éducatives qui, après les terribles attentats de janvier, ont dû affronter au sein des établissements des situations extrêmement difficiles : dans chaque classe, des incompréhensions, des minutes de silence très pénibles parce que des élèves refusaient de s'y soumettre, n'en saisissant pas la raison. Or, dans la plupart de ces établissements, non seulement on n'en est pas resté là, mais le problème a été traité avec intelligence, humanité et en évitant de braquer les élèves, ce qui, comme vous l'avez dit, aurait compliqué leur « réintégration » – le terme est impropre – dans la laïcité, dans la nation.

J'aimerais vous interroger sur un aspect opérationnel. Je suis maire d'une ville qui compte plusieurs collèges. Le repérage des enfants qui commencent à « déraper » ou à se radicaliser n'est pas chose simple et l'interdisciplinarité y est souvent nécessaire : on a besoin du chef d'établissement, de l'équipe éducative, mais aussi du renseignement territorial, des services de l'enfance du conseil général, du centre communal d'action sociale (CCAS) de la ville, de la mission locale pour les jeunes. Nous avons fait l'expérience de cette approche chez le président Ciotti et je suis en train de l'instaurer chez moi. Comment pouvez-vous, très concrètement, la favoriser dans ce monde normé qu'est le monde de l'éducation, où l'on ne fait rien sans y avoir été autorisé ?

Vous avez par ailleurs indiqué que 536 signalements remontaient de vos services tandis que d'autres étaient effectués directement auprès du numéro vert de l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT). Existe-t-il un rapport institutionnel entre cette dernière et l'éducation nationale ? Des rapports de l'UCLAT vous sont-ils transmis par les rectorats ou les académies ?

Vous me pardonnerez le caractère quelque peu technique de ces questions : la technique aide quelquefois à résoudre les problèmes.

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Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche

Si je l'ai bien comprise, votre première question porte sur la manière dont on peut imposer de travailler ensemble aux équipes qui interviennent dans les collèges.

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Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche

Si j'employais ce terme, c'est que, disiez-vous, tout est très normé.

J'aimerais en profiter pour ouvrir une parenthèse à propos de la réforme du collège, dont on parle tant en ce moment. Elle sera très vertueuse dans ce domaine. Car en introduisant des pratiques pédagogiques fondées sur l'interdisciplinarité, en amenant plusieurs enseignants à travailler ensemble, ainsi qu'avec la documentaliste et d'autres personnels, et, ainsi, à mieux connaître les élèves, c'est une nouvelle culture professionnelle que l'on insufflera dans les établissements. Ces regards croisés dont les élèves feront l'objet permettront aussi de mieux repérer ceux qui sont en voie de radicalisation, en souffrance, en train de lâcher prise. L'interdisciplinarité qu'introduit la réforme du collège vise ainsi non seulement à favoriser leur réussite, mais aussi à lutter contre ce type de dérives.

Concrètement, le traitement des signalements est beaucoup plus facile pour nous lorsque les parents s'adressent à l'établissement, estimant que c'est là que leurs questions trouveront le plus de réponses, que lorsqu'ils composent directement le numéro vert, sur lequel nous n'avons pas aujourd'hui assez de retours.

En tout état de cause, en cas de fugue d'un enfant ou d'urgence quelle qu'en soit la nature, les faits sont directement signalés par l'établissement à la direction départementale de la sécurité publique, pour que l'on puisse agir rapidement. Nous avons demandé dans nos instructions que l'assistante sociale soit également saisie, car un traitement social du problème est nécessaire.

Pour le reste, d'un département à l'autre, les protocoles de signalement et de traitement peuvent différer, en fonction de la réalité locale. Nous pourrons vous donner le détail pour quelques départements qui vous intéresseraient particulièrement, monsieur Goasdoué.

Il existe aujourd'hui des relations bien établies entre les préfectures et les rectorats, notamment autour de la formation de nos personnels, ainsi qu'avec les services de renseignement. Nous allons les développer encore davantage. S'agissant de l'UCLAT, nous ferons en sorte que ses interactions avec nos services se développent, car la situation n'est pas totalement satisfaisante et les retours ne sont pas toujours suffisants.

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Aucun enfant ne naît ni raciste, ni antisémite. Voilà pourquoi l'éducation est si importante. La prévention, les sanctions sont une chose ; mais l'éducation, c'est tout.

Or, dans bien des écoles de la République, des élèves ont refusé de s'associer à la minute de silence après les attentats de janvier ; l'enseignement de la Shoah est quelquefois impossible ; des propos antisionistes et antisémites fusent, parfois sans aucune conséquence tant les cas sont nombreux ; le mot « juif » peut être devenu une insulte. C'est la réalité.

Le problème du terrorisme djihadiste et de ce nouvel antisémitisme qu'est l'antisionisme ne sont pas séparables. On l'a vu, hélas, avec Mohamed Merah et Amedy Coulibaly, le tueur de l'Hyper Cacher, qui, au-delà de leurs références djihadistes, ont justifié leurs actes par le rappel de ce qui se passe en Israël et dans les territoires palestiniens.

Vous étiez, madame la ministre, au côté du Premier ministre le 17 avril dernier, à Créteil, pour présenter le plan gouvernemental de lutte contre le racisme et l'antisémitisme. Je vous ai écoutés avec beaucoup d'attention et je ne doute ni de votre détermination ni de la sienne. Mais à aucun moment le terme d'antisionisme n'a été prononcé. Or, pour combattre un mal, il faut en déterminer la cause. Le Premier ministre l'a dit avant, après, mais pas lors de cette conférence de presse.

Je ne parle même pas des universités : dans certaines d'entre elles, on ne peut même plus enseigner l'hébreu. J'avais écrit à l'ancienne ministre de l'enseignement supérieur à ce sujet.

Quelles lignes rouges comptez-vous tracer pour aider les personnels éducatifs qui seront chargés de mettre en oeuvre ce plan et de former les citoyens de demain ? Quelles instructions allez-vous leur donner pour combattre cet antisémitisme et cet antisionisme ? Quelles règles allez-vous définir, quelles sanctions allez-vous prévoir ?

Puisque vous nous incitez à vous donner des idées, l'extraordinaire initiative de Mme Latifa Ibn Ziaten, qui a perdu son fils dans les tragiques attentats de Toulouse et Montauban et se trouvait la semaine dernière en Israël, avec des jeunes issus de l'immigration, ou celle de l'imam Chalghoumi qui se rendra lui aussi en Israël la semaine prochaine, nous montrent l'exemple. Voilà ce que l'on appelle le vivre ensemble. On pourrait aussi imaginer que, comme le font les policiers dans le cadre de leur formation, tous les enfants aillent au moins une fois dans leur vie au mémorial de la Shoah, à défaut de visiter Auschwitz.

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Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche

Au sujet de l'hébreu qui deviendrait difficile à enseigner à l'université, il existe bien un cas particulier à propos duquel vous aviez alerté le ministère : la fermeture du département d'hébreu de l'université Paris 8, liée à une baisse d'effectifs étudiants. Cela afin de rappeler objectivement les faits.

Toutefois, comme je le disais lundi lors du colloque dont j'ai parlé, il m'importe vraiment de développer plusieurs disciplines dites rares, dont l'hébreu fait partie, tout comme l'islamologie, d'ailleurs. Alors qu'elles sont indispensables pour éclairer les fractures de notre société, elles ont perdu beaucoup de leurs effectifs depuis plusieurs années et le nombre d'enseignants chercheurs, en particulier, y décroît. Je mène donc une politique volontariste de création de postes d'enseignants chercheurs dans ces disciplines.

Nous pourrons étudier le cas précis auquel vous faites allusion, mais, de manière plus générale, nous travaillons actuellement en ce sens.

Le plan de lutte contre le racisme et l'antisémitisme me semble constituer un engagement très ferme du Gouvernement contre toute forme de racisme et d'antisémitisme. C'est vrai, il existe aujourd'hui une nouvelle forme d'antisémitisme dont il faut savoir appréhender toutes les dimensions pour la combattre. En tout état de cause, et quels que soient les mots que l'on utilise, sachez que la fermeté et les sanctions seront identiques, conformément au plan, qui inclut aussi des actions de prévention et d'éducation, notamment la visite d'élèves dans des lieux mémoriels, expressément demandée aux établissements. Nous veillerons à ce que tout enfant ait la possibilité de faire cette expérience au cours de sa scolarité. Voilà aussi pourquoi nous finançons le mémorial de la Shoah et aidons son directeur, considérant qu'il s'agit d'un outil éducatif essentiel.

J'ai parlé des difficultés que l'on peut rencontrer en enseignant la Shoah et j'ai fait allusion au rapport Obin, qui a déjà dix ans. Tout ce que nous avons fait pour la laïcité, par l'enseignement laïque du fait religieux, le renforcement des équipes pédagogiques par des référents laïcité, la transmission de consignes claires aux établissements pour que ce type d'incidents ne soient plus minimisés, sert à réagir à ces difficultés. On ne peut pas laisser dire que l'éducation nationale se satisferait du fait que, dans un établissement, un enseignement puisse être contesté. Ce peut d'ailleurs aussi être l'enseignement scientifique qui est visé, par exemple sur le fondement de théories créationnistes. Il ne faut rien laisser passer de tout cela.

C'est parce que ces contestations sont largement nourries par ce qui circule sur Internet – théories du complot, désinformation en général – que j'insiste sur l'éducation aux médias et au numérique que nous introduisons. Je le répète, le collège 2016 sera celui où le numérique fera véritablement son apparition, non seulement pour apprendre aux élèves à maîtriser les outils, mais aussi pour développer leur esprit critique face au numérique.

Bref, ce sont des problèmes que nous avons pris à bras-le-corps. Je ne dis pas que tout est parfait. Mais les enseignants ne sont pas laissés seuls face à ces difficultés : nous leur apportons l'aide de professionnels aguerris, que nous formons à cette fin. En outre, de nouveaux enseignements, en particulier l'enseignement moral et civique et l'enseignement laïque du fait religieux, sont renforcés. Enfin, une consigne de fermeté a été donnée face à chacun de ces incidents ; peut-être n'était-elle pas aussi claire auparavant.

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Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche

Elles peuvent aller très loin. Certains cas de contestation de la minute de silence, en janvier, ont conduit à des exclusions – pour ne parler que des sanctions éducatives, car des condamnations ont aussi été prononcées lorsque la justice a été saisie. Dans la mesure du possible, nous cherchons à ouvrir un dialogue éducatif, à maintenir les élèves au sein de l'école plutôt qu'à les en rejeter ; mais, lorsque cela se justifie, on peut, je le répète, aller très loin.

Nous souhaitons aussi développer davantage les sanctions dites de responsabilité éducative. L'instruction en a été donnée aux rectorats. Ainsi, un élève qui aura tenu des propos antisémites ou racistes pourra être accueilli par une association qui lutte contre le racisme et l'antisémitisme, pour la voir fonctionner au quotidien, à des fins pédagogiques.

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Combien de perturbations de la minute de silence avez-vous recensées ?

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Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche

Environ 200 au cours des jours qui ont suivi l'organisation de la minute de silence. Au demeurant, elles n'ont pas toutes la même importance : il convient de faire la différence entre l'interrogation, la contestation, la perturbation véritable. Il s'agit d'un chiffre global incluant toutes les situations où des élèves ne comprenaient pas ce qui leur était demandé, donc ne l'acceptaient pas.

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Merci, madame la ministre, pour l'ensemble de vos propos. J'aimerais tempérer le discours de notre collègue Myard : pour ma part, je trouve quelques vertus au colbertisme de l'éducation nationale !

Je salue à mon tour les efforts de votre ministère, en particulier les actions engagées pour lutter contre le phénomène de radicalisation : le dispositif de signalement, mais aussi la politique plus structurelle à moyen et long terme.

J'ai cependant quelques questions à vous poser.

Comment la communauté enseignante, qui a parfois l'impression de porter à elle seule tous les fardeaux du monde, accueille-t-elle ces nouvelles responsabilités ? Le Gouvernement, en particulier votre ministère, devrait lui montrer par des signes forts qu'il l'accompagne et l'assiste dans ces tâches.

En auditionnant différents intervenants, on mesure combien la formation est essentielle à l'efficacité du dispositif de détection et de signalement. Sera-t-il possible d'atteindre les objectifs du plan de formation ? Former 300 000 enseignants d'ici à la fin de l'année, est-ce réaliste ? Par ailleurs, la formation initiale des enseignants inclut-elle des modules visant à tenir compte de ce phénomène en pleine croissance ?

Vous avez indiqué le nombre de signalements. Et après ? Vous avez longuement parlé de la prise en charge, mais j'aimerais en savoir plus sur les modalités de la coopération avec les autres parties prenantes, en particulier la justice, ainsi que la sécurité, sous l'égide du ministère de l'intérieur. Des rencontres régulières sont-elles organisées à tous les niveaux afin d'assurer un suivi de ces cas ? Vous fait-on part en retour de la manière dont ils ont été traités ? On a constaté sur d'autres sujets certaines insuffisances qui étaient très préjudiciables lorsqu'elles éclataient au grand jour. Il apparaît essentiel de travailler en synergie.

Enfin, c'est aussi à la périphérie de l'enceinte scolaire, en particulier à la sortie des établissements, que l'on peut observer certaines rencontres ou certains comportements susceptibles d'éveiller la curiosité. Les agents de proximité chargés d'encadrer les entrées et sorties ont-ils été eux aussi sensibilisés, de manière à pouvoir informer, le cas échéant, les chefs d'établissement et le renseignement territorial ?

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S'agissant de ce qui se passe après le signalement, on connaît maintenant les dispositifs mis en place par les préfets au sein des départements : ce sont en quelque sorte des commissions de lutte contre la radicalisation à partir de signaux faibles, auxquelles sont associés des personnels de l'éducation, des travailleurs sociaux, des policiers, les métiers de la justice, etc. Éducateur de profession, je sais que ces personnes s'inquiètent parfois des limites de leur rôle et de ce qu'ils peuvent ou non dire dans ce cadre. Comment cela se passe-t-il en ce qui concerne l'éducation nationale ? Qui sont ceux qui participent à ces instances ? Comment le suivi se déroule-t-il après le signalement, et selon quel partenariat ? Nous avons tous entendu parler de l'enfant de huit ans qui avait été signalé. Un enfant visé par un signalement, quelle qu'en soit la nature, reste ensuite scolarisé. Vous parlez d'assistante sociale, madame la ministre, mais elle n'est pas seule concernée par ces réalités.

Vous avez par ailleurs à tenir compte de certaines réalités territoriales, notamment par l'intermédiaire des réseaux d'éducation prioritaire (REP). Nous avons travaillé sur la mixité sociale au sein des établissements dans le cadre d'une mission animée par Claude Bartolone, président de l'Assemblée nationale. La situation que nous vivons depuis quelque temps a ravivé l'attention suscitée par certains lieux explosifs. Envisagez-vous donc d'aller plus vite dans ce domaine ?

J'en viens à l'ouverture de l'école à d'autres professions. Vous avez parlé d'équipes pluridisciplinaires. Au niveau départemental, les éducateurs sont parfois sollicités, ainsi que les clubs de prévention lorsqu'ils existent. On sait que les relations peuvent être difficiles entre l'école et le monde extérieur et que les interventions dans les établissements sont très réglementées. Comment concrétiser le partenariat au sein des établissements ? Comment l'enseignant, qui revendique souvent de ne pas être un éducateur, peut-il travailler en bonne intelligence avec les éducateurs spécialisés ?

J'en terminerai par un sujet qui m'est cher et auquel je vous sais également sensible. Nous qui travaillons beaucoup sur les réseaux sociaux, nous nous interrogeons sur l'apprentissage à l'école du traitement de l'information qu'ils diffusent. À ma connaissance, celui-ci n'est pas enseigné, sauf à compter sur la bonne volonté de certains enseignants qui ont décidé de prendre le problème à bras-le-corps.

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Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche

La formation est la clé : pour que l'école transmette non seulement des savoirs, mais aussi des valeurs, les enseignants doivent bénéficier d'une bonne formation, initiale et continue.

En ce qui concerne la formation initiale, les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE), dont il était nécessaire de rétablir le principe, forment aujourd'hui 20 000 nouveaux enseignants par an, soit pas moins de 200 000 en dix ans. Je leur ai demandé – ce sera l'objet d'une réunion en juin prochain – de veiller à ce que leur tronc commun d'enseignement intègre bien la capacité à transmettre les valeurs de la République et à les faire comprendre. Nous nous acheminons donc vers des ESPE qui ne se cantonnent pas aux contenus disciplinaires, mais forment aussi leurs étudiants à expliquer ce qu'est la laïcité, à résister ou à répondre à la contestation d'un enseignement, etc. Nous avons également demandé que les jurys des concours d'enseignement puissent davantage évaluer cette capacité. Cela fait partie des nouvelles mesures que nous avons adoptées lorsque l'école s'est mobilisée au lendemain des attentats de janvier.

Quant à la formation continue, l'effort consistant à former 300 000 enseignants, après 1 000 formateurs, est assurément important, notamment du point de vue financier. Je rappelle toutefois que nous avons décidé de consacrer à la mobilisation post-attentats 25 millions d'euros supplémentaires, dont l'essentiel ira à la formation continue. Il s'agit donc d'une ambition assumée et ces 300 000 enseignants seront bel et bien formés, comme nous l'avons prévu, d'ici à la fin de l'année.

En ce qui concerne les liens entre les services de l'éducation nationale et d'autres ministères, j'ai longuement évoqué l'action que nous menons avec le ministère de l'intérieur et la manière dont elle se répercute au niveau local par le travail conjoint des préfets et des recteurs. Celui-ci, bien relancé par notre réunion commune du 9 février dernier, sous l'égide du Premier ministre, est de plus en plus satisfaisant. J'ai en outre annoncé avec Christiane Taubira lundi dernier, à propos de l'affaire de pédophilie à Villefontaine, que j'allais étendre à l'éducation nationale ce que l'on appelle les référents justice : dans chaque académie, une personne sera en relation permanente avec la justice et informée des affaires pouvant concerner les personnels ou les enfants. Ce qui servira aussi la lutte contre la radicalisation, puisque l'existence de cet interlocuteur choisi facilitera l'accès de l'éducation nationale aux informations utiles et sa collaboration avec la justice.

J'en viens aux agents de proximité, et plus généralement à toutes les personnes qui, sans appartenir à l'éducation nationale, sont amenés à côtoyer les enfants – en particulier les agents municipaux encadrant le temps périscolaire – et à se poser les mêmes questions que les enseignants sur la laïcité ou la manière de réagir aux incidents. L'éducation nationale travaille avec l'Association des maires de France (AMF) en vue d'appliquer des règles identiques et de resserrer les liens entre nos agents et ceux de la municipalité dans le cadre périscolaire. Ce travail en cours est lui aussi né de l'après-attentats, à la suite d'une véritable prise de conscience, d'un sursaut commun : les collectivités avaient été invités à la grande consultation que nous avions organisée et dont nous sommes en train de tirer les conclusions.

De manière plus générale, cette mobilisation de l'école après les attentats a commencé, le 22 janvier, par l'annonce de plusieurs mesures concernant la formation, mais aussi de l'ouverture d'assises sur tout le territoire : il était demandé à l'école ainsi qu'à ses partenaires au niveau territorial – collectivités locales, parents d'élèves, entreprises, etc. – de se réunir localement pour tirer les conclusions de ce qui s'était passé – les attentats, les incidents dans les écoles – et étudier la manière de travailler ensemble pour éviter que ces situations, en particulier les incidents, ne se reproduisent. Ces assises ont eu lieu partout et rencontré un succès assez phénoménal, au-delà de nos espérances : 75 000 personnes sur l'ensemble du territoire y ont pris part depuis trois mois en s'exprimant en réunions publiques. Nous y reviendrons mardi 12 mai en faisant état de certaines préconisations qui nous sont remontées et qui viendront enrichir notre plan à l'école et vis-à-vis des partenaires de l'école.

Il s'agira de traiter des diverses questions que l'on a beaucoup évoquées ici, mais aussi de la mixité sociale, qui fait naturellement partie du sujet : comment peut-on parler d'égalité à nos enfants quand ils n'en font pas l'expérience dans leur propre établissement scolaire, parce qu'ils vivent dans des quartiers ghettoïsés et qu'ils fréquentent des établissements sans horizon ? Sur cette question de la mixité scolaire, nous avons également annoncé un travail de révision de la sectorisation, pour définir des secteurs plus vastes où la répartition serait plus équilibrée afin d'éviter la ghettoïsation.

Nous clôturerons ces assises en annonçant enfin le lancement de ce que l'on appelle la réserve citoyenne, que nous avions préfigurée mais qui n'était pas encore en place. Elle permettra à des adultes de bonne volonté, qui en ont manifesté le souhait, d'intervenir dans les classes au nom d'une expérience ou d'une expertise qui leur est propre et qui pourrait utilement être mise à la disposition des élèves. Il peut s'agir de mieux les éclairer sur un événement tragique du passé qu'ils auraient du mal à aborder, par exemple la Shoah, en faisant venir, comme cela se pratique aujourd'hui, mais uniquement avec d'anciens résistants ou déportés, des témoins d'autres drames historiques. Il peut aussi être intéressant de convier un chef d'entreprise pour rendre motivation et envie de se battre à certains élèves. Aujourd'hui, cela a été dit, l'éducation nationale est très fermée à l'intervention d'acteurs extérieurs. La réserve citoyenne favorisera au contraire une grande ouverture, étant entendu que nous contrôlerons la qualité et la probité des intervenants. Nous avons déjà 4 000 candidats, que nous mettrons en relation avec les établissements qui ont exprimé des besoins à propos de telle ou telle thématique. Typiquement, ce peut être une Latifa Ibn Ziaten ; il y en a d'autres, différents – car Latifa est toute singulière –, mais qui peuvent eux aussi apporter leur contribution aux établissements. Ce dispositif n'a rien de théorique ni de nébuleux : nous l'organisons rectorat par rectorat, sur le terrain.

Enfin, s'il est un enjeu dont je suis parfaitement consciente et à propos duquel je suis très lucide, c'est bien la nécessité d'enseigner à nos enfants, très tôt, à trier l'information sur Internet, à faire la part de la désinformation, à savoir se méfier. On en vient très vite à Internet, sur bien des sujets, dont la radicalisation ou le harcèlement – qui a causé récemment le terrible suicide d'une adolescente. La capacité à prendre du recul et à lire de façon éclairée les informations qui circulent sur les réseaux sociaux et sur le web en général est cruciale. Or, en ce domaine, l'école détient une responsabilité. Certains voudraient qu'elle reste en mode avion, qu'elle se tienne à l'écart de cette évolution de la société ; je crois que ce ne serait pas rendre service à nos enfants : puisqu'ils baignent de toute façon dans cet univers, autant leur donner les codes qui leur permettront de s'y protéger plutôt que les laisser tomber dans tous les pièges qui leur sont tendus.

Le Président de la République fera justement plusieurs annonces, à l'occasion d'un déplacement que nous effectuerons demain après-midi, sur l'introduction du fameux plan numérique, que nous évoquons depuis plusieurs mois, au collège en 2016, afin, je le répète, non seulement d'enseigner aux élèves les outils, mais aussi de développer leur esprit critique face au numérique.

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Merci beaucoup, madame la ministre.

La séance est levée à 18 heures 05.