Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, depuis que vous m'avez auditionné le 21 janvier dernier, au lendemain des attentats, la situation à laquelle nous sommes confrontés a évolué, ce qui justifie que je vienne faire à nouveau le point devant vous. Ce qui n'a pas évolué, c'est le niveau très élevé de la menace : notre pays est confronté à un niveau de menace très élevé justifiant que nous prenions toutes les précautions et mobilisions l'ensemble des services pour assurer la protection des Français. Si le Gouvernement adapte son dispositif en permanence sur le plan des organisations opérationnelles et du dispositif législatif, c'est parce qu'il est parfaitement conscient que, confrontés à un haut niveau de menace, nous devons être en situation de faire face avec la plus grande réactivité. Je vous remercie donc de me permettre de m'exprimer à nouveau devant votre commission d'enquête afin de vous présenter le bilan précis de l'action que nous menons contre les réseaux terroristes. Je crois en effet qu'il est d'excellente méthode que nous puissions régulièrement débattre ensemble de notre dispositif antiterroriste, et je reviendrai devant la commission des Lois de l'Assemblée nationale à l'invitation des parlementaires aussi souvent que cela sera nécessaire afin de faire le point sur l'état de la menace et les dispositions prises par le Gouvernement pour y faire face.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, pour être efficace, notre riposte doit susciter un consensus républicain le plus large possible. Face aux terroristes, c'est en effet l'unité nationale qui doit absolument prévaloir. C'est pourquoi je veux à nouveau remercier l'ensemble des membres de votre commission d'enquête, notamment son président Éric Ciotti et son rapporteur Patrick Mennucci, pour le travail important d'ores et déjà réalisé, qui contribuera à nourrir la réflexion collective sur le phénomène auquel nous sommes confrontés comme sur les réponses qu'il est souhaitable de lui opposer.
Où en sommes-nous aujourd'hui, plus de quatre mois après les attentats qui ont endeuillé notre pays au début du mois de janvier ? Notre riposte antiterroriste n'a cessé de monter en puissance au cours de ces derniers mois, dans le respect du droit et des libertés fondamentales. Une grande partie des mesures que nous avions prises au lendemain des attentats, dans la continuité du plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières djihadistes que j'avais annoncé en avril 2014, sont désormais appliquées avec la plus grande fermeté – ou sont sur le point de l'être pour certaines dispositions législatives.
Face à une menace qui s'est précisée et s'est amplifiée, nous avons en effet considérablement renforcé notre dispositif antiterroriste. Comme vous le savez, la menace est protéiforme et d'une nature largement inédite. Je ne m'étendrai pas sur sa description, dans la mesure où nous partageons le même diagnostic. Elle résulte tout d'abord de l'évolution de la situation au Moyen-Orient, où des groupes terroristes tels que le Jabhat al-Nosra poursuivent, de façon désormais autonome, la lutte initiée par d'autres groupes terroristes dans les années 1980 et 1990. Parallèlement, l'organisation Daech, plus récente, a profité des crises successives en Irak et en Syrie pour se tailler un vaste fief dans la région, cherchant à y bâtir un État totalitaire d'un nouveau genre.
Le croisement de ces deux dynamiques explique en partie que la zone irako-syrienne soit aujourd'hui le principal pôle d'attraction du djihadisme international. On estime ainsi qu'une douzaine, voire une quinzaine de milliers de combattants étrangers, ont rejoint à ce jour les différents groupes terroristes actifs dans la région. La menace évolue aussi à l'intérieur de nos frontières. Malgré les récents revers qu'elles ont connus, en particulier grâce aux frappes de la coalition internationale, les organisations terroristes continuent en effet de recruter, notamment dans notre pays. Dès lors, nous ne sommes plus confrontés à des cellules étanches venant de l'extérieur commettre des attentats sur le sol européen avant de retourner dans leur pays d'origine : aujourd'hui, la menace est diffuse, car elle implique des personnes qui sont nées et ont grandi parmi nous et qui, au terme d'un processus de radicalisation, basculent dans le fanatisme et la violence armée. La dissémination des vecteurs de la radicalisation – sur Internet, en prison, au contact d'activistes radicaux – et des modalités du passage à l'acte transforme le travail de nos services de sécurité et de renseignement. Aujourd'hui, quiconque souhaite commettre un attentat peut aisément se procurer les informations et les moyens nécessaires, notamment via Internet.
Nombreux sont ainsi les néo-djihadistes à s'être radicalisés sur les réseaux sociaux, où interviennent des recruteurs et où les organisations terroristes diffusent des messages et des vidéos de propagande parfaitement adaptés à la sphère numérique et à l'engouement qu'elle peut susciter auprès des jeunes générations. Les recruteurs manipulent ainsi un public le plus souvent fragilisé et vulnérable, en rupture familiale, sociale ou psychologique, en quête d'un idéal à la fois confus et morbide. Même si les actions de prévention que nous avons mises en place dès le mois d'avril 2014 ont permis d'empêcher bien des départs, on compte à ce jour très précisément 457 Français, dont un très grand nombre sont jeunes, présents ou résidant habituellement en Irak et en Syrie. D'une manière générale, on estime que près de 1 600 Français sont impliqués d'une manière ou d'une autre dans les filières irako-syriennes.
Parmi les 457 Français localisés sur zone, on compterait 137 femmes et 80 mineurs – dont 45 jeunes filles mineures. Les volontaires ayant quitté la Syrie seraient 278, dont 213 seraient déjà revenus en France. Il y aurait, en transit vers la zone, 320 de nos ressortissants, et 521 Français auraient manifesté des velléités de départ ; 105 sont décédés sur zone, dont huit dans le cadre d'opérations-suicide ; enfin, deux Français sont détenus en Syrie.
Le nombre global de Français impliqués est passé de 555 à 1 683, ce qui représente une augmentation de 203 % depuis le 1er janvier 2014. Quant au nombre total de combattants – je distingue les impliqués des combattants, car les impliqués incluent ceux qui ont manifesté des velléités de départ –, il est passé de 224 à 457, ce qui représente une augmentation de 104 %. Les candidats sont principalement originaires de six régions – Île-de-France, Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Languedoc-Roussillon, Nord-Pas-de-Calais et Midi-Pyrénées.
Il existe donc un véritable continuum de radicalisation. Je pense notamment à la porosité entre délinquance et terrorisme, très visible lorsqu'on examine les cas de ceux qui sont engagés dans des opérations à caractère terroriste, et qui exige de notre part des réponses nouvelles et adaptées. C'est pourquoi nous avons adopté une stratégie globale et cohérente conciliant les objectifs de prévention et les objectifs de répression.
Le premier volet de ce dispositif, dont la loi sur le renseignement sera le noyau dur, consiste à renforcer les modalités de répression du terrorisme, notamment les moyens d'action de nos services de sécurité et de renseignement. Après les attentats de janvier, il était nécessaire de donner aux services les moyens humains et matériels supplémentaires qui leur manquaient en raison des nombreuses suppressions de postes effectuées au cours des dernières années. Le Conseil des ministres a arrêté un plan le 21 janvier dernier, renforçant considérablement les moyens des services de renseignement sur les exercices 2015, 2016 et 2017.
Je veux, là encore, être aussi précis que possible : aux termes de ce plan puissant, 1 404 emplois seront créés au ministère de l'intérieur, dont 1 100 pour le renforcement des services chargés du renseignement intérieur – Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), Service central du renseignement territorial (SCRT), Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP). Au ministère de la justice, 950 emplois nouveaux seront créés sur la même période, répartis entre les juridictions, l'administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse. Les services du ministère de la défense et des finances concourant à la lutte antiterroriste et contre les réseaux de soutien bénéficieront également du renfort respectif de 250 et 80 agents, dont 70 pour les douanes – un domaine d'action absolument stratégique, notamment en matière de lutte contre le trafic d'armes et l'utilisation des fonds provenant de la traite des êtres humains, qui peuvent contribuer à alimenter des activités terroristes.
Il m'arrive d'entendre et de lire des choses complètement fausses, notamment dans les prises de parole de certains responsables politiques éminents – ou qui le furent. Je précise donc que les 1 404 emplois équivalents temps plein créés au ministère de l'intérieur correspondent à des créations nettes d'emplois : tout propos affirmant le contraire est un mensonge. Je précise que le renforcement immédiat des services de renseignement s'est opéré au cours des dernières semaines par le biais de mutations internes, dont les mouvements seront compensés par les sorties d'école à venir. À cette fin, les entrées en scolarité ont été augmentées à due concurrence dès cette année, et seront calibrées en 2016 et 2017 pour permettre la saturation du nouveau plafond d'emplois résultant des créations de postes décidées selon le rythme arrêté pour le plan triennal.
Sur les 1 404 emplois créés au sein de mon ministère, 538 le sont au titre de l'année 2015. Au 15 mai, 168 postes étaient pourvus, le complément devant intervenir entre le 1er juillet et le 1er septembre dans le respect du calendrier des commissions paritaires de chaque corps. Un aménagement du calendrier des sorties d'école de fin d'année a été décidé pour permettre, grâce à l'inversion de séquences pédagogiques, la compensation des mouvements de mutation que je viens d'évoquer, dès le mois d'octobre.
Ces efforts très conséquents s'ajoutent évidemment aux 432 postes supplémentaires de la DGSI déjà programmés depuis 2013, et conforteront la relance du recrutement au sein des forces de l'ordre, par ailleurs entamée dès 2012 – nous avons en effet 500 emplois par an dans les forces de police et de gendarmerie. Par ailleurs, il ne remet pas en cause la mobilisation quotidienne des forces de police et de gendarmerie, ni l'engagement des forces armées pour l'opération Sentinelle, déployée dans le cadre du plan Vigipirate et mobilisant 7 000 soldats.
Au-delà de ces renforts sans précédent des effectifs opérationnels et techniques, les efforts du Gouvernement portent également sur les moyens budgétaires des services. Ainsi, 233 millions d'euros seront affectés au ministère de l'intérieur au titre du plan du 21 janvier, dont 98 millions d'euros dès 2015. À ce jour, 50 % des autorisations d'engagement sont déjà effectuées, qu'il s'agisse des moyens techniques des services ou des marchés relatifs à la modernisation de nos systèmes d'information, notamment le portail des applications policières CHEOPS ou la plateforme de signalement PHAROS, qui analyse et recoupe un certain nombre d'informations, de signalements et de contenus illicites sur Internet.
L'ensemble de ces moyens en effectifs comme en équipements me permettra de densifier l'implantation des services de sécurité et de renseignement sur l'ensemble du territoire, afin de mieux détecter en amont les signes de radicalisation. C'est pourquoi, parmi les 1 404 nouveaux postes créés, 500 sont dédiés au Service central du renseignement territorial, pour renforcer la couverture du territoire, y compris en zone rurale, puisque la gendarmerie bénéficiera de 150 de ces 500 postes. Quant à la DGSI, elle pourra également accroître sa présence sur le terrain dans la perspective d'un maillage qu'elle réorganisera. C'est en effet la destination essentielle de ces 500 nouveaux emplois décidés dans le plan arrêté le 21 janvier dernier.
J'insiste sur deux points. Premièrement, les créations d'emplois sont des créations nettes, d'ores et déjà compensées, quand elles se font au moyen de mutations, par l'augmentation des effectifs d'élèves recrutés dans les écoles. Deuxièmement, sur les 233 millions d'euros destinés à venir abonder les moyens des services – hors titre II –, 98 millions d'euros sont déjà mobilisés en 2015.
S'il est indispensable d'accorder davantage de moyens à nos forces de sécurité, un tel effort resterait pour autant insuffisant si nous ne réformions pas en parallèle la façon dont nos services coordonnent leur action. Je serai très clair sur ce point : les services doivent tourner la page de la culture du cloisonnement et systématiser les échanges d'informations. Le caractère diffus de la menace rend absolument nécessaire une telle évolution, ce dont les services sont d'ailleurs parfaitement conscients. Cela correspond aux directives et instructions très fermes que j'ai données à leurs directeurs généraux. Ainsi, le 17 avril dernier à Nîmes, j'ai moi-même souhaité rencontrer les cadres de la Direction centrale de la sécurité publique et je leur ai demandé de s'engager pleinement à leur niveau dans la lutte antiterroriste et de travailler en étroite coordination avec le SCRT, dont la grande force est justement de dépendre de la sécurité publique, c'est-à-dire de la police du quotidien, implantée sur l'ensemble du territoire grâce au maillage des services de police et des unités de gendarmerie.
Par ailleurs, nous consolidons considérablement l'articulation entre le premier cercle du renseignement – la DGSI et ses partenaires de la communauté du renseignement – et le deuxième cercle, c'est-à-dire le SCRT et les services d'investigation. À cet égard, l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) joue un rôle absolument majeur et même décisif. Des cellules de coordination ont été mises en place, réunissant l'ensemble des services de renseignement policier en une organisation opérationnelle, réactive et de plus en plus fluide. Enfin, nous renforçons les liens entre les renseignements intérieurs et extérieurs. Une équipe de la DGSE est désormais présente dans les locaux de la DGSI, ce qui était inconcevable il y a encore peu de temps. Ces rapprochements n'ont suscité aucune réserve de la part des services concernés, conscients du caractère global de la menace et de la nécessité, pour être efficaces, d'y répondre de manière collective.
Notre méthode porte ses fruits : nous démantelons régulièrement des filières, et des projets d'attentat sont évités. Depuis le 1er janvier 2014, 138 procédures judiciaires concernant 673 personnes sont en cours pour des activités liées au terrorisme ; 272 personnes ont été interpellées ; 161 personnes ont été mises en examen, et 111 ont été écrouées ; 12 mandats d'arrêt internationaux ont été délivrés, et 9 ont été exécutés. Par ailleurs, l'essentiel des innovations introduites dans notre législation par la loi du 13 novembre 2014 est désormais appliqué avec la plus grande fermeté. À ce jour, 69 interdictions de sortie du territoire visant des ressortissants français soupçonnés de vouloir rejoindre des organisations actives au Moyen-Orient ont d'ores et déjà été prononcées, dont 62 sont notifiées. Par ailleurs, 24 interdictions administratives de territoire (IAT) ont été prononcées à l'égard de ressortissants étrangers ; 10 expulsions ont été exécutées en 2014 et l'instruction de 52 dossiers est en cours. Je rappelle qu'entre 2007 et 2012, le nombre d'expulsions s'élevait en moyenne à 8 par an.
Par ailleurs, les décrets d'application sur le blocage administratif et le déréférencement des sites Internet illicites ont été promulgués en février et mars derniers. Depuis lors, 36 sites ont fait l'objet d'une mesure de blocage et d'autres sont à venir.
La répression du délit d'apologie et de provocation au terrorisme a été renforcée. Plusieurs peines de prison ont ainsi été prononcées en comparution immédiate depuis le mois de janvier pour ce motif.
Enfin, comme vous le savez, le Gouvernement a déposé un projet de loi visant à donner à nos services de renseignement un cadre légal moderne et cohérent, adapté à la fois aux nouvelles menaces dont notre pays peut être la cible, aux mutations technologiques les plus récentes et à l'évolution du droit international et national. La loi sur le renseignement qui viendra couronner notre dispositif de lutte antiterroriste a d'ores et déjà été adoptée à une large majorité par l'Assemblée nationale. Elle a pour objectif de fixer un cadre juridique aux missions accomplies par les services et des règles d'emploi claires des techniques de renseignement, afin de garantir les libertés individuelles fondamentales tout en protégeant les agents qui les défendent, comme les Français qu'ils sont chargés de protéger.
Le texte renforce ainsi les indispensables dispositifs de contrôle et d'évaluation de l'action des services. À cet égard, un triple niveau de contrôle est instauré : administratif – avec la future Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) –, juridictionnel – avec le Conseil d'État – et parlementaire – avec le renforcement des pouvoirs de la Délégation parlementaire au renseignement.
Le second volet de notre action concerne la prévention de la radicalisation et la déradicalisation, qui mobilisent tous les services de l'État. Il s'agit d'un domaine d'intervention récent, ayant vocation à s'articuler avec des réponses sécuritaires. Le pilotage de ce volet spécifique a été confié au Comité interministériel de prévention de la délinquance, une structure autonome et interministérielle – deux critères absolument nécessaires dans la lutte contre la radicalisation. Notre objectif est, d'une part, d'empêcher toute personne en cours de radicalisation de basculer définitivement dans le fanatisme et la violence, d'autre part, d'amener celles et ceux qui sont déjà radicalisés à renoncer à la violence – je pense notamment aux personnes qui reviennent d'Irak et de Syrie. Depuis avril 2014, plusieurs actions précises ont été déployées. Vous en connaissez la plupart et je ne m'y attarderai donc pas, mais la plateforme téléphonique nationale qui permet aux familles de signaler les risques de départ et de bénéficier d'un soutien a désormais atteint sa pleine maturité opérationnelle : près de 1 900 signalements pertinents ont été recensés, soit plus de la moitié des 3 800 cas signalés aux autorités. Ce dispositif à la fois simple et inédit s'est donc révélé particulièrement efficace.
Par ailleurs, les cellules de suivi pilotées par les préfets dans chaque département sont maintenant toutes installées et montent en puissance. Autour du préfet et du procureur, elles réunissent les services de l'État concernés – sécurité publique, renseignement territorial, protection judiciaire de la jeunesse, éducation nationale, services sociaux –, ainsi que leurs partenaires, parmi lesquels les collectivités locales jouent un rôle déterminant, notamment au regard de leurs compétences sociales. Ces cellules de suivi organisent la prise en charge des personnes radicalisées ou en cours de radicalisation en leur proposant des dispositifs de réinsertion individualisés. La pleine coopération de tous les acteurs mobilisés est la clé de l'efficacité. Il en va de même pour les autres mesures déjà mises en oeuvre, qu'il s'agisse de la formation des acteurs de terrain, de l'élaboration d'une grille d'indice de radicalisation, ou de la mise en place de différents programmes de réinsertion et de suivi social, psychologique ou médical.
Par ailleurs, deux autres dispositifs novateurs ont été plus récemment validés par le Gouvernement. Une équipe mobile d'intervention, jusqu'alors à l'état de projet, a été officiellement créée. Pilotée par Mme Dounia Bouzar, elle interviendra sur le terrain à la demande des préfets pour traiter les situations individuelles les plus difficiles. Par ailleurs, la création d'un centre d'accueil des personnes revenant des zones de conflit a été annoncée par le Premier ministre il y a quelques jours. Il aura pour objectif d'amener progressivement et de façon très encadrée celles et ceux qu'il accueillera à renoncer à la violence, puis de les réinsérer dans la société tout en les réconciliant avec les principes de la République.
Le dispositif de prévention tel qu'il est organisé me paraît tout à fait pertinent. Pour autant, si cette organisation est aujourd'hui stabilisée, il n'en reste pas moins nécessaire d'en évaluer en permanence l'efficacité opérationnelle. C'est pourquoi j'ai confié à l'Inspection générale de l'administration le soin de coordonner une mission d'audit inter-inspections afin d'apprécier la qualité du travail effectué et surtout de proposer des pistes d'amélioration sur la détection des situations à risque, les modalités de prise en charge et de soutien aux familles. La garde des sceaux, la ministre de l'éducation nationale et moi-même venons de signer une lettre de mission adressée aux inspections générales, qui devront nous remettre dans un délai de six mois un rapport sur la base duquel nous ne manquerons pas de prendre les initiatives nécessaires pour parfaire les édifices déjà mis en place et les compléter le cas échéant.
Enfin, depuis plusieurs mois, la France est à l'initiative pour renforcer la coopération européenne et internationale face à la menace terroriste qui nous concerne tous, comme l'ont montré les attentats de Bruxelles, de Copenhague, de Bamako ou encore de Tunis. Sous l'égide du Premier ministre, une stratégie globale de lutte antiterroriste a donc été élaborée par la France et proposée à l'ensemble de nos partenaires européens. Elle prolonge à l'échelle de l'Union nos objectifs en matière de répression et de prévention. D'importantes avancées ont été réalisées ces derniers mois. Dès le 11 janvier, comme vous le savez, j'ai réuni en urgence place Beauvau les ministres de l'intérieur du G10 avant la grande manifestation qui devait avoir lieu, afin d'organiser la riposte européenne et internationale. Les orientations communes alors définies ont servi de cadre à la déclaration conjointe que les ministres européens de l'intérieur et de la justice ont adoptée le 29 janvier à Riga. Ces propositions ont ensuite été reprises par le programme de travail arrêté par le Conseil européen le 12 février, qui constitue désormais la feuille de route de l'Union européenne en matière de lutte antiterroriste. Nous avons donc été force de proposition d'avant-garde sur ces questions : les propositions européennes ont repris les propositions françaises. Cette même feuille de route a été intégrée à l'agenda pour la sécurité que la Commission européenne a publié le 28 avril.
Trois grandes priorités orientent notre action commune. Il s'agit d'abord de l'adoption, d'ici à la fin de l'année, d'un PNR européen, afin de permettre aux polices européennes, dans des conditions très strictes de protection des données, d'accéder aux listes de passagers des avions pour mieux y repérer les combattants étrangers. C'est ensuite le renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l'Union européenne par la mise en oeuvre de contrôles systématiques et coordonnés. C'est, enfin, le renforcement de la lutte contre la propagande et le recrutement terroristes sur Internet. Ces trois priorités concentrent l'essentiel de nos efforts au plan européen, même si notre action comporte évidemment d'autres volets – je pense en particulier à la lutte contre le trafic d'armes, à la coopération policière et judiciaire et à l'intensification des échanges d'informations, notamment grâce à un meilleur usage d'Europol et d'Eurojust.
Où en sommes-nous aujourd'hui ? L'urgence est d'abord d'adopter le PNR. Les attentats de janvier ont en effet conforté les ministres de l'Union dans leur conviction qu'un tel outil était essentiel pour repérer les combattants étrangers quand ils quittent l'Union européenne ou quand ils y reviennent. C'est pourquoi la France souhaite aboutir au plus tôt à un texte équilibré, conciliant exigences de sécurité et haut niveau de protection des données personnelles : ces deux objectifs peuvent être atteints ensemble.
Nos efforts de sensibilisation auprès des députés européens commencent à porter leurs fruits. Le 4 février dernier, je me suis rendu au Parlement européen pour rencontrer les membres de la commission LIBE et leur proposer des pistes de travail portant notamment sur l'inclusion de garanties supplémentaires dans le projet de directive PNR. Les choses avancent dans le bon sens. Le 11 février, en séance plénière, le Parlement européen a adopté une résolution sur les mesures à prendre en compte contre le terrorisme, qui prône l'adoption d'un PNR européen d'ici à la fin de l'année 2015. Par la suite, le rapporteur Timothy Kirkhope a présenté un projet de rapport révisé. De notre côté, nous mobilisons la présidence luxembourgeoise pour faire avancer rapidement le dossier PNR, tout en veillant à ce que le futur rapport qui sera adopté par le Parlement européen tienne compte à la fois de nos priorités et des lignes rouges que nous nous refusons à franchir.
La deuxième priorité de notre action commune consiste en la nécessité de renforcer les contrôles aux frontières extérieures de l'Union européenne – c'est ce que certains appellent le Schengen 2 –, ce qui est déjà presque fait. Il en va de la crédibilité et de l'efficacité de l'espace Schengen, qui doit protéger les Européens. Nous devons impérativement nous doter des moyens d'assurer des contrôles approfondis et systématiques des ressortissants européens à l'entrée de l'espace Schengen selon des critères pertinents et partagés. Les travaux actuels vont dans la bonne direction. La déclaration du Conseil européen du 12 février représente une étape importante, puisque les chefs d'État et de gouvernement ont pris la décision de renforcer les contrôles de façon coordonnée. Nous devons d'une part établir rapidement des critères communs de contrôle, d'autre part les appliquer de façon conjointe. C'est exactement ce que j'ai proposé à mes homologues lors du Conseil « Justice et affaires intérieures » du 12 mars dernier. À plus long terme, je défends une révision du code Schengen, conformément à la déclaration du Conseil. J'estime que cette étape est incontournable si l'on veut combattre avec efficacité les évolutions de la menace terroriste.
Enfin, la troisième priorité réside dans la nécessité de renforcer le dialogue européen avec les acteurs du Net, afin d'améliorer les procédures de signalement des sites terroristes et d'obtenir le retrait des contenus illicites. Nous travaillons donc à favoriser la convergence des législations en matière de retrait des contenus illégaux. Parallèlement, nous devons développer sur Internet un contre-discours visant à contrecarrer les phénomènes de radicalisation et d'endoctrinement. C'est tout l'objectif de l'initiative lancée avec l'appui de la Belgique. Une équipe de communication stratégique sur la Syrie a été mise en place grâce à un financement européen. La France participe bien sûr sans réserve aux travaux de cette cellule.
Enfin, il est urgent que nous réfléchissions aux pratiques de cryptage développées par les grands acteurs d'Internet. Elles empêchent en effet l'interception des communications, y compris à des fins de défense nationale et de lutte antiterroriste. Je me suis rendu aux États-Unis dans la Silicon Valley en février dernier pour y rencontrer les principaux opérateurs Internet et évoquer avec eux l'ensemble de ces problématiques. Je crois en la nécessité d'un tel dialogue, dont je souhaite d'ailleurs qu'il se poursuive à l'échelle européenne. Le 22 avril, j'ai organisé à Paris une table ronde réunissant les acteurs internationaux du numérique, et nous avons adopté ensemble une plateforme de bonne conduite qui permettra le retrait plus rapide des contenus illicites et renforcera la formation des policiers et des gendarmes. Nous créons par ailleurs un groupe de contact permanent entre le ministère de l'intérieur et ces opérateurs, dont la première réunion a eu lieu le 12 mai. La relation inédite que nous sommes en train de construire avec ces opérateurs s'inscrit donc dans un processus solide, durable et confiant.
Avant de conclure, je voudrais insister sur la nécessaire coopération avec les pays du Proche et du Moyen-Orient – je pense tout particulièrement à la Turquie, qui est en première ligne sur le dossier syrien, puisque les candidats au djihad et les djihadistes de retour du théâtre des opérations transitent de façon quasiment obligatoire par le territoire de la Turquie. C'est pourquoi nous avons mis en place un protocole de coopération entre nos services respectifs, qui a déjà permis le retour encadré de nombreux jeunes partis en Syrie – il y en a toutes les semaines, parfois même tous les jours d'une semaine. Par ailleurs, je me suis rendu à Lisbonne le 28 avril dernier, afin d'y rencontrer dans le cadre du G4 mes homologues espagnols, portugais et marocains. À cette occasion, nous avons décidé de renforcer encore davantage notre coopération dans la lutte antiterroriste. Je n'oublie pas non plus les pays d'Afrique confrontés au terrorisme djihadiste. Je suis allé au Niger et au Cameroun il y a quatre jours et j'ai pu y constater les dégâts faits par Boko Haram. Là aussi, nous souhaitons mettre en place une riposte coordonnée.
Depuis janvier, la menace s'est précisée et concrétisée. Aujourd'hui, elle reste à un niveau très élevé. Il eût été inquiétant qu'au cours de ces derniers mois, aucune des actions que nous avons initiées, aucune des mesures que nous avons prises n'eût progressé. Fort heureusement, ce n'est pas le cas, grâce à la très grande détermination qui est la nôtre et celle des services – et la vôtre aussi, puisque vous êtes tous très impliqués dans l'examen des dispositions législatives nouvelles que nous avons présentées au Parlement pour lutter efficacement contre le terrorisme.
La situation à laquelle nous sommes confrontés est un défi pour notre société, pour la République et pour la cohésion de la Nation. Je crois à la stratégie globale et à bien des égards novatrice que nous avons arrêtée, une stratégie déjà largement mise en oeuvre et qui me semble être à la mesure des défis auxquels nous sommes confrontés. Je tenais à faire ce point exhaustif des mesures prises de manière à ce que vous puissiez me poser toutes les questions que vous souhaitez pour compléter votre rapport.