La séance est ouverte à 8 heures 20.
Présidence de M. Éric Ciotti, président.
Monsieur le ministre, je vous remercie au nom de notre commission d'enquête d'avoir répondu pour la seconde fois à notre invitation. Nous avons souhaité, après votre première audition du 21 janvier dernier, qui marquait le début de nos travaux, vous entendre à nouveau au moment où ces travaux arrivent pratiquement à leur terme. En effet, après l'audition de Mme la garde des sceaux qui doit avoir lieu cette après-midi, nous allons, dès la semaine prochaine, examiner le rapport rédigé par notre rapporteur, Patrick Mennucci.
Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Bernard Cazeneuve prête serment.)
Après votre audition de janvier dernier ont eu lieu des événements confirmant, hélas, que notre pays était plus jamais exposé à la menace d'un terrorisme ayant pour origine un islamisme radical. Le piratage de TV5 Monde a concrétisé la menace des cyberattaques terroristes, tandis que les événements récemment survenus à Villejuif ont montré que notre pays était encore la cible d'attentats terroristes. Les chiffres évoluant très vite, nous aimerions que vous nous précisiez le nombre exact de personnes engagées à ce jour dans les filières djihadistes et quel est l'état de la menace en termes quantitatifs.
Nous vous demanderons également de nous indiquer où en est la mise en oeuvre des dispositions que vous aviez annoncées avec le Premier ministre au lendemain des attentats de janvier dernier, notamment celles relatives au renforcement des effectifs de police et de magistrats. Enfin, nous souhaitons que vous reveniez sur le projet d'attentat de Sid Ahmed Ghlam contre des églises, qui illustre la nécessité de suivre les individus présentant des signes, même faibles, de radicalisation.
Je vous laisse la parole pour un exposé liminaire, avant que mes collègues et moi-même ne vous posions quelques questions.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, depuis que vous m'avez auditionné le 21 janvier dernier, au lendemain des attentats, la situation à laquelle nous sommes confrontés a évolué, ce qui justifie que je vienne faire à nouveau le point devant vous. Ce qui n'a pas évolué, c'est le niveau très élevé de la menace : notre pays est confronté à un niveau de menace très élevé justifiant que nous prenions toutes les précautions et mobilisions l'ensemble des services pour assurer la protection des Français. Si le Gouvernement adapte son dispositif en permanence sur le plan des organisations opérationnelles et du dispositif législatif, c'est parce qu'il est parfaitement conscient que, confrontés à un haut niveau de menace, nous devons être en situation de faire face avec la plus grande réactivité. Je vous remercie donc de me permettre de m'exprimer à nouveau devant votre commission d'enquête afin de vous présenter le bilan précis de l'action que nous menons contre les réseaux terroristes. Je crois en effet qu'il est d'excellente méthode que nous puissions régulièrement débattre ensemble de notre dispositif antiterroriste, et je reviendrai devant la commission des Lois de l'Assemblée nationale à l'invitation des parlementaires aussi souvent que cela sera nécessaire afin de faire le point sur l'état de la menace et les dispositions prises par le Gouvernement pour y faire face.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, pour être efficace, notre riposte doit susciter un consensus républicain le plus large possible. Face aux terroristes, c'est en effet l'unité nationale qui doit absolument prévaloir. C'est pourquoi je veux à nouveau remercier l'ensemble des membres de votre commission d'enquête, notamment son président Éric Ciotti et son rapporteur Patrick Mennucci, pour le travail important d'ores et déjà réalisé, qui contribuera à nourrir la réflexion collective sur le phénomène auquel nous sommes confrontés comme sur les réponses qu'il est souhaitable de lui opposer.
Où en sommes-nous aujourd'hui, plus de quatre mois après les attentats qui ont endeuillé notre pays au début du mois de janvier ? Notre riposte antiterroriste n'a cessé de monter en puissance au cours de ces derniers mois, dans le respect du droit et des libertés fondamentales. Une grande partie des mesures que nous avions prises au lendemain des attentats, dans la continuité du plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières djihadistes que j'avais annoncé en avril 2014, sont désormais appliquées avec la plus grande fermeté – ou sont sur le point de l'être pour certaines dispositions législatives.
Face à une menace qui s'est précisée et s'est amplifiée, nous avons en effet considérablement renforcé notre dispositif antiterroriste. Comme vous le savez, la menace est protéiforme et d'une nature largement inédite. Je ne m'étendrai pas sur sa description, dans la mesure où nous partageons le même diagnostic. Elle résulte tout d'abord de l'évolution de la situation au Moyen-Orient, où des groupes terroristes tels que le Jabhat al-Nosra poursuivent, de façon désormais autonome, la lutte initiée par d'autres groupes terroristes dans les années 1980 et 1990. Parallèlement, l'organisation Daech, plus récente, a profité des crises successives en Irak et en Syrie pour se tailler un vaste fief dans la région, cherchant à y bâtir un État totalitaire d'un nouveau genre.
Le croisement de ces deux dynamiques explique en partie que la zone irako-syrienne soit aujourd'hui le principal pôle d'attraction du djihadisme international. On estime ainsi qu'une douzaine, voire une quinzaine de milliers de combattants étrangers, ont rejoint à ce jour les différents groupes terroristes actifs dans la région. La menace évolue aussi à l'intérieur de nos frontières. Malgré les récents revers qu'elles ont connus, en particulier grâce aux frappes de la coalition internationale, les organisations terroristes continuent en effet de recruter, notamment dans notre pays. Dès lors, nous ne sommes plus confrontés à des cellules étanches venant de l'extérieur commettre des attentats sur le sol européen avant de retourner dans leur pays d'origine : aujourd'hui, la menace est diffuse, car elle implique des personnes qui sont nées et ont grandi parmi nous et qui, au terme d'un processus de radicalisation, basculent dans le fanatisme et la violence armée. La dissémination des vecteurs de la radicalisation – sur Internet, en prison, au contact d'activistes radicaux – et des modalités du passage à l'acte transforme le travail de nos services de sécurité et de renseignement. Aujourd'hui, quiconque souhaite commettre un attentat peut aisément se procurer les informations et les moyens nécessaires, notamment via Internet.
Nombreux sont ainsi les néo-djihadistes à s'être radicalisés sur les réseaux sociaux, où interviennent des recruteurs et où les organisations terroristes diffusent des messages et des vidéos de propagande parfaitement adaptés à la sphère numérique et à l'engouement qu'elle peut susciter auprès des jeunes générations. Les recruteurs manipulent ainsi un public le plus souvent fragilisé et vulnérable, en rupture familiale, sociale ou psychologique, en quête d'un idéal à la fois confus et morbide. Même si les actions de prévention que nous avons mises en place dès le mois d'avril 2014 ont permis d'empêcher bien des départs, on compte à ce jour très précisément 457 Français, dont un très grand nombre sont jeunes, présents ou résidant habituellement en Irak et en Syrie. D'une manière générale, on estime que près de 1 600 Français sont impliqués d'une manière ou d'une autre dans les filières irako-syriennes.
Parmi les 457 Français localisés sur zone, on compterait 137 femmes et 80 mineurs – dont 45 jeunes filles mineures. Les volontaires ayant quitté la Syrie seraient 278, dont 213 seraient déjà revenus en France. Il y aurait, en transit vers la zone, 320 de nos ressortissants, et 521 Français auraient manifesté des velléités de départ ; 105 sont décédés sur zone, dont huit dans le cadre d'opérations-suicide ; enfin, deux Français sont détenus en Syrie.
Le nombre global de Français impliqués est passé de 555 à 1 683, ce qui représente une augmentation de 203 % depuis le 1er janvier 2014. Quant au nombre total de combattants – je distingue les impliqués des combattants, car les impliqués incluent ceux qui ont manifesté des velléités de départ –, il est passé de 224 à 457, ce qui représente une augmentation de 104 %. Les candidats sont principalement originaires de six régions – Île-de-France, Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Languedoc-Roussillon, Nord-Pas-de-Calais et Midi-Pyrénées.
Il existe donc un véritable continuum de radicalisation. Je pense notamment à la porosité entre délinquance et terrorisme, très visible lorsqu'on examine les cas de ceux qui sont engagés dans des opérations à caractère terroriste, et qui exige de notre part des réponses nouvelles et adaptées. C'est pourquoi nous avons adopté une stratégie globale et cohérente conciliant les objectifs de prévention et les objectifs de répression.
Le premier volet de ce dispositif, dont la loi sur le renseignement sera le noyau dur, consiste à renforcer les modalités de répression du terrorisme, notamment les moyens d'action de nos services de sécurité et de renseignement. Après les attentats de janvier, il était nécessaire de donner aux services les moyens humains et matériels supplémentaires qui leur manquaient en raison des nombreuses suppressions de postes effectuées au cours des dernières années. Le Conseil des ministres a arrêté un plan le 21 janvier dernier, renforçant considérablement les moyens des services de renseignement sur les exercices 2015, 2016 et 2017.
Je veux, là encore, être aussi précis que possible : aux termes de ce plan puissant, 1 404 emplois seront créés au ministère de l'intérieur, dont 1 100 pour le renforcement des services chargés du renseignement intérieur – Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), Service central du renseignement territorial (SCRT), Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP). Au ministère de la justice, 950 emplois nouveaux seront créés sur la même période, répartis entre les juridictions, l'administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse. Les services du ministère de la défense et des finances concourant à la lutte antiterroriste et contre les réseaux de soutien bénéficieront également du renfort respectif de 250 et 80 agents, dont 70 pour les douanes – un domaine d'action absolument stratégique, notamment en matière de lutte contre le trafic d'armes et l'utilisation des fonds provenant de la traite des êtres humains, qui peuvent contribuer à alimenter des activités terroristes.
Il m'arrive d'entendre et de lire des choses complètement fausses, notamment dans les prises de parole de certains responsables politiques éminents – ou qui le furent. Je précise donc que les 1 404 emplois équivalents temps plein créés au ministère de l'intérieur correspondent à des créations nettes d'emplois : tout propos affirmant le contraire est un mensonge. Je précise que le renforcement immédiat des services de renseignement s'est opéré au cours des dernières semaines par le biais de mutations internes, dont les mouvements seront compensés par les sorties d'école à venir. À cette fin, les entrées en scolarité ont été augmentées à due concurrence dès cette année, et seront calibrées en 2016 et 2017 pour permettre la saturation du nouveau plafond d'emplois résultant des créations de postes décidées selon le rythme arrêté pour le plan triennal.
Sur les 1 404 emplois créés au sein de mon ministère, 538 le sont au titre de l'année 2015. Au 15 mai, 168 postes étaient pourvus, le complément devant intervenir entre le 1er juillet et le 1er septembre dans le respect du calendrier des commissions paritaires de chaque corps. Un aménagement du calendrier des sorties d'école de fin d'année a été décidé pour permettre, grâce à l'inversion de séquences pédagogiques, la compensation des mouvements de mutation que je viens d'évoquer, dès le mois d'octobre.
Ces efforts très conséquents s'ajoutent évidemment aux 432 postes supplémentaires de la DGSI déjà programmés depuis 2013, et conforteront la relance du recrutement au sein des forces de l'ordre, par ailleurs entamée dès 2012 – nous avons en effet 500 emplois par an dans les forces de police et de gendarmerie. Par ailleurs, il ne remet pas en cause la mobilisation quotidienne des forces de police et de gendarmerie, ni l'engagement des forces armées pour l'opération Sentinelle, déployée dans le cadre du plan Vigipirate et mobilisant 7 000 soldats.
Au-delà de ces renforts sans précédent des effectifs opérationnels et techniques, les efforts du Gouvernement portent également sur les moyens budgétaires des services. Ainsi, 233 millions d'euros seront affectés au ministère de l'intérieur au titre du plan du 21 janvier, dont 98 millions d'euros dès 2015. À ce jour, 50 % des autorisations d'engagement sont déjà effectuées, qu'il s'agisse des moyens techniques des services ou des marchés relatifs à la modernisation de nos systèmes d'information, notamment le portail des applications policières CHEOPS ou la plateforme de signalement PHAROS, qui analyse et recoupe un certain nombre d'informations, de signalements et de contenus illicites sur Internet.
L'ensemble de ces moyens en effectifs comme en équipements me permettra de densifier l'implantation des services de sécurité et de renseignement sur l'ensemble du territoire, afin de mieux détecter en amont les signes de radicalisation. C'est pourquoi, parmi les 1 404 nouveaux postes créés, 500 sont dédiés au Service central du renseignement territorial, pour renforcer la couverture du territoire, y compris en zone rurale, puisque la gendarmerie bénéficiera de 150 de ces 500 postes. Quant à la DGSI, elle pourra également accroître sa présence sur le terrain dans la perspective d'un maillage qu'elle réorganisera. C'est en effet la destination essentielle de ces 500 nouveaux emplois décidés dans le plan arrêté le 21 janvier dernier.
J'insiste sur deux points. Premièrement, les créations d'emplois sont des créations nettes, d'ores et déjà compensées, quand elles se font au moyen de mutations, par l'augmentation des effectifs d'élèves recrutés dans les écoles. Deuxièmement, sur les 233 millions d'euros destinés à venir abonder les moyens des services – hors titre II –, 98 millions d'euros sont déjà mobilisés en 2015.
S'il est indispensable d'accorder davantage de moyens à nos forces de sécurité, un tel effort resterait pour autant insuffisant si nous ne réformions pas en parallèle la façon dont nos services coordonnent leur action. Je serai très clair sur ce point : les services doivent tourner la page de la culture du cloisonnement et systématiser les échanges d'informations. Le caractère diffus de la menace rend absolument nécessaire une telle évolution, ce dont les services sont d'ailleurs parfaitement conscients. Cela correspond aux directives et instructions très fermes que j'ai données à leurs directeurs généraux. Ainsi, le 17 avril dernier à Nîmes, j'ai moi-même souhaité rencontrer les cadres de la Direction centrale de la sécurité publique et je leur ai demandé de s'engager pleinement à leur niveau dans la lutte antiterroriste et de travailler en étroite coordination avec le SCRT, dont la grande force est justement de dépendre de la sécurité publique, c'est-à-dire de la police du quotidien, implantée sur l'ensemble du territoire grâce au maillage des services de police et des unités de gendarmerie.
Par ailleurs, nous consolidons considérablement l'articulation entre le premier cercle du renseignement – la DGSI et ses partenaires de la communauté du renseignement – et le deuxième cercle, c'est-à-dire le SCRT et les services d'investigation. À cet égard, l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) joue un rôle absolument majeur et même décisif. Des cellules de coordination ont été mises en place, réunissant l'ensemble des services de renseignement policier en une organisation opérationnelle, réactive et de plus en plus fluide. Enfin, nous renforçons les liens entre les renseignements intérieurs et extérieurs. Une équipe de la DGSE est désormais présente dans les locaux de la DGSI, ce qui était inconcevable il y a encore peu de temps. Ces rapprochements n'ont suscité aucune réserve de la part des services concernés, conscients du caractère global de la menace et de la nécessité, pour être efficaces, d'y répondre de manière collective.
Notre méthode porte ses fruits : nous démantelons régulièrement des filières, et des projets d'attentat sont évités. Depuis le 1er janvier 2014, 138 procédures judiciaires concernant 673 personnes sont en cours pour des activités liées au terrorisme ; 272 personnes ont été interpellées ; 161 personnes ont été mises en examen, et 111 ont été écrouées ; 12 mandats d'arrêt internationaux ont été délivrés, et 9 ont été exécutés. Par ailleurs, l'essentiel des innovations introduites dans notre législation par la loi du 13 novembre 2014 est désormais appliqué avec la plus grande fermeté. À ce jour, 69 interdictions de sortie du territoire visant des ressortissants français soupçonnés de vouloir rejoindre des organisations actives au Moyen-Orient ont d'ores et déjà été prononcées, dont 62 sont notifiées. Par ailleurs, 24 interdictions administratives de territoire (IAT) ont été prononcées à l'égard de ressortissants étrangers ; 10 expulsions ont été exécutées en 2014 et l'instruction de 52 dossiers est en cours. Je rappelle qu'entre 2007 et 2012, le nombre d'expulsions s'élevait en moyenne à 8 par an.
Par ailleurs, les décrets d'application sur le blocage administratif et le déréférencement des sites Internet illicites ont été promulgués en février et mars derniers. Depuis lors, 36 sites ont fait l'objet d'une mesure de blocage et d'autres sont à venir.
La répression du délit d'apologie et de provocation au terrorisme a été renforcée. Plusieurs peines de prison ont ainsi été prononcées en comparution immédiate depuis le mois de janvier pour ce motif.
Enfin, comme vous le savez, le Gouvernement a déposé un projet de loi visant à donner à nos services de renseignement un cadre légal moderne et cohérent, adapté à la fois aux nouvelles menaces dont notre pays peut être la cible, aux mutations technologiques les plus récentes et à l'évolution du droit international et national. La loi sur le renseignement qui viendra couronner notre dispositif de lutte antiterroriste a d'ores et déjà été adoptée à une large majorité par l'Assemblée nationale. Elle a pour objectif de fixer un cadre juridique aux missions accomplies par les services et des règles d'emploi claires des techniques de renseignement, afin de garantir les libertés individuelles fondamentales tout en protégeant les agents qui les défendent, comme les Français qu'ils sont chargés de protéger.
Le texte renforce ainsi les indispensables dispositifs de contrôle et d'évaluation de l'action des services. À cet égard, un triple niveau de contrôle est instauré : administratif – avec la future Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) –, juridictionnel – avec le Conseil d'État – et parlementaire – avec le renforcement des pouvoirs de la Délégation parlementaire au renseignement.
Le second volet de notre action concerne la prévention de la radicalisation et la déradicalisation, qui mobilisent tous les services de l'État. Il s'agit d'un domaine d'intervention récent, ayant vocation à s'articuler avec des réponses sécuritaires. Le pilotage de ce volet spécifique a été confié au Comité interministériel de prévention de la délinquance, une structure autonome et interministérielle – deux critères absolument nécessaires dans la lutte contre la radicalisation. Notre objectif est, d'une part, d'empêcher toute personne en cours de radicalisation de basculer définitivement dans le fanatisme et la violence, d'autre part, d'amener celles et ceux qui sont déjà radicalisés à renoncer à la violence – je pense notamment aux personnes qui reviennent d'Irak et de Syrie. Depuis avril 2014, plusieurs actions précises ont été déployées. Vous en connaissez la plupart et je ne m'y attarderai donc pas, mais la plateforme téléphonique nationale qui permet aux familles de signaler les risques de départ et de bénéficier d'un soutien a désormais atteint sa pleine maturité opérationnelle : près de 1 900 signalements pertinents ont été recensés, soit plus de la moitié des 3 800 cas signalés aux autorités. Ce dispositif à la fois simple et inédit s'est donc révélé particulièrement efficace.
Par ailleurs, les cellules de suivi pilotées par les préfets dans chaque département sont maintenant toutes installées et montent en puissance. Autour du préfet et du procureur, elles réunissent les services de l'État concernés – sécurité publique, renseignement territorial, protection judiciaire de la jeunesse, éducation nationale, services sociaux –, ainsi que leurs partenaires, parmi lesquels les collectivités locales jouent un rôle déterminant, notamment au regard de leurs compétences sociales. Ces cellules de suivi organisent la prise en charge des personnes radicalisées ou en cours de radicalisation en leur proposant des dispositifs de réinsertion individualisés. La pleine coopération de tous les acteurs mobilisés est la clé de l'efficacité. Il en va de même pour les autres mesures déjà mises en oeuvre, qu'il s'agisse de la formation des acteurs de terrain, de l'élaboration d'une grille d'indice de radicalisation, ou de la mise en place de différents programmes de réinsertion et de suivi social, psychologique ou médical.
Par ailleurs, deux autres dispositifs novateurs ont été plus récemment validés par le Gouvernement. Une équipe mobile d'intervention, jusqu'alors à l'état de projet, a été officiellement créée. Pilotée par Mme Dounia Bouzar, elle interviendra sur le terrain à la demande des préfets pour traiter les situations individuelles les plus difficiles. Par ailleurs, la création d'un centre d'accueil des personnes revenant des zones de conflit a été annoncée par le Premier ministre il y a quelques jours. Il aura pour objectif d'amener progressivement et de façon très encadrée celles et ceux qu'il accueillera à renoncer à la violence, puis de les réinsérer dans la société tout en les réconciliant avec les principes de la République.
Le dispositif de prévention tel qu'il est organisé me paraît tout à fait pertinent. Pour autant, si cette organisation est aujourd'hui stabilisée, il n'en reste pas moins nécessaire d'en évaluer en permanence l'efficacité opérationnelle. C'est pourquoi j'ai confié à l'Inspection générale de l'administration le soin de coordonner une mission d'audit inter-inspections afin d'apprécier la qualité du travail effectué et surtout de proposer des pistes d'amélioration sur la détection des situations à risque, les modalités de prise en charge et de soutien aux familles. La garde des sceaux, la ministre de l'éducation nationale et moi-même venons de signer une lettre de mission adressée aux inspections générales, qui devront nous remettre dans un délai de six mois un rapport sur la base duquel nous ne manquerons pas de prendre les initiatives nécessaires pour parfaire les édifices déjà mis en place et les compléter le cas échéant.
Enfin, depuis plusieurs mois, la France est à l'initiative pour renforcer la coopération européenne et internationale face à la menace terroriste qui nous concerne tous, comme l'ont montré les attentats de Bruxelles, de Copenhague, de Bamako ou encore de Tunis. Sous l'égide du Premier ministre, une stratégie globale de lutte antiterroriste a donc été élaborée par la France et proposée à l'ensemble de nos partenaires européens. Elle prolonge à l'échelle de l'Union nos objectifs en matière de répression et de prévention. D'importantes avancées ont été réalisées ces derniers mois. Dès le 11 janvier, comme vous le savez, j'ai réuni en urgence place Beauvau les ministres de l'intérieur du G10 avant la grande manifestation qui devait avoir lieu, afin d'organiser la riposte européenne et internationale. Les orientations communes alors définies ont servi de cadre à la déclaration conjointe que les ministres européens de l'intérieur et de la justice ont adoptée le 29 janvier à Riga. Ces propositions ont ensuite été reprises par le programme de travail arrêté par le Conseil européen le 12 février, qui constitue désormais la feuille de route de l'Union européenne en matière de lutte antiterroriste. Nous avons donc été force de proposition d'avant-garde sur ces questions : les propositions européennes ont repris les propositions françaises. Cette même feuille de route a été intégrée à l'agenda pour la sécurité que la Commission européenne a publié le 28 avril.
Trois grandes priorités orientent notre action commune. Il s'agit d'abord de l'adoption, d'ici à la fin de l'année, d'un PNR européen, afin de permettre aux polices européennes, dans des conditions très strictes de protection des données, d'accéder aux listes de passagers des avions pour mieux y repérer les combattants étrangers. C'est ensuite le renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l'Union européenne par la mise en oeuvre de contrôles systématiques et coordonnés. C'est, enfin, le renforcement de la lutte contre la propagande et le recrutement terroristes sur Internet. Ces trois priorités concentrent l'essentiel de nos efforts au plan européen, même si notre action comporte évidemment d'autres volets – je pense en particulier à la lutte contre le trafic d'armes, à la coopération policière et judiciaire et à l'intensification des échanges d'informations, notamment grâce à un meilleur usage d'Europol et d'Eurojust.
Où en sommes-nous aujourd'hui ? L'urgence est d'abord d'adopter le PNR. Les attentats de janvier ont en effet conforté les ministres de l'Union dans leur conviction qu'un tel outil était essentiel pour repérer les combattants étrangers quand ils quittent l'Union européenne ou quand ils y reviennent. C'est pourquoi la France souhaite aboutir au plus tôt à un texte équilibré, conciliant exigences de sécurité et haut niveau de protection des données personnelles : ces deux objectifs peuvent être atteints ensemble.
Nos efforts de sensibilisation auprès des députés européens commencent à porter leurs fruits. Le 4 février dernier, je me suis rendu au Parlement européen pour rencontrer les membres de la commission LIBE et leur proposer des pistes de travail portant notamment sur l'inclusion de garanties supplémentaires dans le projet de directive PNR. Les choses avancent dans le bon sens. Le 11 février, en séance plénière, le Parlement européen a adopté une résolution sur les mesures à prendre en compte contre le terrorisme, qui prône l'adoption d'un PNR européen d'ici à la fin de l'année 2015. Par la suite, le rapporteur Timothy Kirkhope a présenté un projet de rapport révisé. De notre côté, nous mobilisons la présidence luxembourgeoise pour faire avancer rapidement le dossier PNR, tout en veillant à ce que le futur rapport qui sera adopté par le Parlement européen tienne compte à la fois de nos priorités et des lignes rouges que nous nous refusons à franchir.
La deuxième priorité de notre action commune consiste en la nécessité de renforcer les contrôles aux frontières extérieures de l'Union européenne – c'est ce que certains appellent le Schengen 2 –, ce qui est déjà presque fait. Il en va de la crédibilité et de l'efficacité de l'espace Schengen, qui doit protéger les Européens. Nous devons impérativement nous doter des moyens d'assurer des contrôles approfondis et systématiques des ressortissants européens à l'entrée de l'espace Schengen selon des critères pertinents et partagés. Les travaux actuels vont dans la bonne direction. La déclaration du Conseil européen du 12 février représente une étape importante, puisque les chefs d'État et de gouvernement ont pris la décision de renforcer les contrôles de façon coordonnée. Nous devons d'une part établir rapidement des critères communs de contrôle, d'autre part les appliquer de façon conjointe. C'est exactement ce que j'ai proposé à mes homologues lors du Conseil « Justice et affaires intérieures » du 12 mars dernier. À plus long terme, je défends une révision du code Schengen, conformément à la déclaration du Conseil. J'estime que cette étape est incontournable si l'on veut combattre avec efficacité les évolutions de la menace terroriste.
Enfin, la troisième priorité réside dans la nécessité de renforcer le dialogue européen avec les acteurs du Net, afin d'améliorer les procédures de signalement des sites terroristes et d'obtenir le retrait des contenus illicites. Nous travaillons donc à favoriser la convergence des législations en matière de retrait des contenus illégaux. Parallèlement, nous devons développer sur Internet un contre-discours visant à contrecarrer les phénomènes de radicalisation et d'endoctrinement. C'est tout l'objectif de l'initiative lancée avec l'appui de la Belgique. Une équipe de communication stratégique sur la Syrie a été mise en place grâce à un financement européen. La France participe bien sûr sans réserve aux travaux de cette cellule.
Enfin, il est urgent que nous réfléchissions aux pratiques de cryptage développées par les grands acteurs d'Internet. Elles empêchent en effet l'interception des communications, y compris à des fins de défense nationale et de lutte antiterroriste. Je me suis rendu aux États-Unis dans la Silicon Valley en février dernier pour y rencontrer les principaux opérateurs Internet et évoquer avec eux l'ensemble de ces problématiques. Je crois en la nécessité d'un tel dialogue, dont je souhaite d'ailleurs qu'il se poursuive à l'échelle européenne. Le 22 avril, j'ai organisé à Paris une table ronde réunissant les acteurs internationaux du numérique, et nous avons adopté ensemble une plateforme de bonne conduite qui permettra le retrait plus rapide des contenus illicites et renforcera la formation des policiers et des gendarmes. Nous créons par ailleurs un groupe de contact permanent entre le ministère de l'intérieur et ces opérateurs, dont la première réunion a eu lieu le 12 mai. La relation inédite que nous sommes en train de construire avec ces opérateurs s'inscrit donc dans un processus solide, durable et confiant.
Avant de conclure, je voudrais insister sur la nécessaire coopération avec les pays du Proche et du Moyen-Orient – je pense tout particulièrement à la Turquie, qui est en première ligne sur le dossier syrien, puisque les candidats au djihad et les djihadistes de retour du théâtre des opérations transitent de façon quasiment obligatoire par le territoire de la Turquie. C'est pourquoi nous avons mis en place un protocole de coopération entre nos services respectifs, qui a déjà permis le retour encadré de nombreux jeunes partis en Syrie – il y en a toutes les semaines, parfois même tous les jours d'une semaine. Par ailleurs, je me suis rendu à Lisbonne le 28 avril dernier, afin d'y rencontrer dans le cadre du G4 mes homologues espagnols, portugais et marocains. À cette occasion, nous avons décidé de renforcer encore davantage notre coopération dans la lutte antiterroriste. Je n'oublie pas non plus les pays d'Afrique confrontés au terrorisme djihadiste. Je suis allé au Niger et au Cameroun il y a quatre jours et j'ai pu y constater les dégâts faits par Boko Haram. Là aussi, nous souhaitons mettre en place une riposte coordonnée.
Depuis janvier, la menace s'est précisée et concrétisée. Aujourd'hui, elle reste à un niveau très élevé. Il eût été inquiétant qu'au cours de ces derniers mois, aucune des actions que nous avons initiées, aucune des mesures que nous avons prises n'eût progressé. Fort heureusement, ce n'est pas le cas, grâce à la très grande détermination qui est la nôtre et celle des services – et la vôtre aussi, puisque vous êtes tous très impliqués dans l'examen des dispositions législatives nouvelles que nous avons présentées au Parlement pour lutter efficacement contre le terrorisme.
La situation à laquelle nous sommes confrontés est un défi pour notre société, pour la République et pour la cohésion de la Nation. Je crois à la stratégie globale et à bien des égards novatrice que nous avons arrêtée, une stratégie déjà largement mise en oeuvre et qui me semble être à la mesure des défis auxquels nous sommes confrontés. Je tenais à faire ce point exhaustif des mesures prises de manière à ce que vous puissiez me poser toutes les questions que vous souhaitez pour compléter votre rapport.
Merci, monsieur le ministre. Sans doute reviendrez-vous ultérieurement sur les événements de Villejuif. Pour le moment, je vais donner la parole aux membres de notre commission d'enquête qui souhaitent vous poser des questions.
Je vous remercie pour votre intervention d'une grande clarté, monsieur le ministre. Permettez-moi cependant cette remarque : de grâce, ne donnez pas le titre de « combattants » à ceux qui ne sont que des terroristes, en dépit de la nomenclature européenne qui les désigne par l'expression « combattants étrangers ».
L'effectivité des règles de sécurité applicables au sein de l'espace Schengen suppose que ces règles soient appliquées de manière uniforme sur l'ensemble des frontières de l'Union européenne et que les outils de contrôle, en particulier le système d'information Schengen, soient adaptés à l'enjeu. Il existe des milliers de points d'entrée sur le territoire européen. Pouvez-vous nous indiquer quelles initiatives sont prévues concrètement pour adapter, voire refonder totalement le système d'information Schengen afin de le rendre plus efficace face à la menace islamiste ?
Ma deuxième question porte sur Internet. Plusieurs rapports ont montré que le djihadisme commence presque toujours sur Internet, dans une nébuleuse mêlant islamisme radical, haine de la France et de l'Occident, antisémitisme, haine d'Israël et antisionisme. De nouveaux dispositifs ont récemment été mis en place pour contrer ce « djihadisme médiatique », qu'il s'agisse de la loi sur le renseignement, votée à une large majorité, ou du plan de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, que vous avez présenté avec le Premier ministre le 17 avril dernier et qui prévoit la pénalisation des propos de haine tenus sur Internet et la création d'une unité nationale de lutte contre la haine sur Internet.
Il faut des règles pour prévenir, surveiller et punir les dérives sur Internet. Quelles sont exactement ces règles, et comment les différents services – en particulier cette unité nationale de lutte conte la haine sur Internet – vont-ils opérer ? Quelles seront leurs prérogatives, notamment en matière d'exploitation des métadonnées anonymes ? Les agents de ce service bénéficieront-ils d'une formation adaptée et de directives claires, leur permettant de bien discerner le risque djihadiste ? Je rappelle que Coulibaly et Merah se réclamaient autant de l'antisionisme radical que de l'islamisme. Où se situera la limite entre la liberté d'expression – instrumentalisée par les entrepreneurs de la haine – et l'incitation caractérisée à la haine ?
Ma première question porte sur la coordination des services de renseignement au niveau européen. S'il existe un coordinateur à l'échelle de l'Europe, chaque État a tendance à considérer que cette problématique relève d'une prérogative nationale. Une réflexion s'est engagée au sujet de ce qui pourrait être un service de renseignement européen conçu sur le modèle du service de police Europol et ayant des relations particulières avec les autres pays – je pense à la Turquie, mais aussi aux zones de combat, particulièrement sensibles, ainsi qu'à l'Afrique, où de nouveaux groupes font régulièrement allégeance à l'État islamique. Que pensez-vous de cette idée ?
Par ailleurs, pourriez-vous nous donner quelques précisions au sujet du service central territorial que vous avez évoqué ? Quelle sera sa fonction en matière de lutte contre le terrorisme et les filières djihadistes, et de quels moyens, notamment techniques, disposera-t-il ? Si je ne me trompe, les services territoriaux, qui ne font pas partie du premier cercle, n'ont pas accès à certains dispositifs techniques pour le moment : cela va-t-il changer ?
Enfin, vous avez cité les cellules mises en place autour des préfets et des procureurs. Pouvez-vous nous indiquer de quelle manière les plans d'action individuels vont se mettre en place et quel sera le rôle des différents intervenants ? Actuellement, certains enseignants ou éducateurs se trouvent confrontés à des questionnements dans le cadre de leur intervention au sein de ces cellules. Ne pourrait-on pas les aider à accomplir leur mission en matière de signalement et leur fournir un soutien quand ils se trouvent confrontés à une situation délicate ? Dans mon département, le Gard, je connais un éducateur qui suit un enfant dont le père a été arrêté il y a quelques mois dans le cadre d'une opération antiterroriste ; je peux vous assurer que ce travailleur social se trouve un peu démuni face à la problématique familiale et sociale peu commune à laquelle il est confronté, et qu'un soutien lui serait très utile.
Vous avez indiqué que les effectifs des services chargés de lutter contre le djihadisme allaient être renforcés et je m'en félicite, monsieur le ministre. Il ne faut cependant pas oublier que vos prédécesseurs ont procédé, en leur temps, à d'importantes réformes structurelles, qu'il s'agisse du passage de la gendarmerie sous l'autorité du ministre de l'intérieur ou de la fusion de la Direction de la surveillance du territoire (DST) et des Renseignements généraux (RG). Je rappelle que le nombre de policiers en France, ramené au nombre d'habitants, est le plus important d'Europe – mais cela résulte de l'organisation interne de la police nationale, que je n'évoquerai pas ici.
Par ailleurs, vous avez très bien fait la distinction entre les individus à la dérive et les manipulateurs. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces derniers, de loin les plus dangereux, car ils abusent de la faiblesse de certaines personnes en recourant à des techniques utilisées par les sectes, et en opérant souvent à partir de l'étranger ?
En matière de coopération entre les ministères, il me semble que l'éducation nationale fait preuve d'une trop grande tolérance à l'égard de certaines écoles fonctionnant hors contrat ; on devrait, à mon sens, s'assurer que ces établissements respectent bien les principes d'ordre public de notre République.
Pour ce qui est de la coopération européenne, la question du PNR avance mais il n'est pas encore précisé si l'accès à ces données sera direct, ou s'il nécessitera de passer par une plateforme filtrant les appels, ce qui risque de retarder la prise en compte des informations.
Comment peut-on sérieusement prétendre qu'il est possible d'assurer un contrôle des frontières extérieures de Schengen ? Chacun sait bien qu'une telle idée est complètement irréaliste, ne serait-ce, par exemple, qu'en raison de l'existence d'une myriade d'îles dans les eaux de la Grèce. La solution est en fait à rechercher dans un contrôle interne du même type que celui pratiqué par les États-Unis sur leur territoire. Je vous garantis que personne ne peut transporter des denrées alimentaires en voiture de New York à la Californie sans se faire contrôler : même en Amérique, la liberté de circulation n'est pas totale. Il faut donc mettre fin à cette aberration que constitue l'idée d'une circulation sans contrôles au sein de l'espace Schengen.
Enfin, vous avez sans doute conscience du fait que la coopération avec les États du Proche-Orient n'est qu'une partie de poker menteur, compte tenu de la duplicité sans limites desdits États. Même si cela ne relève pas tout à fait de la compétence de votre ministère, permettez-moi de dire que, de ce point de vue, je m'interroge fortement sur la validité de notre politique extérieure, et je déplore que vous subissiez les conséquences de ce qui est fait en la matière.
Pour ce qui est de l'affaire de Villejuif, les attentats que Sid Ahmed Ghlam projetait de commettre contre des églises ont pu être évités grâce aux investigations effectuées par la police après le meurtre d'Aurélie Châtelain et les déclarations du suspect prétendant avoir été victime d'un règlement de comptes. Ces opérations ont abouti à la découverte de véhicules, d'armes et de gilets pare-balles, ce qui a déclenché une enquête de police scientifique et technique, toujours en cours, mais ayant déjà permis de reconstituer l'arborescence des relations et complices du suspect.
Sid Ahmed Ghlam était-il connu des services ? Il me semble important d'apporter des précisions sur ce point, toutes sortes de rumeurs ayant couru à ce sujet. En fait, le petit frère du suspect, âgé de neuf ans, ayant déclaré aux services que son aîné se radicalisait, il a été procédé à une audition du suspect, qui n'a rien mis en évidence. Les services concernés ont cependant estimé nécessaire de mettre en place une surveillance téléphonique de Sid Ahmed Ghlam, n'ayant, là encore, pas mis en évidence qu'il était en relation avec des individus connus de nos services et susceptibles de contribuer à la commission d'un attentat. Sans entrer dans le détail de l'enquête, que je ne veux pas compromettre, j'indiquerai que, dans cette affaire comme dans d'autres, les moyens technologiques utilisés par les personnes préparant un attentat sont de plus en plus sophistiqués et comprennent l'utilisation de la cryptologie sur Internet, ainsi que le recours à une multitude de boîtiers et de puces pour ce qui est des communications téléphoniques, afin d'échapper aux contrôles des services de renseignement.
Dans le cadre de la loi sur le renseignement, nous prévoyons le recours à deux techniques exclusivement réservées à la lutte antiterroriste, à savoir la détection sur données anonymes et le suivi en temps réel des terroristes, mises en oeuvre sous le contrôle de la Haute autorité, sous le contrôle juridictionnel du Conseil d'État et sous le contrôle de la Délégation parlementaire au renseignement, dans le respect rigoureux des libertés publiques. Il est en effet justifié que, sous le triple contrôle que je viens d'évoquer, l'État s'arme pour faire face efficacement aux projets d'attentats terroristes mettant en oeuvre des moyens techniques de dissimulation. Faut-il s'étonner que ceux qui dénoncent de prétendues failles dans le fonctionnement des services de renseignement soient également ceux qui affirment qu'il ne faut pas accorder à ces services les moyens de prévenir la commission d'attentats ? En tout état de cause, je m'interroge sur les buts poursuivis par ces personnes et sur la cohérence de leur raisonnement. Face à des terroristes ayant de plus en plus fréquemment recours à des technologies sophistiquées, notamment en matière de cryptologie, nous devons mobiliser des techniques permettant d'éviter que ces individus ne commettent des actes ayant le niveau de gravité que l'on sait.
L'enquête relative à Sid Ahmed Ghlam avance vite et tous les services du ministère de l'intérieur sont mobilisés en vue du démantèlement du réseau impliqué dans le projet d'attentat de Villejuif. J'ajoute que, comme les chiffres en témoignent, les services de renseignement français agissant en coopération mutuelle, mais aussi avec d'autres services européens, procèdent jour après jour au démantèlement de filières de recrutement ou de filières terroristes susceptibles de préparer des attentats, afin d'assurer la sécurité de nos compatriotes. Cela se fait sans bruit, sans communication, mais avec un niveau d'efficacité qui doit être souligné.
J'en viens aux questions de M. Meyer Habib et de M. Jacques Myard sur l'espace Schengen. Sur ce point, il convient tout d'abord de s'interroger sur la notion de franchissement des frontières extérieures de l'Union européenne : il ne peut s'agir uniquement des frontières marquant la séparation physique entre l'Union européenne et les pays voisins.
Exactement. Pour être efficaces, nous devons effectuer des contrôles systématiques et coordonnés dans tous les aéroports – conformément à la réforme de Schengen que nous avons portée – et mettre en oeuvre le PNR, qui permet de disposer d'informations précises sur la traçabilité du parcours des terroristes sur l'ensemble des trajets qu'ils ont effectués à partir de pays situés hors de l'Union européenne, dès lors que ceux-ci sont dotés d'un PNR. Par le croisement des informations contenues dans le système d'information Schengen (SIS), qui permet de signaler des individus inscrits au fichier des personnes recherchées (FPR) en raison des actes qu'ils ont commis, il est possible d'obtenir des renseignements extrêmement précis : cela montre bien que le véritable problème n'est pas Schengen, mais la mise à disposition de l'ensemble des pays de l'Union européenne des outils que je viens de décrire, de nature à permettre une totale efficacité de la surveillance des terroristes franchissant les frontières de l'Union européenne. Ceux qui pensent que c'est en sortant de Schengen que nous obtiendrons plus de renseignements et une plus grande efficacité se trompent.
D'autres que vous l'ont fait. Ainsi le Front national s'oppose-t-il à tout ce que nous faisons de rationnel : il est contre le blocage administratif des sites Internet, contre la loi sur le renseignement, contre les contrôles systématiques et coordonnés aux frontières par une utilisation intelligente de Schengen dans les aéroports – puisqu'il considère qu'il faut sortir de Schengen – et contre le PNR – il s'y est opposé au Parlement européen. C'est bien simple, la mise en oeuvre de ce que propose ce parti politique aboutirait à rendre la France aveugle et sourde face au risque terroriste. En la matière, il faut être extrêmement précis : traiter la question du terrorisme sur la base d'approximations ne peut aboutir qu'à une addition de problèmes, et en aucun cas à une solution.
Pour ce qui est d'Internet, nous avons pris dans le cadre de la loi du 13 novembre 2014 des dispositions qui ont été discutées et parfois combattues. Il s'agissait de sortir l'apologie et la provocation au terrorisme de la loi sur la presse pour les faire entrer dans le code pénal et permettre ainsi de pénaliser beaucoup plus facilement ce type d'agissements. En effet, le Gouvernement considère que l'appel à la haine, l'incitation à tuer des Français parce qu'ils sont juifs, musulmans ou catholiques, ne relève pas de la liberté d'expression, mais constitue un délit. On n'a pas théorisé la neutralité de la rue : si, tout à l'heure, des manifestants brandissent devant le palais Bourbon des pancartes appelant au meurtre des Juifs, ce trouble grave à l'ordre public, constituant un délit, enclenchera l'action publique. De même, il est normal que sur Internet, des mesures de police administrative permettent de prévenir des risques afin d'éviter d'avoir à judiciariser des crimes.
Christophe Cavard m'a interrogé sur le service de renseignement européen.
Si je suis très favorable au renforcement de la coopération entre les services de renseignement des différents États de l'Union européenne, je pense que la création d'un service de renseignement européen poserait plus de problèmes qu'elle n'en résoudrait en raison des différences de cultures, d'organisations, de modalités de collecte et d'analyse du renseignement. Tout cela occasionnerait une perte en ligne qui nuirait considérablement à l'efficacité du dispositif.
Pour ce qui est du Service central du renseignement territorial, je souhaite qu'il monte en puissance au moyen des recrutements auxquels nous procédons. Nous articulons les missions entre le premier et le second cercles du renseignement et, dans le cadre des procédures que j'ai décrites précédemment, le SCRT pourra utiliser un certain nombre de techniques de renseignement, conformément à ce qui est prévu par la loi relative au renseignement.
Les plans d'action individuels fonctionnent bien et permettent, par la mobilisation des équipes mobiles que j'ai évoquées, de mettre en place, sous l'autorité des préfets et des procureurs, un suivi individualisé des jeunes radicalisés ayant vocation à répondre à diverses situations, qu'il s'agisse de décrochage scolaire, d'une addiction ou de certains problèmes de santé mentale – des problèmes parfois associés. Les équipes sont très souples et mobilisables sur l'ensemble du territoire. Les préfets et les procureurs mobilisent aussi les administrations de leur ressort afin que ce dispositif de prévention présente la plus grande efficacité possible.
Jacques Myard aura beaucoup de mal à me convaincre du fait qu'une diminution de 13 000 postes peut se traduire par davantage de policiers.
Il y a eu une restructuration globale : vous avez récupéré des gendarmes, monsieur le ministre !
Les gendarmes accomplissaient déjà les mêmes missions avant d'être placés sous la responsabilité du ministère de l'intérieur. Je vous confirme que la perte cumulée de 6 000 postes de gendarmes et de 7 000 postes de policiers ne peut en aucun cas équivaloir à une augmentation d'effectifs, du moins pas selon le système arithmétique auquel je me réfère – mais peut-être en connaissez-vous un autre, monsieur le député.
Enfin, si nous proposons, avec la détection sur données anonymes, de comprendre le comportement de certains acteurs d'Internet qui manipulent, embrigadent, cryptent des messages, appellent à la haine et incitent les jeunes à s'engager pour commettre des actes terroristes, c'est pour mieux identifier leurs profils et mieux comprendre leurs motivations. L'Union européenne mobilise une structure d'analyse des discours diffusés sur Internet, à laquelle nous participons afin de construire et diffuser des contre-discours. La coopération avec l'éducation nationale est bonne et a permis de prendre en compte et de prévenir, notamment au moyen d'une analyse très fine des processus d'absences scolaires, les risques de départ de certaines familles.
Je vous remercie, monsieur le ministre, pour la clarté et l'exhaustivité de votre intervention, et je salue votre dynamisme et votre volontarisme, notamment au niveau international.
Bien que vous soyez également ministre des cultes, vous n'avez pas abordé la question des mosquées, de leur financement et de la formation des imams. Il s'agit pourtant d'un thème important eu égard à l'expansion du salafisme et aux discours de certains imams qui peuvent constituer un foyer d'agitation.
Que pouvez-vous nous dire du renforcement des moyens alloués aux forces de première intervention – je pense notamment au RAID et au GIGN – et du travail qu'elles peuvent réaliser en commun, avec la réussite que l'on a pu constater lors des attentats de janvier dernier ? Est-il prévu un programme de renforcement de la vidéosurveillance ?
Les centres d'accueil évoqués par le Premier ministre reposent sur le principe du volontariat, alors que les députés de l'opposition membres de la commission des Lois auraient préféré que l'on crée des centres de rétention pour les terroristes revenant de théâtres extérieurs. Comment pensez-vous convaincre ces personnes de se réinsérer volontairement dans notre société ?
Enfin, vous avez fait preuve d'une grande honnêteté intellectuelle en reconnaissant la porosité existant entre la délinquance de droit commun et le terrorisme, et avez fixé deux objectifs dans ce domaine : d'une part la prévention – je salue le travail fait sur ce point par votre ministère –, d'autre part la répression. Nous entendrons cette après-midi ce que Mme Taubira aura à nous dire sur ce point, mais je ne vois vraiment pas en quoi la répression a pu être renforcée en matière de lutte contre le terrorisme. Certes, vous avez fait état de l'interpellation, de la mise en examen et de l'emprisonnement d'un certain nombre de personnes, mais à ma connaissance, rien n'a été fait pour renforcer la lutte contre les récidivistes, et aucune réflexion n'a été engagée au sujet de la réduction automatique des peines de prison – au contraire, il est question d'abroger les rétentions de sûreté. Bref, je ne vois aucune volonté politique du ministère de la justice de joindre ses efforts à ceux du ministère de l'intérieur en matière de lutte contre le terrorisme.
Au cours de ses travaux, notre commission d'enquête a abordé à de nombreuses reprises la question de la coordination du renseignement. Pouvez-vous nous faire part de votre sentiment sur ces deux propositions consistant, d'une part à renforcer le rôle de l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) en augmentant ses effectifs de 20 % à 25 %, d'autre part, à faire passer l'UCLAT sous la responsabilité du ministre de l'intérieur ? Initialement rattachée à la Direction générale de la police nationale (DGPN) – ce qui se justifiait par le contexte de l'époque –, cette unité aurait aujourd'hui plutôt vocation à être placée sous l'autorité du ministre de l'intérieur : le dispositif y gagnerait en lisibilité.
Je remercie le ministre pour son propos très clair et je salue la volonté du Gouvernement de lutter contre le terrorisme.
Je déplore que les élus locaux ne soient pas toujours bien informés de la mise en place des états-majors de sécurité que chaque département doit créer auprès du procureur.
Il me semble que les maires, officiers de police judiciaire, devraient être associés à la mise en place de ces états-majors de sécurité.
Par ailleurs, on assiste actuellement à une montée en puissance de l'apologie de la haine contre les institutions au travers de vidéos montrant des armes et de la drogue. De ce point de vue, il est essentiel d'effectuer un travail de diagnostic et de prévention sur les territoires.
La coopération européenne en matière de lutte contre le terrorisme progresse, et je m'en félicite. Cela dit, je me suis rendu le mois dernier à Bruxelles dans le cadre d'une mission d'information, confiée par la Commission des affaires européennes, sur la révision de la politique européenne de voisinage. Je peux vous dire que les ambassadeurs du Maroc, de la Tunisie et de l'Algérie sont très favorables à une coopération de leurs États respectifs avec la France en matière de renseignement.
Dans ce cas, considérez-vous que cette coopération soit constructive et qu'elle nous permette d'obtenir des renseignements utiles ? J'insiste sur l'intérêt d'une telle coopération avec les pays que j'ai cités, compte tenu du fait que la France abrite d'importantes communautés qui en sont issues.
Si je trouve normal que cette audition ait été ouverte à la presse, je m'étonne de ne voir que deux ou trois journalistes présents, ce qui témoigne du niveau d'indigence de la presse française, car le problème majeur que constitue le terrorisme mérite, à mon sens, un plus grand intérêt.
J'ai été le rapporteur de la commission des affaires étrangères pour les accords de Schengen en 1991, et je comprends que ces accords nécessitent aujourd'hui des adaptations. Cela dit, je me demande si cela ne pose pas un problème au ministre de l'intérieur que vous êtes que la France refuse d'intervenir contre Daech en Syrie, pour des raisons que nous rappelle régulièrement votre collègue du quai d'Orsay. La menace que fait peser le djihadisme en France, jointe à la gravité de la situation en Syrie – je pense notamment aux chrétiens d'Alep, ainsi qu'aux menaces pesant actuellement sur Palmyre – ne justifierait-elle pas que la France intervienne dans ce pays aux côtés de la coalition internationale comprenant les États-Unis, comme elle le fait en Irak ?
Je vous remercie également pour votre exposé exhaustif et rationnel, monsieur le ministre. Certes, la rationalité n'implique pas forcément l'effectivité, mais vous n'êtes pas magicien, et l'exécutif et le législatif doivent joindre leurs efforts pour tendre vers cette effectivité.
Comme vous l'avez dit, il existe en fait deux dispositifs – interne et externe –, qui doivent être mis en oeuvre en coordination. Pour ce qui est du dispositif externe, j'approuve ce qui vient d'être dit par M. Loncle au sujet d'une intervention française contre Daech. J'aurais également approuvé la remarque faite par M. Myard sur les conséquences de notre diplomatie s'il avait pris soin de préciser que la manière dont la guerre a été menée en Libye sous le quinquennat précédent est en grande partie à l'origine des problèmes que nous rencontrons aujourd'hui avec le djihadisme.
Pour ce qui est de Schengen, dont je ne suis pas une fervente partisane, vous m'avez convaincue : effectivement, au point où sont les choses, il ne suffit plus de réviser l'article 2.2 de l'accord de Schengen, il s'agit plutôt de mettre au point des dispositifs opérationnels.
En ce qui concerne le dispositif interne, j'aimerais connaître votre position personnelle sur ce que l'on appelle l'islam de France. Tout le monde n'est pas d'accord sur l'idée qu'il faille organiser un islam de France, mais le recteur Dalil Boubakeur nous a fait ici même un exposé très impressionnant sur les dérives liées au prétexte que peut fournir la religion musulmane, et sur le fait que la plupart des prédicateurs ne parlent pas français – ce qu'il met en relation avec l'autorisation des associations étrangères en France depuis les années 1980. D'autres placent leurs espoirs dans le Conseil français du culte musulman, dont la création chaotique n'a cependant pas produit les fruits que l'on pouvait en espérer. Si je ne veux pas donner à croire que le terrorisme est directement en lien avec l'organisation de l'islam en France, force est de constater que les propos tenus par M. Boubakeur – il a achevé son intervention en disant qu'il était débordé et ne savait plus quoi faire – étaient très inquiétants. Pensez-vous que l'islam pourra un jour donner une image paisible et rationnelle en France, et que comptez-vous faire pour y contribuer ?
Ma question porte sur l'afflux de migrants sur nos côtes, victimes de ces mafieux et ces marchands de mort que sont les passeurs. Comme vous l'avez dit, il existe des liens entre le banditisme et le terrorisme islamiste. Des témoignages ont été rapportés sur des actes de barbarie commis à bord de ces bateaux : ainsi, des femmes et des enfants auraient été jetés par-dessus bord, de même que des chrétiens en raison de leur religion.
J'aimerais donc savoir quels moyens particuliers sont mis en place pour identifier ces personnes qui franchissent les frontières et celles qui les mettent dans des bateaux. Les migrants sont-ils suivis à leur arrivée en France, le cas échéant de quelle manière ? Il y a, à mon sens, urgence à criminaliser l'activité des passeurs, véritables esclavagistes qui envoient leurs victimes à la mort. Selon les informations dont nous disposons, la majeure partie des personnes se trouvant à bord des bateaux ne sont pas des réfugiés, mais des clandestins économiques. Sans vouloir remettre en cause les dispositions relatives au droit d'asile et aux réfugiés, j'aimerais que vous nous précisiez ce que vous envisagez face à toutes ces questions laissées aujourd'hui sans réponse.
Pour compléter ce que vient de dire Mme Boyer, je vous demanderai, monsieur le ministre, si vous êtes aujourd'hui en possession d'informations de nature à laisser penser que Daech cherche à infiltrer les arrivées de migrants.
Je commencerai par répondre à la dernière question – une question très sensible, exigeant une réponse d'un haut niveau de précision et de rigueur intellectuelle, car il existe un décalage entre ce qui peut être dit et écrit, y compris par certains responsables politiques, et la réalité des phénomènes et les réponses que nous y apportons. La France et l'Europe sont-elles résolues à lutter contre les filières de traite des êtres humains ? En ce qui me concerne, la réponse est oui : c'est l'une des priorités absolues de mon action. Je dirai même que pour moi, le démantèlement des filières de l'immigration irrégulière est la priorité des priorités.
C'est le sens de la participation de la France au G5 du Sahel, où je me suis rendu jeudi et vendredi derniers. J'y ai rencontré mes homologues nigériens, camerounais, burkinabés, sénégalais et tchadiens et j'ai débattu avec eux de la meilleure façon de combattre ces filières. Pour cela, il convient de renforcer la coopération de mes propres services, dans le cadre d'accords de coopération, avec les services de sécurité et de renseignement de ces pays, de manière à les aider à contrôler leurs propres frontières et à démanteler ces filières sur leurs territoires. Cela suppose une action au sein d'Europol et une action renforcée de coopération entre les services de police et de renseignement des pays de l'Union européenne pour démanteler les filières d'immigration irrégulière.
Ces filières sont présentes à Calais, mais aussi à Londres, c'est pourquoi mon homologue britannique, Theresa May, et moi-même, avons décidé de renforcer la coopération entre nos services respectifs. Le résultat de cette action, c'est qu'en 2014, nous avons démantelé en France 226 filières d'immigration irrégulière de plus qu'en 2013. Ainsi à Calais, nous avons arrêté 30 % de passeurs et d'acteurs de l'immigration irrégulière de plus que l'année précédente – et 14 % de plus au niveau national. Il faut impérativement que nous puissions auditionner l'ensemble des migrants au moment de leur sauvetage ou de leur arrivée sur le territoire italien. En effet, conformément à la proposition de l'Union européenne – inspirée par la France –, nous devons impérativement distinguer ceux qui peuvent prétendre au statut de réfugiés politiques, c'est-à-dire de l'asile en Europe, de ceux qui relèvent de l'immigration économique.
Par ailleurs, les migrants doivent nous indiquer dès leur arrivée le traitement qui leur a été réservé sur les bateaux, afin que nous puissions immédiatement identifier les passeurs et les auteurs de crimes et judiciariser leur situation dès leurs premiers pas sur le territoire européen. Nous attendons également que les Nations unies permettent la destruction des bateaux servant de vecteurs à ces filières. En résumé, nous démantelons, nous accroissons la coopération entre services de renseignement et services de police et souhaitons procéder à la judiciarisation de ceux que les migrants désignent comme leurs bourreaux, dès les opérations de sauvetage – cela doit être entrepris avec la plus grande détermination.
Par ailleurs, nous avons beaucoup inspiré les propositions de la Commission européenne dans le sens de l'humanité et de la fermeté. L'humanité, parce que ceux qui relèvent du statut de demandeurs d'asile en Europe doivent être répartis entre les pays de l'Union européenne de façon équitable et solidaire : il n'y a pas de raison que cinq pays de l'Union accueillent, à eux seuls, 75 % des demandeurs d'asile, comme c'est le cas actuellement – j'ajoute que la répartition doit se faire en tenant compte des efforts déjà accomplis par chaque pays en matière d'accueil des demandeurs d'asile. La notion de quotas n'a pas de sens, puisque l'on répartit les réfugiés politiques en fonction de critères, et non en fonction de quotas. Dire que la notion de quotas est impropre ne signifie donc pas refuser la solidarité, mais donner une précision au concept et faire le choix d'une politique comprise et efficace. Ceux qui relèvent de l'immigration économique irrégulière doivent faire l'objet de politiques de codéveloppement pour être maintenus dans leurs pays d'origine, en liaison avec les pays en question : c'est le sens de la proposition consistant à créer des centres d'accompagnement et de maintien des migrants, que nous avons souhaité voir se développer, notamment au Niger. En effet, 70 % des migrants que l'on retrouve en Italie transitent par le Niger. Je me suis entretenu de ces questions avec le président Issoufou, qui a signifié son accord sur cette proposition.
Enfin, ceux qui arrivent en Italie et sont identifiés, au sein des centres fermés, comme relevant de l'immigration économique irrégulière, doivent être reconduits. Cette politique qui n'a encore jamais été mise en place doit l'être maintenant : à défaut, la politique de l'asile en Europe ne sera pas soutenable durablement. Comme on le voit, la notion de quotas n'a pas de sens non plus en ce qui concerne l'immigration économique irrégulière, les personnes concernées ayant vocation à être reconduites. Contrairement à ce que l'on peut parfois lire ou entendre, la position de la France en la matière est extrêmement claire. Nous avons exprimé une position d'avant-garde au sein de l'Union européenne et continuons à défendre cette position très précise basée sur l'humanité, la solidarité et la fermeté.
Mme Bechtel et M. Fenech m'ont interrogé au sujet de l'islam de France. Nous avons pris des décisions très claires à ce sujet, notamment en créant une instance de dialogue ayant vocation à traiter de toutes les questions relatives au culte, qu'il s'agisse de la construction et de la gestion des mosquées – la transparence dans ce domaine étant essentielle –, de la formation des aumôniers – je ne parle pas des imams, car nous sommes dans un État laïque –, de la protection des lieux de culte ou encore de la relation de l'islam à la République. Nous réunissons la première instance de dialogue début juin et, dans l'esprit de ce qu'avait fait Jean-Pierre Chevènement dans les années 1990, j'ai multiplié au cours des dernières semaines les contacts avec l'ensemble des représentants du culte musulman, de manière à ce que se mette en place une instance représentative des musulmans de France, avec qui nous pourrons créer les conditions d'une confiance mutuelle – car la République a vocation à prendre tous ses enfants dans ses bras, à condition que chacun d'eux se reconnaisse dans les valeurs de la République, qui constituent le patrimoine commun des citoyens de France et doivent être défendues. C'est cela, la laïcité : le droit de croire ou de ne pas croire et, dès lors que l'on a fait le choix d'une religion, le droit de l'exercer dans la conformité aux valeurs de la République – car, au-dessus des appartenances religieuses, il y a le creuset de valeurs communes que sont les valeurs républicaines, nécessaires au vivre ensemble.
Le RAID, le GIGN et les autres forces seront amenés à coopérer encore davantage. En janvier dernier, nous avions mis en place un état-major centralisé qui s'est réuni jusqu'à la mise hors d'état de nuire du dernier terroriste. Cet état-major rassemblait les grands directeurs généraux autour de moi, notamment le Directeur général de la police nationale (DGPN) et le Directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), qui ont conduit ensemble, avec le RAID et le GIGN, la totalité des opérations, y compris à Dammartin-en-Goële. Ce mode de fonctionnement a créé une nouvelle relation entre ces deux structures, exemplaire par la remarquable efficacité qu'elle offre dans la lutte contre le terrorisme.
Les centres d'accueil sont basés sur un principe de volontariat en raison du fait que la situation des personnes ayant vocation à s'y rendre n'est pas judiciarisée. Dès lors, les principes constitutionnels nous empêchent de les retenir dans ces centres en les privant de liberté pour les déradicaliser : notre action est guidée par les principes du droit.
Il m'a été demandé ce qui avait été fait en matière de répression antiterroriste. La loi du 21 décembre 2012 permet de poursuivre les Français impliqués dans les actes de terrorisme commis à l'étranger. La loi du 13 novembre 2014 renforce la répression de l'apologie du terrorisme et de la provocation à des actes de terrorisme, prévoit des sanctions spécifiques pour les faits commis sur Internet, crée le délit d'entreprise individuelle terroriste, permettant d'incriminer les loups solitaires – ce qui n'était pas possible précédemment –, facilite les enquêtes par la création de cyber-patrouilles et en permettant le décryptage et la perquisition sur les clouds, met en place un régime d'application des peines plus sévère pour les terroristes, prévoit un seul juge de l'application des peines centralisé à Paris, instaure des peines de sûreté systématiques empêchant les condamnés d'accéder aux réductions de peines et aux libérations anticipées. La chancellerie et le ministère de l'intérieur sont en mesure de coordonner leurs actions pour que notre pays soit bien protégé, et je ne pense pas qu'il soit avisé de tenter d'opposer les deux ministères : bien au contraire, une grande partie des succès enregistrés jusqu'à présent résulte du climat de grande confiance qui existe entre les deux ministères.
Nous renforçons l'UCLAT, de même que la coordination entre les services de renseignement autour de la DGSI, directement rattachée au ministère de l'intérieur. Vous me dites que les procureurs et les préfets ne parlent pas aux maires : j'en prends note et je ferai en sorte que les préfets, qui dépendent de moi, parlent aux maires.
En tout état de cause, je donnerai des instructions pour qu'il y ait des contacts entre les préfets et les maires.
Je suis tout à fait favorable au renforcement de la coopération entre les services de renseignement de la France et ceux du Maroc, de l'Algérie et de la Tunisie.
François Loncle a émis une appréciation sur la presse qui, à mon sens, montre qu'il est de méchante humeur ce matin et, en même temps d'une grande vivacité… Pour ce qui est de Daech, le fait que la France n'intervienne pas en Syrie s'explique par l'impossibilité pour notre pays de prendre part à toutes les opérations militaires extérieures simultanément, pour des raisons de soutenabilité de notre engagement. En tout état de cause, les opérations menées par la coalition – dont la France fait partie – en Irak et en Syrie font partie d'un engagement global mené dans les deux pays où des groupes terroristes agissent de concert.
Je suis désolé de ne pouvoir vous répondre de manière plus détaillée, mais je suis déjà très en retard sur mon emploi du temps. Je vous remercie pour le travail remarquable accompli par votre commission d'enquête et je pense que tout ce qui peut se faire de manière transversale dans un souci d'unité nationale est toujours beaucoup plus utile que ce qui est entrepris dans un esprit de division. Sur un sujet tel que le terrorisme, nous diviser ne saurait avoir pour conséquence que de nous affaiblir, ce qui n'est pas notre intérêt.