Le dispositif des différentiels est l'objet, vous le savez, de suspicions de la part de la Commission européenne : aussi craignons-nous qu'elle ne veuille profiter de son renouvellement pour, tout simplement, le supprimer. Le renouvellement du dispositif, en 2004, s'était déjà accompagné d'un encadrement très sévère, avec l'obligation de fournir un nombre croissant de justifications, ce qui l'a rendu très rigide. De même, la Guyane a dû attendre plusieurs années avant d'obtenir l'inscription de certains produits sur la liste des produits pouvant faire l'objet d'un différentiel de taxation.
C'est pourquoi le ministre des outre-mer, M. Victorin Lurel, a eu raison de faire appel à un cabinet d'experts, le cabinet Lengrand, pour réaliser une évaluation du dispositif. Il fallait en effet commencer par une telle étude pour dissiper d'éventuels soupçons de distorsion de concurrence ou d'effets de rentes. Le cabinet a conclu que le dispositif était sain et qu'il pouvait être pérennisé. Il a notamment observé qu'entre 20 % et 50 % de la valeur ajoutée des entreprises qui bénéficient du différentiel de taxation à l'octroi de mer proviendraient de cette aide spécifique. Le rapport d'évaluation mentionne également que, sur la période 2000-2008, les effectifs dans l'industrie ultramarine ont augmenté de 15 %, même si le régime de l'octroi de mer n'est pas le seul facteur de cette progression, alors que, dans le même temps, ils diminuaient de 13,5 % en métropole. L'octroi de mer constitue ainsi une aide indirecte pour les entreprises qui a l'avantage, non négligeable en cette période budgétaire contrainte, de ne pas mobilier de fonds publics.
Il convient évidemment de profiter du renouvellement de ce dispositif, au 1er juillet 2014, pour améliorer son efficacité et en supprimer d'éventuels travers ou effets pervers.
La reconduction dans son principe du dispositif est plébiscitée par tous les acteurs, notamment par rapport à l'introduction éventuelle de la TVA. D'ailleurs, comment la Commission européenne pourrait-elle préférer l'introduction d'un système inconnu, qui pourrait vite se révéler une véritable boîte de Pandore, à la prorogation d'un dispositif stabilisé et consolidé, déjà pérennisé en 2004 pour dix ans ? D'autant qu'une partie des handicaps supportés par l'outre-mer et reconnus officiellement par les textes européens peut être légitimement compensée par le différentiel de taxation à l'octroi de mer.
De plus, les petites entreprises ne bénéficient, ou presque, que de ce seul dispositif. En effet, en raison de leurs maigres effectifs, elles ne profitent qu'à la marge des exonérations de charges sociales.
Il convient également de rappeler que ce dispositif participe de l'autonomie financière des collectivités locales en alimentant leurs finances publiques et qu'il ne pèse que très modérément sur les prix. Il a enfin rempli son office, qui est de soutenir la production locale au service du développement endogène ou solidaire.
Il est toutefois nécessaire de l'améliorer en y introduisant de la souplesse et en le simplifiant. La modification des listes A, B et C de produits pouvant faire l'objet d'un différentiel de taxation se révèle aujourd'hui longue et difficile, ce qui est un handicap supplémentaire dans un monde où il faut s'adapter rapidement, tant face à l'apparition de nouvelles productions que face à l'évolution des contextes concurrentiels.
Le groupe Eurodom partage incontestablement ce souci. C'est pourquoi il conviendrait que les collectivités régionales, obéissant à un calendrier annuel prédéterminé, soumettent leurs propositions de modifications aux autorités nationales, qui les feraient valider par les autorités européennes selon un mécanisme proche de celui applicable au POSEI – programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité – des DOM.
Il a également été suggéré que la liste des produits soit laissée à l'appréciation des États : toutefois, une telle proposition a peu de chance d'être retenue au plan européen.
La situation des petites entreprises vis-à-vis de l'octroi de mer mérite aussi d'être revue et simplifiée. À ce jour, les entreprises qui réalisent un chiffre d'affaires de production inférieur à 550 000 euros par an sont exonérées de l'octroi de mer tout en étant soumises à déclaration. Cependant, les déclarations étant quasiment inexistantes ou erronées, ne serait-il pas plus simple – cette mesure doit faire l'objet d'un débat – de prévoir le non-assujettissement des petites entreprises, quitte à revoir à la baisse le seuil à partir duquel elles deviennent imposables à l'octroi de mer ? Le rapport Lengrand prévoit, quant à lui, d'adapter le seuil actuel aux conditions économiques et à l'inflation, qui a couru depuis son adoption.
Au plan national, le fonctionnement du dispositif pourrait être rationalisé entre les différents territoires, le régime des exonérations étant aujourd'hui différent d'un département et d'un secteur à l'autre. Il conviendrait également de préciser la notion de production locale équivalente, qui reste floue sur le plan juridique, alors qu'elle conditionne l'application ou la non-application de droits à l'importation de certains types de produits. Il y a lieu, par ailleurs, de revoir les mécanismes de déductibilité des octrois de mer acquittés en amont des productions, dont les régimes sont très variés. Alors que la TVA acquittée en amont est récupérée sur la TVA perçue en aval, tel n'est pas le cas pour l'octroi de mer, dont les conditions de récupération des droits acquittés en amont sont très restrictives. Il conviendrait d'améliorer le dispositif sur le plan technique.
Enfin, il serait pertinent, pour disposer d'un outil statistique fiable, de mettre en place un système déclaratif statistique homogène entre les différents DOM, ce qui permettrait de mieux appréhender le fonctionnement du dispositif et de mieux en justifier l'efficacité auprès de la Commission européenne.
Telles sont les pistes d'amélioration d'un système dont il convient de pérenniser le principe car il a fait ses preuves.