Délégation aux outre-mer

Réunion du 4 décembre 2012 à 18h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • production
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La réunion

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La séance est ouverte à 18 heures 25.

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président.

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Mes chers collègues, nous recevons maintenant M. Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM), accompagné de MM. Pierre Marie-Joseph, premier vice-président, et Alain Vienney, délégué général, et de Mme Samia Badat-Karam, directrice des affaires publiques.

Madame et messieurs, vous le savez, la question de la reconduction du dispositif de l'octroi de mer se pose à brève échéance. Il était donc logique que la Délégation aux outre-mer, créée au mois de juillet dernier, se saisisse immédiatement de cet enjeu, d'autant plus important pour les collectivités d'outre-mer que la pratique de l'Union européenne, qui repose sur la philosophie du libre-échange total, pourtant démenti par les faits, va dans le sens de l'harmonisation des pratiques et non dans celui de l'instauration de régimes spécifiques. Aussi, l'octroi de mer peut-il apparaître, aux yeux de la Commission européenne, à tout le moins archaïque, au pire trop dérogatoire.

C'est pourquoi, afin d'accompagner la réflexion et l'action du Gouvernement en la matière, la Délégation a nommé deux co-rapporteurs, MM. Jean-Jacques Vlody et Mathieu Hanotin. Ils vous poseront des questions.

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Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d'outre-mer, FEDOM

Nous sommes très heureux d'entamer des échanges avec la Délégation aux outre-mer, échanges que nous désirons inscrire dans la pérennité. Nous avons, en effet, trop souvent souffert de la difficulté de relayer les positions des représentants, non seulement de la Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM), mais aussi, tout simplement, des intérêts économiques de l'ensemble des outre-mer – la FEDOM ayant vocation à s'intéresser à toutes les activités industrielles et commerciales des territoires ultramarins. Je vous remercie donc pour cette volonté nouvelle d'écoute.

Monsieur le président, nous avons été également très sensibles à la détermination dont les parlementaires ultramarins ont fait preuve au cours des débats sur le projet de loi de finances pour défendre le financement des économies ultramarines. La communauté économique ultramarine, employeurs et salariés réunis, leur en est très reconnaissante. C'est grâce à leur action déterminée et à celle du ministre, M. Victorin Lurel, que les fondements du financement des économies ultramarines ont pu être préservés pour 2013. Nous participerons à ce débat sans aucun a priori, à condition évidemment que la disparition de la défiscalisation ne soit pas posée comme préalable, alors qu'il convient de réfléchir ensemble, non à la disparition, mais à l'aménagement du dispositif, pour le rendre encore plus performant. Je souhaiterais également aborder, à la fin de cette audition, le dispositif « Duflot » outre-mer.

Nous mesurons combien le combat pour la reconduction du dispositif des différentiels entre octroi de mer externe et octroi de mer interne, lequel est soumis à l'approbation de l'Union européenne, est compliqué. L'année dernière, déjà, Bruxelles a supprimé l'abattement supplémentaire de 30 % sur l'impôt sur les sociétés dont bénéficiaient les entreprises ultramarines. Nous regrettons que ce dispositif, qui avait été acquis de haute lutte au temps de l'Europe des Quinze, ait disparu. C'est la raison pour laquelle nous serons très vigilants sur la question du maintien des différentiels de taxation à l'octroi de mer.

Si nous ne sommes pas compétents en matière de fiscalité – domaine qui est du ressort des collectivités locales –, en revanche, la bataille pour le maintien du dispositif lui-même, qui vient à échéance le 1er juillet 2014, nous concerne directement. C'est en effet le seul dispositif qui reconnaisse l'existence des handicaps structurels propres aux économies ultramarines, puisqu'il vise, sinon à les éradiquer, du moins à les atténuer. Je ne me permettrai pas de vous rappeler, mesdames et messieurs les députés, les handicaps liés à l'éloignement, à un marché étroit, à l'organisation du fret ou à la fixation de normes internationales – sachant, sur ce dernier point, que les marchés qui se développent autour de nos outre-mer ne se privent pas pour fixer leurs règles ! Nous sommes évidemment très attachés au fait que l'Europe reconnaisse nos handicaps structurels, que le différentiel a pour vocation de corriger.

Je rappellerai que la FEDOM s'est organisée autour de deux idées aussi simples que complémentaires : d'une part, assurer le meilleur financement des économies ultramarines, via notamment la défiscalisation, pour fonder le développement des outre-mer sur la richesse partagée entre les entreprises et les salariés ; d'autre part, développer la production locale. En effet, les territoires ultramarins ne pourront continuer de se développer économiquement que dans le cadre d'une production performante et de qualité, ce qui suppose de reconnaître leurs spécificités, handicaps structurels compris.

C'est pourquoi il convient de réfléchir à une amélioration du dispositif existant, au profit notamment des TPE et PME ultramarines. Elles sont, certes, déjà exonérées, mais l'exonération est-elle en soi un dispositif satisfaisant ? Ne serait-il pas préférable d'envisager un autre dispositif ? Il faut savoir que la FEDOM représente 100 000 entreprises pour quelque 600 000 salariés. La taille moyenne d'une entreprise outre-mer est donc de six salariés. Nous sommes là au coeur du sujet.

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Alain Vienney, délégué général de la FEDOM

Le dispositif des différentiels est l'objet, vous le savez, de suspicions de la part de la Commission européenne : aussi craignons-nous qu'elle ne veuille profiter de son renouvellement pour, tout simplement, le supprimer. Le renouvellement du dispositif, en 2004, s'était déjà accompagné d'un encadrement très sévère, avec l'obligation de fournir un nombre croissant de justifications, ce qui l'a rendu très rigide. De même, la Guyane a dû attendre plusieurs années avant d'obtenir l'inscription de certains produits sur la liste des produits pouvant faire l'objet d'un différentiel de taxation.

C'est pourquoi le ministre des outre-mer, M. Victorin Lurel, a eu raison de faire appel à un cabinet d'experts, le cabinet Lengrand, pour réaliser une évaluation du dispositif. Il fallait en effet commencer par une telle étude pour dissiper d'éventuels soupçons de distorsion de concurrence ou d'effets de rentes. Le cabinet a conclu que le dispositif était sain et qu'il pouvait être pérennisé. Il a notamment observé qu'entre 20 % et 50 % de la valeur ajoutée des entreprises qui bénéficient du différentiel de taxation à l'octroi de mer proviendraient de cette aide spécifique. Le rapport d'évaluation mentionne également que, sur la période 2000-2008, les effectifs dans l'industrie ultramarine ont augmenté de 15 %, même si le régime de l'octroi de mer n'est pas le seul facteur de cette progression, alors que, dans le même temps, ils diminuaient de 13,5 % en métropole. L'octroi de mer constitue ainsi une aide indirecte pour les entreprises qui a l'avantage, non négligeable en cette période budgétaire contrainte, de ne pas mobilier de fonds publics.

Il convient évidemment de profiter du renouvellement de ce dispositif, au 1er juillet 2014, pour améliorer son efficacité et en supprimer d'éventuels travers ou effets pervers.

La reconduction dans son principe du dispositif est plébiscitée par tous les acteurs, notamment par rapport à l'introduction éventuelle de la TVA. D'ailleurs, comment la Commission européenne pourrait-elle préférer l'introduction d'un système inconnu, qui pourrait vite se révéler une véritable boîte de Pandore, à la prorogation d'un dispositif stabilisé et consolidé, déjà pérennisé en 2004 pour dix ans ? D'autant qu'une partie des handicaps supportés par l'outre-mer et reconnus officiellement par les textes européens peut être légitimement compensée par le différentiel de taxation à l'octroi de mer.

De plus, les petites entreprises ne bénéficient, ou presque, que de ce seul dispositif. En effet, en raison de leurs maigres effectifs, elles ne profitent qu'à la marge des exonérations de charges sociales.

Il convient également de rappeler que ce dispositif participe de l'autonomie financière des collectivités locales en alimentant leurs finances publiques et qu'il ne pèse que très modérément sur les prix. Il a enfin rempli son office, qui est de soutenir la production locale au service du développement endogène ou solidaire.

Il est toutefois nécessaire de l'améliorer en y introduisant de la souplesse et en le simplifiant. La modification des listes A, B et C de produits pouvant faire l'objet d'un différentiel de taxation se révèle aujourd'hui longue et difficile, ce qui est un handicap supplémentaire dans un monde où il faut s'adapter rapidement, tant face à l'apparition de nouvelles productions que face à l'évolution des contextes concurrentiels.

Le groupe Eurodom partage incontestablement ce souci. C'est pourquoi il conviendrait que les collectivités régionales, obéissant à un calendrier annuel prédéterminé, soumettent leurs propositions de modifications aux autorités nationales, qui les feraient valider par les autorités européennes selon un mécanisme proche de celui applicable au POSEI – programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité – des DOM.

Il a également été suggéré que la liste des produits soit laissée à l'appréciation des États : toutefois, une telle proposition a peu de chance d'être retenue au plan européen.

La situation des petites entreprises vis-à-vis de l'octroi de mer mérite aussi d'être revue et simplifiée. À ce jour, les entreprises qui réalisent un chiffre d'affaires de production inférieur à 550 000 euros par an sont exonérées de l'octroi de mer tout en étant soumises à déclaration. Cependant, les déclarations étant quasiment inexistantes ou erronées, ne serait-il pas plus simple – cette mesure doit faire l'objet d'un débat – de prévoir le non-assujettissement des petites entreprises, quitte à revoir à la baisse le seuil à partir duquel elles deviennent imposables à l'octroi de mer ? Le rapport Lengrand prévoit, quant à lui, d'adapter le seuil actuel aux conditions économiques et à l'inflation, qui a couru depuis son adoption.

Au plan national, le fonctionnement du dispositif pourrait être rationalisé entre les différents territoires, le régime des exonérations étant aujourd'hui différent d'un département et d'un secteur à l'autre. Il conviendrait également de préciser la notion de production locale équivalente, qui reste floue sur le plan juridique, alors qu'elle conditionne l'application ou la non-application de droits à l'importation de certains types de produits. Il y a lieu, par ailleurs, de revoir les mécanismes de déductibilité des octrois de mer acquittés en amont des productions, dont les régimes sont très variés. Alors que la TVA acquittée en amont est récupérée sur la TVA perçue en aval, tel n'est pas le cas pour l'octroi de mer, dont les conditions de récupération des droits acquittés en amont sont très restrictives. Il conviendrait d'améliorer le dispositif sur le plan technique.

Enfin, il serait pertinent, pour disposer d'un outil statistique fiable, de mettre en place un système déclaratif statistique homogène entre les différents DOM, ce qui permettrait de mieux appréhender le fonctionnement du dispositif et de mieux en justifier l'efficacité auprès de la Commission européenne.

Telles sont les pistes d'amélioration d'un système dont il convient de pérenniser le principe car il a fait ses preuves.

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Pierre Marie-Joseph, premier vice-président de la FEDOM

Il convenait effectivement de rappeler la prudence de la Commission et du Conseil européens sur l'octroi de mer compte tenu des vicissitudes passées et des sommes qui ont dû être versées alors que le dispositif ne doit théoriquement rien coûter.

Il n'a jamais été fait état de TVA régionale mais, par certains, d'une taxation sur le prix de vente, avec possibilité de récupération et élargissement du champ d'application de la taxation à quelques services, en vue de diminuer certains taux dans d'autres secteurs. Toutefois l'Europe ne serait-elle pas, dans ces conditions, amenée à considérer un tel système comme une TVA ? Ce serait signer la mort du différentiel, alors que les industriels ont besoin de cette compensation des surcoûts de production – le mot « protection » est prohibé par l'Europe – pour demeurer compétitifs face à des importations qui viennent de partout. En matière d'importation, les outre-mer subissent en effet la double peine puisqu'ils ont à faire face à la fois aux importations en provenance de la métropole et du reste du monde. Nos acteurs économiques vont chercher des produits de plus en plus loin. Si, à condition que nous demeurions compétitifs, le projet de troisième écluse du canal de Panama peut constituer un progrès en termes de transbordement, il pourra également ouvrir la porte à l'invasion de produits venant de pays très éloignés mais qui pratiquent le dumping social. C'est la raison pour laquelle Eurodom et le FEDOM souhaitent le maintien de l'octroi de mer avec des modifications a minima, en termes notamment d'assouplissement des modifications des listes. M. Victorin Lurel serait également favorable à un abaissement du seuil de 550 000 euros à 200 000 euros, voire à 150 000 euros, car le seuil actuel, trop élevé, écarte de la taxation la grande majorité des entreprises, notamment guadeloupéennes.

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Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d'outre-mer, FEDOM

La TVA régionale est une fausse bonne idée.

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Compte tenu de tous les inconvénients que vous avez détaillés, j'ai effectivement du mal à comprendre pourquoi d'aucuns continuent d'agiter l'idée d'un nouveau dispositif.

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Pierre Marie-Joseph, premier vice-président de la FEDOM

Je préfère parler de taxation sur le prix de vente plutôt que de TVA régionale.

Il faut savoir que, contrairement à l'octroi de mer régional qui porte sur le prix de vente, l'octroi de mer à l'importation a pour assiette la valeur Coût, assurance et fret (CAF) – CIF pour Cost Insurance and Freight – du produit : il est acquitté une fois pour toutes à l'entrée. Ce système, qui n'est pas transparent, autorise des marges finales de trois ou quatre au profit de l'importateur et du distributeur.

Au contraire, le dispositif de l'octroi de mer régional, dont le taux varie entre 1,5 % et 2,5 %, est transparent puisqu'il repose, je le répète, sur le prix de vente. C'est la raison pour laquelle il sera certainement possible un jour d'instaurer une taxation générale sur le prix de vente, mais l'heure n'est pas encore venue, compte tenu notamment de la crise économique et du fait que nous ignorons toujours si l'Europe ne sera pas tentée de qualifier juridiquement une telle taxation sur le prix de vente de TVA. Ce dernier point ferait alors disparaître, je tiens également à le répéter, le mécanisme du différentiel.

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Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d'outre-mer, FEDOM

Par ailleurs, l'État serait-il prêt à se dessaisir au profit des collectivités locales de ses droits en matière de TVA ?

Sommes-nous enfin certains que la recette restera sur le territoire ?

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Pierre Marie-Joseph, premier vice-président de la FEDOM

Je ne pense pas que les collectivités outre-mer seraient prêtes à abandonner leur autonomie fiscale.

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Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d'outre-mer, FEDOM

En effet, une telle réforme irait à l'encontre du principe de l'autonomie fiscale des collectivités locales.

Ces incertitudes majeures nous conduisent donc à ne pas commettre l'imprudence de demander que l'on crée une TVA régionale.

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La remise en cause du dispositif n'est pas la voie vers laquelle nous nous orientons, même si d'aucuns réfléchissent effectivement à l'idée d'une TVA régionale. Si le terme me paraît inapproprié, ne conviendrait-il pas toutefois de s'orienter vers l'élargissement de la base de l'octroi de mer, notamment aux services ? Un tel élargissement pourrait être une source de recettes supplémentaires pour les collectivités tout en autorisant l'exonération d'autres champs de production, concernant aussi bien les services que la production industrielle locale, dans un système de bascule sur un territoire.

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Pierre Marie-Joseph, premier vice-président de la FEDOM

Il conviendrait également de diminuer l'octroi de mer sur les produits de première nécessité.

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Le bouclier qualité-prix étant inscrit dans la loi relative à la régulation économique outre-mer, si l'on diminue l'octroi de mer sur certains produits, comment compenser le moins-perçu en termes de recettes fiscales ? Telle est l'interrogation qui préside à la réflexion actuelle.

Un abaissement du seuil d'exonération est une autre piste. Le fait que ce soit vous, les représentants des entreprises, qui ayez évoqué une telle possibilité est intéressant. Il ne nous appartient évidemment pas de déterminer ce soir un nouveau seuil.

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Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d'outre-mer, FEDOM

Un abaissement du seuil n'aurait à nos yeux d'intérêt que s'il s'accompagnait du non-assujettissement des entreprises situées au-dessous de ce nouveau seuil. À l'heure actuelle, les entreprises exonérées continuent d'être assujetties dans le cadre d'un système déclaratif peu fiable.

En outre, je me méfie toujours des propositions d'élargissement de base avec, en contrepartie, l'instauration de dispositifs d'exonérations ou de non-assujettissement. Trop souvent la contrepartie est oubliée : la base est élargie mais les exonérations sont passées à la trappe ! Chacun se rappelle encore la création de la vignette : elle n'a jamais servi à alimenter les retraites. Je suis un pragmatique. L'abaissement du seuil est une idée qui suscite en notre sein un débat difficile. C'est pourquoi nous ne signerons aucun chèque en blanc. Nous devrons auparavant avoir obtenu des garanties en matière de non-assujettissement et d'exonérations. Sinon, nous nous ferions huer à notre prochaine assemblée générale ! La défiscalisation est un débat d'intérêt commun, visant à assurer le meilleur développement des économies ultramarines.

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L'abaissement des seuils me paraît une voie à emprunter.

Je suis d'accord avec vous : simplifions les dispositifs ! Un non-assujettissement est préférable à un système déclaratif qui ne donne satisfaction à personne, pas même aux douanes qui, comme elles nous l'ont elles-mêmes expliqué, ne peuvent pas s'en servir pour obtenir une base statistique fiable. Ce sont des heures de travail perdues pour tout le monde !

Le député métropolitain que je suis tient à vous faire passer un message : les entreprises doivent mener une action d'information auprès des populations, afin de mettre fin aux rumeurs qui courent sur l'outre-mer. Il convient de montrer à tous les acteurs locaux, y compris aux consommateurs, l'intérêt que représente l'octroi de mer, notamment en termes d'emplois.

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Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d'outre-mer, FEDOM

Nous avons perdu depuis plusieurs années déjà le combat sur la défense des outils de financement des économies ultramarines. Le terme « défiscalisation » est devenu un gros mot. Même la presse économique fait courir la rumeur que la défiscalisation n'a d'autre effet que de financer des hôtels de luxe ou des yachts. J'aimerais bien ! Cela signifierait au moins que le tourisme se porte bien outre-mer ! Quant aux yachts, voilà bien longtemps que je n'en ai vu dans les ports ultramarins. Que dire de la TVA non perçue récupérable – TVA NPR – ? Que dire demain d'un éventuel crédit d'impôt non payé remboursé ? Peut-être conviendrait-il de rompre avec le jargon. Je le répète : l'octroi de mer est le seul dispositif qui reconnaisse les handicaps structurels supportés par les économies ultramarines. Quel que soit le dispositif adopté, il conviendra de l'expliquer : nous devons nous améliorer en termes de communication. Le mot « octroi » lui-même est-il judicieux ?

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S'il paraît déterminant de mener un travail d'explication auprès de la population pour montrer l'intérêt de la taxation différenciée en termes de préservation de la production locale et donc en termes d'emploi, il me paraît tout aussi important d'expliquer aux entreprises de la FEDOM qu'il leur faut faire un effort en matière de prix, pour lutter contre la vie chère et éviter ainsi la colère populaire, laquelle finirait par remettre en cause le dispositif lui-même.

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Pierre Marie-Joseph, premier vice-président de la FEDOM

Ce travail d'explication de l'importance des dispositifs compensatoires et dérogatoires dont nous bénéficions, je n'ai cessé de le mener depuis onze ans, en tant que président de l'Association martiniquaise de promotion de l'industrie (AMPI). Sinon, pourquoi, dans mon cas, préférer à l'import la production locale de menuiserie aluminium, qui me permet d'employer quelque cinquante salariés ? Importer me coûterait moins cher ! D'ailleurs, même les importateurs ne font plus aujourd'hui de recours contre l'octroi de mer. On évite désormais de tirer à boulets rouges sur cette taxation. Il en est ainsi du moins en Martinique.

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Pierre Marie-Joseph, premier vice-président de la FEDOM

Les problèmes d'investissement public, engendrés par la diminution des recettes à la suite de l'importante baisse de l'octroi de mer en 2009 sur les produits de première nécessité, ont participé de cette prise de conscience. Les populations ultramarines perçoivent d'autant mieux aujourd'hui le développement endogène comme un enjeu majeur que les jeunes savent, en raison de la réduction des effectifs dans la fonction publique, qu'aller en métropole pour tenter un concours de fonctionnaire n'est plus la voie d'accès privilégiée à l'emploi. Ils ont compris que c'est le secteur marchand qui créera désormais la valeur ajoutée : c'est pourquoi ils s'orientent vers les entreprises.

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Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d'outre-mer, FEDOM

S'agissant de la loi relative à la régulation économique outre-mer, je n'ai jamais contesté aux politiques le droit de légiférer dans un domaine qui relevait, du reste, d'une promesse de campagne du candidat François Hollande, d'autant que la FEDOM n'a jamais nié le phénomène de la vie chère. Une des vertus de ce texte est d'avoir instauré une harmonisation des observatoires de prix. En revanche, si l'on légifère, autant le faire bien. Or, le texte issu du Parlement est moins juridique que le texte présenté par le Gouvernement et qui avait été soumis à l'avis du Conseil d'État. C'est pourquoi il sera source de nombreux contentieux. En effet, que signifie un « prix élevé » ? Je sais ce qu'est un prix abusif, j'ignore en revanche ce qu'est un « prix élevé », car c'est une notion subjective. En précisant que le prix est « élevé » par rapport à la moyenne des prix constatés dans le même secteur, la loi est, je le répète, source de contentieux.

En tant que député, j'ai été, en 1996, rapporteur pour avis pour la commission des Lois sur le texte concernant la loyauté et l'équilibre des relations commerciales, dite loi Galland. À l'époque, notre objectif était d'éviter que la loi ne jargonne. Si nous sommes prêts à aider le Gouvernement en matière de lutte contre la vie chère, nous préférerions le faire dans un cadre législatif favorable – on vient de réinventer la vente à perte ! D'autant que, la production locale coûtant souvent plus cher qu'un produit importé, le critère du « prix élevé » risque de déstabiliser les producteurs locaux. Si, en tant que républicains, nous sommes conduits à appliquer la loi, nous n'en regrettons pas moins qu'elle soit insuffisamment étayée sur le plan juridique.

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Le propre des députés est de faire de la politique, pas du juridique. La politique est la gestion des affaires de la cité.

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Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d'outre-mer, FEDOM

C'est ce que m'a dit M. le ministre des Outre-mer.

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C'est notre appréciation des affaires de la cité qui nous conduit à corriger les formulations des techniciens lorsqu'elles ne nous paraissent pas conformes à l'idée que nous nous faisons des intérêts majeurs de nos concitoyens.

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Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d'outre-mer, FEDOM

Je ne vous contesterai jamais ce droit, monsieur le président. Toutefois, la loi est ensuite codifiée.

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Il appartient à la jurisprudence d'en préciser l'application.

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En tant qu'ancien président de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, je tiens à réagir à cet échange.

S'il est vrai, monsieur le président, que nous sommes ici pour faire, non pas du juridique, mais de la politique, il est tout de même préférable d'adopter des lois juridiquement bien inspirées. J'ignore si la loi relative à la régulation économique outre-mer a été soumise au Conseil constitutionnel : en tout cas, une éventuelle question prioritaire de constitutionnalité risque d'invalider un jour cette partie du texte.

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Nous verrons bien ! La volonté politique l'emporte toujours sur le juridique. Du reste, quand il y a une volonté, il y a un chemin.

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Vous êtes favorable à la variation des taux, qui permet de favoriser telle ou telle production. Comment les entreprises envisagent-elles de conjuguer le différentiel avec la lutte contre la vie chère ? Envisagez-vous les exonérations comme un moyen de faire baisser les prix ?

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Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d'outre-mer, FEDOM

Le non-assujettissement des entreprises ne saurait évidemment entraîner un surenchérissement des produits, bien au contraire. Toutefois, l'étude Lengrand a démontré que le différentiel de taxation à l'octroi de mer a été sans effet, ou presque, sur la formation des prix. C'est pourquoi, les exonérations futures ne sauraient engendrer une baisse des prix. L'enjeu de l'octroi de mer est la valorisation de la production locale.

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Alain Vienney, délégué général de la FEDOM

L'élargissement de la base aux services risque d'entraîner une hausse des prix, avec le risque qu'à terme, l'octroi de mer évolue vers un régime de TVA, si cet élargissement s'accompagne d'une uniformisation des octrois de mer externe et interne.

De nombreux biens de première nécessité font déjà l'objet de taux réduits, notamment à la suite des événements de 2009. Un effort particulier de différenciation de ces produits a donc déjà été consenti. C'est pourquoi l'effet actuel sur les prix du différentiel de taxation à l'octroi de mer est modéré. Au contraire, un changement de régime risquerait d'avoir un impact plus important.

Il faut noter également que la production locale coûte généralement plus cher que la production importée : si l'on veut la préserver, il convient d'en assumer le coût, lequel est largement compensé en termes d'emplois, de richesse locale et d'activités. L'octroi de mer y contribue, à côté d'autres dispositifs, notamment les exonérations de charges sociales ou la défiscalisation, comme le précise l'étude Lengrand.

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Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d'outre-mer, FEDOM

Je tiens à aborder brièvement le dispositif « Duflot » outre-mer. L'Assemblée nationale a voté, à l'article 57 du projet de loi de finances, un amendement du Gouvernement portant le taux de réduction d'impôt à 29 % au lieu du taux de droit commun de 18 %, pour les investissements réalisés dans les départements et collectivités d'outre-mer – le différentiel étant le même par rapport au « Duflot » métropole que celui du « Scellier » outre-mer par rapport au « Scellier » métropole.

Malheureusement, si le « Scellier » outre-mer n'a pas connu la réussite escomptée, alors que la réduction d'impôt était supérieure, c'est qu'en dehors de la zone Pacifique où la durée a été réduite à cinq ans, il ne prévoyait aucune réduction de durée par rapport à la métropole.

Or, la crise du logement intermédiaire nous préoccupe beaucoup. Le parcours locatif ne se fait plus car le stock des logements intermédiaires est épuisé, notamment à La Réunion, si bien que ceux qui devraient accéder au logement intermédiaire restent dans le logement social. C'est pourquoi, il faut réduire la durée du « Duflot » outre-mer de neuf à six ans. Nous ne demandons plus que la réduction d'impôt soit établie sous le plafonnement global applicable à l'outre-mer de 18 000 euros et 4 % du revenu imposable du contribuable, ce qui était le cas du « Scellier », car, nous le savons, nous ne serions pas entendus, même si le Gouvernement a accepté, à la demande de M. Christian Eckert, rapporteur, une dérogation semblable pour la réduction d'impôt dite « Madelin », au nom précisément de l'efficacité du dispositif. En revanche, l'abaissement de la durée de neuf à six ans, qui coûtera seulement en année N +1, est indispensable. Les professionnels ultramarins du bâtiment ont dû vous alerter. Telle est la voie de la réussite du « Duflot » outre-mer. Je crains, sinon, que ce dispositif ne courre à l'échec.

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Je me ferai votre interprète auprès du Gouvernement.

L'intérêt de la Délégation aux outre-mer est de travailler au bien collectif dans le cadre d'un dialogue concret et d'échanges de vues constructifs.

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Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d'outre-mer, FEDOM

Nous espérons pouvoir travailler avec le Gouvernement et avec la représentation nationale, notamment sur toutes les questions relatives à la défiscalisation.

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La Délégation aux outre-mer sera associée aux travaux que le Gouvernement et l'Assemblée nationale conduiront en matière d'évaluation et d'amélioration du dispositif existant, afin de lui faire perdre sa réputation diabolique. Savez-vous que la presse, de droite comme de gauche, a refusé de publier la lettre ouverte conjointe, signée par une quarantaine de parlementaires de la Délégation sénatoriale à l'outre-mer, présidée par M. Gérard Larcher, et de la Délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale, qui visait à expliquer les dispositifs actuels ?

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Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d'outre-mer, FEDOM

Nous l'avons diffusée en interne à tous nos membres.

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L'opinion publique métropolitaine est malheureusement perdue sur le sujet, comme, du reste, presque toute l'opinion parlementaire.

Vous avez eu raison d'insister sur l'importance de l'action du ministre des Outre-mer, laquelle répond à l'arbitrage ferme du Premier ministre et à l'engagement du Président de la République en la matière.

Il est nécessaire de se livrer à une évaluation du dispositif et à une réflexion approfondie sur sa consolidation, puis d'en diffuser largement les résultats auprès de l'opinion publique. Donnons-nous-en les moyens, d'autant que l'État ne prendra pas sur les recettes publiques pour compenser la disparition du dispositif.

Je vous remercie de la franchise de vos propos et de votre offre de réflexion commune.

La séance est levée à 19 heures 40.