Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 3 février 2015 à 8h00
Commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Christiane Taubira, ministre de la Justice, garde des Sceaux :

Monsieur Fenech, vous avez d'excellentes lectures, mais je vous propose que nous ayons un débat littéraire en d'autres circonstances. En ce qui concerne les brouilleurs de haute technologie, il est prévu, dans le cadre du plan du 21 janvier dernier, d'étendre leur utilisation. De façon générale, disais-je, les participants à ces débats s'efforcent d'éviter les réponses lapidaires et les solutions simplistes. En voilà pourtant un exemple. Ces brouilleurs, avez-vous dit, n'ont pas empêché la saisie de téléphones portables. Certes, mais sachez que les brouilleurs brouillent tout, y compris les ordinateurs de l'administration ou la vidéosurveillance. Les choses ne sont donc pas si simples. C'est pourquoi nous menons des études sophistiquées, en réalisant des tests et des expérimentations. Il ne s'agit pas pour nous de rassurer les Français en adoptant des mesures simplistes, sommaires, qui ne fonctionnent pas, mais d'assumer nos responsabilités à la place que nous occupons en étant efficaces. On peut généraliser les brouilleurs, mais personne ne pourra plus travailler !

Quant aux moyens exceptionnels, ils existent. Le ministère de la justice créera 1 834 emplois dans le cadre du prochain budget triennal. Grâce au plan du 21 janvier, nous disposerons de 950 emplois supplémentaires et de 180 millions d'euros hors masse salariale, en plus des éléments que je vous ai présentés. Ce sont des moyens exceptionnels ! Cependant, nous respectons l'État de droit, car c'est, je crois, la volonté des Français. Ils nous ont demandé d'assurer leur sécurité, mais ils ont également exprimé leur attachement aux libertés publiques. Il est donc de notre responsabilité de veiller à garantir la sécurité de nos concitoyens sans céder à la facilité de lois d'exception, dont l'efficacité est douteuse et qui risquent davantage de les perturber que d'affliger les criminels et les terroristes.

Par ailleurs, je ne comprends pas que vous évoquiez la prévention alors que j'ai parlé des établissements pénitentiaires et de la gestion de la population carcérale. Dois-je rappeler que sur les 134 personnes mises en examen, 90 sont en détention provisoire et les 44 autres sous contrôle judiciaire ? Ce n'est pas moi qui en ai pris la décision, je ne m'en glorifie donc pas – même si, par ailleurs, on me fait porter la responsabilité de certaines décisions judiciaires. Où est-il, ici, question de prévention ? Il n'empêche que, oui, celle-ci est nécessaire. La PJJ, par exemple, a identifié 41 jeunes qui se trouvent dans une situation critique du point de vue de la radicalisation islamique, mais nous avons décidé de travailler sur l'ensemble des 140 000 jeunes suivis par ses services et d'intervenir dans les écoles en partenariat avec l'éducation nationale. Du reste, la PJJ a également identifié des parents dont les enfants ne sont pas en cours de radicalisation mais qui adoptent, quant à eux, une posture qui appelle l'attention. Nous travaillons sur l'ensemble de ce public, de même que, dans les établissements pénitentiaires, nous nous occupons non seulement des détenus radicalisés ou en cours de radicalisation, mais aussi de ceux qui risquent d'être exposés à cette radicalisation.

Quant à la rétention de sûreté, la question n'est pas de savoir si elle me plaît ou non ; je crois avoir exposé mon argumentation sur ce point. Voilà le type même de réponses dont on pense qu'elle plaît aux Français parce qu'elle les apaise. Mais notre responsabilité va au-delà ! Encore une fois, la rétention de sûreté a été créée par une loi de 2008, et elle concerne aujourd'hui une personne. Qui plus est, elle n'a pas été prévue pour les infractions liées au terrorisme. Les Français ont démontré, encore récemment, combien ils restent un peuple politisé, clairvoyant, mature. Le moindre des respects qu'on puisse lui témoigner est de faire l'effort de lui exposer la complexité des situations et les réponses qu'il faut y apporter.

S'agissant du régime des peines, je rappelle une nouvelle fois que c'est la loi du 9 mars 2004 qui a rendu automatique l'attribution du crédit de réduction de peine. Dans la réforme pénale, nous avons prévu qu'elle soit prononcée par le juge d'application des peines. Le régime de réduction des peines permet de gérer notamment la sortie de prison. À ce propos, je rappelle que c'est la loi pénale du 15 août 2014 qui permet désormais de disposer de cette réduction de peine à la fin de l'incarcération et de décider éventuellement le maintien en détention en supprimant les jours de réduction de peine. Il y a la propagande et la réalité de la loi. Voilà la réalité !

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