Monsieur le président, madame la secrétaire d’État chargée des droits des femmes, mes chers collègues, la proposition de loi dont notre assemblée est aujourd’hui saisie a été adoptée par le Sénat, en première lecture, le 10 mars 2015, puis par notre commission des lois, le 3 juin dernier.
Comme vous le savez, on dénombre actuellement en France 98 000 cas d’enfants en danger, dont 19 000 sont victimes de maltraitance et 79 000 se trouvent dans des situations à risque. Pour autant, alors même que ces chiffres sont déjà très préoccupants, il semblerait, comme cela m’a été rappelé lors des auditions par un membre du collège la Haute Autorité de santé, que ces chiffres soient aujourd’hui largement sous-évalués, notamment dans le cas des affaires intra-familiales. Les scandales d’abus sexuels sur mineurs qui ont bouleversé l’opinion publique britannique depuis deux ans doivent également nous alerter sur ces situations non détectées.
Ce véritable problème de société qu’est la maltraitance ne concerne toutefois pas les seuls enfants ; elle touche également des femmes et des personnes vulnérables comme les personnes handicapées ou âgées. Un rapport du ministère de l’intérieur est d’ailleurs venu nous rappeler, hier, que 118 femmes sont mortes en 2014 sous les coups de leur compagnon.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui cherche à renforcer l’efficacité du dispositif de détection et de prise en charge des situations de maltraitance, d’une part en étendant la procédure de signalement de telles situations à l’ensemble des professionnels et auxiliaires médicaux, tout en les protégeant, d’autre part, contre l’engagement de leur responsabilité civile, pénale et disciplinaire lorsqu’ils les signalent.
Actuellement, l’article 226-14 du code pénal prévoit que les sanctions applicables à la violation du secret professionnel ne sont pas encourues par plusieurs catégories de personnes et notamment par le médecin lorsque celui-ci porte à la connaissance du procureur de la République les sévices ou privations – physiques ou psychiques – qu’il a constatés dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques ont été commises.
Or, dans notre pays, cette procédure de signalement reste, aujourd’hui, trop peu connue et trop peu utilisée par les médecins. En effet, seuls 5 % des signalements d’enfants en danger sont effectués par le secteur médical, et 1 % seulement par les médecins libéraux. C’est vraiment l’ambition de ce texte que de remédier à cette carence.
Parmi les raisons fréquemment invoquées pour expliquer ce phénomène figurent, notamment, le manque de sensibilisation et de formation des professions médicales à la reconnaissance des situations de maltraitance, ainsi que leur crainte de la procédure ou des conséquences d’un signalement demeuré sans suite.
En outre, les médecins redoutent toujours, évidemment, de commettre une erreur, de manquer à leur devoir de loyauté envers leur patient et d’être à l’origine de la rupture du lien de confiance avec la famille. Pour répondre à ces craintes, la Haute Autorité de santé a élaboré en 2014 à l’attention des médecins – vous y avez fait allusion, madame la secrétaire d’État – une fiche intitulée « Maltraitance chez l’enfant : repérage et conduite à tenir ». Elle donne des outils de diagnostic et détaille la procédure de signalement : il convient de saluer cette belle initiative.
Pour remédier à cette situation dont personne – sur l’ensemble des bancs de cet hémicycle – ne peut raisonnablement se satisfaire, une intervention du législateur semble donc pleinement justifiée. Tel est l’objet de la présente proposition de loi, sur laquelle nous pouvons tous nous retrouver, comme l’a fait de façon unanime notre commission des lois.
Quelques mots sur le dispositif législatif lui-même. Tout d’abord, l’article 1er de la proposition de loi étend la procédure de signalement à l’ensemble des professions médicales et des auxiliaires médicaux susceptibles d’intervenir auprès des personnes potentiellement victimes de maltraitances, notamment des enfants. Ainsi, seront désormais couverts par l’immunité non seulement les médecins, mais également les sages-femmes, les infirmières – notamment scolaires, qui jouent d’ores et déjà un grand rôle dans ce dépistage –, ainsi que les garde-malades, les aides-soignants et les aides médicaux, ce qui représente un progrès indéniable.
L’article 1er réaffirme également, sans ambiguïté, le principe de l’irresponsabilité civile, pénale et disciplinaire des professionnels de santé auteurs de signalements. Actuellement, les médecins qui signalent une situation de maltraitance dans le respect de la procédure prévue à l’article 226-14 du code pénal n’encourent aucune poursuite pénale, civile ou disciplinaire.
Cependant le cadre juridique en vigueur manque, à l’évidence, de lisibilité, car sa compréhension nécessite la lecture combinée de plusieurs textes et une connaissance approfondie de l’articulation entre les différents types de responsabilités, qui relève d’une construction partiellement jurisprudentielle. L’article 226-14 n’évoque actuellement que l’absence de responsabilité disciplinaire : le texte propose donc d’améliorer clairement sa rédaction en prévoyant qu’il exempte tout à la fois de responsabilité pénale, civile et disciplinaire.
Enfin, ce même article aménage la possibilité pour les auteurs de signalements de s’adresser directement à la cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, la CRIP. Il ressort en effet des auditions que j’ai pu mener que si les médecins hésitent parfois à s’engager en sollicitant directement le procureur de la République, ils sont, en revanche, beaucoup plus enclins à faire appel à la CRIP lorsqu’ils ont de simples doutes sur une situation. La possibilité qui leur est offerte de s’adresser à elle permettra à cette structure de proposer des solutions adaptées dans le cadre de la protection de l’enfance.
Et ainsi que le signalait notre collègue Mme Colette Capdevielle devant la commission des lois, cette nouvelle disposition se combinera de façon pertinente avec l’instauration d’un médecin référent de la protection de l’enfance dans chaque département, disposition que l’Assemblée nationale a adoptée lors de l’examen en première lecture de la proposition de loi de Mmes Meunier et Dini.
L’article 2 de la proposition de loi instaure, ensuite, une obligation de formation des médecins et des professionnels de santé à la détection et au signalement des situations de maltraitance, à l’instar de ce qui existe déjà pour l’ordre professionnel des sages-femmes. En effet, le principal défaut du système actuel réside dans l’absence de formation à l’identification de ces situations et dans la méconnaissance de la procédure de signalement mise à la disposition des professionnels. Or le signalement constitue un devoir déontologique et il doit être conçu comme un soin à part entière, qui devrait être enseigné dans les universités de médecine. Dans cette perspective, le Sénat a complété, à bon droit, la présente proposition de loi par cette disposition.
Avant de conclure, mes chers collègues, un dernier mot. Lors de l’examen de cette proposition en commission des lois, nous sommes parvenus à un vote conforme, à l’unanimité des groupes de notre Assemblée, motivé essentiellement par la perspective d’une entrée en vigueur immédiate.
Aujourd’hui, un certain nombre d’amendements, notamment un amendement du groupe socialiste, républicain et citoyen à l’article 1er, nous invitent à rouvrir le débat. Même si cet amendement n’est pas dénué d’intérêt sur le fond, son adoption serait regrettable car elle retarderait de plusieurs mois l’adoption et donc l’application de cette proposition de loi, sur laquelle nous nous étions pourtant, la semaine dernière, accordés à dire qu’elle répondait à un besoin réel, essentiel et urgent d’amélioration de la procédure de signalement de la maltraitance.