Madame la présidente, monsieur le président de la commission spéciale, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, c’est avec une grande détermination devant la tâche qui nous attend que je prends la parole aujourd’hui pour examiner et faire avancer, avec vous, la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel. Ce texte est porteur de progrès importants pour les personnes prostituées, pour notre société tout entière, pour les droits humains et pour l’égalité entre les femmes et les hommes.
Tout d’abord, je voudrais rendre hommage au travail de votre assemblée. Née lors de la précédente législature, cette proposition de loi trouve son origine dans le travail de Danielle Bousquet, alors députée et aujourd’hui présidente du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, et de Guy Geoffroy, président de votre commission spéciale. Nous devons beaucoup à ce tandem paritaire qui a travaillé, de manière transpartisane, à faire progresser la législation pour mieux protéger les femmes victimes de violences. Après le vote d’une loi cruciale pour lutter contre les violences dans la sphère conjugale, ils ont choisi de s’intéresser à la prostitution, qu’ils ont dénoncée comme « la plus vieille violence du monde ». La prostitution est un sujet tabou. Ils ont affronté les préjugés et les a priori. Mais la qualité de leur travail a convaincu l’ensemble de cette assemblée.
En décembre 2011, les députés ont voté à l’unanimité une résolution réaffirmant la position abolitionniste de la France. C’est un engagement politique fort, mais aussi exigeant. Cette résolution se fonde sur les engagements internationaux de la France et indique que la non-patrimonialité du corps humain est un principe fondamental du droit et que les agressions sexuelles, physiques et psychologiques qui accompagnent la prostitution portent gravement atteinte à l’intégrité des personnes prostituées.
Cela implique qu’il est primordial d’offrir des alternatives à la prostitution, de lutter contre la traite des êtres humains et le proxénétisme, d’éduquer tous les citoyens et de responsabiliser les clients afin d’enclencher un changement des mentalités et des comportements.
Je veux aussi saluer Catherine Coutelle, qui a fait en sorte que la délégation aux droits des femmes poursuive ce travail, et bien évidemment Maud Olivier, qui a été rapporteure d’une mission, puis de votre commission. Elles ont mené un travail de longue haleine, qui a abouti à cette proposition de loi de grande qualité, adoptée à la majorité absolue en première lecture.
Je rends également hommage au travail de la commission spéciale, qui a rétabli l’équilibre de ce texte, confortant ainsi notre volonté de mettre en place une politique abolitionniste ambitieuse et de respecter les engagements internationaux de la France.
Un autre acteur s’est aussi révélé précieux : le milieu associatif, qui est mobilisé et réalise un travail de terrain et de pédagogie indispensable. C’est un facteur clef pour réussir à mettre en place des outils permettant les meilleurs accompagnements nécessaires à la protection des personnes prostituées.
L’ensemble de ce travail doit maintenant aboutir rapidement. Il est urgent d’apporter des réponses adaptées car les situations auxquelles nous devons faire face sont inacceptables et dramatiques. Aujourd’hui, la grande majorité des personnes prostituées sont étrangères et victimes des réseaux de traite. La réalité de la prostitution, c’est la violence, des actes sexuels répétés et non désirés, imposés par la menace des mafias qui maintiennent sous emprise des femmes. Le quotidien des personnes prostituées, ce sont des violences inouïes, allant parfois jusqu’au féminicide. C’est cela la réalité de la prostitution.
Pourtant, certains nous parlent encore d’un métier, d’une prétendue liberté ou d’une prostitution acceptable car elle s’exercerait dans un cadre luxueux. Nous devons rappeler que le taux de mortalité des prostituées est six fois plus élevé que celui du reste de la population. Sacrifier les droits et les vies de femmes et d’hommes pour le désir sexuel de quelques-uns, ce n’est pas la société que nous voulons. Je suis allée sur le terrain, à plusieurs reprises, en maraude ou dans des centres d’hébergement sécurisés : dès lors que l’on rencontre les personnes qui sont victimes, la prise de conscience suscite tout d’abord l’effroi, ensuite, l’indignation, puis la volonté d’agir.
C’est le but de cette proposition de loi, qui se fonde sur quatre piliers : renforcer la lutte contre la traite et le proxénétisme ; accompagner les personnes prostituées ; sensibiliser toute la société ; responsabiliser le client. Ces actions dessinent un dispositif cohérent et efficace.
Certes, le débat sur un tel sujet soulève de nombreuses interrogations, mais ceux qui mettent en avant la liberté de disposer de son corps se trompent. Comparer le système prostitutionnel au combat pour l’émancipation et les droits des femmes est une faute politique. Le système prostitutionnel n’est en effet pas le droit à la libre disposition de son corps ; au contraire, il induit la contrainte physique et financière des personnes qui en sont victimes. Ce n’est pas la liberté des femmes qu’ils défendent ; c’est le droit de certains hommes à disposer du corps d’autrui.
Par ailleurs, certains prédisent que la loi sera contournée et peu efficace. Il est vrai qu’elle ne fera pas disparaître la prostitution du jour au lendemain. Nous savons que des infractions sont commises malgré les lois que vous votez et les sanctions encourues. Mais ce texte donnera un signal fort : il nomme les victimes et les auteurs, donne des outils pour mieux protéger les personnes prostituées et renforce nos moyens pour lutter contre les réseaux de traite humaine. Nous avons des exemples à l’étranger, qui attestent de l’efficacité de ce type de dispositif. Ainsi, un rapport d’évaluation portant sur l’interdiction de l’achat de services sexuels, publié en novembre 2010 par les autorités suédoises, démontre que le nombre de personnes prostituées a diminué. Les écoutes téléphoniques menées dans le cadre d’enquêtes judiciaires mettent en évidence la décision des chefs de réseaux de quitter le territoire suédois, les trafiquants estimant qu’il est devenu trop difficile d’exploiter des femmes en Suède et que le marché est désormais jugé inhospitalier.
En Norvège, un rapport d’évaluation publié en 2013 a conclu que la loi sanctionnant l’achat d’acte sexuel a engendré une réduction sensible de la traite, ce qui a convaincu le gouvernement nouvellement élu de maintenir la législation. De même, l’Islande et le Canada en 2014, puis il y a quelques mois l’Irlande du Nord, ont adopté une législation identique. Les pays qui ont choisi de réglementer constatent une augmentation spectaculaire de la prostitution, des risques sanitaires et des violences qui l’accompagnent. Sur 400 000 personnes prostituées en Allemagne, seules 44 se seraient officiellement enregistrées auprès des organismes sociaux suite à la loi encadrant la prostitution, et un tiers des procureurs allemands indiquent que cette loi a compliqué les poursuites pour traite et proxénétisme. En France, c’est le statu quo qui serait inacceptable. La prostitution évolue, les trafics s’organisent à l’échelle internationale, la législation française n’est plus efficace.
Enfin, certains craignent que la situation des personnes prostituées ne s’aggrave. Je tiens à leur répondre qu’actuellement c’est par crainte du délit de racolage ou par peur de ne pas être protégées que les personnes prostituées se cachent ou décident de ne pas s’engager dans des poursuites judiciaires. Cette loi supprimera le délit de racolage et mettra en place, pour la première fois, les accompagnements et les protections nécessaires.
Je veux aussi rappeler que nous ne créons pas de sanction pour l’achat d’acte sexuel : nous étendons une sanction existante concernant jusqu’à présent les personnes prostituées mineures ou vulnérables. Je note d’ailleurs que personne ici ne remet en cause cette disposition ! Si ce dispositif est souhaitable pour protéger les plus vulnérables, pourquoi ne le serait-il pas pour l’ensemble des personnes prostituées ? Pourquoi faudrait-il accepter que des hommes puissent continuer à violenter, dominer, humilier contre un billet de 20 euros ? Est-ce la société que nous souhaitons ?
Responsabiliser le client est le moyen le plus efficace pour faire reculer la prostitution et les mafias qui l’organisent. Sans client, pas de prostitution. Comme l’explique une survivante que j’ai rencontrée : « donner le droit aux clients d’acheter des femmes, c’est donner le droit aux proxénètes de les vendre ». C’est parce que la demande existe que des proxénètes et des réseaux jugent la prostitution lucrative et s’engagent dans le commerce des êtres humains. Si tout le monde s’accorde sur le fait qu’il faut lutter contre les réseaux, il faut maintenant faire cesser l’hypocrisie qui plane au bénéfice des clients alors que ceux-ci sont des acteurs à part entière du système prostitutionnel.
Responsabiliser le client, c’est lui indiquer clairement qu’il participe à l’exploitation d’êtres humains. Responsabiliser le client, c’est donner un signal fort à toute la société. Responsabiliser le client, c’est éviter toute banalisation de cette violence, notamment chez les plus jeunes. Responsabiliser le client, c’est changer durablement les comportements : le corps des femmes n’est pas à vendre. Responsabiliser le client, c’est empêcher l’enrichissement des réseaux et leur envoyer un message de fermeté : nous ne sommes pas un pays d’accueil pour vos trafics !
Nous devons nous donner les moyens de lutter contre ces réseaux qui vivent de la traite humaine, activité très lucrative – elle constitue la deuxième forme de criminalité après le trafic de drogue ; 80 % des victimes de cette traite sont utilisées à des fins d’exploitation sexuelles.
Quels sont ces réseaux qui s’enrichissent sur notre territoire ? Dans de nombreux cas, les réseaux d’exploitation sexuelle font venir des femmes qui ont contracté de lourdes dettes dans leur pays d’origine. C’est la première étape du processus d’emprise : pour rembourser cette dette, les victimes de la traite sont contraintes à se prostituer ; leurs familles, leurs enfants restés aux pays vivent sous la menace de ces mafias.
Nous le savons, ces réseaux ont différents visages. Ils s’enrichissent tant par la vente d’armes et de drogues que par celle de femmes et d’hommes. Ils sont prêts à toutes les violences, à toutes les terreurs. Ils partagent la recherche du profit et le mépris de l’humanité.
Face à ces groupes mafieux, la réponse doit être ferme et coordonnée. C’est pourquoi nous devons travailler au plan international sur la question.
Dès 1949, la Convention des Nations unies pour la répression de la traite des êtres humains et l’exploitation de la prostitution d’autrui affirmait l’incompatibilité de la prostitution avec la dignité et la valeur de la personne humaine.
Plus récemment, en 2014, le Parlement européen a adopté une résolution qui reconnaît que la prostitution est contraire aux principes de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment à l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes.