Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission spéciale, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mes chers collègues, après dix-huit mois de navette parlementaire, la proposition de loi visant à renforcert la lutte contre le système prostitutionnel est soumise à notre examen en deuxième lecture. Elle s’inscrit dans la continuité des lois contre les violences faites aux femmes votées depuis plusieurs années, de la pénalisation des violences conjugales et du harcèlement sexuel et de la criminalisation du viol. Tous ces textes ont posé des interdits en vue d’extraire la violence de la sexualité. Il ne manquait plus que la prostitution. Nous y sommes.
Je le disais lors de la première lecture : dans une société où le corps des femmes peut constituer une marchandise, l’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas possible ; dans une société où les hommes sont considérés comme des êtres dotés de pulsions sexuelles irrépressibles, synonymes de virilité, l’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas possible. Et là où l’égalité entre les femmes et les hommes n’existe pas, les violences faites aux femmes perdurent. C’est en imposant une tout autre image des femmes dans l’opinion publique que nous pourrons éliminer durablement les violences faites aux femmes, dont la prostitution est l’expression la plus criante.
Notre assemblée a montré sa détermination en décembre 2013, en adoptant à 66 % le texte dans sa version abolitionniste, c’est-à-dire qui donne les moyens à notre société de lutter contre ce qu’elle considère comme une violence et d’en protéger les victimes. Notre détermination, nous l’avons également montrée en inscrivant rapidement ce texte à l’ordre du jour après qu’il eut été adopté par le Sénat et en rétablissant en commission les quatre piliers de la proposition de loi initiale : le renforcement de la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains, la dépénalisation des personnes prostituées et l’accompagnement de celles et ceux qui souhaitent sortir de la prostitution, la prévention et l’éducation à l’égalité, la responsabilisation des clients par l’interdiction d’achat d’acte sexuel.
Ces quatre piliers sont indissociables. Ils font la cohérence d’un texte qui vient combler les manques de notre législation, afin que la France soit un pays véritablement abolitionniste, au-delà de la signature des textes internationaux.
L’actualité de ces derniers mois a montré la nécessité d’agir sur chacun de ces quatre piliers.
En matière de lutte contre la traite et le proxénétisme, notre législation est déjà parmi les plus sévères au monde ; c’est ce qui nous permet d’avoir un nombre de victimes relativement moins important qu’ailleurs. Toutefois, un champ reste non couvert, qui est en plein développement : il s’agit d’internet. J’entends les opposants à la pénalisation des clients nous dire de nous concentrer sur les réseaux proxénètes ; or, dans le même temps, ils rejettent la disposition qui permettrait aux fournisseurs d’accès à internet et aux hébergeurs de mettre en place un dispositif signalant les sites liés au proxénétisme et à la traite des êtres humains. On ne peut pas nous reprocher de ne pas lutter contre le proxénétisme et refuser de travailler sur le seul champ de notre législation qui soit épargné ! Nous le savons, les réseaux sont bien organisés, et ils paient grassement des juristes et des avocats pour analyser nos lois. C’est la raison pour laquelle les sites internet proposant des services sexuels sont domiciliés à l’étranger, à l’abri de notre législation. Il faudrait donc harmoniser les législations en Europe et dans le monde afin que certains pays, comme l’Allemagne ou la Suisse, ne fassent plus du proxénétisme un secteur d’activités légal. Tel est mon souhait – et j’y travaille ; mais, en attendant, rendons la vie difficile aux réseaux !
Le marché que représente la prostitution rapporte des sommes considérables aux proxénètes. On sait par ailleurs que la prostitution permet de financer des réseaux mafieux et terroristes. Parmi les ressources du groupe terroriste Daech, il y a ainsi les revenus générés par ses réseaux de prostitution, ces femmes dont on ne parle pas, ou pas assez. Il a été montré que les femmes enlevées par Boko Haram étaient revendues aux filières nigérianes de la prostitution – 50 % des personnes prostituées en Grande-Bretagne sont nigérianes, 20 % en France. Les prises d’otages et la prostitution rapporteraient à Boko Haram entre 500 000 et 2 millions d’euros par mois.
Aujourd’hui, en France, le chiffre d’affaires de la prostitution s’élèverait, selon la récente étude ProstCost, à 3,2 milliards d’euros. Cette étude a en outre l’intérêt d’évaluer le coût économique et social de la prostitution supporté par la France : 1,6 milliard d’euros par an. Celles et ceux que les arguments progressistes et humanistes ne convainquent pas seront peut-être sensibles à ce chiffre et pourraient ainsi voir l’intérêt d’investir dans la prévention, le développement d’une politique de sortie de la prostitution, la répression du proxénétisme et le découragement de la demande.
En commission, nous avons rétabli l’abrogation du délit de racolage. Alors que la France reconnaît depuis plus de cinquante ans que la prostitution est une violence, nous en pénalisons les victimes : celles qui sont contraintes de tarifer un acte sexuel pour nourrir leurs enfants, celles qui ont été enlevées à leur famille, vendues à des réseaux et exploitées sexuellement, celles qui subissent dix, quinze, vingt rapports sexuels par jour peuvent être condamnées à une amende de 3 750 euros et à de la prison. Cela n’a pas de sens !
Nous l’avons vu ces derniers mois, à travers notamment les témoignages de victimes dans le cadre du procès dit « du Carlton ». Celles que l’on appelle escort ou prostituées de luxe ont expliqué que la réalité de leur activité n’était pas différente de celle des autres personnes prostituées : la violence des clients, le frigo vide à remplir. Je reprendrai à ce sujet les mots de l’éditorial d’un quotidien paru en février : « Nous ne sommes plus dans la fiction ou le fantasme, mais dans la terrible réalité quotidienne de ces femmes poussées à surmonter leur peur et leur dégoût parce qu’elles n’avaient plus d’autres choix. »
Ces victimes de la prostitution qui souhaitent en sortir, notre société doit les considérer et leur donner les moyens d’y arriver. Tel est l’objectif du parcours de sortie, et du fonds qui doit permettre sa réalisation.
La proposition de loi prévoit également de renforcer la prévention des pratiques prostitutionnelles et l’éducation à l’égalité et à la sexualité. Nous savons que dans les collèges, dans les lycées, la pornographie occupe une place importante dans la découverte de la sexualité, une pornographie extrêmement violente qui ne donne en rien l’image d’une sexualité fondée sur un désir partagé. Les attouchements sexuels pratiqués par des collégiens de 10 et 11 ans dont il a été question le mois dernier montrent, s’il en est encore besoin, la nécessité de ces interventions.
Ce texte a mis du temps pour revenir devant nous, mais cela aura permis une prise de conscience des réalités de la prostitution par notre société. L’image de la « fille de joie » a pris du plomb dans l’aile et le client de la prostitution est désormais reconnu comme un acteur à part entière du système. Il ne peut plus être aveugle à la réalité de la prostitution, particulièrement mise en lumière ces derniers mois ; il ne peut pas être maintenu dans l’impunité ; il doit être tenu pour responsable de la violence qu’il fait subir à travers ce rapport sexuel contraint et du financement des réseaux de proxénétisme et de traite : il faut inscrire clairement dans notre droit qu’acheter un acte sexuel est interdit.
Je tiens à remercier vivement les personnes qui ont contribué à cette prise de conscience. Je veux d’abord saluer les associations qui accompagnent au quotidien les personnes prostituées et qui ont sensibilisé sans relâche les parlementaires, les médias et la société en général, ainsi que les organisations féministes et de jeunesse qui y ont elles aussi contribué. J’aurai une pensée particulière pour celles qui se nomment « les survivantes de la prostitution » ; elles osent prendre la parole pour dénoncer cette violence. Je veux rendre tout particulièrement hommage à Rosen Hicher et à sa détermination à faire évoluer notre société, pour nos filles, pour nos petites-filles, même s’il faut pour cela marcher 800 kilomètres et aller convaincre des gens, des élus. Elle a fait beaucoup !