Je tiens également à remercier les associations qui travaillent sur le terrain et militent pour l’abolition. Je tiens à saluer, bien évidemment, les Survivantes Rosen Hicher et Laurence Noëlle, que nous avions accompagnées dans leur marche, et dont les témoignages devant la commission spéciale étaient extrêmement forts.
Ce temps long a renforcé notre conviction, et nous avons été confortés par l’actualité nationale et internationale.
Depuis le vote en première lecture, la réalité du système prostitutionnel est toujours aussi dramatique. Celui-ci est dominé par les réseaux, cela a été dit. C’est la précarité qui conduit à la prostitution, et 80 à 90 % des personnes prostituées sur notre territoire sont étrangères, victimes d’exploitation sexuelle. À la violence des actes sexuels à répétition, s’ajoute une soumission à la drogue et à la délinquance. Les personnes prostituées sont six fois plus exposées au viol que la population générale, sept fois plus exposées au risque de suicide. L’IGAS a rendu en 2012 un rapport très précis sur ce sujet.
L’adoption de ce texte reste donc urgente, elle l’est même encore plus aujourd’hui. Maud Olivier nous l’a dit.
Au niveau national, l’actualité récente a contribué à montrer les réalités du système prostitutionnel sous toutes ses formes : violent, inégalitaire, il organise l’asservissement des femmes, de nombreux mineurs – filles ou garçons – et la domination des plus faibles par les plus forts.
Lorsqu’elles témoignent, les personnes prostituées font part des souffrances subies, des situations de détresse et de précarité qui font qu’elles doivent entrer dans la prostitution pour s’en sortir. Elles nous ont révélé qu’aucune facette de la prostitution n’était heureuse, quoiqu’en disent les grands défenseurs de la libération sexuelle. Un journaliste qui a très récemment écrit un livre sur ce sujet le dit : il n’y a pas de prostitution heureuse. Les escort girls, dont on nous avait dit qu’elles avaient choisi ce « métier » – mot que nous réfutons très vivement – ont témoigné au procès du Carlton. Je cite l’une d’elles : « Je venais de me séparer. Je devais beaucoup d’argent. J’étais seule avec mes deux enfants, ma petite fille avait sept mois. Un jour j’ai ouvert mon frigo, j’ai vu qu’il était presque vide, je savais que j’allais avoir une enquête sociale, et qu’avec mon frigo vide ou presque, l’enquête sociale, ça ne le ferait pas. Alors j’ai répondu à une annonce dans un journal. J’ai composé huit fois le numéro avant de parler. Et voilà comment j’ai commencé. » Où est la liberté, dans ce cas ?
Voilà, chers collègues, comment ces femmes entrent dans la prostitution, sans parler de toutes celles, étrangères, qui arrivent en France avec, bien souvent, l’espoir d’un avenir meilleur et qui se retrouvent sans papiers, endettées et violentées pour accepter de se prostituer sur les trottoirs de nos villes.
À l’international, les réseaux terroristes progressent, ils se nomment Daech ou Boko Haram. Ils enlèvent des filles, des femmes. Ces filles, soumises au silence ou menacées de mort, sont vouées, pour certaines au mariage forcé, pour d’autres à la prostitution et à la traite. C’est elles que nous allons retrouver sur nos trottoirs. On en connaît même le tarif dérisoire à l’achat.
Oui, la prostitution est un marché, donc une offre, donc une demande. Des réseaux mondialisés organisent la marchandisation du corps des femmes, pour des clients à 99 % masculins. C’est l’une des formes de la domination masculine. C’est pourquoi notre réforme est plus que nécessaire.
J’entends les arguments de ceux qui s’opposent à notre proposition de loi, mais que nous proposent-ils ? Le statu quo, comme l’a fait le Sénat, avec des personnes prostituées coupables et des clients innocents ? Nous ne pouvons l’envisager. Le vide juridique, comme d’autres nous le demanderaient, c’est-à-dire certes la dépénalisation des prostituées, considérées comme des victimes, mais rien d’autre ? Cela veut dire que notre pays serait ouvert totalement aux réseaux et à la prostitution.
Nous devons donc défendre cette réforme avec conviction. Notre loi, avec ses quatre piliers, a pour ambition d’ouvrir les yeux sur la réalité de la prostitution. Elle n’est pas moralisatrice, comme certains voudraient le faire croire. Elle n’est pas nuisible pour la santé, au contraire. C’est une loi de dignité humaine, une loi de lutte contre les trafics internationaux, pour qui les personnes prostituées ne sont que des marchandises, contre cette forme d’esclavage moderne, une loi portée par les valeurs de la France – abolitionniste depuis 1960, je vous le rappelle, chers collègues –, une loi qui rejoindra celles déjà adoptées en Suède, au Canada, en Norvège en Irlande et en Finlande.
La France est très attendue en Europe. Notre loi est attendue : pour faire reculer les violences, pour l’égalité entre les femmes et les hommes, pour les droits humains, et la dignité de chacun et chacune.
Vous avez cité Victor Hugo, madame la secrétaire d’État. Je le citerai aussi, reprenant cette phrase bien connue que nous avons tous prononcée au cours de ces débats. En 1862, Victor Hugo disait : « On dit que l’esclavage a disparu. C’est une erreur. Il existe toujours, mais il ne pèse plus que sur la femme, et il s’appelle prostitution. »
Alors, votons vite cette loi !