De surcroît, cette disposition a servi de levier pour les reconductions à la frontière des personnes prostituées en situation irrégulière. Ce délit est à l’origine de la pression accrue des forces de police sur les prostituées, comme nous pouvons l’observer en ce moment à Belleville, sans que les réseaux de proxénètes et de traite n’aient eu à souffrir de l’action des forces de l’ordre. L’Assemblée avait abrogé ce délit, le Sénat l’a réintroduit et notre commission spéciale l’a supprimé.
Que de temps perdu depuis le vote par le Sénat de la proposition de loi de la sénatrice Esther Benbassa qui l’avait abrogé dès 2012 ! Il s’agissait d’une demande ancienne des associations venant en aide aux travailleuses et travailleurs du sexe ainsi que des institutions, comme le Conseil national du sida et des hépatites virales ou la Commission nationale consultative des droits de l’homme.
Pour le reste, le texte issu de la commission comporte des mesures visant à lutter contre le proxénétisme et la traite : elles sont discutables, non pas dans leur finalité mais dans leurs modalités. C’est le cas, à l’article 1er, du blocage administratif et du déréférencement des sites, qui sont dangereux et inefficaces.
Je rappelle que, lors de nos débats en première lecture, le Gouvernement, par la voix de la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, Najat Vallaud-Belkacem, avait exprimé de très forts doutes quant à l’effectivité d’un tel blocage – dans la mesure où les proxénètes peuvent, immédiatement après un tel blocage, dupliquer les sites concernés sur d’autres serveurs – et s’était montré plus favorable au signalement des infractions aux autorités. Un amendement gouvernemental avait, d’ailleurs, supprimé les alinéas 4 à 8.
La commission spéciale a préféré ne pas s’attarder, non plus, sur les rôles respectifs du juge et de l’autorité administrative. Lors de nos débats en commission, madame la rapporteure, vous avez fait adopter un amendement prétendument rédactionnel qui a introduit le déréférencement, qui constitue une charge pour les finances publiques, sans tenir compte de l’avertissement que j’avais formulé. J’espère que nous obtiendrons une réponse très claire de la commission des finances.
La raison en est simple : il vous faut, coûte que coûte, tenter de démontrer que votre texte lutte contre le proxénétisme et la traite. Or malheureusement, il n’en est rien. La lutte contre les réseaux de proxénétisme et de traite est, depuis fort longtemps, l’angle mort des politiques publiques en la matière.
Prenons les chiffres du casier judiciaire. On constate par exemple que, pour l’année 2009, 2 315 personnes ont été mises en cause pour racolage, mais que seulement 465 personnes l’ont été pour proxénétisme ou pour proxénétisme aggravé et qu’aucune d’entre elles n’a été condamnée. Quant au mécanisme prévoyant de régulariser les victimes du proxénétisme en échange de leur témoignage, seulement 79 personnes en ont bénéficié.
Face au proxénétisme et à la traite, l’article 1er ter propose un accompagnement des victimes qui pourraient disposer d’une identité d’emprunt et d’un suivi au long cours afin d’échapper à leurs réseaux. Cet article s’inspire de deux amendements du groupe écologiste sur la domiciliation et l’identité d’emprunt, et c’est une bonne chose.
Qu’en est-il des autres piliers du texte, et notamment du parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle ? Le texte instaure une instance chargée d’organiser et de coordonner l’action en faveur des victimes de la prostitution, qui opère un strict contrôle : c’est sans doute ce qui justifie la présence en son sein de la police et de la gendarmerie, dont nul n’ignore les relations conflictuelles qu’elles entretiennent avec les travailleuses et travailleurs du sexe.
L’engagement dans le parcours de sortie exige l’arrêt immédiat de la prostitution, comme si, du jour au lendemain, on pouvait changer de vie, comme si jamais, dans un tel parcours, le retour à la prostitution n’était possible ou envisagé, et comme si les vraies et seules victimes étaient celles et ceux qui tournent définitivement le dos à la prostitution. Cette hiérarchisation des victimes est choquante.
Concernant l’admission au séjour des étrangers victimes de la traite ou du proxénétisme, le Sénat a apporté plusieurs modifications substantielles à l’article 6 de la proposition de loi, dont l’objet est de faciliter l’admission au séjour des victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme.
Il a, en premier lieu, prévu que la délivrance d’une carte de séjour temporaire aux victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme ayant déposé plainte ou témoigné, permise par l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, serait de plein droit.
Le Sénat a, en second lieu, modifié ce même article L. 316-1-1 en relevant de six mois à un an la durée de l’autorisation provisoire de séjour accordée aux victimes de la traite ou du proxénétisme. Il a, par ailleurs, supprimé la condition de cessation de l’activité de prostitution et enfin rendu le renouvellement de cette autorisation automatique pendant toute la durée du projet d’insertion sociale et professionnelle. Je regrette, et je le dis fortement à cette tribune, que, sur une telle question, le Sénat se montre plus ouvert et plus généreux que l’Assemblée nationale.
Notre rapporteure a prévu qu’une autorisation provisoire de séjour d’une durée de six mois serait accordée à ces victimes. Je voudrais, chers collègues, comme l’a souhaité tout à l’heure Marie-George Buffet, que nous en restions, sur cette question, au texte du Sénat. La proposition de notre rapporteure de revenir à six mois, sous prétexte de ne pas favoriser l’appel d’air, relève d’une méconnaissance de la situation des migrants et des procédures administratives appliquées. Si nous voulons lutter contre la traite, le proxénétisme ou la prostitution, c’est à la précarité qu’il faut s’attaquer et non aux victimes.
S’en tenir à un titre de séjour provisoire de six mois revient à maintenir des individus vulnérables dans une situation de grande précarité. Qui trouve un travail, un logement, qui parvient à faire des projets quand il faut passer plusieurs mois pour obtenir un rendez-vous en préfecture et préparer le dépôt de son dossier ? Aucune personne ne peut décemment sortir de la prostitution si elle est maintenue dans une telle situation. Sous couvert de lutte contre le proxénétisme et la traite, il s’agit, en fait, de lutter contre l’immigration irrégulière. Je dis les choses telles qu’elles sont.
Enfin, sur la pénalisation de l’achat de tout acte sexuel, la position, très majoritaire, du groupe écologiste, est la même qu’en première lecture. Mme la rapporteure est convaincue que la pénalisation des clients tarira la prostitution, affaiblira les réseaux et sera le point d’orgue d’une nouvelle politique d’égalité entre les hommes et les femmes.
Sa détermination se fonde sur la croyance qu’il ne peut jamais y avoir de consentement dans un acte sexuel tarifé. Pour notre rapporteure, c’est inconcevable : à ses yeux, la prostitution est toujours un esclavage dans lequel les femmes sont la proie du désir et de l’exploitation des hommes. De la diversité des situations et de la complexité des motivations, il n’est jamais question. Les personnes prostituées ont été, dans l’histoire, considérées comme des dangers sociaux : avec ce texte, elles deviennent des inadaptées sociales incapables de juger par elles-mêmes.