Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais commencer par profondément remercier toutes celles et ceux, responsables politiques, qu’ils soient ministres, parlementaires ou élus locaux, mais aussi responsables et militants associatifs, citoyens concernés et mobilisés, qui, depuis plus d’un an et demi, n’ont pas cessé de se mobiliser pour que cette proposition de loi puisse voir le jour, progresser et, bientôt, se concrétiser.
Il est des sujets qui demandent une détermination particulière, un travail de conviction redoublé pour franchir les nombreux obstacles mis sur la route par ceux qui voudraient voir enterrés les débats soulevés, les solutions prônées. Cette proposition de loi visant à lutter contre le système prostitutionnel appartient à cette catégorie, et j’ai donc une profonde pensée pour toutes celles et ceux qui n’ont pas failli dans le processus, qui ne se sont jamais découragés, qui ont été là, vigilants et déterminés, à chaque étape.
Je me revendique abolitionniste pour une question de choix de société, de projet politique. L’abolitionnisme est une idée moderne, progressiste, humaniste, celle qui rappelle que la prostitution est une exploitation du corps humain et qui refuse de vivre dans une société dans laquelle la commercialisation des corps, des services sexuels serait chose banale, normale, anodine.
La prostitution est un système qui organise l’exploitation, la marchandisation et l’appropriation du corps des femmes, d’enfants et, de plus en plus souvent, d’hommes. Elle continue de présenter le corps comme une marchandise qui peut s’acheter, se vendre, se consommer. Comment accepter qu’une personne puisse être réduite à cela !
Qu’il n’y ait pas de faux débat ! Il ne s’agit pas ici d’ordre moral ou de pudibonderie, comme on peut l’entendre parfois. Il ne s’agit pas de juger des sexualités, des pratiques de quiconque dans les relations privées, car nous parlons ici de relations bien particulières, de relations tarifées, fondées sur l’échange marchand. Payer pour obtenir un rapport sexuel revient à l’imposer par l’argent. En quoi est-ce compatible avec la liberté sexuelle ? Comme le dit le Mouvement du Nid, le combat abolitionniste est un combat pour une sexualité libérée de l’emprise du marché, tout comme nous avons lutté pour la libérer de l’ordre moral et des rapports de violence et de domination. C’est ce droit à user du corps d’autrui contre une rémunération que les abolitionnistes veulent abolir en exigeant que la sexualité soit libérée de l’emprise du marché.
Notre débat, en effet, n’est pas seulement idéologique ou principiel. On parle ici d’économie, de rente, de profit pour ceux qui vivent de ce système d’exploitation et qui s’en enrichissent. C’est bien pour cela que l’on parle non pas uniquement des personnes prostituées, mais bien d’un système prostitutionnel dans son ensemble, afin d’inclure aux débats et à la construction des politiques publiques à mettre en oeuvre non seulement les personnes prostituées, mais aussi les proxénètes, l’ensemble des acteurs des réseaux, les États, quand ils sont complices, et les clients, oui, les clients, car, comme on l’a rappelé à de nombreuses reprises, sans eux, pas de système prostitutionnel.
C’est bien dans cette perspective que s’inscrit la nécessaire pénalisation du client, qui n’a pas de visée de stigmatisation ou de moralisation, mais qui est la condition pour pouvoir efficacement lutter contre les réseaux et agir pour leur démantèlement.
La proposition de loi que nous examinons propose un véritable changement de paradigme dans nos politiques publiques en matière de prostitution. Elle repose sur un ensemble de mesures cohérentes et globales. Elle en finit avec le délit de racolage, qui plaçait les prostitués sous une triple forme de domination : la domination économique et la domination juridique en plus de la domination du proxénète et du client. Elle renforce les moyens de lutte contre le proxénétisme et la traite d’êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle en protégeant mieux les prostitués qui témoignent, grâce à l’anonymat et à la possibilité d’entrer dans des parcours de sortie. C’est une amélioration de la prise en charge des prostituées et la garantie de droits nouveaux, notamment pour les femmes étrangères. La proposition de loi fait enfin de la prévention et de l’éducation, qui doivent toujours être au coeur des politiques publiques, des aspects essentiels du texte.
C’est un grand moment parlementaire que nous vivons, un moment de travail d’une grande qualité, qui fera date dans notre histoire parce que, encore une fois, le changement de prisme dans les politiques publiques, que nous sommes en train de faire advenir, ne doit pas être sous-estimé. C’est une loi d’égalité, de dignité, d’émancipation et de liberté, qui permettra aux personnes prostituées de penser et de mettre en oeuvre un autre avenir, d’autres possibles. Lutter contre les fatalismes et les déterminismes, tel doit être notre combat permanent. Ce texte s’inscrit pleinement dans cette perspective. Hâtons-nous donc de le mettre en oeuvre.