Intervention de Philippe Goujon

Séance en hémicycle du 12 juin 2015 à 9h30
Renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Goujon :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la prostitution est la dernière forme de commerce humain et, n’ayons pas peur des mots, à l’instar de Victor Hugo, maintes fois cité, d’esclavagisme encore tolérée dans notre pays, pourtant auteur de la Déclaration universellement émancipatrice des droits de l’homme et du citoyen.

Jamais, vu l’inefficacité de la répression et la faiblesse de notre arsenal législatif, notamment contre la traite des êtres humains, les réseaux criminels de toutes sortes n’ont été autant attirés par le contrôle de la prostitution, dont ils tirent plus de 3 milliards par an en France, exploitant près de 40 000 victimes.

Si nous légiférons aujourd’hui, avec des difficultés, il est vrai, vu les positions radicalement opposées des deux assemblées, c’est bien pour essayer de libérer les victimes de cet esclavage, tant nul ne peut admettre qu’une pulsion sexuelle soit ainsi érigée en droit sur autrui. De plus, notre société, qui a inscrit la non-patrimonialité du corps humain au rang de ses principes bioéthiques, ne saurait accepter une telle marchandisation du corps.

C’est dans cet esprit que notre assemblée, après avoir mené une mission d’information sur le sujet, avait adopté à l’unanimité, le 6 décembre 2011, la résolution Bousquet-Geoffroy réaffirmant la position abolitionniste de la France. Cette proposition de loi visait initialement, dans le droit-fil de ces travaux, à rendre le recours à la prostitution illégal par la pénalisation du client qui est bien le premier maillon du système prostitutionnel, un tel objectif étant approuvé aussi par Nicole Ameline. Sans client, pas de prostitution !

Il est donc regrettable qu’à cette étape de la navette, nous nous trouvions face à un texte qui s’arrête au milieu du gué et qui, en dehors de l’effet d’affichage, risque d’être inefficace.

D’une part, la suppression du délit de racolage, à laquelle la directive européenne ne nous contraint même pas et que le Sénat a réintroduit, avec raison selon moi, le groupe socialiste s’étant abstenu, comme l’a souligné Marie-Louise Fort, empêchera d’isoler les victimes de leurs exploiteurs pour leur proposer une visite médicale et une possibilité de sortie de l’enfer par une coopération ouvrant droit au séjour.

Actuellement, un quart de la soixantaine de procédures de lutte contre le proxénétisme ouvertes chaque année à Paris dépend des informations recueillies ainsi, et les chiffres de son application par les tribunaux prouvent d’ailleurs qu’il est peu utilisé contre les personnes prostituées.

Je peux également témoigner, en tant qu’élu de Paris, que l’existence du délit de racolage passif a permis, il n’y a pas à en avoir honte, de restaurer la tranquillité publique dans des quartiers qui étaient devenus de véritables zones de non-droit, gangrenées par toutes les délinquances connexes à la prostitution, violences, vols, trafic de stupéfiants, nuisances diverses.

À rebours des intentions généreuses qui nous animent bien sûr tous ici, le parcours de sortie de prostitution, en proposant des facilités de droit au séjour supérieures à celles obtenues par une coopération avec la police, n’incitera évidemment plus au démantèlement des réseaux par leur dénonciation.

D’autre part, même si le blocage des sites internet de prostitution ou les mesures en faveur des victimes sont utiles, la suppression de la pénalisation du client intervenue au Sénat constitue un recul, car le client est le premier acteur de la prostitution.

Il est tout aussi regrettable que notre assemblée se soit contentée de créer une simple contravention de cinquième classe de recours à la prostitution passible du tribunal de police, par ailleurs extrêmement difficile à établir, ne permettant pas le placement en garde à vue, dont seule la récidive constituera un délit, et encore, ce n’est pas très clair. Sur l’échelle des peines, cela revient à considérer que la gravité du recours à la prostitution est comparable à celle d’un dépôt d’ordures sur la voie publique, sans compter qu’il sera impossible de poursuivre les actes commis à l’étranger.

Enfin, la proposition de Guy Geoffroy et de la rapporteure de créer un statut de témoin protégé pour les personnes prostituées, que j’avais soutenue en commission des lois pour favoriser un consensus bien utile, ne paraît pas suffisamment étayée juridiquement. Elle vise en effet le second alinéa de l’article 706-57 du code de procédure pénale, qui permet d’auditionner les témoins en raison de leur profession. Or on ne peut à la fois reconnaître les personnes prostituées comme victimes d’une violence et, en même temps, admettre que la prostitution est une profession. L’incohérence est patente. De plus, même si la protection du témoin peut se révéler attractive, c’est une procédure lourde, initiée par le procureur de la République, qui ne sera utilisée qu’au cours d’enquêtes d’envergure, là où, aujourd’hui, le délit de racolage permet de recueillir les informations qui les suscitent.

C’est pourquoi, mes chers collègues, je présenterai des amendements, avec l’espoir de les retirer si vous réussissez à établir une solution juridique solide, peut-être en suivant la préconisation de la garde des sceaux de créer un statut de témoin assisté pour continuer à faire de la France, par une position abolitionniste réaffirmée, la protectrice des droits de l’homme, et donc de la femme, et l’ennemie de ceux qui exploitent dans les pires conditions la misère humaine.

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