Nous allons traiter de deux sujets importants et qui sont en partie liés, comme l'actualité le montre parfois, à savoir le climat et les crises. Je suis accompagnée de M.Pierre Forestier, responsable de la cellule Changement climatique de l'AFD, et de M.Olivier Ray, responsable de la cellule Crises et conflits de l'AFD, qui pourront apporter des éclairages complémentaires.
Le changement climatique constitue un sujet structurant à l'AFD. Nous devons à cet égard payer tribut à nos prédécesseurs et aux ingénieurs chefs de projets de l'AFD qui, il y a dix ans, alertaient déjà sur ce sujet. Chemin faisant, l'AFD a bâti grâce à eux un savoir-faire dans le développement qui est un atout pour la France. Nous sommes également très mobilisés par la préparation de la Conférence Paris Climat (COP21). Conformément à la loi votée l'an dernier, nous nous sommes dotés d'une stratégie relative au climat et au développement.
L'AFD a pour première d'être une banque ou agence de développement. À nos yeux, sans développement, il ne saurait y avoir d'action climatique, de même que sans réponse au défi climatique, il ne peut y avoir de développement. Ce double engagement se traduit dans des projets concrets, tels que le financement de centrales solaires au Burkina Faso ou de grands projets de centrales solaires à concentration, au Maroc. Ces réalisations permettent l'accès de la population à l'énergie et jettent les bases de la croissance économique, qui n'est pas possible sans ressource énergétique ; elles verdissent aussi le modèle de croissance en évitant l'émission de tonnes de dioxyde de carbone.
L'AFD finance également des transports collectifs en milieu urbain. La valorisation de ce savoir-faire français produit un impact positif sur le développement économique et social des villes concernées et sur le caractère émissif de la croissance urbaine, étroitement liée à la croissance démographique. Il faut citer à cet égard les infrastructures de tram, de bus, de métro financées à Medellin, au Caire ou à Bangalore.
D'autres projets sont moins connus, mais restent emblématiques de la synergie que nous recherchons entre l'amélioration des conditions de la vie de la population, le développement de la croissance économique et la prise en compte de la dimension climatique. Au Tchad et au Niger, l'AFD soutient des projets conduits en milieu rural au profit de populations qui vivent de l'élevage. Elle soutient les acteurs locaux pour favoriser une gestion fine des déplacements nomades et de la ressource en eau, qui peut constituer un point de tension entre populations sédentaires et nomades. L'AFD travaille ainsi à préserver un potentiel, de même que dans les quartiers urbaines des zones côtières, là où des pluies diluviennes font régulièrement des morts et où, comme au Sénégal, le potentiel touristique s'érode d'année en année à cause du changement climatique.
Dans ses programmes d'accès à l'énergie comme dans d'autres, l'AFD soutient le développement économique et social en y incluant pleinement l'action climatique. Ainsi, l'AFD n'est pas une Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) des pauvres, mais elle intègre la dimension climatique dans son action. La réponse globale à apporter au défi conjoint du développement et de l'action climatique sera discutée à la prochaine conférence d'Addis Abeba sur le financement du développement, comme à la COP21 à Paris à la fin de l'année.
Dans les négociations en amont de ces conférences, les pays du Sud peuvent être tentés d'opposer climat et développement, en se focalisant sur la quantité de financement à attendre. Mais les sujets de développement et d'action climatique ne se pensent pas séparément, car il ne saurait y avoir de stratégie de croissance sans mesure de son impact potentiel sur le climat, de même que l'action climatique ne peut s'envisager indépendamment des données économiques.
L'AFD avait pour objectif que 50 % de ses financements à destination des pays du Sud apportent aussi un bénéfice en matière de climat. Elle a tenu, et même légèrement dépassé, cet objectif en 2014, puisque ce taux s'établit à 53 % pour cette année. Dans l'esprit du partenariat différencié, l'objectif se décline sous des modalités différentes selon les grandes régions du monde. En Asie et en Amérique latine, où nous avons mandat de stimuler une croissance verte, ce sont non moins de 70 % de nos financements qui doivent avoir un objectif climatique, ce à quoi nous atteignons. Le taux de 50 % est dépassé pour les pays méditerranéens ; dans les pays subsahariens, nous dépassons notre objectif de 30 %, puisque la part des projets financés ou cofinancés apportant également un bénéfice climatique s'y élève à 35 %.
Pour garantir la crédibilité du bénéfice climatique, il importe d'adopter des outils communs et de s'entendre sur l'impact climatique des projets ou des programmes, en recourant à des bilans carbone. Ce n'est en effet qu'en partageant une méthodologie avec d'autres bailleurs de fond que nous parvenons à en attirer d'autres. Depuis 2005, près de dix-huit milliards d'euros de financement ont été apportés aux pays du Sud pour financer des projets ayant un cobénéfice climatique. Ainsi, l'AFD a acquis un savoir-faire qui la met à même de peser sur l'agenda du développement.
En 2014, elle a lancé une émission obligataire climatique. Il s'agissait d'une première, car des obligations vertes ont déjà été émises, mais ce n'était pas encore le cas pour des obligations climatiques au sens strict. Les financeurs publics doivent en effet mobiliser aussi les financeurs privés, afin d'orienter les masses d'épargne vers des investissements verts plutôt que vers des activités polluantes ou carbonées. Un marché commence de se structurer autour de projets labellisés verts ou, de manière encore plus vertueuse, labellisés pour leur incidence climatique. Pour ce faire, l'AFD s'appuie sur l'existence du portefeuille des projets susceptibles d'être montrés à l'épargnant. Je souligne que ces projets n'ont pas fait l'objet d'un verdissement (green-washing) rétrospectif, mais étaient des projets verts dès l'origine.
Grâce à ses responsabilités opérationnelles, l'AFD vient en appui de l'équipe française qui prépare la présidence de la COP21. Depuis janvier, elle apporte également son soutien immédiat, dans les pays qui le souhaitent, à la définition des engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre constituant leur projet de contribution au niveau national (intended nationally determined contributions –iNDC). Les experts sont désormais identifiés et les financements en place. L'AFD contribue ainsi à nourrir la discussion qui se tiendra sur la question de savoir si, une fois ces contributions additionnées, la barre des 2° C d'élévation de la température à l'horizon 2100 ne sera pas franchie.
Le Gabon et le Kenya bénéficient depuis longtemps de cet accompagnement, ayant l'un comme l'autre engagé une réflexion au niveau national. Au Kenya, elle inclut un recours à la géothermie. Certains pays sont ainsi déjà avancés dans la préparation, alors que d'autres le sont moins. Le dispositif de soutien à la définition des iNDC est une facilité conçue pour une vingtaine de pays. Les chiffres corroborent les prévisions, puisque dix-huit requêtes sont déjà parvenues à l'AFD et que trois ou quatre devraient encore lui être adressées. L'AFD se fixe pour but que ces iNDC soient proposées avant l'été. Dans certains pays, l'avancement de la réflexion ne laisse guère d'inquiétude à ce sujet ; pour d'autres, le travail mérite de s'intensifier.
L'AFD participe également à l'élaboration de la position sur l'architecture financière du Fonds vert pour le climat, en s'efforçant de mettre en avant le rôle des acteurs locaux et nationaux sur le terrain. Des coalitions de villes et de collectivités territoriales développent déjà des initiatives autour d'une ville, d'un territoire et d'une action climatique où l'AFD est partie prenante comme bailleur de fonds aux côtés de l'ONU. Ces collectivités sont en effet des acteurs majeurs de l'agenda de la COP21.
Par son initiative « financeurs », l'AFD recherche aussi un effet d'entraînement, espérant inciter d'autres bailleurs, multilatéraux et bilatéraux, à verdir leur action –comme elle a déjà réussi à le faire. Pour cela, il importe de développer d'abord un langage commun. Dans des négociations où chacun est tenté de prendre une posture obligée, cela compte beaucoup. Aussi une conférence se tiendra-t-elle à la fin du mois pour clarifier la méthodologie avec les bailleurs de fonds multilatéraux du Nord comme du Sud. Volontairement technique, cette réunion aplanira le terrain pour les discussions politiques et diplomatiques ultérieures.
L'AFD poursuit enfin, dans le domaine climatique, une oeuvre de sensibilisation de l'opinion. L'exposition de photographies de Yann Artus Bertrand « Soixante solutions » a précisément pour but de montrer que la situation n'est pas sans issue en matière de développement et de climat.
Venons-en à notre deuxième sujet, à savoir l'action de l'AFD devant les situations de crise et de conflit. Il n'est pas dénué de lien avec la question climatique. Des dérèglements environnementaux peuvent être à l'origine de crises. Au Sahel, le partage de l'eau entre sédentaires et nomades constitue une source de tension. Quand les facteurs climatiques peuvent être causes d'aggravation des crises, ce sont au demeurant les populations les plus pauvres et les plus vulnérables qui sont touchées. Mais il est possible de réduire leur fragilité au cas où une crise survient, comme l'AFD s'y emploie.
Premièrement, l'AFD considère que des actions de développement bien conçues peuvent réduire l'émergence ou l'ampleur des crises, par un effort permanent d'analyse du contexte où elles se déploient. Il doit d'abord éviter que des projets aient une incidence négative sur l'environnement général ou d'aggraver sans le vouloir sa détérioration. Pour prendre plutôt un exemple positif, l'AFD est très attentive en Côte d'Ivoire, où une crise ouverte sévit entre le Nord et le Sud, à ce que ses actions financées au titre des contrats de désendettement et de développement (C2D) y bénéficient autant à l'un qu'à l'autre, de façon à ne nourrir aucune perception d'un éventuel déséquilibre entre les ethnies respectivement majoritaires dans ces deux zones.
L'AFD s'efforce donc, en fournissant un effort permanent sans doute plus intense qu'auparavant, d'anticiper les conséquences à moyen terme grâce à divers scénarios, ce qui n'est pas la méthode naturelle d'un bailleur de fonds, qui tend à travailler à un horizon de quatre ou cinq ans.
Deuxièmement, l'AFD s'emploie à cerner les éléments facteurs de crise et à agir sur eux. Dans les missions que vous avez conduites, mesdames et messieurs les députés, vous l'avez relayé : les crises se nourrissent d'un sentiment d'absence de l'État, quand des populations délaissées n'ont pas accès aux services de base. Aussi nous efforçons-nous de nous appuyer sur les pouvoirs publics pour favoriser l'accès aux services de santé, humaine mais aussi animale, de même que l'accès à l'eau ou à l'énergie, grâce à des projets gérés par des structures locales.
Certes, il est plus simple de travailler dans une capitale que dans des zones reculées et peu sûres, comme au nord du Cameroun. Après la fermeture de la frontière avec le Nigéria, l'économie s'y est effondrée, empêchant une dizaine de milliers de jeunes de poursuivre leurs activités. Quand Boko Haram leur propose une moto et des francs CFA, ils sont naturellement tentés par des alternatives illicites. Pour cette raison, l'AFD finance dans ces territoires des projets d'infrastructure comportant le versement de salaires, dans le double objectif de construire des choses utiles qui vont durer et de donner à ces jeunes une occupation rémunérée.
Avec des moyens modestes, l'AFD conduit ainsi une action symbolique, qui entame le sentiment d'une désertion par l'État, parce qu'elle s'appuie sur des acteurs publics, mais génère aussi immédiatement des revenus. La sécurité d'un territoire dépend également du développement de son potentiel économique, soit par l'agriculture, soit par l'élevage pastoral, soit par le développement des centres urbains secondaires. Il y aurait moins de problèmes dans beaucoup de régions si elles bénéficiaient d'actions comme celle que l'AFD mène au Tchad depuis trente ans. Là-bas, l'accès aux ressources en eau a pu être amélioré, tandis que son usage non conflictuel contribuait à un apaisement et à une réduction des tensions entre nomades et sédentaires, contribuant finalement à la valorisation économique du territoire.
Mais cette valorisation économique des territoires passe aussi par le désenclavement. Le développement de grandes routes de circulation dans le Sahel dépasse cependant le champ d'intervention d'un acteur unique. L'AFD ne pourrait y contribuer qu'en s'alliant avec plusieurs autres bailleurs de fonds internationaux.
Parmi les autres leviers de développement, la démographie constitue aussi un sujet de préoccupation. Plusieurs pays du Sahel, tels le Mali, le Niger ou le Tchad, vont voir leur population doubler dans les prochaines années. Il est difficile pour l'AFD de mener une action qui ait un impact sur cette évolution, sinon, de manière indirecte, à travers des projets de développement de la santé maternelle et infantile. La question relève du pouvoir politique local, aux quelques initiatives duquel l'AFD prend régulièrement part. Mais la démographie ne recule pas. Au contraire, dans des pays comme l'Égypte, qui semblaient avoir entamé leur transition démographique, la population augmente de nouveau.
Il faut pourtant agir. L'éducation des filles fait partie des leviers d'action. Au Sahel, elle peut jouer un rôle important. L'évolution observable dépend également de l'état de frustration des populations dans les périphéries des grandes villes, où l'AFD s'emploie donc à améliorer la vie quotidienne. Même si l'AFD peut ainsi contribuer à réduire les foyers de tension, gardons-nous cependant de dire que l'aide au développement ferait la paix à elle seule. Son action s'inscrit et doit s'insérer dans un contexte diplomatique et politique soumis à des facteurs endogènes parmi lesquels on compte la gouvernance et la lutte contre la corruption.
Depuis un an, nous menons un travail de réflexion sur l'attitude à adopter lorsqu'une crise éclate. Nous avions été interpellés sur le sujet quand la crise avait éclaté au Mali, où nous avions accumulé du retard. La plaquette que nous vous avons distribuée illustre notre stratégie opérationnelle en matière de crise. J'en retiendrai trois points marquants.
D'abord, nous mettons l'accent sur le lien entre long terme et court terme. Même un projet à haute intensité de main-d'oeuvre lancé dans l'urgence doit produire un résultat utile sur le long terme. À Bangui, les jeunes employés sur ces chantiers se voient même ouvrir désormais des perspectives de formation professionnelle. En leur donnant les outils pour devenir artisans, l'AFD les aide ainsi à sortir d'une forme d'impuissance économique. De même, elle a répondu à la crise d'Ebola non seulement en finançant un centre de traitement à Macenta, mais aussi un centre de surveillance épidémiologique géré par l'Institut Pasteur à Conakry ainsi qu'un réseau d'information en Afrique de l'Ouest. D'une manière générale, l'AFD a mis à jour ses modes opératoires, réagissant dorénavant avec plus de souplesse et plus de rapidité.
Ensuite, l'AFD a pour politique de s'appuyer, comme dans le domaine de l'action climatique, sur les acteurs locaux. Cela lui permet d'agir y compris dans des circonstances très difficiles. Car la volonté d'intervenir immédiatement en zone de crise se heurte au désir de ne pas y mettre en danger des citoyens français ou des collaborateurs de l'agence, qu'ils soient en mission, expatriés ou employés locaux. Puisqu'il est difficile d'y envoyer des collaborateurs de la capitale, possibles victimes d'enlèvement, l'AFD s'appuie, davantage qu'auparavant, sur ses partenaires et sur les vecteurs d'action déjà en place, tels que les collectivités territoriales ou les organisations non gouvernementales (ONG). Ainsi, des émissaires des municipalités se sont rendus du nord du Cameroun dans la capitale pour permettre une coopération et un dialogue avec l'AFD. N'étant pas identifiés comme nouveaux arrivants à leur retour, ils risquent moins d'être pris pour cible.
Enfin, l'AFD mobilise des partenaires et des bailleurs de fonds. Confrontée à un problème d'échelle, elle recherche des effets de levier, comme en initiant le fonds Bêkou, qui unit en faveur de la Centrafrique les efforts de plusieurs bailleurs. Le fonds est en effet relayé par la Commission européenne, recueillant au total 74 millions d'euros, ce qui est loin d'être négligeable à l'échelle de la Centrafrique. Il ne saurait y avoir de recette magique qui soit adaptée à toutes les opérations. Mais un fonds comme le fonds Bêkou apparaît comme la meilleure solution lorsqu'il vaut mieux avoir un acteur unique sur le terrain, tandis que les autres participent aux opérations par son entremise, sans provoquer de chaos organisationnel.
Se pose pour conclure la question des ressources disponibles pour agir dans ces régions. L'AFD met en oeuvre une enveloppe de dons pour seize pays pauvres désignés a priori, tous situés au sud du Sahara, ainsi que pour trois ou quatre pays en crise, généralement Haïti, l'Afghanistan et les Territoires autonomes palestiniens. Pour ces vingt pays, l'AFD dispose de 200 millions d'euros mobilisables en dons. Si les dons pratiqués par l'AFD étaient plus nombreux, elle n'octroierait pas moins de prêts, mais elle ajouterait une dimension supplémentaire à son action. Même si je suis consciente que l'enveloppe budgétaire des dons de l'AFD est stabilisée à 200 millions d'euros alors que, dans un contexte difficile des finances publiques, d'autres ont été réduites, et que les ONG prennent au demeurant une place grandissante, il n'en demeure pas moins que, compte tenu de la situation au Sahel, l'équilibre serait sans doute à revoir entre financement bilatéral et multilatéral en matière de subventions.
La somme totale des contributions françaises aux grands fonds de santé –Fonds Mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme ; GAVI ; Unitaid– s'élève à 500 millions d'euros. L'AFD est censée pendant ce temps couvrir tous les secteurs avec 200 millions d'euros. La France doit jouer un rôle de démonstration et d'entraînement. Quand le fonds Sida fut créé, la France a ouvert ainsi l'accès au traitement dans les pays du sud du Sahel. D'autres bailleurs de fonds sont alors venus en appui. Mais notre contribution actuelle au fonds Sida, fixée à 12 %, s'élève à mon sens à un niveau désormais trop élevé. En réduisant cette part, des ressources pourraient être dégagées pour prendre une initiative en faveur du Sahel.