Commission des affaires étrangères

Réunion du 24 mars 2015 à 17h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Audition de Mme Anne Paugam, directrice générale de l'Agence française du développement (AFD), sur la gestion des crises et les questions climatiques.

La séance est ouverte à dix-sept heures huit.

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Nous avons le plaisir d'accueillir cet après-midi madame Anne Paugam, directrice générale de l'Agence française de développement (AFD), que nous connaissons bien. Nous consacrerons cette audition, fermée à la presse, aux questions climatiques et à la prévention et gestion des crises.

Sur le premier sujet, l'AFD gère un fonds permettant une assistance technique spécifique aux pays qui ne sont pas en capacité technique de rédiger leur contribution nationale. Vous pourrez nous dire de quelle manière l'agence intervient concrètement, comment les pays confrontés à des problèmes importants de développement perçoivent aujourd'hui la question du climat et comment évoluent leurs positions, alors qu'ils se montraient initialement assez réticents.

Vous aviez eu l'occasion d'évoquer devant nous le fait que, parmi les objectifs que le contrat d'objectifs et de moyens assigne à l'agence, figure notamment celui de consacrer plus de la moitié de ses financements à des projets ayant à la fois un impact de développement et un bénéfice en matière de climat. Nous entendrions avec intérêt ce que cela représente aujourd'hui globalement dans votre portefeuille et comment cela se traduit très concrètement dans les divers pays dans lesquels vous intervenez, que ce soit aux Philippines ou au Mali.

Ce qui m'amène au second sujet de notre rencontre, celui de la gestion des crises et de leur prévention. Un certain nombre de pays africains sont aujourd'hui en crise ou en sortie de crise. Jean-Claude Guibal et Philippe Baumel présenteront d'ailleurs dans quelques semaines le rapport de la mission d'information sur « Stabilité et développement de l'Afrique francophone », qui a précisément travaillé sur l'articulation entre ces deux pôles.

Quelle est votre analyse et votre contribution à la gestion de la sortie de crise, dans des cas comme le Mali ou la Côte d'Ivoire par exemple, ou dans le cas de la Guinée post-Ebola. Les politiques doivent traiter en profondeur les causes, souvent multiples, qui ont conduit à la crise. À propos de la prévention, comment travaille-t-on par exemple sur la question démographique en Afrique subsaharienne, sur la formation des jeunes, sur l'emploi, de quelle manière notre politique d'aide au développement accompagne-t-elle sur le long terme les pays sur ces enjeux cruciaux, et quels sont les outils, les partenariats, que l'AFD met en oeuvre, notamment dans les seize pays pauvres prioritaires de notre aide publique au développement ?

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Anne Paugam, directrice générale de l'Agence française de développement, AFD

Nous allons traiter de deux sujets importants et qui sont en partie liés, comme l'actualité le montre parfois, à savoir le climat et les crises. Je suis accompagnée de M.Pierre Forestier, responsable de la cellule Changement climatique de l'AFD, et de M.Olivier Ray, responsable de la cellule Crises et conflits de l'AFD, qui pourront apporter des éclairages complémentaires.

Le changement climatique constitue un sujet structurant à l'AFD. Nous devons à cet égard payer tribut à nos prédécesseurs et aux ingénieurs chefs de projets de l'AFD qui, il y a dix ans, alertaient déjà sur ce sujet. Chemin faisant, l'AFD a bâti grâce à eux un savoir-faire dans le développement qui est un atout pour la France. Nous sommes également très mobilisés par la préparation de la Conférence Paris Climat (COP21). Conformément à la loi votée l'an dernier, nous nous sommes dotés d'une stratégie relative au climat et au développement.

L'AFD a pour première d'être une banque ou agence de développement. À nos yeux, sans développement, il ne saurait y avoir d'action climatique, de même que sans réponse au défi climatique, il ne peut y avoir de développement. Ce double engagement se traduit dans des projets concrets, tels que le financement de centrales solaires au Burkina Faso ou de grands projets de centrales solaires à concentration, au Maroc. Ces réalisations permettent l'accès de la population à l'énergie et jettent les bases de la croissance économique, qui n'est pas possible sans ressource énergétique ; elles verdissent aussi le modèle de croissance en évitant l'émission de tonnes de dioxyde de carbone.

L'AFD finance également des transports collectifs en milieu urbain. La valorisation de ce savoir-faire français produit un impact positif sur le développement économique et social des villes concernées et sur le caractère émissif de la croissance urbaine, étroitement liée à la croissance démographique. Il faut citer à cet égard les infrastructures de tram, de bus, de métro financées à Medellin, au Caire ou à Bangalore.

D'autres projets sont moins connus, mais restent emblématiques de la synergie que nous recherchons entre l'amélioration des conditions de la vie de la population, le développement de la croissance économique et la prise en compte de la dimension climatique. Au Tchad et au Niger, l'AFD soutient des projets conduits en milieu rural au profit de populations qui vivent de l'élevage. Elle soutient les acteurs locaux pour favoriser une gestion fine des déplacements nomades et de la ressource en eau, qui peut constituer un point de tension entre populations sédentaires et nomades. L'AFD travaille ainsi à préserver un potentiel, de même que dans les quartiers urbaines des zones côtières, là où des pluies diluviennes font régulièrement des morts et où, comme au Sénégal, le potentiel touristique s'érode d'année en année à cause du changement climatique.

Dans ses programmes d'accès à l'énergie comme dans d'autres, l'AFD soutient le développement économique et social en y incluant pleinement l'action climatique. Ainsi, l'AFD n'est pas une Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) des pauvres, mais elle intègre la dimension climatique dans son action. La réponse globale à apporter au défi conjoint du développement et de l'action climatique sera discutée à la prochaine conférence d'Addis Abeba sur le financement du développement, comme à la COP21 à Paris à la fin de l'année.

Dans les négociations en amont de ces conférences, les pays du Sud peuvent être tentés d'opposer climat et développement, en se focalisant sur la quantité de financement à attendre. Mais les sujets de développement et d'action climatique ne se pensent pas séparément, car il ne saurait y avoir de stratégie de croissance sans mesure de son impact potentiel sur le climat, de même que l'action climatique ne peut s'envisager indépendamment des données économiques.

L'AFD avait pour objectif que 50 % de ses financements à destination des pays du Sud apportent aussi un bénéfice en matière de climat. Elle a tenu, et même légèrement dépassé, cet objectif en 2014, puisque ce taux s'établit à 53 % pour cette année. Dans l'esprit du partenariat différencié, l'objectif se décline sous des modalités différentes selon les grandes régions du monde. En Asie et en Amérique latine, où nous avons mandat de stimuler une croissance verte, ce sont non moins de 70 % de nos financements qui doivent avoir un objectif climatique, ce à quoi nous atteignons. Le taux de 50 % est dépassé pour les pays méditerranéens ; dans les pays subsahariens, nous dépassons notre objectif de 30 %, puisque la part des projets financés ou cofinancés apportant également un bénéfice climatique s'y élève à 35 %.

Pour garantir la crédibilité du bénéfice climatique, il importe d'adopter des outils communs et de s'entendre sur l'impact climatique des projets ou des programmes, en recourant à des bilans carbone. Ce n'est en effet qu'en partageant une méthodologie avec d'autres bailleurs de fond que nous parvenons à en attirer d'autres. Depuis 2005, près de dix-huit milliards d'euros de financement ont été apportés aux pays du Sud pour financer des projets ayant un cobénéfice climatique. Ainsi, l'AFD a acquis un savoir-faire qui la met à même de peser sur l'agenda du développement.

En 2014, elle a lancé une émission obligataire climatique. Il s'agissait d'une première, car des obligations vertes ont déjà été émises, mais ce n'était pas encore le cas pour des obligations climatiques au sens strict. Les financeurs publics doivent en effet mobiliser aussi les financeurs privés, afin d'orienter les masses d'épargne vers des investissements verts plutôt que vers des activités polluantes ou carbonées. Un marché commence de se structurer autour de projets labellisés verts ou, de manière encore plus vertueuse, labellisés pour leur incidence climatique. Pour ce faire, l'AFD s'appuie sur l'existence du portefeuille des projets susceptibles d'être montrés à l'épargnant. Je souligne que ces projets n'ont pas fait l'objet d'un verdissement (green-washing) rétrospectif, mais étaient des projets verts dès l'origine.

Grâce à ses responsabilités opérationnelles, l'AFD vient en appui de l'équipe française qui prépare la présidence de la COP21. Depuis janvier, elle apporte également son soutien immédiat, dans les pays qui le souhaitent, à la définition des engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre constituant leur projet de contribution au niveau national (intended nationally determined contributions –iNDC). Les experts sont désormais identifiés et les financements en place. L'AFD contribue ainsi à nourrir la discussion qui se tiendra sur la question de savoir si, une fois ces contributions additionnées, la barre des 2° C d'élévation de la température à l'horizon 2100 ne sera pas franchie.

Le Gabon et le Kenya bénéficient depuis longtemps de cet accompagnement, ayant l'un comme l'autre engagé une réflexion au niveau national. Au Kenya, elle inclut un recours à la géothermie. Certains pays sont ainsi déjà avancés dans la préparation, alors que d'autres le sont moins. Le dispositif de soutien à la définition des iNDC est une facilité conçue pour une vingtaine de pays. Les chiffres corroborent les prévisions, puisque dix-huit requêtes sont déjà parvenues à l'AFD et que trois ou quatre devraient encore lui être adressées. L'AFD se fixe pour but que ces iNDC soient proposées avant l'été. Dans certains pays, l'avancement de la réflexion ne laisse guère d'inquiétude à ce sujet ; pour d'autres, le travail mérite de s'intensifier.

L'AFD participe également à l'élaboration de la position sur l'architecture financière du Fonds vert pour le climat, en s'efforçant de mettre en avant le rôle des acteurs locaux et nationaux sur le terrain. Des coalitions de villes et de collectivités territoriales développent déjà des initiatives autour d'une ville, d'un territoire et d'une action climatique où l'AFD est partie prenante comme bailleur de fonds aux côtés de l'ONU. Ces collectivités sont en effet des acteurs majeurs de l'agenda de la COP21.

Par son initiative « financeurs », l'AFD recherche aussi un effet d'entraînement, espérant inciter d'autres bailleurs, multilatéraux et bilatéraux, à verdir leur action –comme elle a déjà réussi à le faire. Pour cela, il importe de développer d'abord un langage commun. Dans des négociations où chacun est tenté de prendre une posture obligée, cela compte beaucoup. Aussi une conférence se tiendra-t-elle à la fin du mois pour clarifier la méthodologie avec les bailleurs de fonds multilatéraux du Nord comme du Sud. Volontairement technique, cette réunion aplanira le terrain pour les discussions politiques et diplomatiques ultérieures.

L'AFD poursuit enfin, dans le domaine climatique, une oeuvre de sensibilisation de l'opinion. L'exposition de photographies de Yann Artus Bertrand « Soixante solutions » a précisément pour but de montrer que la situation n'est pas sans issue en matière de développement et de climat.

Venons-en à notre deuxième sujet, à savoir l'action de l'AFD devant les situations de crise et de conflit. Il n'est pas dénué de lien avec la question climatique. Des dérèglements environnementaux peuvent être à l'origine de crises. Au Sahel, le partage de l'eau entre sédentaires et nomades constitue une source de tension. Quand les facteurs climatiques peuvent être causes d'aggravation des crises, ce sont au demeurant les populations les plus pauvres et les plus vulnérables qui sont touchées. Mais il est possible de réduire leur fragilité au cas où une crise survient, comme l'AFD s'y emploie.

Premièrement, l'AFD considère que des actions de développement bien conçues peuvent réduire l'émergence ou l'ampleur des crises, par un effort permanent d'analyse du contexte où elles se déploient. Il doit d'abord éviter que des projets aient une incidence négative sur l'environnement général ou d'aggraver sans le vouloir sa détérioration. Pour prendre plutôt un exemple positif, l'AFD est très attentive en Côte d'Ivoire, où une crise ouverte sévit entre le Nord et le Sud, à ce que ses actions financées au titre des contrats de désendettement et de développement (C2D) y bénéficient autant à l'un qu'à l'autre, de façon à ne nourrir aucune perception d'un éventuel déséquilibre entre les ethnies respectivement majoritaires dans ces deux zones.

L'AFD s'efforce donc, en fournissant un effort permanent sans doute plus intense qu'auparavant, d'anticiper les conséquences à moyen terme grâce à divers scénarios, ce qui n'est pas la méthode naturelle d'un bailleur de fonds, qui tend à travailler à un horizon de quatre ou cinq ans.

Deuxièmement, l'AFD s'emploie à cerner les éléments facteurs de crise et à agir sur eux. Dans les missions que vous avez conduites, mesdames et messieurs les députés, vous l'avez relayé : les crises se nourrissent d'un sentiment d'absence de l'État, quand des populations délaissées n'ont pas accès aux services de base. Aussi nous efforçons-nous de nous appuyer sur les pouvoirs publics pour favoriser l'accès aux services de santé, humaine mais aussi animale, de même que l'accès à l'eau ou à l'énergie, grâce à des projets gérés par des structures locales.

Certes, il est plus simple de travailler dans une capitale que dans des zones reculées et peu sûres, comme au nord du Cameroun. Après la fermeture de la frontière avec le Nigéria, l'économie s'y est effondrée, empêchant une dizaine de milliers de jeunes de poursuivre leurs activités. Quand Boko Haram leur propose une moto et des francs CFA, ils sont naturellement tentés par des alternatives illicites. Pour cette raison, l'AFD finance dans ces territoires des projets d'infrastructure comportant le versement de salaires, dans le double objectif de construire des choses utiles qui vont durer et de donner à ces jeunes une occupation rémunérée.

Avec des moyens modestes, l'AFD conduit ainsi une action symbolique, qui entame le sentiment d'une désertion par l'État, parce qu'elle s'appuie sur des acteurs publics, mais génère aussi immédiatement des revenus. La sécurité d'un territoire dépend également du développement de son potentiel économique, soit par l'agriculture, soit par l'élevage pastoral, soit par le développement des centres urbains secondaires. Il y aurait moins de problèmes dans beaucoup de régions si elles bénéficiaient d'actions comme celle que l'AFD mène au Tchad depuis trente ans. Là-bas, l'accès aux ressources en eau a pu être amélioré, tandis que son usage non conflictuel contribuait à un apaisement et à une réduction des tensions entre nomades et sédentaires, contribuant finalement à la valorisation économique du territoire.

Mais cette valorisation économique des territoires passe aussi par le désenclavement. Le développement de grandes routes de circulation dans le Sahel dépasse cependant le champ d'intervention d'un acteur unique. L'AFD ne pourrait y contribuer qu'en s'alliant avec plusieurs autres bailleurs de fonds internationaux.

Parmi les autres leviers de développement, la démographie constitue aussi un sujet de préoccupation. Plusieurs pays du Sahel, tels le Mali, le Niger ou le Tchad, vont voir leur population doubler dans les prochaines années. Il est difficile pour l'AFD de mener une action qui ait un impact sur cette évolution, sinon, de manière indirecte, à travers des projets de développement de la santé maternelle et infantile. La question relève du pouvoir politique local, aux quelques initiatives duquel l'AFD prend régulièrement part. Mais la démographie ne recule pas. Au contraire, dans des pays comme l'Égypte, qui semblaient avoir entamé leur transition démographique, la population augmente de nouveau.

Il faut pourtant agir. L'éducation des filles fait partie des leviers d'action. Au Sahel, elle peut jouer un rôle important. L'évolution observable dépend également de l'état de frustration des populations dans les périphéries des grandes villes, où l'AFD s'emploie donc à améliorer la vie quotidienne. Même si l'AFD peut ainsi contribuer à réduire les foyers de tension, gardons-nous cependant de dire que l'aide au développement ferait la paix à elle seule. Son action s'inscrit et doit s'insérer dans un contexte diplomatique et politique soumis à des facteurs endogènes parmi lesquels on compte la gouvernance et la lutte contre la corruption.

Depuis un an, nous menons un travail de réflexion sur l'attitude à adopter lorsqu'une crise éclate. Nous avions été interpellés sur le sujet quand la crise avait éclaté au Mali, où nous avions accumulé du retard. La plaquette que nous vous avons distribuée illustre notre stratégie opérationnelle en matière de crise. J'en retiendrai trois points marquants.

D'abord, nous mettons l'accent sur le lien entre long terme et court terme. Même un projet à haute intensité de main-d'oeuvre lancé dans l'urgence doit produire un résultat utile sur le long terme. À Bangui, les jeunes employés sur ces chantiers se voient même ouvrir désormais des perspectives de formation professionnelle. En leur donnant les outils pour devenir artisans, l'AFD les aide ainsi à sortir d'une forme d'impuissance économique. De même, elle a répondu à la crise d'Ebola non seulement en finançant un centre de traitement à Macenta, mais aussi un centre de surveillance épidémiologique géré par l'Institut Pasteur à Conakry ainsi qu'un réseau d'information en Afrique de l'Ouest. D'une manière générale, l'AFD a mis à jour ses modes opératoires, réagissant dorénavant avec plus de souplesse et plus de rapidité.

Ensuite, l'AFD a pour politique de s'appuyer, comme dans le domaine de l'action climatique, sur les acteurs locaux. Cela lui permet d'agir y compris dans des circonstances très difficiles. Car la volonté d'intervenir immédiatement en zone de crise se heurte au désir de ne pas y mettre en danger des citoyens français ou des collaborateurs de l'agence, qu'ils soient en mission, expatriés ou employés locaux. Puisqu'il est difficile d'y envoyer des collaborateurs de la capitale, possibles victimes d'enlèvement, l'AFD s'appuie, davantage qu'auparavant, sur ses partenaires et sur les vecteurs d'action déjà en place, tels que les collectivités territoriales ou les organisations non gouvernementales (ONG). Ainsi, des émissaires des municipalités se sont rendus du nord du Cameroun dans la capitale pour permettre une coopération et un dialogue avec l'AFD. N'étant pas identifiés comme nouveaux arrivants à leur retour, ils risquent moins d'être pris pour cible.

Enfin, l'AFD mobilise des partenaires et des bailleurs de fonds. Confrontée à un problème d'échelle, elle recherche des effets de levier, comme en initiant le fonds Bêkou, qui unit en faveur de la Centrafrique les efforts de plusieurs bailleurs. Le fonds est en effet relayé par la Commission européenne, recueillant au total 74 millions d'euros, ce qui est loin d'être négligeable à l'échelle de la Centrafrique. Il ne saurait y avoir de recette magique qui soit adaptée à toutes les opérations. Mais un fonds comme le fonds Bêkou apparaît comme la meilleure solution lorsqu'il vaut mieux avoir un acteur unique sur le terrain, tandis que les autres participent aux opérations par son entremise, sans provoquer de chaos organisationnel.

Se pose pour conclure la question des ressources disponibles pour agir dans ces régions. L'AFD met en oeuvre une enveloppe de dons pour seize pays pauvres désignés a priori, tous situés au sud du Sahara, ainsi que pour trois ou quatre pays en crise, généralement Haïti, l'Afghanistan et les Territoires autonomes palestiniens. Pour ces vingt pays, l'AFD dispose de 200 millions d'euros mobilisables en dons. Si les dons pratiqués par l'AFD étaient plus nombreux, elle n'octroierait pas moins de prêts, mais elle ajouterait une dimension supplémentaire à son action. Même si je suis consciente que l'enveloppe budgétaire des dons de l'AFD est stabilisée à 200 millions d'euros alors que, dans un contexte difficile des finances publiques, d'autres ont été réduites, et que les ONG prennent au demeurant une place grandissante, il n'en demeure pas moins que, compte tenu de la situation au Sahel, l'équilibre serait sans doute à revoir entre financement bilatéral et multilatéral en matière de subventions.

La somme totale des contributions françaises aux grands fonds de santé –Fonds Mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme ; GAVI ; Unitaid– s'élève à 500 millions d'euros. L'AFD est censée pendant ce temps couvrir tous les secteurs avec 200 millions d'euros. La France doit jouer un rôle de démonstration et d'entraînement. Quand le fonds Sida fut créé, la France a ouvert ainsi l'accès au traitement dans les pays du sud du Sahel. D'autres bailleurs de fonds sont alors venus en appui. Mais notre contribution actuelle au fonds Sida, fixée à 12 %, s'élève à mon sens à un niveau désormais trop élevé. En réduisant cette part, des ressources pourraient être dégagées pour prendre une initiative en faveur du Sahel.

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Sur la question climatique, je crois que l'unanimité règne désormais, chacun ayant pris conscience de l'urgence d'agir dans ce domaine. L'année 2015 constitue à cet égard une échéance décisive et verra la France à la manoeuvre, avec tous les autres pays du monde. Cette priorité figurait également, de façon transversale, dans la loi que nous avons votée.

Sur l'action climatique, nous continuerons à travailler, chacun remplissant sa fonction. Vous avez raison, madame la directrice générale, d'associer développement et action climatique, en particulier dans les pays africains. Cette approche nous convient tout à fait.

Quant aux problèmes induits par les crises et conflits, vous en avez brossé un rapide tour d'horizon. L'AFD s'emploie à conforter les États de droit ; nous avions déjà eu l'occasion d'aborder cette question et je m'aperçois que nous parlons le même langage. Du fait de la multiplication des conflits, la problématique des réfugiés perce également de manière de plus en plus évidente. Quant à l'anticipation, elle est certes nécessaire, mais elle englobe un cadre plus large que le champ d'action de l'AFD, puisqu'elle s'étend à la lutte contre la corruption et contre les intérêts établis.

Sur le plan budgétaire, nous reprenons sans cesse le débat sur les ressources, les dons et les subventions, dont la liste des pays bénéficiaires est fixée par la loi. Il convient d'évoluer sur ce sujet. Assez animé, le dernier débat budgétaire relatif au projet de loi de finances pour 2015, n'a fait plaisir à personne. Nous sommes parfois perçus comme des empêcheurs de tourner en rond quand nous nous bornons à rappeler les termes de la loi relative au développement. Il faut pourtant que les choses bougent.

Pour les financements innovants, ils me semblent mis à contribution pour de nombreuses actions, tant dans le domaine de la santé –où je salue l'action de France contre le virus Ebola– que dans le domaine climatique, devenu la priorité des priorités. Avant d'énumérer de nouvelles priorités, je voudrais cependant que les anciennes ne soient pas oubliées, en respectant la chronologie de nos engagements.

Les ressources pour accorder des dons s'élèvent à 200 millions d'euros, montant qui paraîtra, à tous je pense, sensiblement insuffisant. Tant qu'il n'y aura pas d'évolution sensible en ce domaine, nous nous heurterons à cette difficulté. Pour certains, leur mise en place suit son cours ; pour d'autres, qui portaient nos espérances et devaient être traités au niveau européen, le processus semble en suspens –je pense naturellement à la taxation des transactions financières.

Dans le domaine de la coopération décentralisée, comme vous répartissez-vous les champs d'action et les thématiques, avec les collectivités et avec les ONG elles-mêmes ? Enfin, la primauté donnée à l'anglais dans vos documents presque luxueux me gêne parfois au titre de la francophonie, même si, d'une manière générale, je comprends la nécessité de communiquer.

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Notre collègue Jean-Pierre Dufau a été rapporteur du projet de loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement. Il a bénéficié à ce titre d'un temps de parole un peu plus long.

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Je tiens d'abord à vous remercier, madame la directrice générale, non seulement de vos présentations, mais pour les informations que vous m'avez fait parvenir concernant des pays englobés dans ma circonscription.

Au sujet de l'opposition entre l'aide multilatérale et l'aide directe nationale, j'ai toujours critiqué le Gouvernement, par-delà les majorités successives. Le constat est chaque fois le même, mais nous nous enfonçons pourtant dans le conformisme et la France disparaît en tant que telle comme donatrice.

S'il est facile de se réjouir, dans certains cénacles, qu'elle compte parmi les États les plus généreux en aide multilatérale, nous devrions avant tout chose veiller à ce que l'aide que nous donnons soit plus visible. Nous soutiendrions une initiative du Gouvernement prise en ce sens. Je déplore que certain ancien ministre des affaires étrangères puisse au contraire recevoir une décoration de la fondation Clinton, pour une contribution à cette même fondation acquittée par les contribuables français. Il n'y a là qu'une visibilité seulement personnelle, mais aucune pour l'État.

Parmi les dix-huit États auxquels vous prêtez assistance dans le cadre de la préparation de la COP21, y a-t-il le Vanuatu, peut-être le pays le plus exposé au dérèglement climatique ? Je rappelle que c'est un État membre de la francophonie et qu'il fut condominium franco-britannique. Nous y jouissons encore d'une réelle influence.

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Je vous remercie, madame la directrice générale, que l'AFD ait accepté de participer à la conférence MEDCOP21 qui doit se tenir à Marseille le 5 juin prochain. Avez-vous déjà réfléchi au type d'apport que la présence de l'AFD à la conférence pourrait apporter ? Inaugurée par le président de la République, elle mettra à l'honneur le rôle joué par la France et par ses régions méditerranéennes dans la lutte contre le changement climatique.

Récemment, je me suis rendu en Tunisie où la fragilité de la démocratie et le voisinage de la Libye renforcent la détresse qui s'observe dans les zones, telles que Kasserin, naguère délaissées par le dictateur et d'où est partie en 2011 la révolte à l'origine du printemps arabe. Le Gouvernement a déjà fait le geste nécessaire sur le plan de la sécurité, mais ne pensez-vous qu'il faudrait prolonger cette action sur le plan de l'aide au développement ?

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J'ai eu un moment de panique, madame la directrice générale, en feuilletant votre documentation, quand je n'y ai vu apparaître à aucun moment, sinon tout à la fin, l'axiome de base que vous avez vous-même abordé tout à la fin de votre présentation, à savoir le problème démographique.

Qu'il s'agisse de l'action climatique ou de l'aide au développement, les objectifs ne sauraient être tenus quand la croissance démographique s'élève à 2 % par an. Aucun programme n'est prévu non plus pour faire face aux flux migratoires, comme je l'ai déploré devant le ministre des affaires étrangères, M.Laurent Fabius. Or il faut agir rapidement, car l'action des pouvoirs publics met, en ce domaine, une génération à produire ses effets.

Nous nous trouvons donc en face d'une bombe à retardement. Car l'idée que le développement va à lui seul tarir ou ralentir la croissance n'a jamais été que le fruit de cerveaux décadents des années 1960.

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Je vous remercie, madame la directrice générale, de ce long tour d'horizon, si riche en exemples sur votre action dans le domaine climatique et dans celui développement. Je voudrais revenu sur la crise du virus Ebola, qui n'est pas si éloignée des enjeux climatiques. Au début de ce mois, lors de son audition par notre commission, le ministre des affaires étrangères M.Laurent Fabius a évoqué le lien entre la déforestation et le développement du virus.

Cette crise humanitaire a également des conséquences sur le niveau de sécurité et de développement de ce territoire. Ayant déjà provoqué 10 000 décès, le virus a contaminé 22 000 personnes. En février 2015, le comité exécutif de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a tenu une réunion pour tirer les enseignements, en matière de délai ou de qualification du personnel, de la réponse apportée à la propagation du virus. La France et l'AFD ont été très impliquées dans la lutte contre celui-ci, grâce au laboratoire de l'Institut Pasteur à Conakry et au centre de traitement implanté en Guinée forestière. La France s'est montrée à la hauteur des enjeux.

Comment analysez-vous le lien entre cette crise humanitaire et l'enjeu climatique ? Quel bilan financier tirez-vous de l'intervention de l'AFD contre le virus Ebola en Sierra Leone, au Liberia et en Guinée ?

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À propos du problème lancinant de l'alternative entre financement multilatéral et bilatéral, je voudrais souligner que l'aide bilatérale doit certes apparaître au premier plan si la visibilité de la France doit continuer à être assurée. Je déplore cependant que, malgré la pression des organisations internationales et de l'Onu en faveur du financement multilatéral, la France dégringole dans le classement des donateurs au programme des Nations unies pour la démocratie (Pnud). Il y a un équilibre à trouver. De même, je serai moins sévère que mes collègues sur le fonds Sida ou Unitaid, le premier agissant également contre la malaria et la tuberculose. Ces fonds produisent des résultats ; je ne saurais donc m'en faire le pourfendeur, non plus que de ceux qui les dirigent.

Je reviens avec Pierre Lellouche de trois pays africains qui sont en souffrance. Le Burkina Faso, le Mali et le Niger sont confrontés aux mêmes défis du développement, de la gouvernance et de la sécurité. Au-delà de l'aide alimentaire, le développement passe par la lutte contre la pauvreté et par la priorité donnée à l'éducation. Dans l'un de ces trois pays, le taux d'analphabètes s'élève même à 70 %. Parfois, l'impression nous gagne que nous versons de l'eau dans le sable.

Au sujet de la démographie, je me suis récemment forgé la conviction que le développement ne pouvait réussir si cette question n'était pas résolue. Dans les trois pays que j'ai visités, comme au Tchad, les femmes ont en moyenne sept enfants, ce qui veut dire qu'il n'est pas rare qu'elles en aient jusqu'à 12 ou 13. Il est politiquement incorrect d'aborder le sujet. La question ne saurait être au demeurant réglée par la France, mais il est également trop facile d'invoquer l'incidence de la religion ou un prétendu problème culturel.

Une conférence internationale et un sommet africain consacré à la question mettraient les chefs d'État devant leurs responsabilités. L'aide au développement risque sinon de devenir un puits sans fond. Je ne l'exprimais pas il y a quatre ou cinq ans, mais j'ai aujourd'hui la conviction que la démographie devient une priorité absolue.

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Je me suis rendu récemment au Mali, où j'ai constaté que l'aide apportée par la France prend la forme d'une aide liée, non d'une aide déliée. C'est tellement rare que cela mérite d'être souligné. Je tiens à vous en féliciter.

Le montant annuel de dons que peut consentir l'AFD, à savoir 200 millions d'euros, remonte à la fin de la dernière législature, lorsque l'actuel sénateur de l'Yonne Henri de Raincourt était le ministre en charge de la coopération. À l'époque, il fut convenu, sur les instances des parlementaires, que l'AFD percevrait 400 millions d'euros par an en charges d'intérêt, dont elle recevrait la moitié au budget, tandis que l'autre moitié passerait en dons. Depuis cette année-là, les lignes budgétaires n'ont pas bougé ; les débats agités sur le projet de loi de programmation n'ont finalement donné aucun résultat sur ce point.

Quant à notre aide bilatérale, je crois que des efforts restent à faire en matière d'affichage, parce que ce sont les seuls endroits où l'on peut voir ce que fait la France. En réalité, son rôle n'est souvent rappelé que par une communication qui relève du post-it ou du pin's, ou disons de l'épinglette : personne ne sait qu'elle agit ; elle n'est vue nulle part. Lorsque le financement multilatéral est organisé sous égide européenne, le drapeau européen est du moins présent, mais c'est tout. Comme j'ai coutume de le dire : avec le bilatéral, on sait ce qu'on fait ; avec le multilatéral, on sait ce qu'on paye. Il serait pourtant intéressant de savoir qui fait quoi.

Je m'interroge enfin sur les relations entre les ambassades et l'AFD. J'étais récemment au Tchad, où l'ambassadrice ne semblait guère motivée ni pour la diplomatie économique, ni pour l'aide au développement. Elle n'a pu nous répondre lorsque nous l'avons interrogée à ce sujet. Au Niger, la situation était quasiment la même. Je n'ai pas manqué de rapporter la situation à Laurent Fabius. Notre ambassadeur au Mali est au contraire d'une rare efficacité, tant pour la lisibilité de notre aide au développement que pour ses efforts de diplomatie économique. Quelle est votre perception ? L'AFD trouve-t-elle toujours bon accueil dans le réseau diplomatique et peut-elle travailler en complémentarité avec lui ?

À propos du virus Ebola, je me souviens d'un débat où il était envisagé de transférer une partie des crédits du fonds Sida, qui en est bien pourvu, vers la lutte contre Ebola. Je n'ai pourtant rien vu de tel arriver. Faut-il rappeler que le virus Ebola a été découvert en Guinée forestière dès les années 1970 ? La maladie ne nous préoccupe que lorsqu'elle nous touche. Je me garderais d'ailleurs de dire que l'épidémie est terminée, car une résurgence nous guette certainement. Il faut agir au fond, indépendamment des crises, et je déplore à cet égard que rien ne se soit produit pour lutter contre la maladie entre les années 1970 et il y a deux ans.

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Je conviens avec mon collègue que les réponses données en urgence ne sont pas un mode opératoire responsable. Vos brochures montrent que plusieurs de vos actions sont précisément des mesures de prévention des désastres. S'inscrivent-elles dans une stratégie globale ou n'y a-t-il pas un certain éparpillement ? En dix ans, la population exposée aux risques a triplé, pour atteindre deux milliards d'individus.

Par ailleurs, vous avez parlé d' « entreprise responsable » : comment la définiriez-vous ?

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Je déplore que, faute de ressources suffisantes pour des dons, la France ne tienne pas toujours les priorités géographiques qu'elle s'est elle-même fixées. Sinon, je suis d'assez près la situation au Burundi, où un ministre m'a exposé récemment comment les Chinois et les Indiens consentent des prêts au remboursement différé à sept ou huit ans, et échelonnés sur vingt-cinq ou trente ans pour financer des infrastructures. Pourquoi la France ne peut-elle faire de même ?

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Anne Paugam, directrice générale de l'Agence française de développement, AFD

Monsieur Mariani, l'AFD n'est pas active depuis longtemps au Vanuatu. Pour répondre à la situation d'urgence sur place, l'Union européenne met en commun les moyens et apparaît ainsi comme la mieux armée pour y répondre, la contribution française passant par elle. J'ajoute que le Vanuatu ne fait pas partie des dix-huit pays qui nous ont sollicité pour que nous lui apportions un soutien en vue de la préparation de la COP21. Sur la MEDCOP21, monsieur Vauzelle, je laisse répondre le responsable de notre cellule Changement climatique.

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Pierre Forestier, responsable de la cellule Changement climatique de l'AFD

Organisée par la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, la conférence se penchera sur l'impact du changement climatique en Méditerranée, où ses effets sont particulièrement prégnants. La transition doit y jouer son rôle, car la zone géographique est affectée tant dans le domaine agricole que dans celui de la gestion de l'eau. L'AFD participera donc à la conférence, en mettant en avant que plus de 50 % des projets qu'elle finance dans la région ont un bénéfice pour le climat. Au demeurant, le centre de formation de l'AFD est implanté à Marseille.

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Anne Paugam, directrice générale de l'Agence française de développement, AFD

Je vous confirme, monsieur Vauzelle, que nous serons présents, en vue d'apporter notre pierre à l'édifice dans le cadre de la préparation de la COP21.

La démographie représente à mon sens une urgence. La réponse actuelle n'étant pas à la hauteur des enjeux, une mobilisation serait très utile. Le sujet était devenu tabou, mais j'estime qu'il faut en finir avec la langue de bois. La question démographique touche à la religion, au statut de la femme et à la représentation que les sociétés ont d'elles-mêmes. Au cours d'une récente conférence, nous avons essayer de mobiliser sur ce sujet bailleurs de fonds, gouvernements et organisations non gouvernementales. Des responsables politiques au Sahel sont conscients du problème.

Certes, les bailleurs de fond pourraient se mobiliser davantage, mais le problème a une dimension politique. Les femmes interrogées au Niger déclarent vouloir plus d'enfants. Il y a un important travail à faire sur ce sujet. Des programmes de santé et d'éducation sont déjà financés par des dons ou par des prêts. À mon sens, une jeune fille qui atteint un certain niveau d'instruction maîtrise mieux sa vie, sa destin, y compris sa fécondité.

La question de la santé reproductive et de la planification familiale nous renvoie cependant au problème des ressources. Les crédits supplémentaires de trente millions d'euros ponctuellement engagés dans les programmes de santé maternelle et infantile n'ont pas été reconduits. Dans le domaine de la santé, nous sommes au demeurant assez faibles en mode bilatéral. Je ne voudrais pas tenir de discours négatif sur le Fonds mondial de lutte contre le Sida, mais il est aujourd'hui largement financé par d'autres contributeurs que la France, par exemple par la fondation Gates. À l'échelle de ses moyens, qui ne sont pas nuls mais tout de même inférieurs à ceux des États-Unis, elle peut faire oeuvre de pionnière et jouer un rôle d'entraînement sur des causes délaissées, comme elle l'a fait il y a dix ans pour le Fonds mondial de lutte contre le Sida. Il est certes plus difficile de mobiliser des stars ou des professeurs sur le pastoralisme au Tchad. Aujourd'hui, le Sahel me paraît pourtant une zone délaissée, où une action globale aurait aussi pour mérite de n'être pas dénuée d'effet sur notre sécurité ou sur l'éducation des filles.

Quant au travail de l'AFD avec les services économiques des ambassades et avec les chancelleries, je dirais que nous coopérons main dans la main. Indépendamment de toutes les alchimies personnelles, les directeurs d'agence participent régulièrement aux réunions de services des ambassades, préparent la venue des délégations et rédigent les projets de télégramme à la signature de l'ambassadeur. Les frictions nées des transferts de compétence il y a dix ou douze ans n'existent plus.

Je vous suis cependant très reconnaissante de nous faire connaître vos observations. Si l'AFD est à votre disposition pour préparer vos déplacements, elle l'est également après votre retour. Sur la crise née de la propagation du virus Ebola, je laisse le responsable de notre cellule Crises et conflits vous répondre.

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Olivier Ray, responsable de la cellule crises et conflits de l'AFD

Dans le domaine des crises, il est essentiel de tirer les leçons des crises précédentes. La communauté internationale ne le fait pas assez, de sorte qu'elle reproduit trop souvent des mécanismes qui n'ont pas fait leurs preuves.

Je tirerais deux leçons de la crise d'Ebola. Premièrement, la faiblesse des systèmes locaux de santé constitue un facteur structurel de crise, car ils sont comme le maillon faible de la chaîne épidémiologique internationale. Quand l'AFD et d'autres bailleurs financent, par des programmes de santé, le renforcement des hôpitaux, ils agissent de manière invisible dans le temps long, mais leur oeuvre est très importante. Car une intervention verticale sur une seule pathologie ne se révèle pas satisfaisante. Deuxièmement, il faudrait méditer le coût élevé de la gestion d'une crise sanitaire, politique et économique par rapport à une action en amont, sur le terreau politique, social et environnemental, contre les fragilités qui mènent au déclenchement d'une crise. L'opération Sangaris conduite en République centrafricaine a coûté 200 millions d'euros ; cela permet de chiffrer a contrario le coût de l'inaction. Le rapport Stern a révélé le coût de l'inaction sur le changement climatique par rapport à une action de prévention. Sa démonstration serait également valable pour les crises sociales et environnementales.

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Anne Paugam, directrice générale de l'Agence française de développement, AFD

En tout état de cause, la déforestation produit un effet sur la diffusion du virus. Aussi l'AFD travaille-t-elle à préserver les forêts d'Afrique centrale, participant ainsi à prévenir la propagation de maladies et les réactions en chaîne.

Quant au Burundi, nous n'y accordons pas de prêt en raison des ratios prudentiels applicables en matière de réendettement. Les puissances émergentes telle la Chine ont une approche différente lorsqu'elles accordent un bail. Au sein des enceintes de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et des conseils d'administration de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), la France s'emploie à obtenir qu'elles se conforment à un code de conduite, qu'elles respectent une certaine diligence environnementale et sociale et une transparence dans la passation des appels d'offre. J'espère que la Chine et l'Inde seront bientôt soumises à une pression suffisante pour que leurs opérations de financement respectent des règles minimales. Nous ne voulons pas, quant à nous, d'un réendettement qui étrangle un pays sur le plan macroéconomique et conduise à de nouvelles annulations de dette, très coûteuses pour le contribuable.

Monsieur Dufau, la loi de programmation nous engage à approfondir la coopération avec les ONG et les collectivités territoriales de toute nature. Une dizaine de partenariats ont été signés avec ces dernières en 2014. Je vous en ferai parvenir un bilan écrit. Le développement durable des territoires urbains et périurbains et le développement économique local sont au nombre de nos domaines thématiques favoris. Certaines grandes agglomérations et régions poursuivent même une démarche de fertilisation croisée de leurs savoir-faire. Ainsi, la région Bretagne s'appuie sur sa filière maraîchère pour conduire, grâce à un financement innovant, un projet avec la filière maraîchère de la région Centre du Burkina Faso. Cela peut avoir également des retombées positives pour les entreprises, au Burkina Faso comme en Bretagne.

De même, dans la droite ligne des orientations fixées par le Gouvernement et par la loi, nous avons adopté un nouveau cadre d'intervention avec la société civile, valable pour trois. Nous allons en tirer bientôt un premier bilan. Nous adaptons nos outils à ces nouveaux acteurs, sur le plan opérationnel, mais aussi lorsqu'il s'agit de conduire un dialogue géographique ou sectoriel. Une concertation approfondie se déroule ainsi avant l'adoption d'un cadre stratégique.

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Sur les causes des crises, il y a des constantes, qui mettent en cause la gouvernance. Selon Médecins sans frontières, il y a un seul médecin pour 45 000 habitants au Liberia. Dans de telles conditions, apporter de l'aide revient à arroser le sable.

Quant à la démographie, j'aborde le sujet quand je reçois des responsables africains, toujours des hommes, qui prennent alors un air interloqué. Si les femmes pouvaient pouvaient jouer un rôle, elles aspireraient naturellement à avoir moins d'enfants. Ce discours est cependant plus facile à tenir pour des responsables politiques. Puisque les grandes fondations se sont déjà attelées à la question, ce sera intéressant de savoir un autre jour quelle coopération l'AFD mène avec elles.

La MEDCOP21 évoquée par Michel Vauzelle permettra aux acteurs de se focaliser sur l'action climatique en Méditerranée. Pour votre information, nous organiserons, dans le prolongement de cette conférence, ici à Paris à la mi-octobre, une nouvelle réunion avec des représentants des deux rives de la Méditerranée, où se côtoieront membres de la société civile et parlementaires.

Le président Bartolone a invité ses homologues des quarante-deux pays concernés des deux rives, tandis que, comme présidente de la fondation Anna Lindh, qui travaille déjà sur ces questions, j'assurerai la préparation auprès de la société civile. Je serai au demeurant également présente à Marseille, où nous pourrons en reparler.

Comme vous le savez, la commission des affaires étrangères est particulièrement exigeante en matière d'aide au développement et s'emploie à défendre les intérêts de l'AFD pour qu'elle obtienne davantage, notamment en matière de dons. Pour finir, je voudrais vous remercier, madame la directrice générale, vous-même ainsi que les membres de votre équipe. Les brochures que vous avez mises à notre disposition me semblent très bien faites. En tout état de cause, elles ne paraissent pas plus luxueuses que beaucoup de celles qui sont éditées par de nombreux conseils généraux.

La séance est levée à dix-huit heures trente-huit.