Intervention de Harlem Désir

Réunion du 1er avril 2015 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Harlem Désir, secrétaire d'état chargé des affaires européennes :

Je suis très heureux de pouvoir vous rendre compte du Conseil des ministres franco-allemand particulièrement dense qui s'est réuni ce mardi à Berlin sous la présidence de la Chancelière fédérale et du Président de la République.

Après la catastrophe aérienne du 24 mars, le Conseil a d'abord été marqué par une très grande émotion et par les remerciements adressés par la Chancelière et de nombreux membres du Gouvernement fédéral à la France, à ses services publics et à ses autorités. Ils ont particulièrement salué la réactivité des services de sécurité civile, les réactions de la population des Alpes-de-Haute-Provence et de Seyne-les-Alpes, ainsi que l'accueil réservé aux familles des victimes et aux autorités allemandes qui se sont rendues sur place. Mme l'ambassadeur d'Allemagne en France, qui a passé cinq jours sur les lieux du crash, a été particulièrement touchée par le fait que ces autorités ont été totalement associées à la conduite de l'enquête sans que la nationalité soit en aucune façon un obstacle.

La Chancelière et le Président de la République ont constaté que, depuis le début de l'année, la solidarité consécutive aux attentats de Paris du mois de janvier dernier et les démarches conjointes menées pour les accords de Minsk témoignaient, au-delà de la coopération et de l'amitié traditionnelle entre nos deux pays, d'un véritable esprit de fraternité.

M.Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, a présenté une communication relative à l'enquête. Des moyens considérables ont été mobilisés pour l'identification de toutes les victimes. Elle devrait être achevée, si tout se passe comme prévu, d'ici à la fin de la semaine.

Chacun des sujets abordés ensuite a fait l'objet d'une intervention conjointe des ministres français et allemands qui s'étaient réunis, chacun avec leur homologue, avant le Conseil lui-même.

Les deux ministres des affaires étrangères, M.Laurent Fabius et M.Frank-Walter Steinmeier, ne se trouvant pas à Berlin mais à Lausanne, où ils participaient ensemble aux négociations relatives au nucléaire iranien – ce qui constitue une manifestation supplémentaire de la cohésion franco-allemande –, les deux ministres de la défense, M.Jean-Yves Le Drian et Mme Ursula von der Leyen, ont rendu compte des actions communes menées en matière d'affaires étrangères et de défense. Ils ont évoqué, comme vous venez de le faire à juste titre, madame la présidente, l'engagement de la brigade franco-allemande pour former l'armée malienne, et la solidarité manifestée par les Allemands à l'égard des opérations menées par la France en Afrique. Vous avez également eu raison de parler de la préparation du Conseil européen du mois de juin prochain qui sera consacré aux questions de défense : elle fera l'objet d'une intense coordination entre nos deux pays. Nous soutiendrons ensemble des propositions pour renforcer l'appui aux armées de nos partenaires africains, en particulier grâce à l'initiative Train and equip – en anglais dans la terminologie européenne – qui vise à augmenter nos soutiens en matière de formation et d'équipement.

Par ailleurs deux décisions très concrètes ont été annoncées en matière de coopération bilatérale industrielle touchant au domaine extrêmement sensible du recueil d'informations. L'une concerne une nouvelle coopération en matière de capacités d'observation par satellite de nouvelle génération – systèmes CSO et SARah. L'autre est relative au lancement d'un travail commun mené avec l'Italie en vue de développer un programme de drones de surveillance (MALE). J'indique, en prenant toutes les précautions d'usage, que cet équipement, qui a vocation à servir à l'observation conformément aux doctrines en cours, pourrait, demain, si le Parlement donnait son accord, constituer un outil commun pour l'action.

La question du climat constitue une priorité pour nos deux pays qui mettront en oeuvre les décisions prises dans le cadre de l'Union de l'énergie, du paquet énergie-climat et de la politique de réduction des gaz à effet de serre. Ils coordonneront leurs efforts à chaque étape de l'adoption des législations nécessaires.

Aujourd'hui, l'urgence est à la préparation de la COP 21. M.Laurent Fabius l'a déjà dit devant votre commission : nous sommes convaincus que nous ne parviendrons à un accord à Paris, au mois de décembre prochain, que si les négociations entre les parties ont abouti avant l'ouverture de la conférence. Nous ne pouvons pas aller de conférence en conférence et reproduire ce qui s'est passé à Copenhague en décembre 2009 en pensant qu'il suffirait que les chefs d'État se réunissent durant quelques jours pour que des décisions soient prises. Les implications sont considérables pour le modèle énergétique, industriel et économique qui est le nôtre. Une solidarité internationale doit aussi se manifester, je pense au Fonds vert pour le climat, et se traduire par des engagements et la mise en place de mécanismes de vérification. Je rappelle que l'enjeu est de sauver la planète en empêchant que la température ne s'élève de plus de deux degrés Celsius d'ici à la fin du siècle. L'Allemagne s'est engagée à apporter tout son aide au processus de négociation en cours, notamment lors du Dialogue de Petersberg sur le climat qui se déroulera à Berlin, le 19 mai prochain, et lors du sommet du G7 qu'elle présidera, au mois de juin, à Elmau.

Une déclaration des ministres chargés de l'énergie et de l'environnement, Mme Ségolène Royal, M.Sigmar Gabriel et Mme Barbara Hendricks, a par ailleurs confirmé la convergence franco-allemande dans le domaine des énergies renouvelables, de l'efficacité énergétique ou du stockage de l'électricité.

Trois réunions relatives aux questions économiques et financières ont eu lieu préalablement au Conseil des ministres : l'une entre les ministres des finances, M.Michel Sapin et M. Wolfgang Schäuble, une autre entre les ministres de l'économie, M.Emmanuel Macron et M. Sigmar Gabriel, et une dernière entre notre ministre de la culture, Mme Fleur Pellerin, et M. Olaf Scholz, Plénipotentiaire de la République fédérale d'Allemagne représentant les Länder sur les sujets de culture et d'éducation, lesquels relèvent exclusivement de leur compétence.

Les deux Gouvernements se sont engagés à favoriser l'investissement en Europe et à contribuer à la mise en oeuvre du plan Juncker. Dans ce cadre, les ministres de l'économie ont énuméré huit domaines dans lesquels seront présentés des projets d'investissements communs susceptibles d'être accompagnés par ce plan. Les réseaux transfrontaliers concerneront notamment l'interconnexion électrique de deux pays. Les fonds communs viseront à promouvoir les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique. Un partenariat franco-allemand en matière de réseaux intelligents jouera également un grand rôle dans les stratégies d'économies d'énergie. Une région modèle pilote transfrontalière franco-allemande sera notamment active dans le domaine des réseaux numériques intelligents. Des programmes d'efficacité énergétique s'appliqueront aux bâtiments publics et aux logements privés. Une infrastructure transfrontalière de stations de recharge pour les batteries de véhicules électriques sera créée. Le capital-risque pour les entreprises innovantes sera développé. Un soutien sera apporté aux investissements dans les usines et les chaînes pilotes spécialisées, notamment dans le secteur du numérique – ce que les Allemands appellent « l'usine 4.0 » et les Français « l'usine du futur » –, l'enjeu étant de maintenir en Europe les industries de haut niveau.

Concernant le numérique, nos deux pays se sont accordés sur la défense d'un agenda numérique ambitieux, sur la construction d'une véritable Europe numérique, et sur la nécessité d'une régulation de la fiscalité et des plateformes. Ils souhaitent préserver les mécanismes de financement de la création, c'est-à-dire le droit d'auteur, et expriment une position commune concernant la neutralité technologique et la mise en place d'un taux réduit de TVA applicable aux livres numériques et à la presse en ligne. Pour la première fois, les deux Gouvernements ont annoncé ensemble qu'ils défendraient la même approche des industries culturelles et créatives à l'heure du numérique.

Les ministres du travail et de l'emploi et les ministres de l'éducation ont notamment travaillé sur les mobilités des apprentis, sur le développement de plateformes européennes pour l'emploi, comme la plateforme EURES, sur la garantie des droits, et sur la lutte contre le dumping social. La France et l'Allemagne souhaitent que les directives sur le détachement des travailleurs soient encore améliorées. Elles appellent à un renforcement de la responsabilité des entreprises dans ce domaine – ce débat mobilise les Allemands notamment concernant l'application du salaire minimal aux transporteurs routiers en provenance des pays d'Europe centrale et orientale. Pour que nos discussions avec la Commission aboutissent, il est particulièrement important que nous agissions ensemble.

En matière d'éducation, nos deux pays ont signé une convention relative à la reconnaissance des diplômes, des titres et des grades. Elle met à jour les mécanismes actuellement en vigueur et opère une généralisation qui permettra à tous les étudiants, quel que soit leur niveau de diplôme, de poursuivre leur scolarité d'un côté ou de l'autre du Rhin. L'apprentissage des deux langues et les échanges scolaires seront par ailleurs développés.

En matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme, le Conseil des ministres a réaffirmé son soutien à la feuille de route adoptée par le Conseil européen du 12 février dernier, et le souhait que le système européen de dossiers passagers (PNR) soit rapidement adopté. Les ministres ont souligné que le drame survenu la semaine dernière dans les Alpes illustrait le besoin que ce système soit mis en place car il a fallu plusieurs heures pour connaître la simple nationalité des passagers présents dans l'avion – aujourd'hui, les compagnies n'enregistrent pas cette information. J'ajoute que les listes des passagers ne sont pas toujours conformes à celle des personnes qui se trouvent réellement dans l'appareil faute d'un contrôle au moment de l'embarquement.

L'espace Schengen constitue un espace de liberté de circulation pour les citoyens mais aussi un espace de contrôle commun des entrées et des sorties du territoire européen par nos services de police. Le Conseil des ministres considère que ce cadre doit permettre des contrôles systématiques des coordonnées des personnes. La France et l'Allemagne soutiennent une modification ciblée du Code frontières Schengen afin de faciliter des contrôles permanents. Elles appellent au renforcement de l'agence Frontex.

L'ancien Premier ministre français, M.Jean-Marc Ayrault, et la Ministre-Présidente de la Sarre, Mme Annegret Kramp-Karrenbauer ont par ailleurs été chargés d'élaborer, d'ici au prochain Conseil des ministres franco-allemand, des projets bilatéraux pour promouvoir l'intégration au sein de nos sociétés.

Plus que jamais, ce Conseil des ministres franco-allemand a témoigné de la très grande solidité des relations fraternelles entre nos pays, nos peuples et nos Gouvernements. Il a aussi été marqué par l'urgence car l'Europe doit apporter très rapidement des réponses fortes aux risques et aux guerres qui l'entourent. Face à la situation en Ukraine, à celle qui prévaut en Irak ou au Syrie, au chaos qui menace la zone méditerranéenne avec la Libye – avec laquelle le récent attentat de Tunis ne semble pas dépourvu de lien puisqu'il semble établi que les deux terroristes y avaient suivi un entraînement –, et si l'on songe au Yémen, à l'Afrique sahélienne et à l'Afrique de l'Ouest, on mesure l'ampleur des tâches qui sont devant nous. Et nous ne pouvons pas compter sur d'autres ! Comme je le disais en début d'après-midi en répondant à Mme Nicole Ameline lors des questions au Gouvernement : même si la France intervient en premier, nous avons besoin que d'autres s'engagent avec nous. En la matière, le Conseil des ministres franco-allemand a été marqué par une conviction partagée par nos deux pays et par une volonté d'aller plus loin. C'est aussi comme cela qu'il faut lire les décisions prises en matière de coopérations industrielles dans le champ de la défense.

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